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Full text of "Revue critique des Livres nouveaux"

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«^ 


4X 


REVUE     CRITIQUE 

des 

Livres    Nouveaux 


VI'  Année,   n"   j.  (deuxième  série)  i5  Janvier    1911 


LE  PRIX  CONCOURT  EN   1910. 

G.  Apollinaire.  L'Hérésiarque  et  Cie.  Paris,  Stock,  1910,  in-12, 
288  p.,  3  fr.  50.  —  L.  Pergaud.  De  Goupil  à  Margot,  histoire  de  bêtes. 
Paris,  Mercure  de  France,  1910,  in-12,  258  p.,  3  fr.  50.  —  G.  Roupnel. 
Mono.  Paris,  Pion,  1910,  in-12,  301  p.,  3  fr.  50.  —  M.  Audoux.  Marie- 
Claire.  Paris,  Fasquelle,  19 10,  in-12,  261  p.,  3  fr.  50. 

A  lAcadémie  Goncourt,  comme  on  sait,  l'éclectisme  est  de  nécessité 
encore  plus  que  de  principe.  Peu  homogène  lui-même,  ce  jury,  fort  heureu- 
sement, n'a  pas  suscité  d'école  ;  il  récompense  l'effort  sans  l'orienter.  Il  com- 
mence la  réputation  de  talents  inégaux  et  divers,  tous  dignes,  à  ce  moment 
du  moins,  de  l'attention  du  public.  Sans  épiloguer  sur  ses  votes,  où  bien 
des  considérations  peuvent  avoir  part,  retenons  les  quatre  noms  nouveaux 
classés  en  tète  du  dernier  scrutin  :  deux  novellieri,  deux  romanciers. 

Un  recueil  de  contes,  est-ce,  comme  l'exige  le  testament  Goncourt,  une 
«  œuvre  d'imagination»,  ou  des  œuvres  ?  N'éveille-t-il  pas  une  présomption 
d'inspiration  plus  courte,  plus  libre,  plus  inégale  ?  En  tout  cas,  du  livre  de 
M.  Pergaud,  première  série  d'une  Légende  des  bêtes  qui  aura  plusieurs  suites, 
et  même  de  celui  de  Guillaume  Apollinaire  on  peut  aisément  prouver 
l'unité.  L'Hérésiarque  et  Cie,  c'est-à-dire  un  syndicat  de  nouvelles  sous  une 
commune  raison  sociale  et  dont  l' Hérésiarque  donne  la  note  caractéristique. 
Inscrivons  en  sous-titre  :  récréations  théologiques  et  des  lecteurs  penseront  à 
l'Anatole  France  de  Thaïs,  de  Y  Étui  de  nacre  et  du  Puits  de  Ste-C1aire.  A  cette 
perfide  candeur  mêlons  les  fortes  épices  de  Huysmans,  sa  crudité  pimentée 
et  même,  par  endroits,  l'imagination  licencieuse  des  conteurs  grivois  de 
jadis,  et  nous  aurons  la  saveur  fondamentale  de  ce  plat  nouveau.  La  matière 
en  est  fournie  par  le  dogme  et  les  rites  catholiques,  le  Baptême  et  l'Eucha- 
ristie, la  Trinité  et  la  Providence,  l'Infaillibilité,  etc.,  postulats  dont  une 
affabulation  ironique,  dramatique  et  diverse,  tire  des  conséquences  rigou- 
reuses et  imprévues.  Quelques  morceaux  ont  un  caractère  fantastique,  mais 
le  franc  réalisme  qui  s'y  mêle  en  juste  proportion  les  garde  de  toute  froideur. 
D'autres  remplacent  ou  renforcent  la  mystique  et  la  théologie  par  le  mer- 
veilleux scientifique  et  prophétique  de  Wells.  D'autres  enfin,  théologiques  ou 
non,  sont  surtout  des  contes  de  races.  Ils  sont  excellents  :  l'auteur  a  beaucoup 
et  bien  voyagé  en  Europe,  comme  dans  les  livres.  Les  mœurs  de  sa  Wal- 
lonie et  de  sa  Bohême  m'ont  charmé  tout  autant  que  ses  scènes  danubiennes 
que  j'ai  pu  reconnaître.  Florilège  donc  de  fleurs  multicolores,  mais  toutes 
poussées  au  champ,  mental  ou  géographique,  d'une  humanité  assez  particu-  ,    Q 


Revue  critique  des  Livres  nouveaux 


lière  :  leur  charme,  à  toutes,  se  relève  d'une  même  odeur  paradoxale  et 
musquée.  La  langue  du  conteur,  pourtant,  est  nette,  vigoureuse  et  saine. 
Mais  elle  exige  parfois,  en  raison  des  sujets,  un  petit  effort  d'étymologie 
gréco-latine.  L'œuvre  s'adresse  à  des  esprits  cultivés,  un  peu  subtils  et  un 
peu  pédants. 

Les  histoires  de  bêtes  de  M.  Pergaud  arrivent  aux  bêtes  de  nos  forêts  de 
France  :  fouines  et  taupes,  renards  et  lièvres,  grenouilles  et  pies  ;  ce  n'est  pas 
une  épopée  de  la  jungle.  Elles  ont  encore  pour  elles  d'être  vraiment  des  his- 
toires de  bêtes  :  elles  ont  été  vécues,  si  je  puis  dire,  sous  le  crâne  et  dans  la 
peau  de  leurs  héros.  Par  là,  dans  le  pays  du  Renart  et  d'une  lignée  incompa- 
rable de  fabulistes  et  d'animaliers,  elles  sont  nouvelles.  Les  animaux,  exempts 
de  tout  didactisme,  n'y  font  pas  figure  de  masques  satiriques,  n'y  jouent  pas 
une  comédie  humaine,  travestie  seulement  pour  forcer  l'attention  des 
hommes.  Ils  ne  font  pas  d'esprit,  ne  dialoguant  ni  entre  eux  ni  avec  nous. 
Et  leurs  pensées  (je  ne  parle  pas  du  «  subconscient  conservateur  »  de  l'ins- 
tinct providentiel,  dont  il  est  fait  quelque  abus,  mais  des  images  et  sen- 
sations concrétées  en  jugements  pratiques)  ne  paraissent  pas  non  plus 
transportées  de  notre  monde  au  leur.  Cette  psychologie  élémentaire,  très 
nuancée  pourtant,  nul,  ni  M.  Pergaud,  ne  saurait  s'en  porter  garant,  et  pour 
cause  ;  mais  elle  est  entièrement  plausible,  amusante,  émouvante.  Les  drames 
sur  lesquels  elle  s'applique  sont  très  bien  imaginés  :  drames  de  la  liberté  ou 
de  la  captivité,  exceptionnels  ou  normaux,  le  merveilleux,  l'invraisemblable 
en  sont  toujours  exclus.  Ce  sont  les  amours  souterraines  et  cruelles  des 
taupes,  la  lutte  atroce,  dans  les  airs,  de  l'oiseau  de  proie  et  de  la  fouine 
agrippés,  l'autovivisection  héroïque  de  la  fouine  captive,  la  mort  de  l'écu- 
reuil, la  déchéance  et  la  fin  misérable  de  la  pie  alcoolique.  A  la  rigueur,  ces 
histoires,  comme  des  fables,  comporteraient  une  morale,  du  moins  implicite. 
Margot,  par  exemple,  nous  enseignerait  que  «  le  despotisme  avilit  l'homme 
jusqu'à  s'en  faire  aimer  »  ;  et  Nietzsche  aurait  su  que  dire  sur  la  mutilation  de 
Roussard,  le  maître  lièvre,  châtré  par  la  foule  haineuse  des  petits,  petits 
lapins.  Mais  il  importe  peu.  Après  les  mœurs  animales,  ce  qui  intéresse 
dans  le  livre,  c'est  le  cadre  :  l'intimité  des  sous-bois,  des  friches,  des  mares, 
explorée,  pénétrée  avec  amour,  rendue  avec  bonheur.  Ce  bonheur  d'ex- 
pression réside  surtout  dans  le  vocabulaire,  juste  et  vif,  riche  et  neuf  (parfois 
trop  neuf,  inutilement  inventé).  La  syntaxe  est,  à  mon  gré,  trop  périodique, 
complexe  et  lente  pour  l'analyse  descriptive  ;  il  y  a  des  passages  qu'il  faut 
relire  pour  faire  la  synthèse.  On  peut  relever  même  des  incorrections  for- 
melles (p.  258,  non  plus  est  écrit,  par  contre-sens,  pour  autant).  C'est  peu 
de  chose.  Le  fumet  sauvage,  la  verte  odeur  de  ces  poèmes  de'la  forêt  réveil- 
leront sans  doute  l'appétit  de  bien  des  lecteurs,  blasés  sur  les  cas  de  conscience 
mondains. 

Cependant  il  faut,  comme  l'auteur,  s'être  fait  homme  des  bois  et  le  frère 
de  leurs  hôtes,  par  une  longue  accoutumance,  pour  savourer  dans  tout  le 
détail  les  peintures  qu'il  nous  en  rapporte.  Peut-être  le  vigneron  de 
M.  Roupnel  ira  plus  facilement  au  cœur  du  plus  grand  nombre.  Nono  est  un 
livre  d'une  humanité  directe  et  poignante,  l'un  des  plus  émus  qu'on  ait  écrits 
depuis  quelques  années  et  l'un  de  ceux  où  la  vie  intérieure,  entre  le  pittoresque 
des  mœurs  et  la  poésie  de  la  nature,  occupe  toute  la  place  —  la  première  — 


Le  Prix  Goncourt  en  1910  ■  —     3 

qui  lui  appartient  de  droit.  Nono,  autrement  dit  Jacques  Jacquelinct,  de  Ge- 
vrey-Chambertin,  bien  Français  d'esprit  et  de  langage,  peut  donner  la  main  à 
tous  les  moujiks  de  Tolstoï  qui  proclament  qu'  «  il  faut  avoir  une  âme  ».  La 
sienne  est  une  âme  humaine,  faible  et  généreuse,  capable  d'un  amour  plus 
fort  que  la  mort  et  que  les  trahisons  de  la  vie  ;  capable  aussi  de  lourdes 
déchéances  où  la  conscience  pourtant  n'est  qu'endormie,  de  crises  méchantes 
que  suivent  les  réveils  de  sa  bonté  foncière  ;  capable  surtout  d'être  pétrie, 
façonnée  par  la  douleur,  pour  épancher,  avec  simplicité,  l'héroïsme  du 
pardon.  Tour  à  tour  la  résignation  et  la  révolte,  l'évangélisme  même  et  la 
religiosité  y  ont  place.  Dans  ses  grandes  douleurs,  quand  Nono  trahi  par  sa 
femme,  ayant  clos  les  yeux  de  sa  fille,  reste  «  avec  les  deux  amours  de  sa 
vie,  l'un  étranglé  par  le  déshonneur,  l'autre  tué  par  la  mort»,  tout  naturel- 
lement il  relève  les  yeux  et  s'inquiète  de  savoir  «ce  qu'il  y  a  dans  le  fenil 
dont  il  ne  voit  que  le  dessous,  le  plancher  des  étoiles.  »  Cette  religiosité 
n'est  pas  fade,  ni  plaquée  :  elle  procède  de  la  détresse  d'un  homme  et  du 
besoin  de  justice  ;  c'est  la  religion  qu'ont  inventée,  qu'inventent,  qu'inven- 
teront toujours,  peut-être,  les  hommes  malheureux.  En  pardonnant  à  son 
ennemi  qui  vient  de  mourir,  Nono  entend  donner  au  Dieu  des  chrétiens  une 
leçon  d'indulgence  humaine:  «  C'est  déjà  bien  assez  d'être  mort.  Qu'il  ne  se 
montre  pas  plus  difficile  que  moi,  qui  ai  souffert  toute  ma  vie.  »  On  voit 
assez  de  quoi  est  faite  la  conscience  de  Nono.  Rien  de  moins  mystique,  de 
moins  obscur  que  ce  représentant  d'une  race  héroïque  au  travail  de  la  terre, 
de  ces  Jacquelinct  qui  «  ont  fait  la  plaine  »  et  défriché  la  Côte  vineuse.  Rien 
de  plus  lucide  que  son  âme  d'enfant  avec  «  son  ingénuité,  sa  bonté  naïve  et 
raisonneuse».  «  Le  fait  est,  proclame-t-il,  que  le  raisonnement,  c'est  mon 
fort.  »  Et  comme  le  malheur  et  de  méchantes  gens  l'ont  fait  tourner  «  au 
niais  et  au  soûlard  »,  ses  raisons  se  déduisent  longuement  en  un  monologue 
pittoresque  qui  remplit  les  trois  quarts  du  livre,  devant  des  confidents  tout 
naturels,  ceux  qui  ont  organisé,  pour  leur  ébaudissement,  le  spectacle  de  ses 
plaintes  et  de  ses  fureurs. 

Car  ce  roman  idéaliste  —  et  c'est  un  véritable  tour  de  force  —  n'est  guère 
formé  que  des  propos  d'un  homme  soûl.  Les  mots  crus  n'y  sont  pas  épargnés. 
Les  folies  d'une  femme  de  vigneron  en  fournissant  la  matière,  la  façon  dont 
on  traite  les  femmes  au  Café  Caillot  aurait  pu  inspirer  de  copieuses  invec- 
tives à  ce  M.  Pinard  qui  requit  jadis  contre  la  Bovary.  Autre  élément  qui 
rappelle  le  naturalisme  ;  un  quarteron  de  brutes,  «  de  gouapes,  de  galvaux  », 
cruels,  débauchés,  débaucheurs,  dont  les  portraits  n'ont  rien  de  timide.  Nono 
les  explique,  comme  ii  explique  tout  en  lui  et  autour  de  lui  :  «  Un  homme, 
c'est  rudement  méchant,  allez:  un  être  pire  qu'un  chacal.  Il  cherche,  en 
tremblant  de  rage,  la  faible  victime  à  attaquer.  »  Et  Nono  lui-même,  qu'ils 
aident  à  s'abrutir,  ne  reste  pas  à  mi-chemin.  Ils  lui  font  haïr,  pour  un 
temps,  assommer,  tyranniser  la  pauvre  fillette  que  lui  a  laissée  sa  femme 
enfuie:  «  Je  suis  devenu  une  bêle  mauvaise  et  un  méchant  ivrogne.  »  Avec 
la  bonté  profonde,  l'amour  héroïque  et  le  sens  droit  qui  forment  la  vraie 
nature  de  Nono,  cela  fait  un  savoureux  mélange,  ce  mélange  de  l'art  de 
Zola  et  de  celui  de  Sand  que  M.  Lanson  signalait  dans  le  roman  d'Ed.  Droz: 
Au  Petit  Ballant  (voir  Bulletin  I,  page  25).  La  vérité  moyenne  s'en  dégage 
heureusement  :  «  Il  faut  de  tout,  dit  Nono,  à  la  première  page,  pour  faire  un 
monde  à  peu  près...  »  Excellente  doctrine  littéraire,  en  tout  cas.  Des  person- 
nages, extrêmes,  si  l'on  veut,  variés,  si  l'on  peut,  comme  comparses  ;  mais. 


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pour  héros,  des  personnages  moyens.  Cette  charmante  Nénette  aussi,  par 
qui  Nono  souffre  tant,  est  ainsi  composée.  Ce  n'est  pas  une  méchante 
femme  ;  mais  où  elle  a  passé  fillette,  il  faut  qu'elle  repasse.  Et,  souffrant 
elle-même  un  atroce  esclavage,  elle  est  cause,  pour  une  grande  part,  de  la 
mort  de  sa  fille  Laurette,  qu'elle  eût  mieux  su  garder  que  le  pauvre  Nono. 
Dans  les  dernières  pages  enfin,  irrésistiblement  touchantes,  quand  les  deux 
vieux  époux,  réconciliés,  reviennent  à  leur  foyer  et  tentent  de  s'y  refaire, 
avec  des  devoirs  nouveaux  et  d'anciens  souvenirs,  un  nouveau  bonheur,  car, 
«  ni  le  devoir,  ni  l'amour  ne  vieillissent,  ni  ne  passent»,  en  ces  instants 
solennels,  ce  sont  des  détails  d'une  trivialité  savoureuse  qui  traduisent  leur 
embarras  après  tant  d'années,  ce  qu'il  leur  faut  taire,  ce  qu'ils  devinent,  tout 
l'inexprimable. 

Beau  livre,  certes,  non  pas  sans  défauts.  Certains,  agaçants,  nous  relan- 
cent, en  pleine  émotion  :  des  disparates,  des  artifices,  des  intermèdes  poé- 
tiques, voire  métaphysiques  de  l'auteur.  Nono  parle  bourguignon,  avec  une 
verve  drue  et  jaillissante,  mais,  parfois,  l'abstraction  envahit  son  délicieux 
dialecte.  Il  est  difficile  d'imaginer  ce  vigneron  de  la  Côte  déclarant  que  sa 
femme  «  a  tué  l'idée  »  en  lui  ou,  sur  le  visage  de  sa  fille  mourante,  lisant 
«  une  conscience  des  choses  »  qui  le  terrifiait.  Pour  son  compte,  M.  Roupnel 
s'exprime  en  poète  lyrique,  avec  un  symbolisme  délicat,  aisé  et  continu, 
quelquefois  avec  des  réminiscences  des  maîtres  (p.  178,  un  fantôme  descend, 
comme  dans  la  Tristesse  d'Olympio,  «  jusqu'au  fond  désolé  du  gouffre  inté- 
rieur »).  Devant  tels  passages,  La  Bruyère  et  sa  «  petite  ville  »  ou  Pascal, 
critique  de  la  propriété,  se  dressent  dans  notre  mémoire.  C'est  vraiment 
dommage,  car  rarement  livre  mérita  mieux,  par  sa  forte  conception,  par  sa 
sincérité,  d'être  sauvé  de  ces  petites  éclaboussures  qui  rejaillissent  sous  les 
pas  des  débutants  les  mieux  doués. 

Au  sujet  de  Marie-Claire  la  préface  de  Mirbeau  avait  donné  le  la,  et  l'opi- 
nion avait  chanté,  d'un  concert  presque  unanime,  le  «  miracle  »  de  l'humble 
couturière,  ignorante  de  l'orthographe,  sans  culture,  sans  conseils,  qui 
soudain  se  révéla  excellent  écrivain.  Il  faut  s'entendre  toutefois  sur  l'émotion 
du  «  féroce  »  Mirbeau  et  sur  cette  larme  qui  roula,  nous  dit-on,  dans  sa 
grosse  moustache.  Ce  fut  la  «  joie  rare  »  d'un  artiste  à  la  révélation  d'un  art, 
primitif  tout  ensemble  et  d'une  maîtrise  consommée  ;  ce  ne  fut  pas  contagion 
de  pitié.  Non  qu'il  n'y  ait  rien  d'attendrissant  dans  les  données  de  cette  his- 
toire —  celle  de  l'auteur  —  surtout  quand  on  les  complète  par  les  notes  des 
reporters  sur  la  mansarde  étroite  de  l'ouvrière,  aux  yeux  brûlés  de  veilles, 
qui  nous  l'a  contée.  Mais,  sans  rien  lire  dans  les  marges,  ne  regardons  que 
l'histoire  même  de  cette  enfant  abandonnée,  élevée  par  des  sœurs,  puis  ber- 
gère dans  une  ferme  de  Sologne,  puis  aide  de  cuisine  à  son  même  couvent, 
chassée  enfin,  avec  quarante  francs,  et  prenant  le  train  pour  Paris.  Certes,  il 
y  avait  là  de  quoi  tirer  des  larmes,  même  sans  les  solliciter  beaucoup.  Il  suf- 
fisait de  paraître  souffrir  un  peu  soi-même  par  le  souvenir.  Or  nous  sommes 
souvent  charmés,  rarement  émus.  C'est  que  Mlle  Audoux  ne  ment  pas,  n'ar- 
range guère  :  elle  se  souvient.  Or,  Mirbeau  nous  l'apprend,  toute  petite 
«  elle  s'est  amusée  à  noter  le  spectacle  de  la  vie  quotidienne.  »  Dès  alors,  elle 
s'est  donné  l'amusement  souverain  et  consolateur  de  l'art.  Et  maintenant 
qu'elle  nous  conte  sa  vie,  mirée  aux  eaux  froides  et  pures  de  sa  mémoire, 
c'est  l'enfant  même  qu'elle  était,  qui  pense  ou  plutôt  qui  sent  et  qui  rêve 


Littérature    ========================1====  5 

devant  nous,  aisément  consolée  de  tout,  dans  sa  sensibilité  passive,  par  le 
plaisir  de  voir  et  celui  de  rêver.  Avec  les  mots  les  plus  simples,  ceux  que 
connaît  la  pauvre  enfant,  elle  nous  dit  exclusivement  et  sûrement  le  fait,  le 
geste,  la  parole,  la  sensation  physique  enregistrés  par  ses  sens  en  telle  occa- 
sion. Jamais  un  substantif  ou  un  adjectif  qui  entreprenne  de  définir  l'envers 
moral  de  ces  symptômes,  la  cause  de  ces  effets.  Nous  sommes  tenus,  si  nous 
en  sommes  capables,  de  collaborer  activement  avec  l'auteur,  comme  le 
médecin  avec  un  malade,  très  bon  observateur,  mais  très  ignorant,  qui  lui 
expliquerait  son  mal  sans  nommer  les  organes  ni  les  fonctions.  Auprès 
d'une  telle  impersonnalité  (de  système,  peut-être,  ou  de  tempérament),  l'œuvre 
de  Flaubert  est  une  plainte  d'écorché  vif.  Esthétiquement,  l'effet,  ici,  est 
souvent  merveilleux  :  les  épisodes  de  la  vie  de  bergère  (le  serpent,  le  loup) 
sont  des  pages  irréprochables.  Cela  va  très  bien  pour  narrer  une  existence 
rudimentaire.  Mais  que  l'âme  s'enrichisse  un  peu,  d'un  commencement 
d'amour,  par  exemple,  elle  apparaît  comme  hallucinée,  bizarre,  illogique 
dans  ses  manifestations  extérieures,  les  dessous  n'affleurant  jamais.  Sans 
parler  des  vies  plus  complexes,  il  y  a  des  vies  d'enfants  et  de  simples  qui 
touchent  pour  avoir  été  contées,  en  France  ou  à  l'étranger,  en  toute  fran- 
chise, mais  d'un  accent  plus  distinct.  En  haine  légitime  de  la  littérature  des 
«états  d'âme  »,  et  par  un  snobisme  contraire,  craignons  de  rétrograder.  Il 
peut  y  avoir  une  littérature  brutale  sans  violences  et  sans  outrances. 

Une  partie  de  cette  simple  histoire  se  passe  dans  un  couvent.  Marie- 
Claire,  enfant,  s'y  blottit,  des  heures  entières,  au  tiède  giron  d'une  religieuse 
qu'elle  idolâtrera,  jeune  fille,  de  toute  son  imagination  adolescente.  Cette 
sœur  Marie-Aimée,  et  d'autres  religieuses,  sont  jolies,  coquettes,  caressantes, 
jalouses,  très  femmes.  Même  on  entrevoit,  toujours  par  les  seules  apparences 
rapides  que  la  petite  fille  a  pu  saisir,  les  amours  d'un  prêtre,  un  accouche- 
ment furtif.  Vrai  ou  invraisemblable,  cet  élément  romanesque  remonte  loin. 
Il  est  toujours  en  faveur  et  l'auteur  de  Y  Abbé  Jules  a  pu  s'y  plaire.  Ce  n'est 
guère  par  là,  cependant,  c'est  par  le  goût  et  le  choix  impeccable,  c'est  par  la 
qualité  sinon  unique,  du  moins  très  fraîche  et  très  distinguée  de  l'observation 
et  par  l'art  spontané  de  l'expression  que  ce  livre  est  digne  d'être  lu. 

Au  reste,  si  aucun  rapprochement  ne  s'impose  entre  ces  quatre  ouvrages 
remarquables,  constatons  que  tous  quatre  relèvent  par  quelque  côté,  facile  à 
spécifier  pour  chacun,  de  la  tradition  française  et  que  surtout,  à  des  degrés 
différents,  ils  manifestent  un  souci  pareil  de  la  simplicité  expressive,  de  la 
clarté,  de  la  mesure  françaises.  Ce  sont  là  d'heureux  symptômes. 

J.  Bury. 


COMPTES  RENDUS 


E.  Rod.  —  Le  Pasteur  pauvre.  —  Paris,  Perrin,  191 1,  in-18, 
293  p.,  3  fr. 

M.  Cauche  est  une  âme  pure,  doucement  obstinée  au  bien  :  il  suit  les 
voies  du  Seigneur  ;  il  ignore  l'art  de  vivre  parmi  les  hommes,  et  sa  vie, 
humainement,  est  une  faillite.  De  la  moquerie  au  soupçon  et  du  mépris  à  la 
haine,  il  subit  toutes  les  formes  de  la  sottise  et  de  la  cruauté  lâche  de  ses 
semblables.  Partout,  sa  droiture  et  sa  candeur  le  rendent  impossible  ;  c'est  un 


Revue  critique  des  Livres  nouveaux 


fonctionnaire  à  «  histoires  ».  Il  faut  lire  la  scène  où  le  Chef  du  département 
des  cultes,  qui  l'a  mandé  pour  lui  laver  la  tête,  s'avise  tout  d'un  coup  que  cet 
homme  simple  pourrait  bien  être  un  saint  :  mais  un  saint,  qui  n'est  qu'un 
saint,  est  bien  difficile  à  caser  dans  ce  monde,  ou  seulement  à  soutenir  ! 
L'inerte  bienveillance  des  tièdes  ne  compense  pas  l'active  méchanceté  des 
autres.  Le  pasteur  pauvre  recueille-t-il  du  moins  une  petite  moisson  de  bien  ? 
c'est  à  peine  si  E.  Rod  a  voulu  qu'il  en  glane  par  ci  par  là  quelques 
maigres  épis.  Sans  autorité  dans  sa  paroisse,  il  n'est  pas  respecté  par  ses 
enfants,  qui  deviennent  des  aventuriers.  Sa  fille,  Yahicc,  cantatrice  illustre, 
achève  lugubrement  son  destin  romanesque,  et  lui  laisse  une  fortune 
immense.  Belle  occasion  de  répandre  le  bien  !  que  d'oeuvres  à  fonder,  à 
développer  !  tâche  vertigineuse,  devant  laquelle  s'effare  le  pasteur  pauvre. 
Il  meurt,  désespéré,  au  sens  janséniste. 

Beau  livre,  ironique  et  douloureux,  peut-être  d'une  tristesse  définitive.  Il 
se  lit  facilement  ;  c'est  moins  un  roman  qu'une  suite  d'histoires  juxtaposées. 
Cette  forme  un  peu  décousue  laisse  la  réflexion  libre.  La  scène  est  dans  le 
Jura  suisse.  De  délicates  notations  de  nature,  des  mots  de  terroir  très  amu- 
sants, des  traits  de  mœurs.  —  Vraiment  on  peut  admirer  beaucoup  les  grands 
romans  d'E.  Rod,  et  trouver  que  ce  petit  livre  les  vaut. 

J.  Merlant. 

Colette  Willy.  —  La  Vagabonde.  —  Paris,  Ollendorff,  19 10, 
in-18,  336  p.,  3  fr.  50. 

Trompée,  maltraitée,  humiliée  par  son  mari  qu'elle  aime  jalousement, 
Renée  Néré,  lasse  de  souffrir,  se  résout  enfin  au  divorce.  Comme  il  faut  vivre 
et  que  le  métier  littéraire  dont  elle  essaie  un  moment  n'y  saurait  pourvoir, 
elle  monte  sur  les  planches  d'un  music-hall.  Dans  ce  milieu,  elle  ne  se  salit 
pas  :  la  fierté  qu'elle  a  de  gagner  sa  vie,  l'élégance  de  sa  nature,  et  surtout 
l'atonie  qui,  après  sa  longue  souffrance,  a  engourdi  son  âme  et  ses  sens,  tout 
cela  lui  est  une  sauvegarde.  Pourtant  la  femme  en  elle  est  toujours  vivante, 
comme  elle  dit  ;  en  elle,  le  désir,  le  besoin  de  tendresse  et  d'appui  ne  font 
que  sommeiller  et,  parfois,  elle  songe  à  la  crise  qu'elle  ne  saurait  éviter, 
quand  «  s'approchera  la  Tristesse  aux  douces  mains  puissantes,  guide  et  com- 
pagne de  toutes  les  voluptés  ».  — -  Vient  en  effet  le  temps  où  elle  commence 
à  sentir  l'amertume  de  sa  vie  dénuée  et  solitaire.  A  ce  moment  aussi  s'offre 
à  elle,  ardent,  sincère,  discrètement  et  tendrement  protecteur,  l'amour  d'un 
honnête  homme.  Et  Renée  est  prête  à  aimer.  A  la  première  caresse,  sa  chair 
tressaille  ;  son  cœur  s'émeut  à  l'intimité  naissante.  Va-t-elle  donc  céder  au 
charme  qui  l'entraîne  ?  Epousera-t-elle  l'ami  qui  l'en  prie  ?  Mais  ce  second 
amour  est  «  tout  mêlé  des  cendres  brûlantes  du  premier  ».  Troublée, 
inquiète,  elle  veut  se  donner  le  loisir  de  voir  clair  en  elle-même  et  se  décide 
à  s'éloigner.  Alors,  songeant  à  sa  jeunesse  près  de  finir,  elle  se  persuade  qu'il 
y  aurait  de  la  déloyauté  à  ne  pas  épargner  à  celui  qui  l'aime  la  désillusion 
prochaine  ;  sa  fierté  l'avise  que  ce  protecteur,  si  tendre  pourtant,  tôt  ou  tard 
deviendrait  plus  ou  moins  un  maître  et,  allant  jusqu'au  fond  de  son  âme,  elle 
comprend  qu'elle  ne  peut  renoncer  à  la  liberté  dont  elle  a  goûté  et  qui, 
désormais,  lui  est  plus  précieuse,  que  le  bonheur  même.  Après  le  premier 
lien  si  douloureusement  rompu,  elle  ne  peut  ni  ne  veut  en  connaître  un 
nouveau  ;  elle  est  et  restera  «  la  vagabonde  ». 


Histoire    ========================^^  7 

Avec  une  absolue  sincérité,  Renée  Néré  a  voulu  tout  dire  ;  ni  bégueule, 
ni  cynique,  elle  a  su  dire  tout  ;  et  la  crise  où  tout  son  être  est  engagé,  elle 
ne  l'analyse  pas,  Dieu  merci  !  mais  la  retrace  avec  une  émotion  qui,  sans 
apitoiements  et  sans  pleurnicherie,  nous  gagne  d'autant  mieux. 

Par  un  contraste  que  nul  apprêt  ne  gâte,  le  milieu  débraillé  où  vit  Renée 
fait  valoir  son  élégante  et  fine  nature  ;  un  art,  qui  n'a  rien  d'appris,  mais 
qui,  heureux  et  sûr,  trouve  le  trait  saillant  et  non  grossi,  rend  au  vif  les 
silhouettes  amusantes  des  bohèmes  du  café  concert;  parfois  enfin,  dans  ce 
livre  parisien,  comme  pour  y  mettre  de  l'air  et  de  la  verdure,  passent  des 
paysages  que  «  l'artiste  »  a  vus  dans  ses  tournées  et  qu'elle  enlève  d'une 
touche  légère  et  vibrante. 

Tout  cela  fait  de  la  Vagabonde  un  des  romans  les  mieux  venus  que  nous 
ayons  lus  depuis  longtemps.  Roman  vécu  ?  nous  n'en  savons  rien  et  cela  ne 
nous  regarde  pas.  Roman  vivant,  à  coup  sûr,  et  d'un  charme  prenant  et  rare. 

M.  Pellisson. 

Ch.  Troufleau.  —  Ici  commence.  —  Paris,  Société  française  d'im- 
primerie et  de  librairie,  19 10,  in-12,  131  p.,  sans  indication  de  prix. 

Ce  petit  volume,  d'aspect  assez  peu  prévenant,  renferme  une  des  tenta- 
tives les  plus  originales  de  ces  dernières  années.  M.  Troufleau  a  voulu, 
«  sans  lyrisme  excessif»,  exprimer  «la  vie  moderne  sous  ses  plus  larges 
aspects  »  ;  elle  lui  paraît  «  la  seule  matière  digne  des  poètes  ».  Il  a  cherché 
une  forme  sobre,  souple,  familière,  toute  voisine  de  la  parole  journalière  et 
cependant  artistique  essentiellement.  Il  a  tâché  de  représenter  une  conscience 
d'aujourd'hui,  excitée  et  froissée  par  la  vie  d'aujourd'hui,  se  débattant  parmi 
les  problèmes  de  la  pensée  et  de  l'action  d'aujourd'hui.  Ce  sera  parfois  de  la 
poésie  philosophique,  parfois  de  la  poésie  sociale.  Pour  éviter  l'aridité  didac- 
tique, M.  Troufleau  introduit  un  élément  narratif  et  dramatique  ;  il  imagine 
un  personnage  travaillé  de  doute  et  ardent  de  bonne  volonté  :  il  lui  fait 
traverser  la  religion,  le  socialisme,  la  métaphysique,  et  le  fait  se  reposer 
enfin  dans  l'action,  sous  sa  forme  à  la  fois  la  plus  simple  et  la  plus  haute, 
celle  du  soldat  qui  donne  sa  vie  par  obéissance.  M.  Troufleau  a-t-il  réussi 
à  exécuter  ce  qu'il  concevait  ?  Il  sait  bien  lui-même  par  où  son  rêve  dépasse 
encore  son  vers.  Mais,  en  maint  endroit,  il  est  arrivé  sans  indiscrétion 
lyrique,  sans  tapage  oratoire,  à  écrire  des  pages  de  poésie  concentrée  et  sai- 
sissante :  lisez  le  Sermon  dans  la  plaine,  le  Grand  soir,  les  morceaux  sur  les 
philosophes  et  sur  Dieu  vaincu  par  la  malice  de  l'homme.  L'épisode  final  du 
soldat  en  campagne,  avec  quelques  taches,  est  d'un  sentiment  fier  et  pénétrant. 
Dans  toute  l'œuvre,  il  n'y  a  pas,  à  proprement  parler,  de  paysages  et  descrip- 
tions :  mais  à  chaque  instant  des  bouffées  de  parfums  et  des  rayons  de  lumière 
entrent  comme  par  des  fenêtres  qui  s'ouvrent,  et  mêlent  toute  la  nature  à 
l'âme  humaine.  Il  y  a  certainement  quelqu'un  dans  ce  jeune  poète.  Atten- 
dons-le à  son  second  recueil.  G.  Lan'SON. 


F.  Baldensperger.  —  Études  d'histoire  littéraire.  Deuxième  série  : 
La  Société  précieuse  de  Lyon  au  XVIIe  siècle;  Les  théories  de  Lavater 
dans  la  littérature  française  ;  Chateaubriand  et  l'émigration  royaliste  à 


8  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

Londres  ;  Esquisse  d'une  histoire  de  Shakespeare  en  France.  —  Paris, 
Hachette,  19 10,  in-12,  215  p.,  3  fr.  50. 

M.  Baldensperger  donne  aux  sujets  qu'il  traite  sa  marque,  qui  est  celle 
d'un  esprit  original  et  robuste.  Entendons  bien  d'abord  qu'il  s'agit,  dans  ce 
livre,  d'histoire  et  non  de  critique  littéraire.  Par  là  il  y  faut  chercher  autre 
chose  que  des  polémiques,  psychologies,  confidences  et  jeux  minutieux  de 
style  ;  il  s'agit  de  savoir  exactement  et  d'exprimer  avec  clarté  ce  que  fut  his- 
toriquement la  vie  de  notre  littérature  et  sa  vie  complète.  Notre  histoire 
littéraire  a  pour  trame  autre  chose  que  des  chefs-d'œuvre.  Les  chefs-d'œuvre 
s'expliquent  pour  une  part  par  la  lente  préparation  et  la  pénétration  des 
mœurs  et  des  idées  ambiantes.  Autour  d'eux  et  sans  eux,  passent,  tournoient 
et  fuient  de  puissants  courants  qui  n'ont  pasv  laissé  sur  leur  rive  un  ouvrage 
qui  soit  illustre,  mais  qui  pourtant  ont  porté  l'avenir.  C'est  tout  cela  qu'on 
trouvera  étudié  avec  une  précision  singulière  et  une  sagace  curiosité  dans  ce 
qu'écrit  M.  Baldensperger.  Et  les  plaisirs  de  cette  histoire  valent  sans  doute 
ceux  de  la  critique  ;  ce  sont  ceux  que  nous  vaut  la  vie  qui  ressuscite  avec  ses 
formes  foisonnantes,  pittoresques  et  mouvantes. 

D'autres  que  M.  Baldensperger  se  sont  laissés  prendre  aux  méthodes  de 
ces  enquêtes.  Mais  il  en  a  donné  dans  son  Gœthe  en  France  un  des  premiers 
modèles  qui  soient  puissants.  Et  il  s'est  fait  le  meilleur  représentant  en  France 
des  études  de  littérature  comparée.  Les  Théories  de  Lavater...  et  surtout  l'Es- 
quisse d'une  histoire  de  Shakespeare...  montreront  ainsi  par  quelles  changeantes 
péripéties  l'esprit  français  penche  vers  les  génies  ou  curiosités  d'outre- 
frontières,  se  donne,  choisit,  se  reprend,  puis  s'assimile  ce  qui  renouvelle  en 
lui  le  passé.  Ajoutons  que  ces  deux  études  unissent,  pour  notre  plaisir  comme 
pour  la  vérité,  le  présent  où  nous  vivons  et  le  passé  qui  le  prépare,  et 
que  nos  enthousiasmes  ou  nos  malaises  pour  Shakespeare  par  exemple  se 
lient  pittoresquement  et  par  degrés  à  ceux  d'Hugo  ou  de  Voltaire. 

Concluons  aussi  que  M.  Baldensperger  organise  les  documents  qu'il 
accumule  avec  un  art  difficile,  ingénieux  et  lucide  et  qu'il  les  présente  sous 
une  forme  d'une  sobriété  vivante  et  ferme.  D.  Mornet. 

Notes  sur  A.  Comte  par  un  de  ses  disciples.  —  Paris,  Georges  Crès, 
1910,  in-8,  186  p.,  3  fr.  50. 

Ce  recueil  de  notes  est  précieux  :  il  apporte  des  documents  pour  la  bio- 
graphie de  Comte,  il  éclaire  sa  psychologie.  Il  contient  des  «  particularités 
qui  ne  se  trouvent  point  ailleurs  ».  Il  part  d'un  point  de  vue  nouveau  :  il 
établit  chez  Comte  une  ligne  de  démarcation  nette  entre  le  génie  et  la  folie. 
Comme  génie  constructeur  et  «  régénérateur»,  Comte  est  «  inexpugnable  »; 
comme  caractère,  il  a  été  «  héroïque  ».  Mais,  comme  homme,  il  avait  ses 
faiblesses  mentales  et  morales,  singulièrement  aggravées  par  la  folie.  «  Quand 
l'action  du  cerveau  est  désintéressée,  qu'elle  s'exerce  sous  les  mobiles  élevés 
qui  ont  déterminé  l'entreprise  de  Comte,  aucune  altération  des  résultats  »  ; 
mais,  «  dans  les  jugements  que  Comte  portait  sur  les  événements  et  les  per- 
sonnes, notamment  sur  les  choses  conjecturales,  il  statuait,  par  une  facile 
•  induction,  sur  des  faits  qui  étaient  souvent  supposés  ou  mal  interprétés...  » 
«  Il  en  vint,  lorsque  la  passion  intervenait,  à  penser  ce  qui  lui  plaisait  ». 
Esprit  faux,   prévenu,  impulsif,   emporté  et  violent,  au  moins  en  paroles, 


Histoire     ========================^=============^        9 

caustique,  ombrageux,  porté  au  soupçon,  au  point  de  croire  à  une  conspi- 
ration du  silence  organisée  contre  lui,  caractère  indomptable,  tout  entier  à 
ses  idées,  y  pliant  les  faits,  atteint  du  délire  des  grandeurs,  formant  les  pro- 
jets les  plus  vastes  et  les  plus  extravagants  (exemple  :  celui  d'une  alliance 
avec  les  Jésuites),  passant  par  toutes  les  opinions,  en  politique,  à  l'égard  des 
personnes,  capable  de  revenir  d'une  erreur,  mais  se  croyant  toujours  dans  le 
moment  infaillible,  A.  Comte  a  traversé  la  vie  sans  la  comprendre,  brouillé 
avec  la  réalité,  méconnaissant  ses  amis,  comme  Littré,  les  injuriant,  se  don- 
nant tous  les  torts  par  son  attitude  avec  ses  adversaires  et  ses  ennemis,  avec 
sa  femme,  etc.  Il  a  eu  en  un  mot  les  faiblesses  d'esprit  et  de  caractère  d'un 
enfant  et  d'un  malade.  Mais  tel  était  cependant  l'ascendant  de  son  génie,  de 
sa  haute  nature  morale,  que  ceux  que  ne  rebutait  point,  n'écartait  point  de 
lui  son  caractère  terrible,  restaient  frappés  d'admiration  et  de  respect.  On  a 
rendu  hommage  au  génie  d'A.  Comte,  on  a  analysé  sa  folie  (G.  Dumas), 
mais  on  n'avait  pas  encore  montré,  d'une  façon  aussi  saisissante  que  dans  ce 
livre,  la  coexistence  en  lui  du  génie  et  de  la  folie  et  la  forme  très  particulière 
de  sa  folie.  L.  Dugas. 

E.  Ollivier.  —  Philosophie  d'une  guerre  (i S  j 6). —  Paris,  Flamma- 
rion, 1910,  in-12,  349  p.,  3  fr.  50. 

De  ce  plaidoyer  personnel,  vivant  et  brillant,  les  faits  suivants  se 
dégagent  avec  évidence  : 

Sadowa  avait  créé  en  France  et  en  Prusse  un  état  d'esprit  d'où  il  n'est 
pas  étonnant  que  la  guerre  soit  sortie. 

Pourtant,  en  1870,  ni  le  roi  de  Prusse  ni  l'Empereur  ne  la  désirait,  l'un 
âgé  et  hanté  de  scrupules  de  conscience,  l'autre  malade,  indécis,  incapable 
de  rien  vouloir  fortement. 

Le  ministère  Ollivier  a  travaillé  de  bonne  foi  au  maintien  de  la  paix. 

La  guerre  a  été  voulue  et  préméditée,  ici  par  la  Droite  bonapartiste  (acte 
décisif  :  la  demande  de  garanties),  là  par  Bismarck  (falsification  de  la 
dépêche  d'Ems). 

M.  E.  Ollivier  met  ces  vérités  dans  leur  jour  avec  le  légitime  désir  de 
réfuter  des  critiques  outrancières.  En  revanche,  sur  certains  points  son 
témoignage  manque  de  précision. 

Il  défend  le  «  gouvernement  »  d'avoir  déchaîné  la  guerre  «  pour  satis- 
faire ses  passions,  pour  étayer  une  dynastie,  pour  rendre  un  enfant  popu- 
laire »  (p.  324).  S'il  veut  parler  de  lui-même  et  de  la  majorité  libérale  du 
Conseil,  on  peut  l'en  croire  ;  mais  il  est  hors  de  doute  que  le  ministère 
n'était  pas  homogène,  et  qu'en  dehors  du  ministère  —  et  contre  lui  — 
d'autres  «  gouvernaient  »  avec  ces  arrière-pensées.  «  Le  bonapartisme  —  a 
écrit  J.  Scherr  —  désirait  la  guerre  pour  plusieurs  motifs.  »  M.  Ollivier  cite 
Scherr,  mais  s'abstient  de  le  discuter  ;  il  nie  même  péremptoirement  que  la 
guerre  fût  «  un  intérêt  dynastique  »  (p.  182).  La  question  méritait  d'être 
approfondie.  Puisqu'il  y  avait  en  France  un  «  parti  de  la  guerre  »,  de  qui  se 
composait-il  ?  à  quels  motifs  obéissait-il  ?  à  quels  mots  d'ordre  ?  jusqu'où 
étendait-il  ses  ramifications  ?  Alors  aussi,  sans  doute,  nous  comprendrions 
mieux  les  fluctuations  de  l'Empereur  et  celles  de  Gramont,  dont  M.  Ollivier 
affirme  la  loyauté,  mais  qui,  dès  le  début  des  difficultés,  eût  «  généralisé  la 
querelle  »  s'il  n'eût  craint  «  une  rupture  immédiate    »  avec  le  président  du 


10  ■       .  ,  =    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

Conseil,  —  de  Gramont,  avec  qui  le  désaccord  latent  éclate  au  sujet  de  la 
forme  dans  laquelle  devra  être  faite  la  renonciation  au  trône  d'Espagne,  — 
de  Gramont  qui,  le  12  juillet,  suggère  à  l'ambassadeur  prussien  l'idée  mala- 
droite et  blessante  d'une  lettre  par  laquelle  le  roi  s'associerait  à  cet  acte,  — 
de  Gramont  qui,  seul  des  ministres,  prend  part,  le  14,  au  conseil  secret  d'où 
sort  la  dépêche  à  Benedetti....  Qu'est-ce  à  dire,  sinon  que  Gramont,  «  habi- 
tué à  obéir»  (p.  190),  n'a  cessé  de  prêter  l'oreille  à  des  suggestions  belli- 
queuses, qui  sans  doute  venaient  de  très  haut  ? 

Mais  le  président  du  Conseil  eut-il  lui-même  assez  de  pénétration,  de 
sang-froid  et  d'énergie  pour  résister  à  ces  influences  ?  Il  crut  (et  il  croit 
encore)  que  l'opinion  publique  était  à  la  guerre  sans  se  demander  si  l'agita- 
tion n'était  pas  superficielle.  Il  crut  sur  parole  Le  Bœuf  déclarant  que  nous 
étions  prêts  ;  il  ne  cherche  pas  à  savoir  jusqu'où  Bismarck,  Roon  et  Moltke 
avaient  poussé,  eux,  leurs  préparatifs...  Au  total,  son  livre  atteste  les  bonnes 
intentions  de  son  ministère,  mais  ne  le  met  pas  à  l'abri  du  reproche  de  fai- 
blesse, d'imprudence  et  d'erreur.  M.  Lange. 


A.  Houtin.  — ■  Autour  d'un  prêtre  marié.  Histoire  d'une  polémique. 
—  Paris,  chez  l'auteur,  18,  rue  Cuvier,  1910,  in-16,  XLiv-408  p., 
3  fr.  50. 

Pour  beaucoup  de  catholiques,  et  en  particulier  pour  les  Oratoriens  et 
les  amis  du  feu  cardinal  Perraud,  la  publication  de  la  brochure  de  M.  Houtin  : 
Un  prêtre  marie,  Charles  Perraud,  chanoine  d'Autun  (octobre  1908)  était  un 
scandale.  On  essaya  d'y  parer  de  deux  manières.  D'abord  en  criant  à  la 
trahison  ;  le  traître  était  le  P.  Hyacinthe  Loyson,  qui  avait  livré  des  lettres 
du  défunt  abbé  et  donné  la  clef  des  chiffres  X  et  Z  (Mme  Duval  et  l'abbé), 
qui  avait  en  outre  publié  les  confidences  orales  de  son  ancien  ami.  D'autre 
part,  on  cria  au  mensonge  :  on  nia,  sinon  l'authenticité  des  lettres  (qu'un 
professeur-expert  avait  vérifiée  pour  le  compte  des  Oratoriens),  du  moins 
l'identification  de  X  et  Z.  Les  deux  systèmes  étaient  évidemment  contradic- 
toires, mais  ils  furent  soutenus  par  les  mêmes  personnes,  et  notamment  par 
les  Oratoriens. 

Sur  le  second  point,  des  esprits  très  prévenus  purent  au  premier 
moment  concevoir  des  doutes  ;  quand  M.  Houtin  eut  complété  sa  démons- 
tration, on  soutint  ces  doutes  par  des  arguments  de  mauvaise  foi  (p.  347, 
n°  1,  filet  admirable  d'une  revue  pieuse).  Il  est  certain  que  M.  Loyson  n'avait 
dit  et  M.  Houtin  écrit  que  la  vérité.  Quant  au  premier  point,  la  question  est 
moins  simple.  Aucun  esprit  libre  n'estimera  que  l'abbé  ait  été  diffamé  par  la 
brochure,  ou  qu'il  ait  perdu  par  la  révélation  de  son  secret  ses  titres  à  l'estime 
des  honnêtes  gens.  Pour  un  strict  catholique,  c'est  autre  chose  :  l'abbé  réputé 
saint  devenait  un  concubinaire  doublé  d'un  quasi-hérétique,  et  la  diffamation 
était  évidente.  Il  n'y  avait  pas  moyen  de  s'entendre,  et  chacun  avait  raison  à 
son  point  de  vue. 

La  discussion  de  ce  problème  critique  et  de  ce  cas  moral  s'est  poursuivie 
en  quantité  de  journaux  et  de  revues.  On  trouvera  dans  ce  livre  tous  les  docu- 
ments de  cette  controverse  (sauf  la  brochure  oratorienne,  dont  on  a  un 
résumé  par  M.  A.  Baudrillarl),  précédés  d'un  historique  de  la  publication  du 
Prêtre  marié.  Ces  documents  seraient  à  consulter  dans  une  étude  sur  le  clergé 


Sociologie  ===================================^====^  11 

français,  et  confirment  ce  qu'on  avait  appris  ailleurs  de  ses  procédés  de  dis- 
cussion. —  Comment  s'est-on  cru  le  droit  de  publier  les  lettres  du  chanoine 
M.  (Section  X)?  Qu'il  eût  été  insincère  par  ordre,  cela  rendait-il  légitime 
l'espèce  de  délation  par  laquelle  on  l'a  perdu  ?  E.-Ch.  Babut. 


P.  Millet.  —  La  Crise  Anglaise.   —  Paris,  A.    Colin,    1910, 
x-291  p.,  in-12,  3  far.  50. 

Le  correspondant  du  Temps  à  Londres  a  suivi  l'exemple  que  lui  don 
nait  naguère  son  prédécesseur  (M.  Recouly,  En  Angleterre,  19 10);  il  a 
réuni  ses  chroniques  en  volume.  Le  procédé  reste  commode,  et  légitime  ; 
mais  si  bien  classée  soit-clle,  cette  collection  d'esquisses  rapides,  reliées  par 
la  préoccupation  de  l'actualité  dominante,  n'est  point  une  étude  sérieuse.  Il 
faut  ajouter  que  M.  Millet  apporte  à  décrire  les  choses,  narrer  les  événements 
et  juger  les  hommes,  avec  des  qualités  professionnelles,  un  ton  de  gauloi- 
serie, une  légèreté  gamine  -que  l'on  croyait  volontiers  passés  de  mode. 
Les  chroniqueurs  de  1860  prenaient  la  superficialité  complaisante  pour  une 
supériorité  spirituelle  ;  mais  Edmond  About  avait  beaucoup  de  talent,  et  il 
peut  être  dangereux  de  l'imiter.  Sur  l'étendue  et  la  gravité  de  la  crise  anglaise, 
ses  causes  lointaines  ou  récentes,  ses  aspects  politiques  et  économiques,  ses 
acteurs,  ses  péripéties,  ses  dénouements  possibles,  ce  livre,  avec  une  infor- 
mation suffisante,  nous  apprend  peu  qui  soit  vraiment  essentiel.  Il  ne  faut 
pas  lui  refuser,  en  revanche,  un  intérêt  d'observation  personnelle,  amusée, 
amusante,  parfois  piquante,  parfois  même  juste  et  suggestive.  Habiter 
Londres,  flâner  par  les  rues,  lire  les  journaux,  ouvrir  les  yeux  et  les  oreilles, 
est  plus  que  jamais,  depuis  un  an,  une  bonne  fortune  ;  et  le  lecteur  de  ces 
pages  en  recueillera  bien  quelque  chose.  Un  Appendice  contenant  les  «  réso- 
lutions constitutionnelles  »  du  printemps  dernier,  le  budget  de  1909,  et  des 
statistiques  commerciales  relatives  à  la  question  du  tarif  douanier,  ajoute 
opportunément  à  la  légèreté  de  l'ensemble  le  lest  de  faits  et  de  chiffres  puisés 
aux  bonnes  sources.  Ainsi  équilibré,  le  volume  a  tout  ce  qu'il  faut  pour  ins- 
truire, sans  trop  les  fatiguer,  les  gens  curieux  des  choses  d'Angleterre. 
Souhaitons-lui  cette  fortune,  qui  est  celle  qu'il  désire,  et  ne  lui  en  souhai- 
tons point  d'autre.  L.  Cazamiax. 


J.-P.  Laffitte.  —  Le  paradoxe  de  l'égalité  et  la  représentation  pro- 
portionnelle.  Nouvelle  édition,  précédée    d'une    notice    biographique 
par  T.  de  Wyzewa.  —  Paris,  Hachette,  19 10,  in-16,  xxxvi-279  y. 
3  fr.  50. 

On  a  bienfait  de  rééditer  ces  deux  essais  qui  ont  environ  vingt-cinq  ans 
de  date.  Ils  sont  l'œuvre  d'un  penseur  sincère  et  d'un  bon  citoyen  qui,  sans 
ambitions  personnelles,  s'intéressa  vivement  à  l'avenir  de  la  démocratie 
française.  Ils  sont  intitulés  :  Essais  tic  politique  positive.  L'auteur  était  en  effet 
un  fervent  positiviste  et  il  était  imbu,  en  cette  qualité,  de  l'opinion  que  les 
hommes  de  la  grande  Révolution  ont  cru  «  à  la  toute-puissance  des  prin- 
cipes abstraits  ».  Il   n'avait  pas  mesuré,   comme  Ta  fait  savamment  depuis 


12  =    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

lors  M.  Lanson(  (i),  la  dose  d'expérience  qui  se  cache  au  fond  de  ces  prin- 
cipes. Il  s'efforce  donc  de  corriger  ce  qu'a,  selon  lui,  d'excessif  la  poursuite 
de  telle  ou  telle  idée. 

Celle  qu'il  prend  à  partie  est  l'idée  d'égalité.  Il  accuse  la  France  moderne 
de  la  pousser  jusqu'au  paradoxe.  A  mon  sens,  il  dénonce  surtout  ce  que 
j'appellerais  l'équivoque  de  l'égalité,  une  équivoque  que  ses  ennemis  entre- 
tiennent plus  volontiers  encore  que  ses  amis.  On  confond,  involontairement 
ou  à  dessein,  égalité  de  fait  et  égalité  de  droit  ;  l'on  n'a  pas  de  peine  à  prou- 
ver ensuite  que  les  êtres  humains  ne  sont  ni  ne  peuvent  être  égaux  en  force, 
en  intelligence,  en  beauté,  et  l'école  aristocratique  en  conclut  hardiment 
qu'ils  ne  doivent  pas  être  égaux  en  droit. 

Est-ce  à  ces  conclusions  qu'aboutit  Jean-Paul  Laffitte  ?  Non  pas.  Il  admet 
qu'on  organise  le  suffrage  universel,  non  qu'on  le  mutile  ou  le  supprime.  Il 
ne  conteste  pas  l'équivalence  des  volontés  et  des  intérêts  chez  les  personnes 
morales  qui  composent  la  société.  Ce  qu'il  combat,  c'est,  au  fond,  l'unifor- 
mité que  les  esprits  autoritaires  et  centralisateurs  veulent  trop  souvent  établir 
sous  le  nom  d'égalité.  Il  écrit,  page  62  : 

«  Je  fais  quelquefois  de  beaux  rêves  pour  mon  pays  ;  un  de  mes  rêves 
favoris  est  que  nous  renoncions  enfin  à  chercher  le  vrai  dans  la  simplicité  et 
l'uniformité.  » 

En  vertu  de  cette  conception  il  demande,  selon  moi  avec  pleine  raison, 
que  nos  programmes  devenus  plus  élastiques  admettent  plusieurs  types 
d'enseignement  ;  il  est  de  ceux  qui  accepteraient  des  humanités  techniques  au 
même  titre  que  des  humanités  classiques.  En  revanche,  il  me  paraît  raison- 
ner avec  moins  de  justesse  et  de  rigueur,  quand,  par  crainte  de  cette  unifor- 
mité qu'il  déteste,  il  ne  veut  pas  pour  tous  les  jeunes  gens  d'une  égale  durée 
du  service  militaire,  ou  quand  il  dénie  aux  femmes  les  droits  reconnus  aux 
hommes,  comme  si  cette  identité  de  droits  ne  devait  pas,  vu  la  différence 
des  natures,  entraîner  une  diversité  de  fonctions. 

Je  trouve  sa  logique  plus  serrée  dans  le  second  essai  qui  complète  le 
volume.  C'est  une  étude  sérieuse,  solide  et  documentée  des  différents  sys- 
tèmes de  représentation  proportionnelle. 

Elle  est  encore  bonne  à  lire  aujourd'hui  que  la  question  est  à  l'ordre  du 
jour  et  suscite  des  discussions  passionnées.  G.  Renard. 


G.  Bradley.  —  Le  Canada.  Empire  des  bois  et  des  blés.  Adapté 
de  l'anglais  par  G.  Feuilloy. —  Paris,  Pierre  Roger,  1910,  in-12,  278  p., 
20  pi.  hors  texte,  4  fr. 

Ce  livre  appartient  à  la  série  des  «  Pays  modernes  ».  Il  en  est  un  des 
meilleurs.  Pas  de  prétentions  savantes.  Ce  n'est  pas  une  étude  scientifique, 
mais  un  tableau  pittoresque  et  instructif  de  tout  ce  que  le  Canada  présente 
d'intérêt  et  d'attrait.  Ce  sont  d'abord  les  aspects  de  la  nature  :  le  climat,  les 
rivières,  les  montagnes  et  les  côtes.  Ce  sont  ensuite  les  aspects  du  travail 
humain,  dans  les  champs  (fermiers  de  l'Ontario,  la  culture  du  blé  dans  la 


(1)  Revue  du  mois,  janvier-avril  1910.  Le  rôle  de  l'expérience  dans  la  formation  de  la  philosophie 
du  XVIII'  siècle. 


Sciences  —  13 

prairie,  l'élevage  du  cheval  et  du  bétail),  dans  les  bois  (forêts,  industrie  du 
bois),  dans  les  villes  (caractères  propres  à  chaque  grande  ville,  Québec, 
Montréal,  Ottawa,  Toronto),  sur  les  eaux  (pêcheries  de  Terre-Neuve,  pêche 
du  saumon).  Ce  sont  enfin  les  aspects  des  groupes  de  populations  :  Français 
et  Anglais,  l'émigration  franco-canadienne,  les  immigrants,  les  colons,  les 
Chinois.  A.  Demangeox. 

F.  Crastre.  —  A  travers  V Argentine  moderne.  —  Paris,  Hachette, 
1910,  in-16,  188  p.,  32  fig.,  4  fr. 

Livre  vivant  et  instructif.  L'auteur  a  beaucoup  vu,  et  bien  vu.  D'abord 
Buenos-Ayres,  capitale  moderne,  dont  M.  Crastre  nous  présente  à  la  fois  la 
vie  et  l'aspect  ;  puis  les  autres  grandes  villes,  et  le  Campo,  où  l'agriculture 
progresse  à  pas  de  géants,  refoulant  l'élevage,  dont  les  produits  ne  repré- 
sentent plus  que  32  °/0  de  l'exportation  totale,  contre  62  à  l'agriculture  ;  puis 
les  régions  forestières  et  vinicoles  du  Nord,  avec  un  détour  vers  la  ligne 
transandine.  Tout  cela  est  très  fidèlement  observé  et  analysé.  Où  nous  ne 
pouvons  suivre  l'auteur,  c'est  dans  l'enthousiasme  vraiment  débordant  qu'il 
témoigne;  son  indulgence  et  son  admiration  sont  souvent  excessives.  D'autre 
part,  la  Pampa  et  le  Sud  sont  trop  négligés.  R.  Blanchard. 


L.  Graetz.  —  L'électricité  et  ses  applications.  Traduit  sur  la  15e  édi- 
tion allemande  par  G.  Tardy.  —  Paris,  Masson,  1910,  in-4,  640  p., 
12  fr. 

Les  auteurs  allemands  ont  la  réputation  d'écrire  lourdement,  d'alambi- 
quer  leurs  pensées  et  leurs  phrases  et  d'ignorer  totalement  l'art  de  la 
composition  ;  de  fait,  beaucoup  de  leurs  traités  didactiques  sont  de  pesantes 
et  indigestes  compilations  ;  mais  ils  commencent  à  se  guérir  des  défauts  qui 
semblaient  les  éloigner  à  tout  jamais  de  la  vulgarisation  scientifique.  Le 
succès  obtenu  en  Allemagne  par  le  livre  du  Dr  Graetz,  professeur  à  l'Uni- 
versité de  Munich,  prouve  que  les  nécessités  de  la  diffusion  scientifique  sont 
les  mêmes  des  deux  côtés  de  la  frontière,  et  que,  là-bas  comme  chez  nous, 
l'électricité  intéresse  un  public  étendu,  mais  non  spécialisé,  qui  veut  en  con- 
naître les  principes  et  les  applications  sans  se  plier  à  la  rude  gymnastique  des 
mathématiques. 

Ce  succès  prouve  aussi  la  valeur  de  l'ouvrage,  à  la  fois  très  complet  et 
très  clair.  Depuis  les  lois  générales  de  l'électricité  et  du  magnétisme  jusqu'aux 
applications  industrielles  et  aux  dernières  découvertes  de  la  science  pure, 
tout  est  traité  avec  des  développements  bien  équilibrés.  La  première  partie 
comprend,  notamment,  d'excellentes  parties  relatives  au  passage  de  l'élec- 
tricité à  travers  les  gaz,  aux  rayons  cathodiques  et  de  Roentgen,  aux  phéno- 
mènes radio-actifs  et  à  tous  les  effets,  d'intérêt  si  actuel,  qui  s'interprètent 
par  le  jeu  des  ions  et  des  électrons.  Dans  la  seconde  partie,  réservée  aux 
applications,  on  trouve  des  renseignements  intéressants  et  bien  présentés  sur 
le  transport  électrique  de  l'énergie,  l'électrochimie,  la  télégraphie  sans  fil 
ainsi  que  sur  les  progrès  les  plus  récents  de  l'éclairage  électrique  ;  tout  ceci 
sans  préjudice  pour  les  autres  questions. 


14  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

M.  Léauté,  en  présentant  l'ouvrage  au  public,  loue  justement  le  Dr  Graetz 
d'avoir  renoncé,  dès  le  début,  à  la  notion  surannée  des  fluides  électriques 
pour  habituer  le  lecteur  aux  atonies  d'électricité  ou  électrons,  et  à  la  concep- 
tion concrète  des  champs  électrique  et  magnétique  que  nous  devons  à 
Faraday  et  à  Maxwell.  J'ajouterai  qu'en  dehors  de  ses  qualités  générales, 
l'ouvrage  présente  pour  le  lecteur  français  un  intérêt  spécial  en  lui  faisant 
connaître  l'état  présent  de  la  science  électrique  dans  un  pays  où  elle  a  pris  un 
prodigieux  essor.  Bien  entendu,  la  science  est  universelle,  mais  chaque  pays 
a  sa  manière  de  l'éclairer  et  de  l'illustrer  ;  telles  expériences  décrites  par 
l'auteur  pourraient  avantageusement  être  utilisées  dans  l'enseignement  fran- 
çais et  les  appareils  des  constructeurs  allemands  présentent  avec  les  nôtres 
des  différences  intéressantes  ;  les  nombreuses  illustrations  empruntées  au  livre 
allemand  nous  aident  à  saisir  ces  différences  et  donnent  au  livre  une  origi- 
nalité de  plus. 

On  trouve  souvent,  dans  les  ouvrages  didactiques,  des  traces  d'un  détestable 
patriotisme  qui  consiste  à  refuser  aux  nations  étrangères  toute  part  dans 
l'acquisition  des  grandes  vérités  scientifiques.  Bien  que  le  défaut  soit  frappant 
surtout  chez  les  auteurs  anglais,  beaucoup  de  nos  livres  n'en  sont  pas 
exempts  :  combien  de  fois  n'ai-je  pas  vu  revendiquer  pour  la  France  l'inven- 
tion de  la  Télégraphie  sans  fil,  dont  la  gloire  revient,  en  toute  équité,  à 
Hertz  d'abord,  à  Marconi  ensuite  ?  M.  Graetz  s'est  assez  bien  défendu  contre 
cette  partialité.  Pourtant,  je  lis  avec  étonnement  (page  302)  :  «  En  France, 
c'est  Madame  Curie,  en  Allemagne,  c'est  le  professeur  Giesel  à  Brunswick 
(fabrique  de  produits  chimiques  Buchler  et  Cic)  qui  ont  les  premiers  extrait 
le  radium.  »  Quoi  qu'en  dise  l'auteur,  Madame  Curie  n'a  à  partager  avec  per- 
sonne, si  ce  n'est  peut-être  avec  son  si  regretté  mari,  la  gloire  d'une  des 
plus  grandes  découvertes  des  temps  modernes.  L.  Houllevigue. 

G.  Huffel.  — Economie  forestière  (t.  I,  ire  partie);  2e  édition.  — 
Paris,  Laveur,  19 10,  in-8,  344  p.,  10  fr. 

Cette  nouvelle  édition  n'est  pas  une  réimpression,  mais  une  refonte  à 
peu  près  complète  dans  l'ancien  cadre,  qui  était  le  suivant  :  tome  I,  Utilité 
des  forêts,  Propriété  et  législation  forestières,  Politique  forestière,  la  France 
forestière,  Statistique  ;  tome  II,  Dendrométrie,  Formation  du  produit  fores- 
tier, Estimation  et  expertises  ;  tome  III,  Aménagement  des  forêts,  Méthodes 
actuelles  et  Méthodes  anciennes. 

Pour  le  moment,  la  première  partie  du  tome  I  de  cette  édition  seule 
est  parue.  Elle  comprend  les  deux  premières  études  indiquées  plus  haut  : 
Utilité  des  forêts,  Propriété  et  législation  forestières.  La  première  étude  a  été 
considérablemcntmodifiéc  et  étendue.  Après  avoir  rappelé  les  divers  produits 
que  donnent  les  forêts,  l'auteur  discute,  en  s'appuvant  sur  les  recherches 
faites  en  France  et  à  l'étranger,  Jes  questions  si  intéressantes  et  si  pleines 
d'actualité  de  l'influence  des  forêts  sur  le  climat,  sur  les  sources,  les  torrents, 
les  inondations,  les  avalanches,  les  terrains  mouvants,  sur  le  rôle  fertilisateur 
et  le  rôle  esthétique  des  massifs  boisés,  le  premier  si  bien  mis  en  lumière 
par  les  travaux  de  M.  Henry,  sous-directeur  de  l'Ecole  forestière. 

La  seconde  étude  est  un  historique  de  la  propriété  et  de  la  législation 
des  forêts.  Elle  porte  sur  les  périodes  gauloise,  gallo-romaine  et  franque  ; 
elle  s'arrête  aux  temps  féodaux  et  sera  continuée  dans  la  seconde  partie  du 


Sciences     ===========================^^  15 

tome  I  dont  l'apparition  ne  tardera  sans  doute  pas.  Elle  est  neuve,  très  origi- 
nale et  bien  documentée;  les  érudits  l'apprécieront  tout  particulièrement. 

Comme  on  le  voit,  l'ouvrage  de  M.  Huffcl  ne  sera  pas  un  simple  traité 
destiné  à  fournir  aux  agents  de  l'Etat  et  aux  propriétaires  les  renseignements 
d'ordre  économique  se  rapportant  à  la  culture  et  à  l'exploitation  des  bois. 
L'auteur  a  visé  plus  haut  ;  il  a  voulu  être  savant  en  même  temps  qu'utile  et  il 
a  parfaitement  réussi.  Son  livre  sera  médité  avec  profit  par  les  forestiers 
instruits,  les  érudits,  les  économistes  ;  il  fait  grand  honneur  à  l'École  fores- 
tière dont  l'enseignement,  loin  d'être  immobile  et  fermé  comme  certains 
semblent  le  croire,  d'une  part  se  renouvelle  sans  cesse  en  tenan  compte  des 
des  travaux  effectués  chez  nous  et  chez  nos  voisins,  d'autre  part  se  diffuse 
dans  le  grand  public  grâce  à  des  ouvrages  de  valeur.  Ed.  Griffon*. 

G.  Hébert.  —  Guide  pratique  d'éducation  physique.  — Paris,  Vuibert 
et  Nony,  1910,  in-8,  568  p.,  411  phot.,  8  fr. 

Depuis  cinq  ou  six  ans,  à  maintes  reprises,  la  presse  spéciale  a  signalé 
les  admirables  résultats  obtenus  en  culture  physique,  soit  à  l'école  des  fusi- 
liers marins  de  Lorient,  soit  à  l'école  des  mousses  de  Brest,  par  le  lieutenant 
de  vaisseau  Hébert,  directeur  des  exercices  physiques  dans  la  marine.  On 
restait  cependant  peu  renseigné  sur  la  méthode  employée  par  cet  instructeur 
très  apprécié.  La  publication  de  cet  ouvrage  vient  enfin  fixer  les  idées.  Ses 
nombreuses  et  belles  gravures  donnent  les  «  attitudes  fondamentales  »  pré- 
conisées, soit  dans  la  gymnastique  dont  Ling  a  doté  la  Scandinavie,  soit  dans 
celle  dont  Amoros  a  fait  profiter  la  France. 

Georges  Hébert  n'a  donc  rien  inventé.  Mais  il  a  fait  son  choix  dans 
l'infinie  variété  des  exercices  et  des  mouvements  des  vieilles  'gymnastiques, 
en  éclectique  très  renseigné  par  les  travaux  scientifiques  modernes  des  Marey 
et  des  Demeny.  Les  excellents  résultats,  officiellement  constatés  sur  des  mil- 
liers d'hommes  et  d'enfants  de  la  marine,  au  moyen  de  «  fiches  »  d'une 
grande  originalité  (p.  24  et  s.),  sont  dus  plutôt  à  la  qualité  de  la  méthode  de 
travail  utilisée  qu'aux  choix  des  exercices  pratiqués. 

C'est  surtout  dans  la  manière  de  «  travailler  »  qu'Hébert  a  innové,  et 
qu'il  a  fait  preuve  d'une  rare  compétence;  il  a  su  grouper  de  fort  judicieuse 
façon  les  exercices  gymnastiques  en  séries  qu'il  fait  exécuter,  suivant  leur 
importance  éducative  ou  utilitaire,  dans  un  ordre  bien  déterminé  par  la  con- 
naissance très  précise  de  leurs  effets.  Il  a  su  associer  et  combiner  scientifi- 
quement ces  exercices  pour  arriver  avec  rapidité  au  but  final  de  toute  gym- 
nastique :  le  perfectionnement  physique. 

Ses  exemples  de  leçons  (p.  505  ss.),  ses  programmes  lui  sont  bien  par- 
ticuliers et  caractérisent  par  des  procédés  bien  à  lui  ce  qu'il  appelle  sa 
méthode  d'éducation  physique.  L.  SaviNEAU. 

J.  Philippe  et  G.  Paui.-Boncour.  —  L' Éducation  des  Anormaux 
Principes  d'éducation  physique,  intellectuelle  et  morale.  —  Paris,  Alcan 
1910,  in-16,  212  p.,  2  fr.  50. 

Les  auteurs,  en  un  ouvrage  attrayant  et  qui  présente  une  remarquab.e 
mise  au  point  de  problèmes  ardus,   nous  démontrent  l'opportunité  d  ent  e- 


16  =    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

prendre,  dès  la  famille  et  dès  l'école,  la  cure  des  anomalies  mentales,  intellec- 
tuelles et  morales. 

Les  anormaux,  à  l'école,  représentent  une  partie  des  paresseux  et  des 
indisciplinés.  Ils  sont  «  en  retard  5)  sur  leur  classe,  et  se  montrent  fréquem- 
ment instables  ou  impulsifs,  plus  rarement  apathiques.  Il  est  extrêmement 
important  de  les  dépister  de  bonne  heure.  Après  avoir  rapidement  exposé 
les  données  médico-pédagogiques  sur  lesquelles  on  s'appuie  pour  classer  les 
enfants,  les  auteurs  exposent  et  expliquent  successivement  les  principes  de 
leur  éducation  physique  et  sensorielle.  Ils  insistent  notamment  sur  l'impor- 
tance de  l'éducation  du  corps,  détaillent  les  règles  d'hygiène  concernant  l'ali- 
mentation, le  sommeil,  la  propreté.  La  gymnastique  est  à  leurs  yeux  parti- 
culièrement utile  dans  l'éducation  corporelle  et  même  dans  l'éducation  men- 
tale ;  l'arriéré  voit  grâce  à  elle,  sa  volonté  et  son  attention  mal  dévelop- 
pées sollicitées  par  la  combinaison  de  mouvements  judicieusement  gradués. 
Des  chapitres  spéciaux  sont  consacrés  à  l'éducation  de  la  vue,  de  l'ouïe,  du 
langage,  de  la  main  ;  pour  l'éducation  combinée  de  la  main  et  de  l'œil,  les 
auteurs  préfèrent  le  modelage  au  dessin.  Ils  signalent  l'attention  que  l'on 
doit  apporter  à  détruire  les  tics  par  une  discipline  psycho-motrice  appropriée. 

Les  grandes  facultés  scolaires  et  sociales,  la  mémoire,  l'imagination, 
l'attention,  retiennent  longuement  ensuite  l'intérêt.  Il  est  fait  une  analyse 
pénétrante  des  déformations  de  Y  imagination.  Mais  l'étude  de  la  mémoire  nous 
a  semblé  particulièrement  intéressante  et  originale.  Il  est  bon,  chez  tout 
anormal,  de  mesurer  la  capacité,  de  débrouiller  les  espèces  de  la  mémoire. 
«  Aider  la  mémoire  à  s'adapter  à  un  nombre  de  conditions  d'autant  plus  con- 
sidérable que  l'enfant  est  plus  normal,  voilà  le  meilleur  moyen  de  la  cultiver 
et  de  la  redresser.  »  Sont  foncièrement  mauvaises  les  mémoires  incom- 
plètes, surchargées,  mensongères.  Les  enfants  à  mémoire  incomplète  ne 
conservent  pas  assez  de  souvenirs,  soit  parce  que  certaines  sensations  leur 
font  défaut,  soit  surtout  parce  que  leur  esprit  est  incapable  d'établir  entre  les 
anciens  et  les  nouveaux  souvenirs  des  connexions  mentales  grâce  auxquelles 
les  nouvelles  acquisitions  puissent  s'accrocher  aux  anciennes.  Les  mémoires 
surchargées  conservent  des  souvenirs  inutiles,  accumulent  sans  utiliser.  Il  est 
enfin  des  mémoires  qui  faussent  les  souvenirs  en  leur  mêlant  des  éléments 
imaginaires.  Il  faut  donc  cultiver  la  mémoire,  mais  la  mnémotechnie  est 
particulièrement  condamnable.  Ce  qu'il  faut  apprendre,  c'est  à  sélectionner, 
c'est  à  lier  les  images  nouvelles  aux  souvenirs  anciens,  c'est  enfin  à  distin- 
guer le  déjà  éprouvé,  le  déjà  vu  des  données  de  pure  imagination,  à  distin- 
guer en  un  mot  le  vrai  du  faux. 

L 'attention  de  l'anormal  est  souvent  peu  développée.  Mais,  négligeant 
les  signes  extérieurs,  peu  importants,  de  l'inattention,  il  convient  d'appré- 
cier celle-ci  par  une  recherche  méthodique  des  fautes  commises  dans  un  tra- 
vail donné  (oubli  de  lettres  ou  de  mots,  transpositions  de  lettres  ou  de  mots). 
On  s'efforcera  de  la  stimuler  moins  par  la  crainte  que  par  la  sympathie, 
l'émulation,  l'ambition  ;  on  la  maintiendra  par  l'habitude. 

La  dernière  partie  de  cette  monographie  est  consacrée  à  l'éducation 
morale  de  l'enfant  et  aux  établissements  pour  enfants  anormaux.  Les  auteurs 
se  prononcent  en  faveur  de  l'internat  dans  les  écoles  spéciales,  avec  union 
étroite  de  la  pédagogie  et  de  la  surveillance  médicale.  Ils  estiment  qu'il  est 
socialement  utile  d'humaniser  le  plus  possible  l'anormal.        Dr  Fr.  Moutier. 


Livres  annoncés  sommairement 17 

LIVRES  ANNONCÉS  SOMMAIREMENT. 

LITTÉRATURE. 

V.  Cyril.  Une  main  sur  la  nuque.  —  Paris,  Ollendorff,  s.  d.,  in-18,  3  fr.  50.  —  Série  de 
nouvelles  où  l'auteur  a  voulu  décrire  la  pire  misère  des  bas-fonds  de  Paris.  C'est 
une  sorte  de  «  tournée  des  grands-ducs  »,  qui  n'offre  pas  plus  d'intérêt  que, 
j'imagine,  la  véritable.  C'est  médiocre,  très  médiocre.  Lisez  plutôt  la  Faim,  de 
Knut  Hamsun,  et  surtout  les  Ex-hommes  de  Gorki,  qui  traitent  de  sujets  ana- 
logues, pour  voir  ce  que  sont  ces  tableaux-là  quand  ils  sont  brossés  par  quel- 
qu'un qui  a  de  la  puissance,  ce  je  ne  sais  quoi  qui  fait  frémir.  P.  D. 

Machado  de  Assis.  Quelques  contes.  Traduit  du  portugais  par  Adrien  Delpech.  — 
Paris,  Garnier  frères,  1910,  in-i8,  sans  indication  de  prix  [3  fr.].  —  Ce  recueil 
est  intéressant  pour  deux  motifs  :  d'abord  parce  qu'il  nous  présente  plusieurs 
types  curieux  de  Brésiliens  contemporains  de  l'empereur  Dom  Pedro  II  ; 
ensuite  et  surtout  parce  qu'il  émane  d'un  conteur  exquis,  dont  la  manière 
fine,  sobre,  spirituelle,  ironique,  parfois  un  peu  impertinente  ou  cruelle,  mais 
toujours  de  bon  ton,  rappelle  beaucoup  celle  de  Prosper  Mérimée.  Il  y  a, 
dans  ce  petit  volume,  des  pages  d'une  extrême  délicatesse,  et,  d'un  bout  à 
l'autre  de  l'ouvrage,  une  distinction,  une  discrétion,  rares  chez  les  littérateurs  de 
tout  pays,  et  plus  rares  encore  chez  les  écrivains  de  langue  espagnole  ou  portu- 
gaise. Il  y  a  aussi,  auprès  de  récits  fantaisistes  (Entre  saints,  Adam  et  Eve),  ou 
de  simples  pochades  (Les  Bras,  L'Infirmier,  Le  Diplomate,  etc.),  un  véritable 
petit  chef-d'œuvre  de  grâce,  d'émotion  contenue  et  de  psychologie  (Dona 
Paula).  —  Dans  la  préface,  le  traducteur  essaie  de  caractériser  le  talent  de 
Machado  de  Assis,  une  des  gloires  intellectuelles  du  Brésil.  Il  est  fâcheux  que 
cette  préface,  instructive  au  demeurant,  ne  soit  pas  plus  condensée  et  plus  sim- 
plement écrite.  L.  Barrau-Dihigo. 

H.  Pernot.  Anthologie  populaire  de  la  Grèce  moderne.  —  Paris,  Mercure  de  France, 
1910,  in-12,  3  fr.  50.  —  Du  moyen-âge  à  nos  jours,  la  Grèce  a  été  terre 
d'élection  pour  la  chanson  populaire.  Cette  production,  extrêmement  abondante 
et  variée,  mérite  d'être  connue,  d'abord  parce  que  le  charme  en  est  grand, 
ensuite  parce  qu'elle  est  un  des  meilleurs  témoignages  qui  soient  pour  élucider  la 
question,  encore  mal  précisée,  du  caractère  et  de  la  valeur  littéraire  de  ce 
genre  de  poésie.  M.  Pernot,  de  la  grande  masse  de  documents  déjà  publiés  dans 
des  recueils  peu  accessibles,  et  aussi  de  ses  notes  personnelles,  a  extrait  cette 
anthologie- de  la  chanson  grecque.  Son  volume  est  aussi  varié  que  la  muse  popu- 
laire elle-même  :  chants  héroïques,  légendaires  (il  y  en  a  de  terribles,  comme 
des  Poèmes  barbares  naïfs),  chants  d'amour,  chants  nuptiaux  et  funèbres,  «  dis- 
tiques ».  L'autorité  de  M.  Pernot  garantit  l'exactitude  d'une  traduction  qui  reste 
partout  très  aisée  à  lire,  tout  en  laissant  transparaître  de  près  le  texte  âpre  et 
franc.  Em.  Cahex. 

HISTOIRE. 

Discours  de  Danton.  Édition  critique  par  A.  Fribourg.  —  Paris.  Au  siège  de  la 
Société  de  l'Histoire  de  la  Révolution  française  et  chez  E.  Cornély,  s.  d.,  in-8, 
sans  indic.  de  prix.  —  En  1866,  les  Œuvres  de  Danton  furent  publiées  à  Pari>, 
chez  Coumot,  par  A.  Vermorel.  Ce  recueil,  fait  par  un  tout  jeune  homme,  sans 
préparation  véritable,  uniquement  dans  un  but  de  propagande  révolutionnaire,  u'.i 
aucune  valeur  scientifique.  M.  A.  Fribourg  a  donc  jugé  que  l'éloquence  de  Danton 
devait  être  véritablement  restituée  et,  dans  une  ample  Introduction  {pi  pages) 
placée  en  tète  de  son  travail,  il  indique  les  sources  auxquelles  il  a  puisé  et  la 
méthode  critique  qu'il  a  suivie.  Il  se  peut  que,  malgré  son  labeur,  il  n'ait  pas  évité 
des  erreurs  ou  des  lacunes  de  détail  :   mais,  dans  l'ensemble,  il  .1  l'ait  œuvre  de 


18  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

science.  Grâce  à  lui,  on  peut  désormais  savoir  ce  que  fut  Danton  orateur.  C'est 
un  résultat  de  haute  portée,  non  seulement  littéraire,  mais  historique.  Car, 
comme  M.  Fribourg  le  remarque  avec  justesse,  «  pour  certains  individus,  et 
Danton  est  de  ce  nombre,  chaque  discours,  chaque  phrase,  chaque  mot  a  la 
valeur  d'un  acte  précis.  » 

Cette  édition  critique  est  faite  surtout  pour  les  historiens  de  profession.  Pour 
«  donner  Danton  à  lire  au  public  »,  M.  A.  Fribourg  a  publié  ses  Discours  en 
un  volume  in-18,  à  3  fr.  50,  chez  Hachette.  Là,  tout  l'appareil  critique  a  dis- 
paru ;  on  ne  trouve  pas  non  plus  les  discours  que  Danton  a  prononcés  antérieu- 
rement à  son  discours  contre  La  Fayette  (29  mai  1790).  Mais  on  a,  en  somme, 
tout  ce  qui  est  essentiel  pour  connaître  sa  carrière  de  révolutionnaire  et  d'homme 
d'Etat,  que  M.  Fribourg  retrace,   d'ailleurs,   en  quelques  pages  d'introduction. 

M.  P. 

A.  Espitalier.  Xapolc'oii  et  le  roi  Murât  (180S-1S1  s),  d'après  de  nouveaux  documents. 
—  Paris,  Perrin,  1910,  in-8,  2  portr.,  7  fr.  50.  —  Il  a  fallu  à  M.  Espitalier  un 
certain  courage  pour  revenir  sur  un  terrain  si  profondément  labouré  par  ses 
devanciers  et  particulièrement  par  MM.  F.  Masson,  Weil  et  Vandal.  Aussi  bien, 
il  n'apporte  pas  beaucoup  de  nouveau  sur  l'histoire  des  relations  de  Murât  et  de 
l'Empereur;  c'est  que  les  documents  inédits  qu'il  a  utilisés  ne  sont  pas  bien  nom- 
breux, et  sa  bibliographie,  surtout  en  ce  qui  touche  la  production  italienne,  est 
assez  indigente.  Mais  le  détail  de  la  politique  de  Murât  est  cependant  repris  avec 
soin  et  sur  plus  d'un  point,  —  par  exemple  sur  le  mode  de  datation  et  de  trans- 
mission des  lettres  de  Murât,  sur  les  hésitations  de  la  politique  de  Caroline  entre 
son  frère  et  son  mari,  sur  la  valeur  critique  des  documents  utilisés,  après  falsifi- 
cation, par  Castlereagh  à  la  tribune  des  Communes  anglaises,  —  M.  Espitalier 
nous  apporte  d'instructives  précisions.  Ce  qui  est  fâcheux,  c'est  que  le  plan  du  livre 
n'est  pas  toujours  bien  net  (cf.  en  particulier  le  contenu  des  chap.  X  et  XI),  que 
M.  Espitalier  recherche  trop  souvent  les  effets  de  style,  et  qu'il  n'est  point  suffi- 
samment libéré  de  la  conception  dangereuse  de  l'histoire-jugement  :  il  est  très 
sincèrement  hostile  à  la  politique,  aux  démarches  et  aux  menées  de  Murât  ;  cet 
état  d'esprit  ne  le  met-il  pas  en  posture  inférieure  pour  suivre  les  manifestations 
diverses  et  complexes  de  cette  politique  ?  M.  Espitalier  a  allégé  son  livre  de  tout 
ce  qui  se  rattache  à  l'histoire  militaire,  ou  peu  s'en  faut,  se  bornant  à  étudier  la 
situation  diplomatique  du  royaume  de  Naples  à  l'égard  de  l'empereur  et  des 
alliés  ;  mais  il  faut  bien  avouer  que  cette  situation  même  est  d'ordinaire  déterminée 
par  les  faits  de  guerre,  dont  il  eût  été  bon  dès  lors,  pour  181 3,  et  surtout  pour 
181 5,  de  rappeler  les  principaux  résultats.  G.  B. 

E.  Duchesne.  M.-I,  Lermontov.  —  Paris,  Plon-Nourrit,  1910,  in-8,  7  fr.  50.  —  La 
méthode  suivie  dans  ce  livre  est  fâcheuse  :  on  a  divisé  le  volume  en  trois  parties  : 
la  vie,  Us  œuvres,  les  influences,  ce  qui  contraint  l'auteur  à  reprendre  deux  et  trois 
fois  le  même  sujet,  ou  bien  à  traiter  à  200  pages  de  distance  le  Démon  et  l'in- 
fluence d'ir/cw  sur  ce  poème.  En  outre,  il  n'y  a  pas  d'index  alphabétique  :  il  est 
regrettable  qu'on  accepte  encore  des  thèses  sans  cette  modeste,  mais  utile  contri- 
bution. Le  livre  de  M.  Duchesne  est  consciencieux,  travaillé,  au  courant  de  la  lit- 
térature ;  mais  l'esprit  critique  lui  fait  assez  souvent  défaut.  Lermontov .41' apparaît 
nulle  part  comme  une  personnalité  bien  définie  :  il  est  successivement,  pour 
M.  Duchesne,  l'auteur  de  telle  pièce  de  vers  ou  de  tel  récit  —  et  c'est  tout. 
Nulle  part  non  plus,  nous  ne  voyons  M.  Duchesne  insister  sur  cette  idée  que 
l'œuvre  de  Lermontov  est  celle  d'un  très  jeune  homme,  souvent  celle  d'un 
enfant,  et  que  par  là  s'explique  le  manque  de  consistance  du  fond  et  la  diversité 
d'efforts  pour  trouver  la  forme.  Le  chapitre  vi  (l'art  che^  Lermontov)  est 
médiocre;  ce  qu'il  contient  sur  la  métrique  (p.  197  sq.)  eût  mieux  fait  d'être  tu, 
car  ces  pages  sont  à  peine  ébauchées  et  sont  souvent  à  côté.  J.  Legras. 


Livres  annoncés  sommairement     ======^=====  19 

P.  Eymieu.  L'Œuvre  de  Meyerbeer.  —  Paris,  Fischbacher,  1910,  in- 16,  sans  indica- 
tion de  prix.  —  C'est  une  protestation  contre  l'excessif  décri  par  lequel  une 
partie  de  la  critique  d'aujourd'hui  prétend  faire  expier  à  la  mémoire  de  Meyerbeer 
la  gloire,  excessive  sans  doute,  elle  aussi,  dont  ce  compositeur  a  joui  de  son 
vivant.  Malheureusement  ce  livre  de  bonne  volonté  et  de  bonne  foi  est  un  livre 
qui  ne  nous  apprend  guère  de  nouveau  ni  sur  Meyerbeer  lui-même,  ni,  en  dépit 
d'un  très  court  chapitre  au  titre  décevant  (les  Sources  de  l'opéra  de  Meyerbeer),  sur 
la  formation  de  son  génie  et  les  liens  qui  unissent  certainement  son  œuvre  à  tout 
le  mouvement  littéraire,  artistique,  social  même  de  son  temps.  En  revanche,  une 
suite  de  comptes  rendus  abondants  de  Robert,  des  Huguenots,  du  Prophète  :  à  quoi 
bon,  quand  il  s'agit  d'œuvres  aussi  populaires?  A.  Cahen. 

H.  de  Curzon.  Meyerbeer.  —  Paris,  Laurens  (collection  des  Musiciens  célèbres), 
1910,  in-8,  12  pi.  hors  texte,  2  fr.  50.  —  Le  livre  de  M.  de  Curzon  est  loin, 
lui  aussi,  de  contenter  toutes  nos  curiosités.  Mais  l'auteur  le  sait  et  nous  en 
donne  lui-même  les  raisons  :  «  Il  sera,  dit-il,  inutile  de  tenter  un  travail  un 
peu  complet  et  définitif  sur  Meyerbeer  tant  que  ses  papiers,  ses  notes,  ses  manus- 
crits inédits  resteront  sous  les  scellés  que  sa  famille,  fidèle  aux  prescriptions 
expresses  de  son  testament,  a  toujours  maintenus  dans  toute  leur  rigueur.  »  Il 
faut  ajouter  que  l'exiguité  des  limites  auxquelles  a  dû  se  réduire  M.  de  Curzon 
nuit  à  son  étude  comme  à  toutes  les  autres  monographies  de  la  collection  Laurens. 
Encore  une  fois,  ce  n'est  pas  uniquement  le  progrès  intérieur  de  l'esprit  de  Meyer- 
beer qui  expliquera  son  évolution,  de  la  scolastique  à  l'opéra  italien,  du  Crociato 
à  Robert,  puis  aux  Huguenots,  —  puis  au  Prophète,  ce  drame  de  mysticisme 
religieux  et  social,  —  enfin  à  ces  créations  d'intention  pittoresque  et  sentimentale, 
le  Pardon  et  Y  Africaine.  —  Du  moins  faut-il  louer  dans  ce  livre  un  effort  pour  ne 
rien  dire  que  d'exact,  de  précis  et  d'utile,  et  pour  se  défendre,  dans  le  jugement, 
de  toute  partialité.  Si  l'auteur  ne  paraît  pas  lui-même  exempt  de  certaines 
préventions  générales,  il  a  su  du  moins  repousser  des  attaques  misérables  contre 
le  caractère  d'un  homme  dont  la  vie  fut  un  modèle  de  dignité  et  de  réserve  ; 
d'autre  part,  sans  forcer  la  mesure,  en  reconnaissant  les  médiocrités  irrémé- 
diables de  l'art  de  Meyerbeer,  il  a  préservé,  dans  ce  qu'elle  a  d'incontestable,  la 
gloire  du  grand  musicien  qui,  à  défaut  de  sincérité  profonde  dans  l'inspiration, 
sut  donner  aux  scènes  et  aux  personnages,  dont  son  librettiste  lui  livrait  l'esquisse, 
la  couleur,  la  vigueur  et  le  mouvement  de  la  vie.  A.  Cahen. 

SOCIOLOGIE. 

P.  Avigdor.  L'union  libre?  D'où  venons-nous  ?  Où  allons-nous?  —  Paris,  A.  Pedone, 
et  Bruxelles,  Larcier,  in  8,  sans  ind.  de  prix.  —  Un  très  gros  volume  de 
454  pages,  où  il  serait  vain  de  chercher  la  solution  positive  des  questions  très 
générales  indiquées  par  le  titre.  Il  manque  à  l'auteur,  dont  les  sources  sont  extrê- 
mement disparates,  une  discipline  scientifique  et  une  rigueur  de  méthode  sans 
lesquelles  la  générosité  des  idées  et  la  rectitude  des  intentions  ne  surlisent  pas  à 
obtenir  des  résultats  valables.  L'ouvrage  se  divise  en  deux  parties  :  la  première  est 
historique,  et  s'étend  de  l'organisation  du  mariage  dans  les  sociétés  primitives  à 
son  organisation  dans  les  sociétés  catholiques  ;  la  seconde  traite  du  divorce,  de 
l'union  libre  et  du  mariage.  L'auteur,  hostile  à  l'union  libre,  expose  en  faveur  de 
la  réforme  du  mariage  plusieurs  desiderata  dont  le  caractère  sentimental  et  sub- 
jectif ne  disparaît  point  sous  les  développements  vagues  et  sous  les  commen- 
taires inégaux  du  code,  de  la  jurisprudence,  ou  encore  des  romans  ou  des  drames 
contemporains.  t]-  Bourgin. 

GÉOGRAPHIE  ET  VOYAGES. 

E.  Hinzelin.  Images  d'Alsace-Lorraine.  — Paris,  Pion,  s.  d.,  in- 16,  3  fr.  50.  —  Il 
ne  faut  pas  demander  à  ce  livre  autre  chose  que   ce  que  son  titre  promet.  Des 


20  Revue  critique  des  Livres  nouveaux- 

chapitres  nombreux,  généralement  très  courts,  unis  par  un  lien  très  lâche, 
évoquent  les  principaux  aspects  de  la  Lorraine  et  de  l'Alsace.  L'auteur  a  cousu  à 
ses  descriptions  nombre  d'anecdotes,  dont  l'esprit  et  les  mœurs  des  provinces 
annexées  sont  le  sujet  ou  le  prétexte,  —  des  aperçus  et  des  commentaires,  iro- 
niques ou  indignés,  de  l'œuvre  de  germanisation,  —  et  l'expression  généreuse 
de  ses  espérances  patriotiques.  M.  Lange. 

H.  Hymans.  Bruxelles.  —  Paris,  H.  Laurens,  19 10,  139  gravures,  4  fr.  —  M. -A.  de 
Bovet.  Cracovie.  —  Paris,  H.  Laurens,  19 10,  118  gravures,  4  fr.  —  Deux  volumes 
nouveaux  de  la  Collection  «  Les  Villes  d'art  célèbres  »,  qui  en  comprend  main- 
tenant près  de  cinquante.  On  sait  la  méthode  adoptée  pour  cette  Collection  : 
dans  chaque  volume,  historique  et  description  d'une  ville  célèbre,  avec  d'excel- 
lentes reproductions  photographiques  des  principales  œuvres  d'art  qui  s'y 
trouvent.  Ce  ne  sont  pas  des  études  d'art  local  (puisque  l'on  y  parle  des  œuvres 
d'art  de  toutes  provenances  qui  y  ont  été  apportées).  Ce  ne  sont  pas  non  plus  des 
guides.  Genre  intermédiaire,  un  peu  faux.  Le  texte  est  souvent  trop  encombré  de 
littérature,  et  de  mauvaise  (voir  le  volume  sur  Cracovie)  ;  mais  l'intérêt  et  la 
beauté  des  photographies  font  tout  passer.  Celles  des  deux  derniers  volumes  sont 
fort  bien  choisies.  M.  Pol. 

Abbé  Klein.  L'Amérique  de  demain.  —  Paris,  Pion,  1910,  in-12,  3  fr.  50.  — 
Aimable  causerie  d'un  prêtre  libéral,  admirateur  du  régime  ecclésiastique  amé- 
ricain qui  raconte,  sous  forme  d'un  récit  de  voyage,  ce  qu'il  a  vu,  lu  et  entendu 
dire  en  traversant  les  État-Unis  de  New- York  à  San-Francisco  (par  Chicago, 
Omaha,  Seattle),  sans  essayer  d'en  faire  la  critique.  Ch.  Seignobos. 

v  SCIENCES. 

Marie  Joell.  Un  nouvel  état  de  conscience.  La  coloration  des  sensations  tactiles.  —  Paris, 
Alcan,  19 10,  in-8,  39  planches  hors  texte,  4  fr.  —  L'auteur  prétend  démontrer 
la  possibilité  de  renforcer  la  dissociation  des  mouvements  des  doigts,  d'influencer 
même  leur  sensibilité  par  l'intervention  des  couleurs.  Une  série  d'exercices 
appropriés  permet  d'établir  une  étroite  connexion  entre  la  pulpe  digitale  de 
l'auriculaire  eV  le  violet,  de  l'annulaire  et  du  bleu,  du  médius  et  du  vert,  etc. 
L'harmonisation  du  toucher  contribuerait  d'ailleurs  non  seulement  à  modifier 
l'amplitude  des  mouvements  des  doigts,  mais  renforcerait  encore  l'intensité  de  la 
vision  colorée,  augmenterait  la  musicalité  de  la  pensée,  développerait  enfin 
l'intelligence  générale.  Il  nous  a  semblé  que  cette  étude,  dont  l'ingéniosité 
souvent  paradoxale  n'est  pas  le  moindre  mérite,  révélait  de  la  part  de  l'auteur  une 
grande  puissance  d'auto-suggestion  confinant  presque  parfois  à  l'hallucination  plus 
ou  moins  volontaire.  Dr  Fr.  Moutier. 

G.  H.  Lemoine.  Traité  d'Hygiène  militaire.  —  Paris,  Masson,  19 10,  in-8,  89  fig.  dans 
le  texte,  12  fr.  —  Le  livre  de  M.  le  professeur  Lemoine  vient  à  son  heure. 
Le  traité  d'Hygiène  militaire  de  Laveran  date  de  1896,  la  loi  sur  la  santé  publique 
de  1902  :  le  besoin  se  faisait  sentir  d'une  mise  au  point  des  progrès  de  l'hygiène 
militaire  en  ces  dernières  années.  L'ouvrage  se  divise  en  sept  parties  :  i°  Hygiène 
générale  (conditions  d'aptitude  au  service  militaire  et  aux  différentes  armes. 
Sélection  du  contingent.  Marche  et  exercice)  ;  2°  Alimentation  (examen  de  la 
viande  de  boucherie,  chapitre  très  important,  pour  le  médecin  d'armée,  qui, 
comme  chacun  sait,  s'est  vu,  entre  mille  autres  attributions,  imposer  celles  de 
vétérinaire).  Épuration  de  l'eau  de  boisson;  30  Vêtement  et  équipement  (Allége- 
ment du  fantassin);  40  Habitations  du  soldat  ;  50  Matières  usées  ;  6°  Désinfection 
et  isolement,  prophylaxie  des  maladies  contagieuses  (dangers  des  porteurs  de 
germes)  ;  70  Hygiène  des  pays  chauds.  —  Ce  livre,  intéressant  et  clair,  sera  évi- 
demment utile  au  médecin  militaire  et  à  tous  ceux  qui  s'occupent  de  l'hygiène 
des  collectivités.  Dr  Max  Herer. 

Imp.  F.  Pailla.ht,  Abbeville.  Le  Gérant  :  Éd.  Cornély. 


REVUE     CRITIQUE 

des 

Livres    Nouveaux 


VI'  Année,   n"  2.  (deuxième  série)  i5   Février   1911 


PRINCIPALES  PUBLICATIONS  (1900-1910) 

SUR    LA    POÉSIE    FRANÇAISE    AU    XVIe    SIÈCLE. 


Mathurin  Régnier.  Macette  (Satire  XIII),  publiée  et  commentée 
par  F.  Brunot.  Paris,  Société  nouvelle  de  librairie  et  d'édition,  1900, 
in-8,  XLin-52  p.,  2  fr.  —  Joachim  du  Bellay.  La  Deffence  et 
Illustration  de  la  Langue  Françoyse.  Edition  critique  par  H.  Chamard. 
Paris,  Fontemoing,  1904,  in-8,  xxi-381  p.,  7  fr.  50.  —  Louis  Des 
Masures.  Tragédies  saintes.  Edition  critique  publiée  par  Ch.  Comte 
[reste  à  paraître  l'introduction].  Paris,  Cornély  (Société  des  textes 
français  modernes),  1907,  in-12,  277  p.,  8  fr.  50.  —  Joachim  du 
Bellay.  Œuvres  Poétiques,  I.  Edition  critique  publiée  par  H.  Cha- 
mard. Paris,  Cornély  (Société  des  textes  français  modernes),  1908, 
in-12,  xiv-150  p.,  3  fr.  50.  —  Antoine  Héroet.  Œuvres  Poétiques. 
Edition  critique  publiée  par  F.  Gohin.  Paris,  Cornély  (Société  des 
textes  français  modernes),  1909,  in-12,  Lxix-174  p.,  6  fr.  —  Les 
Amours  de  Jean-Antoine  de  Baïf  (Amours  de  Méline).  Edition  critique 
par  M.  Augé-Chiojjet  [thèse].  Paris,  Hachette,  1909,  in-8,  159  p., 
6  fr.  —  La  Vie  de  P.  de  Ronsard,  de  Claude  Binet  (1586).  Edition 
critique,  avec  introduction  et  commentaire  historique  et  critique,  par 
P.  Laumonier  [thèse].  Paris,  Hachette,  1909,  in-8,  xlviii-26i  p.,  5  fr. 
—  Pierre  de  Laudun  d'Aigaliers.  L'Art  Poétique  Français.  Edition 
critique.  Essai  sur  la  poésie,  dans  le  Languedoc,  de  Ronsard  à 
Malherbe,  par  J.  Dedieu  [thèse].  Toulouse,  au  siège  des  Facultés 
libres,  1909,  in-8,  175  p.  —  Les  Amours  de  P.  de  Ronsard  Vandomois 
commentées  par  Marc-Antoine  de  Muret.  Nouvelle  édition  publiée 
d'après  le  tex.te  de  1578  par  H.  Vaganay.  Paris,  Champion,  1910,  pet. 
in-4,  Liv-494  p.,  10  fr.  —  Joachim  du  Bellay.  Œuvres  Poétiques.  II. 
Edition  critique  publiée  par  H.  Chamard.  Paris,  Cornély  (Société  des 
textes  français  modernes),  1910,  in-12,  xiY-300  p.,  6  fr.  —  Thomas 
Sebillet.  Art  Poétique.  Françoys.  Edition  critique,  avec  une  introduc- 
tion et  des  notes,  puoliée  par  F.  Gaiffe  [thèse].  Paris,  Cornély  (Société 
des  textes  français  modernes),  19 10,  in-12,  xxvi-226  p.,  6  fr. 

H.  Chamard.  Joachim  du  Bellay  (1522-1  $ jo)  [thèse].  Lille,  Le 
Bigot,  1900,  in-8,  XY-545  p.,  12  fr.  —  Revue  de  la  Renaissance,  fondée 
et  dirigée  par  L.  Séché.  Paris,  1901-1910,  11  vol.  pet.  in-4,  2o  fr.  par 
an.  —  P.  Perdrizet.  Ronsard  et  la  Réforme  [thèse].  Paris,  Fischbacher, 


22  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

1902,  in-8,  182  p.,  5  fr.  —  J.  Trénel.  L'élément  biblique  dans  l'œuvre 
poétique  à' Agrippa  d'Aubigné '[thèse].  Paris,  L.  Cerf,  1904,  in-8,  r24  p., 
5  fr.  —  Abbé  C.  Jugé.  Jacques  Peletier  du  Mans  (1517-1582).  Essai 
sur  sa  vie,  son  œuvre,  son  influence  [thèse].  Paris,  Lemerre,  1907, 
in-8,  xv-449  p.,  12  fr.  —  P.  Villey.  Les  sources  italiennes  de  la 
«  Deffense  et  Illustration  de  la  Langue  Françoise  »  de  Joachim  du  Bellay. 
Paris,  Champion  (Bibliothèque  littéraire  de  la  Renaissance),  1908,  in- 12, 
XLvm-162  p.,  5  fr.  —  J.  Vianey.  Le  Pétrarquismeen  France  au  xvi*  siècle. 
Montpellier,  Coulet,  1909,  in-8,  399  p.,  8  fr.  —  P.  Laumonier. 
Ronsard  poète  lyrique.  Etude  historique  et  littéraire  [thèse].  Paris, 
Hachette,  1909,  in-8,  Li-806  p.,  15  fr.  —  M.  Augé-Chiqtjet.  La  vie, 
les  idées  et  l'œuvre  de  Jean-Antoine  de  Baïf  [thèse].  Paris,  Hachette,  1909, 
in-8,  xix-618  p.,  15  fr.  —  Abbé  H.-J.  Molinier.  Mellin  de  Saint-Gelays 
(1490  1-1558).  Etude  sur  sa  vie  et  sur  ses  œuvres  [thèse].  Rodez, 
Carrère,  1910,  in-8,  xxxn-614  P-  —  Abbé  A.  Bourde aut.  Joachim  du 
Bellay  et  Olive  de  Sévigné.  Angers,  Grassin,  19 10,  in-8,  54  p.  — 
S.  Rocheblave.  Agrippa  d'Aubigné.  Paris,  Hachette  (Grands  écrivains 
français),  1910,  in-12,  203  p.,  2  fr.  —  H.  Guy.  Histoire  de  la  poésie 
française  au  xvic  siècle.  Tome  I.  L'Ecole  des  Rhétoriqueurs.  Paris, 
Champion  (Bibliothèque  littéraire  de  la  Renaissance),  19 10,  in-8, 
390  p.,  10  fr.  —  P.  Laumonier.  Tableau  chronologique  des  œuvres  de 
Ronsard,  suivi  de  poésies  non  recueillies  et  d'une  table  alphabétique  (2e  édit.). 
Paris,  Hachette,  1911,  in-8,  xi-143  p.,  15  fr. 


Ces  deux  listes  chronologiques  ont  chacune  leur  éloquence  :  par  elles, 
on  peut  déjà  mesurer  les  progrès  accomplis  chez  nous  depuis  une  dizaine 
d'années  dans  l'étude  consciencieuse  et  savante  de  notre  poésie  du  xvie  siècle. 
De  ce  côté,  comme  de  tant  d'autres,  le  travail  est  en  bonne  voie. 

On  n'attend  pas  de  moi  que  je  passe  en  revue  toutes  les  publications  ci- 
dessus  mentionnées.  Je  le  ferai  d'autant  moins  que  j'ai  pris  ma  part  du  tra- 
vail. Je  voudrais  seulement  présenter  au  lecteur  quelques  constatations  d'en- 
semble, indiquer  dans  quel  sens  a  surtout  porté  l'effort,  regretter  aussi 
certains  manques. 

La  Bibliothèque  Eliévirietwe,  dont  on  connaît  de  reste  la  valeur  inégale, 
ayant  depuis  longtemps  cessé  toute  publication,  et  les  éditions  Jouaust  et 
Lemerre  n'étant  destinées  qu'aux  bibliophiles,  on  a  senti  le  besoin  d'entre- 
prendre pour  nos  poètes  du  xvie  siècle  de  bonnes  et  sérieuses  éditions,  cor- 
rectes, exactes,  établies  en  toute  rigueur  suivant  les  principes  de  la  critique 
moderne.  La  réforme  du  doctorat  es  lettres  (1903),  en  permettant  de  substi- 
tuer à  la  thèse  latine  une  édition  critique,  et  la  fondation  en  1905  de  la 
Société  des  textes  français  modernes  ont  contribué  puissamment  à  favoriser  l'en- 
treprise. Les  éditions  de  la  Société  s'inspirent  avant  tout  de  la  méthode  histo- 
rique :  elles  s'attachent  à  reproduire  le  premier  texte  des  ouvrages,  à  fournir 
dans  un  apparat  toute  la  série  des  variantes,  à  marquer  avec  précision  les 
sources  où  l'auteur  a  puisé.  Elles  s'interdisent  tout  commentaire  d'ordre 
subjectif.  Ces  éditions  fidèles  et  sûres,  et  dont  la  forme  est  élégante,  sont  dès 
maintenant  pour  le  philologue,  pour  le  littérateur,  et  même  pour  l'homme 
de  goût  qui  veut  fonder  ses  impressions  sur  la  lecture  d'un  texte  exact,  des 
instruments  de  travail  de  première  nécessité. 


La  Poésie  française  au  XVP  siècle  —  23 

Nous  avons  aujourd'hui  en  main  la  plupart  des  écrits  théoriques  où  se 
trouvent  exposées  ou  résumées  les  doctrines  du  xvic  siècle  en  matière  de 
poésie.  Dès  1885,   M.  Pellissicr  nous  avait  procuré  une  bonne   édition  de 

Y  Art  poétique  de  Vauquclin  de  La  Fresnaye,  le  dernier  de  tous  par  la 
date  (1605).  C'est  l'an  dernier  seulement  que  nous  avons  eu,  grâce  à 
M.  Gaiffe,  celui  qui  ouvre  la  série  (si  l'on  fait  abstraction  des  arts  de  rhéto- 
rique) :  celui  de  Thomas  Sebillet  (1548).  —  Auparavant,  j'avais  donné  moi- 
même  le  manifeste  de  la  Pléiade  (1549),  et  telle  est  de  nos  jours  la  marche 
du  travail  que  cette  édition  de  la  DeJJcnce,  vieille  à  peine  de  six  ans,  n'est  déjà 
plus  au  point.  Une  heureuse  découverte  de  M.  Villey  nous  a  fait  savoir  que 
Joachim  du  Bellay  a  traduit  mot  à  mot  du  Dialogue  des  langues  de  Speronc 
Speroni(i  542)  à  peu  près  tous  ses  arguments  pour  la  «  défense  »  de  sa  langue 
(liv.  Ier,  chap.  1,  m,  ix,  x,  xi).  Découverte  considérable,  qui  démontre  une 
fois  de  plus  le  caractère  artificiel  et  composite  du  retentissant  manifeste. 
L'auteur  de  cette  jolie  trouvaille  en  a  profité  très  habilement  pour  ajouter  un 
chapitre  à  tout  ce  qu'on  a  déjà  dit  de  l'influence  italienne  sur  notre 
Renaissance.  N'a-t-il  pas  quelque  peu  dépassé  ses  prémisses  en  insinuant 
que  «  la  poétique  de  la  Deffencc  est,  elle  aussi,  copiée  en  bonne  partie  de 
quelque  auteur  italien  »  insoupçonné  jusqu'à  cette  heure  ?  L'hypothèse  est 
inutile,  tant  qu'elle  ne  se  fonde  pas  sur  un  commencement  de  preuve  ;  elle 
est  dangereuse  aussi,  puisque,  à  force  de  chercher  partout  des  intermédiaires 
italiens,  on  tend,  je  crois,  à  méconnaître  ce  que  la  Pléiade  peut  devoir  au 
contact  direct  de  l'antiquité.  —  La  Deffence  a  pour  complément  et  pour  cor- 
rectif Y  Art  poétique  de  Jacques  Peletier  du  Mans  (1555).  Des  difficultés  typo- 
graphiques ont  seules  retardé  la  réimpression  de  cet  opuscule,  analysé  par 
moi  dans  ma  thèse  latine  (1900).  M.  Laumonier  nous  donnera  quelque  jour 

Y  Art  poétique  de  Ronsard  (1565).  Celui  de  Pierre  de  Laudun  d'Aigaliers  (1597) 
nous  est  maintenant  accessible  grâce  à  l'édition  de  M.  Dedieu. 

Après  les  arts  poétiques,  les  œuvres  des  poètes.  On  a  plus  fait  pour  la 
Pléiade  que  pour  les  écoles  qui  l'ont  précédée.  Pourtant,  si  l'on  attend  tou- 
jours —  on  l'attendra  longtemps  sans  doute  —  une  bonne  et  complète  édi- 
tion de  Marot,  l'école  lyonnaise  est  entamée.  On  nous  promet  à  bref  délai  un 
Maurice  Scève,  et  nous  pouvons  enfin  —  remercions-en  M.  Gohin  — lire  les 
œuvres  d'Héroet,  et  surtout  cette  Parfaicte  Amye  qui  n'avait  pas  revu  le  jour 
depuis  le  milieu  du  xvie  siècle.  —  Nous  devons  à  M.  Augé-Chiquet  une 
intéressante  réimpression  du  premier  recueil  de  Baïf,  les  Amours  de  Mè- 
line  (1552),  dont  Marty-Laveaux  n'avait  publié  que  le  texte  définitif  (1573). 
Du  Bellay  se  poursuit  :  deux  volumes  ont  déjà  paru,  contenant  les  recueils 
de  sonnets  (Olive,  Antiquité^  de  Rome,  Regrets,  Sonnets  divers)  ;  un  troisième 
se  prépare,  qui  renfermera  les  recueils  lyriques  antérieurs  au  voyage  de 
Rome.  De  son  côté,  M.  Laumonier  élabore  l'édition  de  Ronsard  qui  nous 
lait  tant  défaut,  et  que  sa  science  érudite  peut  seule  mener  à  bien.  —  Prenant 
les  devants,  M.  Vaganay  a  publié  les  Amours,  ou  plus  exactement  le  pre- 
mier livre  des  Amours  de  Ronsard,  avec  le  commentaire  de  Muret.  Sans 
autre  motif  apparent  que  sa  convenance  personnelle,  il  a  choisi,  pour  le 
reproduire,  le  texte  de  1578,  qui  ne  représente  ni  l'état  premier  ni  l'état 
dernier.  Son  appareil  critique  est  incomplet,  puisqu'il  y  manque  les  variante  s 
capitales  de  1560  et  de  1584.  Monument  de  patience  et  de  réel  labeur,  l'édi- 
tion est  confuse  et  d'un  maniement  difficile. 

A  ces  diverses  éditions  d'écrits  théoriques  et  d'oeuvres  poétiques,  il  faut 


24  .    ..  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

joindre  les  publications  documentaires  dont  M.  Laumonier,  dans  sa  Vie  de 
Ronsard  par  Bine!,  nous  offre  un  excellent  modèle.  Il  importe  en  effet  de  sou- 
mettre à  l'épreuve  d'une  critique  rigoureuse  tous  les  documents  a  encomias- 
tiques  »  (discours,  éloges,  tombeaux,  oraisons  funèbres,  compliments  limi- 
naires) sur  lesquels  s'est  fondée  la  biographie  traditionnelle  de  nos  écrivains 
du  xvie  siècle.  M.  Laumonier  l'a  fait  pour  Binet,  panégyriste  de  Ronsard, 
avec  une  rare  maîtrise.  Si  la  vie  de  Ronsard  n'est  pas  encore  écrite,  du 
moins  avons-nous  désormais  tous  les  moyens  —  ou  presque  tous  —  de  la 
reconstituer  avec  exactitude.  On  n'aura  plus  qu'à  rassembler  les  traits  épars, 
à  présenter  la  figure  de  l'homme  et  du  poète  dans  le  cadre  aimable  d'une 
monographie.  M.  Laumonier  est  tout  désigné  pour  donner  quelque  jour  à 
ses  travaux  critiques  ce  couronnement  littéraire. 

En  attendant,  nous  lui  devons,  sur  Ronsard  poète  lyrique,  un  gros  et  bel 
ouvrage,  qui  n'est  pas  seulement  une  véritable  encyclopédie  ronsardienne, 
mais  qui  éclaire  d'un  jour  nouveau  l'évolution  générale  de  la  poésie  française 
entre  1540  et  1590.  Je  ne  suis  pas  certain  que  l'auteur  ait  rendu  toute  justice 
à  Ronsard  en  ne  faisant  de  lui  qu'un  Marot  supérieur,  et  je  persiste  à  voir 
entre  ces  deux  poètes  un  peu  plus  qu'une  différence  de  degré.  Mais  c'est 
beaucoup  d'avoir  rattaché  par  tant  de  liens  à  la  tradition  littéraire  de  la 
France  celui  qu'on  a  pris  trop  longtemps  pour  l'iconoclaste  de  cette  tradi- 
tion :  et  cela,  M.  Laumonier  l'a  fait  de  façon  péremptoire.  Aux  mérites 
incontestables  de  sa  double  investigation  historique  et  rythmique,  il  a  su 
joindre  un  réel  talent  littéraire  :  chez  lui,  l'homme  de  goût  ne  le  cède  pas  à 
l'homme  de  science. 

J'ai  mis  Ronsard  au  centre,  comme  de  juste.  Autour  de  lui,  se 
groupent  ses  disciples  plus  ou  moins  immédiats.  Plusieurs  d'entre  eux 
ont  obtenu  déjà  l'honneur  d'une  étude  d'ensemble,  conçue  dans  cet  esprit 
de  solide  recherche  et  de  science  précise  qu'on  exige  aujourd'hui  des 
travaux  littéraires.  Dès  1896,  M.  Vianey  frayait  la  voie  avec  son  Ma- 
I burin  Régnier,  tandis  que,  pour  ma  part,  j'élaborais  un  Joacbim  du  Bellay. 
D'autres  sont  venus  depuis,  et  l'an  dernier  encore,  M.  Augé-Chiquet, 
s'étant  attaqué  courageusement  à  Jean-Antoine  de  Baïf,  nous  donnait  sur 
ce  médiocre  auteur,  qui  fut  un  grand  «  oseur  »,  une  fine  et  jolie  étude,  où 
l'on  constate  avec  plaisir,  dans  l'art  délicat  de  juger,  autant  de  largeur  que 
de  goût. 

Des  travaux  de  ce  genre,  si  consciencieux  soient-ils,  sonttoujours  sujets  à 
retouches.  J'en  sais  moi-même  quelque  chose,  et  je  n'ai  garde  de  m'en 
plaindre.  Un  modeste  et  sérieux  chercheur,  M.  l'abbé  Bourdeaut,  s'appuvant 
sur  quelques  passages  du  poète  angevin  et  sur  des  pièces  retrouvées  dans  les 
archives  du  pays,  a  pris  à  tâche  d'établir,  comme  d'autres  l'ont  fait  déjà  pour 
la  Cassandre  de  Ronsard,  que  sous  le  nom  d'Olive  se  cachait  un  amour  réel 
de  du  Bellay  pour  sa  cousine,  Olive  de  Sévigné.  Si  certains  arguments  invo- 
qués, à  mon  sens,  portent  peu,  d'autres  sont  très  loin  d'être  négligeables, 
et,  tout  compte  fait,  sont  de  nature  à  me  troubler. 

L'Olive  m'amène  naturellement  à  rappeler  les  neuves  et  savantes  recherches 
par  lesquelles  M.  Vianey,  dès  1900,  complétait  avec  un  si  rare  bonheur  mon 
ouvrage  sur  du  Bellay.  Depuis,  nous  l'avons  vu  étendre  cette  étude  de 
«  sources  italiennes  :>  aux  autres  poètes  de  la  Pléiade  et  à  quelques-uns  de 
leurs  devanciers.  De  toutes  ces  études  de  détail,  insérées  d'abord  au  Bulletin 
Italien,  est  sorti  le  très  beau  travail  sur  le  Pétrarquisiuc  en  France  au  XVIe siècle, 


La  Poésie  française  au  XVIe  siècle  -  25 

une  des  œuvres  de  critique  les  plus  pénétrantes  et  les  plus  sagaces  que  nous 
ayons  pu  lire  en  ces  dernières  années. 

Ce  qui  précède  indique  assez  que  l'effort  s'est  porté  surtout  sur  la 
Pléiade.  Est-ce  à  dire  qu'on  ait  de  parti  pris  négligé  l'école  antérieure  ?Nous 
devions  à  M.  Chenevière  un  Bouavcnliire  des  Pcriers  (1886).  Sur  deux  poètes 
niarotiques  qui,  par  des  côtés  différents,  ont  préparé  les  voies  à  la 
Pléiade,  Jacques  Peletier  du  Mans  et  Mellin  de  Saiul-Gelays,  deux  abbés, 
M.  Clément  Jugé  et  M.  Henry  Molinier,  nous  ont  donné  deux  très  estimables 
travaux,  qui  vaudraient  davantage  un  peu  plus  concentrés.  —  Tout  à  la  fin 
du  siècle,  Agrippa  d'Aubiguc  attire  l'attention.  La  Revue  a  déjà  signalé  (1910, 
p.  127)  la  brillante  étude  de  M.  Rocheblave.  Il  serait  injuste  d'omettre  l'inté- 
ressante contribution  de  M.  Trénel  sur  l'élément  biblique  dans  l'œuvre 
poétique  du  fervent  huguenot. 

J'aperçois  deux  grandes  et  fâcheuses  lacunes  :  Marot  et  Desportes.  Si  l'on 
a  remarqué  que  les  travaux  ci-dessus  mentionnés  sont  pour  la  plupart  des 
thèses  de  doctorat,  on  concevra  l'espoir  très  légitime  que  Marot  et  Desportes 
finissent  par  tenter  les  veilles  studieuses  de  futurs  docteurs.  Mais  il  ne  faudra 
pas  se  laisser  rebuter  par  les  difficultés  bibliographiques  toutes  particulières 
inhérentes  à  chacun  des  sujets. 

Ainsi  se  préparent  et  s'amassent  les  matériaux  de  toute  sorte  qui  per- 
mettront un  jour  d'élever  l'édifice  :  une  histoire  complète  de  la  poésie  fran- 
çaise au  siècle  delà  Renaissance.  Cette  histoire,  M.  Henry  Guy  projette  de 
l'écrire,  et  voici  qu'il  nous  donne,  après  dix  années  de  recherches,  un  premier 
volume  essentiel  sur  l'école  des  rhétoriqueurs.  Il  fallait  un  certain  courage  pour 
entreprendre  cette  étude  et  la  pousser  à  fond,  comme  il  l'a  fait.  Grâce  à  son 
zèle  et  à  sa  science,  nous  voyons  désormais  plus  clair  dans  l'œuvre  de  ces 
lointains  mais  authentiques  précurseurs  de  la  Pléiade,  et  du  même  coup  ce 
sont  les  origines  de  Marot  qui  se  révèlent  et  se  précisent.  C'est  donc  une 
grosse  lacune  que  cet  ouvrage  vient  combler. 

Qu'on  me  permette  en  finissant  d'exprimer  un  regret  :  c'est  que  tant  de 
bons  ouvriers  qui  défrichent  le  xvic  siècle  n'aient  pas,  pour  l'échange  de 
leurs  idées  et  la  diffusion  de  leurs  travaux,  un  périodique  approprié.  Ils  en 
ont  bien  un,  il  est  vrai  :  la  Revue  de  la  Renaissance,  fondée  en  1901  par 
M.  Léon  Séché.  Mieux  conçue  et  mieux  rédigée,  elle  eût  pu  rendre  des 
services.  Mais  sa  notoire  insuffisance,  que  ne  parvient  pas  à  dissimuler  l'en- 
combrante personnalité  de  son  directeur,  rend  d'une  ironie  quelque  peu 
cruelle  le  sous-titre  ambitieux  qu'elle  a  pris  d'  «  organe  international  des 
amis  du  xvic  siècle  et  de  la  Pléiade  »  !  H.  Chamard. 


COMPTES  RENDUS 


R.  de  Montesqïjiou.   —  La  Petite  Mademoiselle,   scène  de  mœurs 
mondaines.  —  Paris,  Albin  Michel,  1910,  in-18,  344  p.,  3  fr.  50. 

Le  lieu   de  la  scène  :  un  salon  de  campagne  dans  une  gentilhommière 
tourangelle.  Les  personnages  :  une  famille  aristocratique  pourvue  de  toutes 


26  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

les  vertus  mondaines,  mais  sans  grâce,  soucieuse  des  préséances,  conforta- 
blement installée  dans  ses  préjugés,  ayant  atteint  au  bonheur  solide  de  ceux 
qui  ne  pensent  pas.  La  vieille  marquise,  son  fils  et  sa  bru  sont  d'accord  sur 
ce  principe  essentiel  :  les  idées  sont  comme  les  gens,  il  en  est  de  bonne  et 
de  mauvaise  compagnie.  Il  faut  ajouter  quelques  traits  particuliers  :  la  vieille 
dame  collectionne  les  breloques  et  ramasse  les  bouts  de  ficelle,  le  comte 
fume  avec  placidité  des  cigares  de  choix,  la  comtesse  («  un  bec  d'aigle  domes- 
tique dans  une  tête  de  poule  coriace  »)  est  atteinte  d'une  entérite  chronique. 
Deux  fillettes  enfin  qui  préparent  leur  première  communion...  Et  les  soirées 
s'écoulent  au  Vert-Marais,  décentes  et  monotones. 

Or  voici  que  l'ange  du  bizarre  —  ou  le  démon  du  baroque  —  a  choisi 
cette  respectable  demeure  pour  théâtre  de  ses  exploits.  Annoncé  par  une 
avalanche  de  malles,  de  cartons  et  d'étuis,  il  y  est  apparu  sous  les  espèces 
d'une  institutrice  anglaise,  la  fantasque  et  imperturbable  Miss  Winter- 
bottom...  Par  elle,  tout  est  bouleversé  ;  c'en  est  fait  de  l'ancienne  correction. 
Les  maîtres  du  Vert-Marais  seront  comme  emportés  dans  un  tourbillon  de 
folie,  avec  de  brusques  révoltes  de  leur  dignité  blessée...  Le  livre  n'a  pas 
d'autre  intrigue.  M.  R.  de  Montesquiou  a-t-il  vraiment  songé  à  nous  apitoyer 
sur  le  compte  de  son  institutrice,  à  nous  offrir  le  tableau  de  «  ses  misères  sans 
grandeur  ?  »  Il  parait  surtout  s'être  amusé  de  «  ce  comique  macabre,  falot, 
volontairement  démantibulé,  caricatural  et  capricant.  » 

Miss  Winterbottom  ne  tarde  pas  à  s'affirmer  «  un  caractère  ».  En  voyage, 
elle  a  acheté  des  cartes  postales  à  l'effigie  de  Rabelais,  curé  de  Meudon  ;  son 
premier  soin  est  de  les  offrir  à  ses  élèves,  «  pour  mettre  dans  leur  caté- 
chisme ».  Heureux  début,  après  lequel  il  est  difficile  de  ne  pas  déchoir  ! 
Mais  une  fatalité  la  soutient.  Elle  va,  rebondissant  de  gaffe  en  gaffe,  toujours 
empressée,  sans  une  minute  de  découragement.  En  toutes  les  circonstances, 
elle  saisit,  par  une  intuition  merveilleuse  et  soudaine,  le  mot  qu'il  ne  fau- 
drait pas  dire,  le  geste  dont  il  faudrait  se  garder. 

D'ailleurs,  cette  personne  extravagante  est  pleine  de  bonne  volonté,  de 
générosité,  de  sagesse  même,  —  de  cette  sagesse  particulière,  plus  profonde, 
qui  n'appartient  qu'à  ceux  que  l'on  nomme  les  fous.  D'imagination  enthou- 
siaste, elle  a  conservé  intacte  la  faculté  d'admirer  et  celle,  non  moins  pré- 
cieuse, de  haïr.  Sa  culture  est  prodigieuse.  Elle  a  lu  à  peu  près  autant  que 
M.  de  Montesquiou,  —  de  préférence  ce  que  tout  le  monde  ne  lit  pas.  Parmi 
les  artistes,  elle  aime  ceux  surtout  que  leur  singularité  désigne  à  l'ironie 
grossière  des  foules.  Et  ce  sont  des  goûts  fort  légitimes,  certes,  mais  qui  ne  se 
concilient  pas  toujours  avec  les  exigences  de  la  pédagogie.  Imaginez  des 
Esseintes  préparant  deux  fillettes  à  leur  première  communion  !...  Miss 
Winterbottom  se  soucie  peu  de  ces  incompatibilités.  Elle  met  les  paroles  de 
Y  Ave  Maria  sur  le  Prélude  de  YAprès-midi  d'un  faune  ;  elle  adapte  en 
comédie  de  salon  le  Cantique  des  cantiques... 

Sa  curiosité  est  insatiable.  Elle  connaît  tout.  Son  cerveau  est,  suivant  les 
goûts,  un  temple  de  la  curiosité  ou  un  musée  des  horreurs.  Il  suffit,  au  reste, 
de  lire  le  Questionnaire  qu'elle  a  dressé  pour  l'année  consécutive  à  la  première 
communion  :  «  Quel  est  le  peuple  chez  lequel  les  femmes  conçoivent  à  cinq 
ans  et  meurent  à  huit  ?  —  Quel  est  celui  dont  l'odeur  fait  fuir  les  croco- 
diles ?...  »  Ici,  nous  sommes  en  pleine  farce,  et  il  n'est  pas  toujours  facile  de 
savoir  le  moment  précis  où  M.  de  Montesquiou  commence  à  se  moquer  des 
autres,  de  lui-même  et  de  nous.  A  petites  touches  patientes  et  fines,  par  une 


Littérature  >  27 

série  de  notations  exactes,  il  dresse  à  nos  yeux  des  caricatures  violentes,  et 
c'est  quelque  chose  de  très  savoureux,  —  et  de  bien  frauçais  —  que  ce 
comique  «  énorme  et  délicat.  » 

Je  n'ai  rien  dit  encore  des  personnalités  qui  sont  un  des  éléments  essentiels 
de  ce  petit  roman.  Cette  satire  est  franche  et  directe,  brutale  souvent.  Miss 
Winterbottom  appelle  les  choses  par  leur  nom,  —  les  personnes  aussi,  et  je 
sais  bien  les  réserves  que  l'on  pourrait  faire.  Mais  vraiment,  peut-on  en 
vouloir  à  M.  de  Montesquiou,  quand  il  démonte,  pour  notre  joie,  quelques- 
unes  de  ces  marionnettes  qui  se  haussent  aux  premiers  rôles  dans  la  comédie 
pseudo-littéraire  d'aujourd'hui  ?  J.  Marsan. 


M.  A.  Lebloxd.  — Les  Jardins  de  Paris,  roman.  —  Paris,  Fasquelle, 
1910,  in-12,  460  p.,  3  fr.  50. 

C'est  le  tome  II  de  La  Métropole,  qui  en  aura  trois.    C'est  la  seconde 
série  des  expériences  de  Claude  Mavel,  l'étudiant  créole  (Voir  Revue,  n°  3). 
C'est  un  nouvel  et  copieux  album  de  tableaux  de  Paris,  trottoirs  de  tous  les 
quartiers  et  de  toutes  les  heures,  foules  et  panoramas,  foire  de  Montmartre  et 
taillis    de    Robinson,    promenades    kaléidoscopiques     sur    les    impériales 
d'omnibus,  cimetières  et  jardins  surtout,  tous  les  jardins,  où  Claude  par  le 
caprice   de  sa  compagne  est  forcé  de  vivre  en  plein  air  ses  amours.   Il  a 
perdu  sa  fiancée  lointaine  ;  elle  se  mariera  en  Cochinchine  ;  lui-même,  à  la 
fin  du  livre,  mûri,  trempé   par  la  souffrance  d'amour,  tourné  vers  la  vie 
active,  reprend  son  premier  rêve  de  fierté,  de  santé,  de  fécondité  :  le  mariage, 
annule  en  soi  ses  aventures  intermédiaires  et  se  tourne  vers  une   fiancée 
nouvelle,   que   nous  ne  faisons  qu'entrevoir.  En  attendant,  parmi  les  demi- 
vierges  qu'on  nous  a  présentées  dans  En  France  et  qui  ne  tardent  guère  à 
atteindre  à  l'unité,  il  trouve  celle  qui  lui  fait  connaître,  en  moins  d'un  an, 
tout  le  bonheur  et  toute  la  douleur,  la  jeune  Xamie.  C'est  un  type  curieux 
d'intellectuelle  autodidacte,   candide  et  retorse,  compliquée,   énigmatique, 
très  vivante  malgré  ou  par  cela  même.  Après  comme  avant  de  s'être  donnée, 
la  curiosité,  la   vanité   et  la  peur  de   l'amour  la  travaillent  simultanément. 
Dans  son  imagination  nourrie  de  mille  lectures  de  hasard  tout  cela  déve- 
loppe, inné  sans  doute,  un  art  prodigieux  du  mensonge.  Les  auteurs  insi- 
nuent que  son  cas  relève  de  la  physiologie  de  la  Parisienne,  mais  ils  n'éclair- 
cissent  pas  ce  mystère.  Claude,  plaqué  par  elle,  qui  s'en  va  on  ne  sait  pas  où, 
est  d'abord  tout  désemparé  et   fait  de  la  neurasthénie   aiguë.    Mais   il  se 
ressaisit.  La  leçon   de  Paris,  cette  année,  lui  est  bonne  au  total  :  c'est,  par 
dessus  tout,  une  leçon  d'activité.  C'est  Paris,  d'ailleurs,  le  héros  de  ce  livre.  Il 
domine  Claude  et  Namie  la  menteuse,  placés  au  premier  plan,  avec  le  groupe 
des  créoles,    comparses    divers    et   amusants,    tout    autour.     Ce    sont    les 
mémoires  de  MM.  Leblond  sur  Paris.   Du  train  dont  ils   vont,  si  prodigues 
de  leur  énorme  trésor  d'observations  accumulées,  on  pouvait  craindre  que 
cette  biographie  (autobiographie,  allais- je  écrire)   ne  lut  interminable.  On 
leur  saura  gré  de  se  borner  à  trois  volumes,  et  j'ose  dire  même  que,  con- 
densée en  un  seul,  leur  Éducation  sentimentale  eût  été  plus  pleinement   de 
mon  goût.  Tel  quel,  je  ne  puis  taire  ma  préférence  pour  ce  cadet,  au  détri- 
ment de  son  aîné  lauréat.  A  peine  moins  long,  je  le  trouve  moins  compact 
et  massif,  plus  aéré  et  aussi  plus  émouvant.   Le  style   procède  par  touches 


28  —    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

plus  nettes  ;  débordant  de  créations  pittoresques  ou  émotives,  il  offre  moins 
de  ces  empâtements,  masses  opaques  dont  seule  la  saillie  accroche  la 
lumière.  Il  y  en  a  encore  trop,  à  coup  sûr,  pour  les  lecteurs,  nombreux 
aujourd'hui,  qui  goûtent  surtout  la  sobriété  limpide,  et  cela  môle  quelque 
agacement,  quelque  fatigue,  à  leur  plaisir.  J.  Bury. 

G.  Lavaud.  —  Des  Fleurs,  pourquoi...  précédé  d'une  réimpres- 
sion de  la  Floraison  des  Eaux  et  du  Livre  de  la  Mort.  —  Paris, 
Ed.  Cornély,  1910,  in-12,  123  p.,  sans  indication  de  prix. 

Ce  livre  vit  de  cette  idée,  développée  en  images  compliquées  et  parfois 
saisissantes,  que  l'âme  et  le  corps  humain  sont  un  paysage,  et  qu'un  paysage 
est  une  âme  et  un  corps  humain.  C'est  là  d'abord  une  comparaison,  puis 
une  identification  —  «  Votre  âme  est  un  paysage  choisi  »  (Verlaine)  —  et 
un  symbole.  Les  correspondances  en  sont  ingénieuses  (trop)  et  ceci  les 
favorise  que,  si  visage  et  âme  sont  vivants,  le  paysage  est  mouvant,  fait  de 
reflets  aquatiques  et  de  saisons  fuyantes,  et  traité  avec  un  art  moins  symbo- 
liste que  «  confusioniste  »,  où  les  collines  sont  des  navires  et  les  champs  des 
flots.  Exemples  :  une  opale  sertie  d'or  est  un  lac  changeant  et  une  âme  incertaine 
où  chatoient  souvenirs  et  projets  ;  une  rivière  est  une  Ophélie  aux  cheveux 
d'algues  qui  rit  avec  ses  cailloux  roulés,  et  qu'on  aimerait  tout  comme  une 
maîtresse  ;  une  femme  qui  se  meurt  et  se  perd  peu  à  peu  dans  la  blancheur 
des  draps  est  une  île  effondrée  aux  flots  de  l'océan...  C'est  une  «-création 
continuelle  de  la  nature  par  le  poète,  à  la  façon  de  Viélé  Griffin  qui  con- 
temple les  «  paysages  bleus  »  pour  en  faire  des  cygnes.  Et  cependant  il  s'en 
dégage  une  philosophie  d'abandon  à  la  vie  universelle  dont  l'âme  adopte  si 
fidèlement  formes  et  rythmes.  Joignez  à  cela  une  sensibilité  aiguë,  que  n'ef- 
farouche aucune  dissonance,  aucune  notation  môme  cruelle  ou  subtile  à 
l'excès.  Des  alexandrins  musicaux  varient  en  souples  nuances  ce  thème  ;  ils 
se  font  plus  fluides  de  la  négligence  des  e  muets  et  de  la  recherche  des  asso- 
nances. J'ai  fait  de  mon  mieux  pour  donner  une  idée  de  la  curieuse  manière 
de  ce  poëte.  J'avoue  —  sans  engager  d'autres  que  moi  —  que  je  ne  la  trouve 
pas  sans  charme.  Mais  y  a-t-il  là,  pour  l'auteur,  de  quoi  se  renouveler? 

J.  MOREL. 


Dr  Evans.  —  Mémoires.  —  Paris,  Plon-Nourrit,  19 10,  in-8, 
iv-450  p.,  7  fr.  50. 

Il  serait  imprudent  de  prendre  le  docteur  Evans  pour  un  historien  très 
sérieux  du  règne  de  Napoléon  III  ;  ce  n'est  pas  qu'on  aperçoive  quelque  part 
chez  lui  l'intention  de  surprendre  la  religion  du  lecteur  ;  on  lui  sent  partout 
au  contraire  de  la  bonne  foi,  sinon  même  de  la  candeur  ;  mais  il  a  pour  le 
couple  souverain  une  affection  trop  vive  pour  ne  pas  les  avoir  vus,  et 
par  conséquent  pour  ne  pas  nous  les  avoir  représentés  en  beau  ;  l'Empe- 
reur, l'Impératrice,  de  quelque  côté  qu'on  les  regarde,  sont  à  peu  près  par- 
faits, vous  dis-je...,  mais  il  n'y  a  pas  lieu  à  en  vouloir  à  l'affectionné  docteur. 

Cela  ne  veut  pas  dire  du  tout  que  l'ouvrage  manque  de  pages  intéres- 
santes, ni  même  qu'il  manque  d'endroits  instructifs;  tant  s'en  faut.  Dix  cha- 
pitres sur  dix-huit  sont   consacrés  à  des  détails  biographiques  concernant 


Histoire  -  29 

l'Empereur  ou  l'Impératrice  ;  ils  sont  à  lire,  quoique  ce  soit  là  que  la  préven- 
tion favorable  se  déployé  évidemment  —  moins  d'ailleurs  par  ce  qui  y  est  dit, 
que  par  ce  qui  est  passé  sous  silence.  Les  chapitres  ix,  x,  xr,  xn,  xm,  xiv, 
où  sont  racontées  l'invasion  des  Tuileries,  la  sortie  de  l'impératrice  du 
palais  des  Tuileries,  sa  fuite  de  Paris  à  Deauville,  la  traversée  de 
la  Manche,  constituent  un  roman  'vrai,  un  roman  qui  émeut,  et 
dont  l'héroïne  reste  tout  à  fait  intéressante  et  respectable,  quelque  opinion 
qu'on  puisse  avoir  conçu  d'ailleurs  de  son  rôle  politique,  comme  souveraine. 
—  Les  chapitres  consacrés  à  la  guerre  Franco-Allemande,  instructifs  par 
un  certain  nombre  de  détails  qu'on  ne  trouverait  peut-être  pas  ailleurs, 
pourraient  être  le  sujet  de  débats  assez  vifs  ;  mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de 
s'y  livrer.  Le  général  Trochu  est  là  fort  maltraité.  Il  s'est  défendu,  bien?  ou 
mal  ?  nous  laissons  cette  question  de  côté.  Nous  ferons  seulement  à  ce  sujet 
une  simple  réflexion  :  Ni  l'Empereur,  ni  l'Impératrice,  ni  le  docteur  Evans, 
ni  au  reste  les  autres  partisans  de  l'Empire  n'ont  fait  ce  retour  sur  eux-mêmes 
de  se  dire  :  Quand  on  a  violé  soi-même  une  assemblée  nationale,  à  l'aide  de 
généraux  qu'on  avait  séduits  et  détournés  de  leur  devoir,  on  n'a  plus  qualité 
pour  se  plaindre  d'une  trahison  quelconque.  Et  ceci  m'amène  justement  à 
recommander  la  lecture  du  document  VIII  contenu  dans  l'appendice.  Tout 
ami  de  la  révolution  de  1870  sera  satisfait  d'y  voir  que  les  membres  du 
gouvernement  de  la  Défense  nationale  n'ont  pas  commis,  eux,  la  faute,  le 
crime  de  violer  un  gouvernement  élu  par  le  suffrage  universel,  mais 
qu'ils  ont  pris  la  défense  de  la  patrie  et  de  l'ordre  à  la  fois,  à  défaut  des 
corps  régulièrement  commis  à  cette  défense.  P.  Lacombe. 

T.  Sturge  Moore.  —  Art  and  Life.  —  Londres,  Methuen,  19 10, 
in-12,  vin-314  p.,  6  fr.  25. 

L'auteur  distingué  de  cette  enquête  esthétique  connaît  à  fond  la  litté- 
rature française  contemporaine  ;  il  y  cherche,  comme  dans  celle  de  son  pays, 
et  plus  volontiers  encore,  des  exemples  de  ce  que  peuvent  être  les  rapports 
de  l'art  et  de  la  vie.  Une  étude  pénétrante,  émue  et  sympathique,  du  génie  de 
Flaubert,  démêle  à  travers  les  contradictions  des  critiques  la  personnalité- 
profonde  du  grand  artiste  ;  et  dans  son  culte  passionné  du  beau  pour  lui- 
même,  M.  Moore  nous  montre  une  doctrine  aussi  capable  de  satisfaire 
L'intelligence  que  de  nourrir  en  les  contenant  les  besoins  du  cœur.  Chez. 
Blake,  le  poète  et  visionnai;  c  anglais,  il  retrouve  la  même  conception  reli- 
gieuse de  l'art,  modifiée  toutefois  par  une  aversion  mystique  pour  la  raison  et 
la  science;  et  cette  comparaison  met  en  lumière  le  progrès  réalisé  en  passant 
du  romantisme  au  naturalisme.  Comme  le  pensait  Flaubert,  l'art  et  la  science 
peuvent  se  concilier  dans  une  région  intellectuelle  où  se  rencontrent  le  goût 
de  la  vérité  et  celui  de  la  réalité  souveraine  ;  et  l'art  n'est  pas  destiné  à 
servir  la  morale,  mais  il  développe  par  contagion  naturelle  une  pureté  et  une 
délicatesse  de  perception  ennoblissante.  Ces  idées  ne  sont  pas  nouvelles, 
mais  le  tempérament  de  M.  Moore  leur  donne  un  caractère  d'originalité.  Sa 
pensée  subtile,  raffinée,  volontiers  ésotérique,  procède  par  illuminations  suc- 
cessives, et  ne  dédaigne  pas  de  laisser,  dans  les  intervalles  de  ces  éclairs, 
quelque  obscurité  ;  sein  Style,  très  condensé,  ferme  et  nerveux,  enchâsse  des 
réflexions  substantielles  mais  abstraites,  dans  une  forme  épigrammatique  et 
créée. 


30  —    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

L'ouvrage  est  un  symptôme  de  cette  culture  cosmopolite  que  l'esthétisme 
contemporain  élève  au-dessus  des  frontières  ;  plein  d'un  sincère  respect  de 
l'art,  d'un  effort  généreux  vers  la  liberté  de  l'esprit,  il  serait  un  bréviaire 
de  beauté  tout  à  fait  acceptable,  si  sa  doctrine  plus  claire  et  mieux  enchaînée 
était  plus  facilement  accessible.  Peut-être  M.  Moore  ne  sait-il  point  encore 
à  quel  point  la  simplicité  de  la  forme  sert  la  délicatesse  de  l'idée. 

L.  Cazamiaw 

L.  Abeille.  —  L'Esprit  démocratique  de  V enseignement  secondaire 
argentin  (1810-25  mai  I910)-  —  Paris,  H.  Champion,  1910,  in-16, 
276  p.,   3  fr.  50. 

Je  recommande  à  tous  ceux  qu'intéressent  les  questions  d'enseignement,  la 
lecture  de  ce  petit  livre  alerte  et  chaud,  dont  l'auteur  est  professeur  à  l'École 
supérieure  de  guerre  et  au  Collège  national  de  Buenos-Aires.  On  y  verra  en 
raccourci  l'histoire  de  l'enseignement  argentin,  ses  crises,  et  les  solutions 
actuellement  données  aux  nombreux  et  délicats  problèmes  du  secondaire.  Gra- 
tuité, liberté,  modernité,  pas  d'internat,  pas  de  professeurs  de  métier,  pas  de 
baccalauréat,  mais  de  sérieux  examens  de  passage,  conciliation  de  l'ensei- 
gnement libre  et  des  droits  de  l'État  :  voilà  les  grands  traits  de  l'organisation. 
Ce  peuple  jeune,  qui  sortait  d'une  vieille  race,  a  eu  bien  des  traditions,  des 
routines,  des  résistances  à  vaincre  :  il  les  a  vaincues.  Je  ne  dis  pas  que  tout 
soit  parfait  en  Argentine  — ■  M.  Abeille  ne  le  croit  pas  lui-même  —  ni  que 
tout  ce  qui  est  bon  là-bas  soit  transportable  chez  nous.  Mais  il  y  a  matière 
pour  nous  à  réflexion.  Ce  ne  sont  pas  là  des  théories,  mais  des  faits  ;  et  tel 
régime,  déclaré  absolument  irréalisable  ou  nécessairement  dangereux  par 
des  théoriciens,  s'est  réalisé  là-bas  sans  effort  et  trouvé  bienfaisant.  Encore 
une  fois,  je  ne  propose  pas  l'Argentine  à  l'imitation,  mais  à  l'examen.  Enfin 
le  livre  de  M.  Abeille  plaira  par  un  ardent  patriotisme  qui  ne  tourne  pas  en 
haine  de  l'étranger,  et  par  la  sympathie  qu'il  atteste  de  la  part  de  la  nation 
même  pour  notre  civilisation  française.  G.  Lanson. 


M.  Caudel.  —  Nos  libertés  politiques  {Origines,  Évolution,  État 
actuel).  — Paris,  Colin,  1910,  in-18,  vi-462  p.,  5  fr. 

Nos  libertés  politiques,  qui  auraient  dû  former,  depuis  cent  ans,  le  fond 
de  notre  vie  publique,  «  sont  toujours  restées  l'élément  le  plus  médiocre,  le 
plus  négligé  et  le  plus  fugace  de  nos  constitutions  ».  Nous  les  avons 
cherchées,  mais  elles  se  sont  évanouies,  nous  laissant  «  courbés  sous  un  gou- 
vernement de  police  plus  ou  moins  déguisé  ».  En  réalité,  nous  avons 
constamment  développé  notre  conception  traditionnelle  de  l'État. 
Le  résultat,  c'est  qu'encore  aujourd'hui  nos  libertés  ne  sont  pas  constituées  : 
elles  sont  sans  vigueur  réelle  «  aux  mains  d'un  citoyen  indifférent 
jusqu'à  l'apathie  ou  impatient  jusqu'à  la  révolte  ». 

Telle  est  la  thèse,  exposée  dans  Y  Avant-propos  (p.  v-vn).  —  Pour  la  déve- 
lopper, l'auteur  expose  d'abord  comment  le  problème  des  libertés  politiques 
est  résolu  dans  la  société  anglaise.  Elles  y  sont  à  la  base  de  la  constitution, 
avec  ces  trois  principes  fondamentaux  :  «  la  loi  est  supérieure  à  tout  et  elle 
oblige  le  souverain  comme  les  sujets  ;  les  sujets  ne  doivent  obéissance  qu'à  la 


Sociologie  ■  31 

loi  ;  le  juge  qui  applique  la  loi  doit  être  indépendant  »  (p.  u).  En  France, 
au  contraire,  l'ancien  régime  impose  sa  conception  de  l'État,  universelle- 
ment privilégié,  et  du  sujet,  dont  la  faiblesse  ne  se  corrige  que  par  le  privi- 
lège. Cette  conception  est  réduite  en  théorie  traditionnelle.  —  Pour  établir,  en 
face  de  la  théorie  traditionnelle,  les  libertés  politiques,  l'histoire  nous  fait 
connaître  deux  tentatives.  La  première  est  celle  de  1 789-1792  :  elle  élève 
systématiquement  la  déclaration  des  droits,  recueil  de  maximes  supérieures 
à  toutes  contingences.  Le  législateur  et  la  loi  sont  souverains  :  contre  eux, 
le  citoyen  reste  sans  défense.  Résultats  :  la  tradition  persiste,  la  constitution 
provoque  le  coup  de  force,  et  le  coup  de  force  appelle  le  gouvernement  de 
haute  police.  La  seconde  tentative  est  celle  qui,  depuis  1875,  essaye  de 
réveiller  les  libertés  soumises  jusque-là,  par  l'obéissance  et  la  résignation,  à 
l'autorité.  Mais  «  le  terrain  est  mal  préparé  »  ;  le  citoyen  est  indifférent  et 
passif,  le  législateur  arbitraire  et  insouciant.  Les  libertés  demeurent  mal 
équilibrées,  insuffisantes,  précaires.  Le  citoyen  n'a  pas  l'esprit  de  justice,  il 
est  imbu  de  l'esprit  de  système  ;  le  droit  s'éclipse  et  la  politique  triomphe. 

Pour  être  valables,  des  conclusions,  des  propositions  aussi  formelles 
supposent  une  démonstration  positive,  rigoureuse.  En  est-il  ainsi  ? —  Passons 
sur  l'Introduction,  tout  entière  relative  à  la  constitution  et  à  la  tradition 
anglaises,  et  où  toute  la  partie  démonstrative  se  réduit  à  l'illustration  tirée  de 
l'affaire  Wilkes.  Voyons  le  reste.  La  théorie  de  l'ancien  régime,  qui  rappelle 
exactement,  pour  la  méthode  et  l'allure,  celle  de  Taine,  est  faite,  d'une  part, 
avec  les  conclusions  des  ouvrages  généraux,  Lavisse,  Esmein,  Hanotaux, 
d'autre  part,  avec  les  textes  des  philosophes  du  xvme  siècle  :  est-ce  suffisant 
pour  atteindre  les  traditions  fondamentales,  à  la  fois  générales:  et  précises, 
largement  humaines,  qui  doivent  être  à  la  base  de  la  démonstration  ?  La  ten- 
tative de  1789-1792  est  décrite  au  moyen  des  textes  de  discours,  de  pétitions, 
d'adresses  que  fournissent  les  Archives  parlementaires,  le  Moniteur,  les  recueils 
d'Aulard  :  est-ce  suffisant  ?  Plus  nous  avançons,  plus  la  méthode  nous  parait 
inadéquate  à  l'objet  de  la  démonstration.  Les  propositions  les  plus  générales 
manquent  de  toute  espèce  de  preuve,  n'apportent  point  de  références,  ne 
supposent  point  de  documentation  précise.  Pures  dissertations.  Ailleurs  la 
littérature  du  sujet  est  indiquée,  citée,  mise  en  œuvre,  mais  c'est  encore 
une  littérature  de  discours  et  de  journaux. 

Est-ce  à  dire  que  l'ouvrage,  ainsi  conçu  et  ainsi  fait,  manque  d'utilité  et 
de  valeur  ?  Non  :  les  opinions  qu'il  rapporte  et  analyse,  les  textes  auxquels 
il  se  réfère,  les  principes  qu'il  explique  sont  instructifs  et  significatifs.  Mais 
leur  instruction  et  leur  signification  sont  "toutes  relatives,  et  le  livre,  avec  ses 
qualités  de  documentation  et  d'exposition,  n'est  encore  qu'un  essai,  étendu 
et  développé.  Les  problèmes  qu'il  aborde  exigent,  pour  être  résolus,  des 
enquêtes  plus  approfondies,  plus  générales  dans  les  divers  milieux  où  se  sont 
formés  et  où  ont  agi  les  sentiments,  les  conceptions,  les  énergies,  d'ordre 
collectif  et  social,  qui,  en  se  réalisant,  ont  déterminé  les  effets  décrits  par 
M.  Caudel,  ou  d'autres,  que  la  recherche  doit  atteindre,  définir,  et  soumettre 
à  l'interprétation  positive.  La  méthode  d'analyse  idéologique  est  désormais 
hors  de  mise  :  ce  qui  s'impose  ici,  c'est  la  méthode  d'investigation  et  d'induc- 
tion appliquée  par  les  sciences  sociales.  H.  Bourgiw 


32  z==    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 


P.  Adam.  —  Le  Malaise  du  monde  latin.  2e  édition.  —  Paris, 
Roger  et  Chernoviz,  1910,  in-12,  294  p.,  3  fr.  50. 

M.  P.  Adam  est  un  utopiste  réaliste,  c'est  un  tulmutueux  méthodique, 
un  poète  qui  serait  pratique,  c'est  une  collection  d'antithèses.  Il  l'est  avec 
sagesse  et  continuité.  11  l'était  déjà  dans  le  lointain  roman  où  il  évoquait  la 
société  malaisienne,  idéale  et  future.  Il  l'est  encore  dans  ce  volume.  Nous  ne 
reprocherons  pas  au  livre  d'être  divers  :  c'est  un  recueil  d'articles.  Nous 
dirons  qu'il  est  seulement,  selon  la  manière  de  l'écrivain,  lucide  et  confus. 
M.  P.  Adam  s'y  exerce  à  tirer  de  toutes  choses  des  enseignements.  Il  v  a 
quelque  fatigue  et  bien  du  plaisir  à  le  suivre. 

La  fatigue  tient  un  peu  au  style  :  il  est  taillé  à  facettes  et  l'on  y  sent  le 
travail  du  ciseau.  Elle  tient  aussi  à  ce  que  les  intentions  ne  s'accordent  pas 
avec  aisance.  M.  P.  Adam  oppose  quelque  part  les  simples  et  les  com- 
plexes ;  il  est  complexe  avec  délices.  Il  s'intéresse  aux  cartes  postales  illus- 
trées, à  Guillaume  II,  dieu  de  Corcyre,  et  à  M.  Jaurès  «  cubique»,  à  la  poli- 
tique extérieure  et  à  l'intérieure,  à  l'art  et  à  la  littérature,  au  capital  et  au 
travail.  Il  en  conclut  que  l'argent  est  bon,  mais  que  la  bourgeoisie  est  mau- 
vaise, que  les  «  affaires  »  sont  grandes,  mais  que  l'art  est  l'éducateur  des 
âmes  fières,  que  les  villes  sont  belles,  mais  la  campagne  plus  belle  encore, 
etc.,  etc.. 

Pourtant  il  y  a  sous  ce  tumulte  un  art  original  et  une  pensée  forte.  L'art, 
c'est  le  dessein  et  souvent  la  puissance  d'imposer  des  formules  et  de  tailler 
de  robustes  images.  La  pensée,  c'est  la  souveraineté  bienfaisante  de  la  force 
intelligente  et  volontaire.  Le  livre  se  termine,  à  dessein  peut-être,  par  l'évo- 
cation des  forces,  «  qui  partout  sourdent,  créent,  surgissent,  luisent  et 
fulgurent  ».  C'est  le  résumé  même  de  l'œuvre  et  sa  philosophie.  M.  P.  Adam 
y  dédaigne  le  cabotin,  la  bourgeoisie  qui  abdique,  la  veulerie  de  l'indulgence, 
les  politiques,  littératures,  mœurs  tatillonnes,  sournoises  et  blessées  à  mort. 
Il  exalte  au  contraire  la  volonté  sonore  d'un  Guillaume  II,  la  pensée  auda- 
cieuse, les  styles  énergiques  et  calculés,  la  morale  des  affaires  inspiratrices 
d'effort  et  dispensatrices  de  salaire.  Il  appuie  sur  cet  idéal  quelques  para- 
doxes, des  certitudes  un  peu  ostentatoires  et  des  prophéties  aventureuses. 
Mais  ses  sarcasmes  touchent  des  maux  profonds  et  ses  espoirs  ont  leur  gran- 
deur. D.  Morxet. 


L.  Gérard.  —  A  travers  la  Hollande.  —  Paris,  Pierre  Roger, 
191 1,  in^8,  204  p.,  51  dessins  à  la  plume  par  J.-B.  Heukelom, 
3  fr.  50. 

Livre  bien  présenté,  attrayant,  en  général  bien  écrit,  d'une  impression 
très  soignée  et  orné  de  jolis  dessins  à  la  plume.  Comme  fond,  il  rappelle 
de  loin  les  impressions  de  voyage  de  MM.  Henry  Havard,  La  Hollande 
pittoresque  :  Voyage  aux  Villes  mortes  du  Zuyder%ée,  Les  Frontières  menades, 
Le  Cœur  du  Pays  (Paris,  Pion,  3  vol.  in-18,  1876-78),  et  E.  de  Amicis, 
La  Hollande  (Paris,  Hachette,  in-18,  1880,  ill.)  ;  mais,  sans  négliger  le 
pittoresque,  l'auteur  s'est  placé  nettement  sur  le  terrain  économique.  Sa 
manière  est  voisine   de  celle  de  M.  Ardouin-Dumazet  dans   le    Voyage  en 


Sciences  ■  — .  33 

France  ;  mais  ses  croquis  sont  plus  rapides,  plus  sobres,  moins  systéma- 
tiques. N'y  cherchez  pas  de  notions  complètes  d'histoire  et  de  géographie  ; 
mais  lisez  le  Prologue  sur  la  Hollande  (p.  1-7),  vous  apprendrez  en  peu  de 
mots  que  la  Hollande  contemporaine  n'est  plus  celle  du  passé,  mais  que 
c'est  toujours  le  pays  de  l'eau,  des  canaux  et  des  sensations  calmes  ;  lisez 
Un  Pars  conquis  sur  la  Mer  (p.  8-28),  vous  y  trouverez  l'essentiel  sur  la 
réaction  de  l'homme  contre  la  nature.  Autant  de  chapitres,  autant  de 
leçons  sur  la  volonté,  la  ténacité  et  les  caractéristiques  du  peuple.  Les 
aperçus  sur  les  grandes  villes,  Rotterdam,  Les  Villes  savantes  (Delft,  Leyde, 
Utrecht),  Les  Deux  Capitales  (La  Haye,  Amsterdam),  alternent  avec  des 
tableaux  d'économie  rurale  et  d'industrie  locale  :  Croquis  glandais,  Du 
Schicland  au  Biesboch  (Dordrecht,  Gorinchem),  Au  pays  des  tulipes  et  des 
fromages  (Haarlem,  Alkmaar,  Hoorn),  Tourbe,  ajones  et  bruyères  (Frise,  Gro- 
ningue,  Drenthe).  Deux  autres  chapitres  sont  franchement  amusants  (le  Hol- 
landais ebei  lui,  le  Tabac  cl  les  Liqueurs).  —  Les  villes  mortes  du  Zuyderzée 
(Medemblik,  Eenkhuyzen,  Stavoren)  méritaient  mieux  qu'une  simple  men- 
tion ;  les  dernières  pages,  sur  l'Expansion  coloniale,  ne  sont  que  du  repor- 
tage. 

L'auteur  commet  malheureusement  de  temps  en  temps  des  fautes  de 
goût  et  même  de  langue  ;  que  penser  de  passages  comme  ceux-ci  :  «  un 
guide  mi-zézeyant,  mi-ânonnant  et  causant  à  volonté  du  français  détestable 
ou  du  très  mauvais  anglais  »  (p.  109)  ;  «  ces  précieux  palimpsestes  qui  font 
pâmer  d'aise  les  paléologues  »  (p.  84)  ?  G. -A.    HÛCKEL. 


E.  Belot.  —  Essai  de  Cosmogonie  tourbillonnairc.  —  Paris,  Gau- 
thier-Villars,  1911,  in-8,  xii-280  p.,  52%.,  10  fr. 

La  conception  de  l'auteur  se  rapproche  de  celle  de  Buffon  qui  eut  le 
mérite  de  préciser  l'hypothèse  des  tourbillons  de  Descartes  en  imaginant  le 
choc  tangentiel  d'une  comète  sur  le  soleil  pour  expliquer  l'origine  des 
planètes.  L'auteur  suppose  une  nébuleuse  que  rencontre  un  tourbillon  de 
matière  cosmique  animé  d'une  énorme  vitesse  de  translation  (le  quart  environ 
de  la  vitesse  de  la  lumière).  Cette  hypothèse  lui  est  suggérée  par  les  particu- 
larités remarquables  observées  lors  de  l'apparition  des  étoiles  Noiur  et  géné- 
ralement expliquées  par  un  gigantesque  choc. 

La  nébuleuse  rencontrée  a  imprimé  au  cylindre-tourbillon  un  mouve- 
ment ondulatoire  que  l'auteur  se  représente  comme  analogue  à  celui  d'un 
jet  gazeux  dans  un  milieu  raréfié  ':  le  long  de  ce  cylindre  il  s'est  formé  des 
renflements  ou  ventres  vibratoires  équidistants,  analogues  à  ceux  des  jets 
gazeux  observés  par  le  Dr  Emden  et  par  M.  Parentv. 

A  chacun  de  ces  renflements  équidistants,  la  matière  du  tourbillon 
s'échappe  en  divergeant  autour  de  l'axe  du  tourbillon  et  forme 
une  nappe  évasée  en  tulipe  qui  vient  rencontrer  à  une  certaine  distance 
du  tube-tourbillon  le  plan  de  Técliptique.  A  cette  distance  va  se  former 
une  planète  :  la  matière  de  la  nappe  en  tulipe,  injectée  par  le  ventre  tourbil- 
lonnaire  à  travers  la  nébuleuse,  va  se  mélanger  à  la  matière  de  cette  nébu- 
leuse et  constituer  l'embryon  planétaire  ;  pendant  toute  sa  croissance,  ce 
noyau  planétaire  demeure  relié  à  la  nébuleuse  par  de  longs  filaments  tour- 
billonnâmes, sortes  de  cordons  ombilicaux  amenant  les  aliments  cosmiques 


34  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

aux  deux  pôles  de  l'œuf  planétaire.  La  durée  de  gestation  des  embryons 
planétaires  (environ  deux  ans  pour  le  système  solaire  et  les  Novae)  est, 
comme  pour  les  êtres  organisés,  minime  vis-à-vis  de  la  durée  de  l'évolu- 
tion complète,  qui  amène  le  système  à  l'état  dans  lequel  l'attraction  newto- 
nienne  joue  le  rôle  essentiel.  Telle  est  la  conception  dualiste  de  M.  Belot 
dans  sa  partie  la  plus  originale.  Le  soleil  s'est  formé  à  l'intérieur  même  du 
tube-tourbillon  ;  avant  de  se  condenser  il  était  accompagné  de  gigantesques 
traînées,  analogues  à  celles  qui  se  voient  dans  la  constellation  des  Pléiades  où 
elles  relient  plusieurs  étoiles  :  la  théorie  de  M.  Belot  se  rattache^ur  ce  point 
à  la  théorie  de  Schiaparelli.  L'auteur  étudie  ensuite  les  comètes,  les  nébu- 
leuses et  les  systèmes  sidéraux. 

L'exposé  est  inductif  :  on  suit  la  marche  des  recherches,  l'introduction  des 
hypothèses  après  la  description  des  résultats  connus  (plusieurs  figures  sont 
des  photographies  de  nébuleuses  et  d'étoiles),  le  développement  des  consé- 
quences théoriques  à  l'aide  d'un  peu  de  géométrie  et  de  mécanique.  Le  der- 
nier chapitre  est  une  synthèse  générale  du  système  dualiste. 

On  pourra  discuter  les  hypothèses  et  faire  toute  réserve  à  ce  sujet.  Mais  il 
faut  reconnaître  que  l'auteur  s'est  efforcé  d'en  tirer  des  conséquences  précises 
et  d'expliquer  les  faits  particuliers  considérés  comme  exceptionnels  dans  le 
système  moniste  de  Kant  et  de  Laplace  qui  admettait  simplement  la  con- 
densation d'une  nébuleuse  sphéroïdale  en  rotation.  G.  Sagnac. 


DDrs  Paul  Cantonnet,  R.  Bonneau,  etc.  —  Notions  générales  de 
Médecine,  d'Hygiène  et  de  soins  aux  malades.  —  Paris,  19 10,  2e  éd.,  Bloud, 
in-8,  700  p.,  6fr. 

Destiné  en  principe  à  servir  de  guide  aux  garde-malades  qui  ne  sont 
pas  médecins,  ce  livre  est  devenu,  dans  les  nombreuses  pages  où  il  s'écarte 
de  son  plan  primitif,  un  recueil  fragmentaire  de  notions  médicales  à  l'usage 
de  ceux  qui  ne  savent  pas  de  médecine.  C'est  l'écueil  de  ces  sortes  de  livres, 
utiles  pour  les  notions  d'hygiène  qu'ils  propagent,  et  dangereux  par  la  demi- 
science  médicale  que  croient  y  apprendre  les  laïques  delà  médecine.  Hâtons- 
nous  de  dire  que  le  Dr  Cantonnet  a  fait  tous  ses  efforts  pour  éviter  ce 
danger  :  s'il  n'y  a  pas  toujours  réussi,  c'est  qu'il  est  vraiment  bien  difficile  de 
ne  pas  se  laisser  entraîner.  Rappelons  donc  aux  lecteurs  de  ce  livre  que  le 
médecin  n'étant,  malgré  son  sens  médical,  jamais  à  l'abri  d'une  faute,  le  garde- 
malade,  privé  de  ce  sens,  y  est  exposé  toutes  les  fois  qu'il  s'aventure  au  delà 
des  fonctions  manuelles  et  morales  qui  sont  sa  seule  attribution.  Les  réper- 
toires de  ce  genre  devraient  viser  uniquement  à  donner  le  sens  de  l'hygiène 
et  la  science  pratique  du  caractère  des  divers  malades,  laissant  de  côté  tout 
ce  qui,  en  médecine  et  en  chirurgie,  n'est  pas  une  simple  opération  manuelle 
et  sans  danger. 

Ces  réserves  faites,  il  faut  signaler  les  nombreuses  pages  où  les  auteurs 
ont  parfaitement  rempli  cette  partie  de  leur  programme  :  témoin,  au  début, 
la  plupart  des  indications  sur  les  soins  généraux,  sur  la  manière  de  prendre 
la  température,  sur  l'administration  des  vomitifs  en  cas  d'empoisonnement, 
sur  la  différence  des  soins  à  une  peau  grasse  et  à  une  peau  sèche,  sur  la 
manière  de  baigner  le  nourrisson,  de  régler  sa  ration  alimentaire,  de  l'ha- 
biller, etc.,  etc.  Sans  être  toujours  absolument  complètes,  les  descriptions  et 


Livres  annoncés  sommairement  -  35 

les  figures  suffiront  à  fixer  les  souvenirs  d'une  démonstration  pratique.  Mais 
pourquoi  avoir  reproduit  certains  clichés,  comme  la  préparation  des  champi- 
gnons du  muguet,  qu'un  garde-malade  a  le  droit  d'ignorer,  ou  la  photogra- 
phie en  noir  d'un  des  cancers  de  fumeurs,  qu'il  ne  saura  différencier  d'avec 
un  chancre  spécifique,  etc.;  pourquoi  rappeler  qu'en  cas  de  péritonite  le 
médecin  pourra  prescrire  des  frictions  mercurielles,  des  injections  de  sérum, 
une  vessie  de  glace  :  faut-il  prévoir  tout  cela  pour  être  bon  infirmier?  — 
Ailleurs  encore,  pourquoi  insister  plus  sur  la  description  des  chorées  en 
général,  que  sur  celle  des  terreurs  nocturnes  que  les  parents  méconnaissent 
si  souvent  faute  d'avoir  été  avertis  ? 

Les  inutilités  de  ce  genre  abondent  :  elles  nuisent  aux  autres  qualités 
du  livre.  Serait-il  impossible,  quand  viendra  la  troisième  édition,  de  rec- 
tifier en  composant  en  caractères  différents  ce  qui  appartient  au  médecin 
(sur  quoi  le  lecteur  peut  passer  rapidement)  et  ce  que  les  garde-malades  et  les 
mamans  doivent  connaître  parfaitement  et  toujours  avoir  présent  à  l'esprit 
au  chevet  du  malade  ou  du  nourrisson  ?  Dr  J.  Philippe. 


LIVRES  ANNONCÉS  SOMMAIREMENT. 


LITTEÎL4TURE. 


M.  Le  Guet.  Les  Contes  du  Pays  Noir,  Essai  de  comédie  urbaine..  —  Librairie  du 
Progrès,  Lyon,  1910,  3  fr.  50.  —  Refondant  son  livre,  loué  à  cette  place,  l'auteur 
y  a  ajouté  une  douzaine  de  morceaux  savoureux.  Signalons  l'Emeute  où  est 
peint,  sur  le  théâtre  de  ses  premiers  succès,  un  futur  «  premier  »  qui  n'aspire 
encore  qu'au  titre  de  député  socialiste  de  Saint-Etienne.  J.  B. 

Monique.  Dans  les  Ténèbres.  Collection  de  la  «  Littérature  nouvelle  »,  nos  2  et  3.  — 
[Paris],  1910,  in-18,  Édition  des  «  Actes  des  Poètes  »,  o  fr.  80.  —  L'auteur 
pense  que  l'homme,  cherchant  dans  le  désordre  actuel  ses  destinées  terrestres, 
doit  acquérir  le  «  Sens  de  la  Terre  ».  Il  essaie  de  lui  donner  du  moins  le  senti- 
ment de  l'Injustice  et  de  l'Inconscience,  qui  régnent  ici-bas,  par  de  lamentables 
récits  :  le  pauvre  petit  Miotte  meurt  juste  au  moment  où  il  allait  être  heureux  ; 
un  pauvre  pion  se  décourage  et  s'enlise  ;  un  calicot  se  suicide  un  soir  de  carna- 
val, et  un  vieux  cheval  constate  en  termes  véhéments  l'insuffisance  de  la  S.  P.  A. 
—  Il  y  a  là  bien  du  banal,  bien  du  boursouflé,  mais  de  la  conviction,  et  une 
certaine  intensité  de  sentiment.  L'auteur  fera  bien  de  relire  du  Charles  Louis- 
Philippe.  J.  M. 

A.  Quaktin.  Histoire  prochaine  (roman  socialiste).  —  Paris,  Fasquelle,  1910,  in-16, 
3  fr.  50.  —  Kntrc  1910  et  1930,  Olivier  Neuvire,  de  la  Fédération  des  ouvriers 
mécaniciens,  appelait  de  ses  vœux  le  triomphe  du  socialisme  communiste,  dont  il 
vantait  le  programme  à  grand  renfort  de  statistiques,  et  dont  il  essayait  une  appli- 
cation dans  sa  fabrique  de  pneus.  Entre  temps,  l'idée  faisait  son  chemin  dans  les 
Bourses  du  Travail  et  les  Maisons  du  Peuple.  Enfin  éclatait  la  grève  générale. 
Et  c'était  la  débâcle  du  parlementarisme.  Et  la  Constitution  socialiste  était 
promulguée,  le  i=r  juillet  1930.  Et  le  soleil  luisait  pour  tous...  A  cela  se  mêle  le 
récit  de  la  vie  privée  d'Olivier,  de  son  mariage,  de  ses  faiblesses,  voire  même 
d'une  scène  d'adultère,  dont  l'intérêt  nous  échappe.  Moyen  de  corser  le  sujet? 
crainte  que  le  programme  socialiste  n'exerçât  sur  quelques  lecteurs  une  insuffi- 
sante séduction  ?  Mais,   tel  qu'il  est,  l'ouvrage  manque   d'unité,  et  ce  qu'on  y 


36  —    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

trouve  de  romanesque  (ajouterons-nous  :  d'un  peu  puéril  ?)  y  fait  tort  à  ce  qu'il 
contient  de  véridique,  de  précis,  de  documenté.  Au  reste  ce  perpétuel  mélange 
risquerait  de  bien  mal  répondre  aux  intentions  de  l'auteur,  si  on  en  devait  con- 
clure que  dans  cette  «  histoire  »  la  part  du  roman  est  encore  plus  grande  qu'il 
ne  s'imagine.  M.  Lange. 

J.-M.  Mestrallet.  Dans  l'Espace.  —  Paris,  Sansot,  1910,  in- 18,  3  fr.  50.  — 
Malgré  le  commentaire  qu'en  donne  une  Préface  de  J.-H.  Rosny  jeune,  le  dessein 
général  de  ce  poème  nous  semble  un  peu  vague  et  sa  composition  un  peu  incer- 
taine aussi.  Mais  la  pensée  a  de  la  noblesse  ;  le  sentiment  est  généreux  et  sincère 
et,  par  endroits,  se  sent  un  vrai  souffle.  Si,  comme  nous  le  croyons,  M.  Mes- 
trallet est  un  débutant,  il  y  a  dans  ces  vers,  exempts  à  la  fois  de  banalité  et 
recherche,  une  promesse  intéressante.  J.  Monthizon. 

G.-E.  Bertin.  Nos  plus  beaux  rêves.  —  Paris,  Lemerre,  1910,  in-18  jésus,  3  fr. 
—  Rêves  du  passé,  rêves  de  féerie,  rêves  du  présent,  ce  sont  les  divisions  du 
livre,  dont  elles  expliquent  le  titre.  C'est  un  recueil  de  sonnets  terminé  par 
trois  courts  poèmes.  Les  vers,  de  douze  et  de  dix  (5  -h  5)  syllabes,  sont  presque 
entièrement  conformes  aux  exigences  delà  versification  traditionnelle.  Le  style  est 
toujours  simple  :  l'évocation,  —  particulièrement  celle  de  certaines  scènes  du 
passé,  d'Homère  aux  premiers  siècles  du  christianisme,  —  n'en  est  pas  moins 
pittoresque  et  souvent  empreinte  d'un  sentiment  intéressant  de  mélancolie  dis- 
crète. Excellent  témoignage  de  ce  qu'on  peut  attendre  d'une  poésie  sincère  et 
colorée,  mais  déterminément  exempte  de  toute  affectation  et  de  toute  bizarrerie. 

A.  C. 

R.  Vroncourt.  Huysmans  et  l'Ame  des  foules  de  Lourdes.  Notes  de  critique  suivies  d'un 
répertoire  de  l'œuvre  catholique  de  Huysmans.  —  Tours,  E.  Ménard  et  Cie,  in-18, 
3  fr.  50.  —  On  sait  avec  quels  scrupules  et  quelle  réserve  méfiante  l'Eglise  offi- 
cielle utilise  l'effort  de  champions  tels  que  Huysmans  et  Léon  Bloy.  La  trucu- 
lence et  la  liberté  de  leur  style  les  rend  suspects  d'involontaire  hérésie.  Le  cha- 
noine Roussel  ayant,  dans  un  livre  intitulé  L'Ame  de  Lourdes,  «  réfuté  »  Les 
foules  de  Lourdes  de  Huysmans,  M.  Vroncourt  part  en  guerre  contre  «  ce  cucu- 
piètre  cacographe  »,  loue  le  caractère,  le  talent,  les  convictions  chrétiennes  de 
Huysmans,  et  croit  les  éclairer  par  des  rapprochements  inattendus  (avec  le  final 
du  jongleur  de  Massenet,  et  le  feu  des  Vagues  de  Bcecklin).  Le  répertoire  final 
paraît  fait  avec  soin.  M.  Drouin. 

Clâsicos  castellanos.  Santa  Teresa,  Lâs  Moradas  [publié  par  Tomâs  Navarro  Tomàs]. 
Tirso  de  Molina,  Obras,  I  [publié  par  Américo  Castro].  —  Madrid,  Ediciones  de 
«  La  Lectura  »  [Paris,  Champion],  1910,  2  vol.  in-16,  3  pesetas  le  vol.  — 
Il  existe  diverses  collections  où  ont  pris  place  les  chefs-d'œuvre  de  la  litté- 
rature castillane  :  par  exemple,  la  célèbre  Bïblioteca  de  autores  espa  fioles  (Riva- 
deneyra),  avec  ses  volumes  de  format  incommode,  de  prix  assez  élevé  et  ses 
textes  établis  d'ordinaire  à  la  diable  ;  par  exemple  aussi  la  Bïblioteca  clàsica, 
très  maniable,  très  bon  marché,  mais  dont  on  ne  saurait,  décemment,  dire 
autre  chose.  On  a  pensé  qu'une  collection  nouvelle  pourrait  rendre  des  services, 
et  c'est  pourquoi  nous  axons  depuis  peu  les  Clâsicos  castellanos.  Évidemment, 
on  ne  saura  qu'à  la  longue  la  valeur  réelle  de  la  série  qu'inaugurent  Sainte  Thé- 
rèse et  Tirso  de  Molina  ;  mais  beaucoup  d'hispanisants  regretteront  sans  doute 
que,  malgré  l'extrême  rareté  des  éditions  critiques,  on  éprouve  une  fois  de  plus 
le  besoin  de  publier  des  éditions  hybrides,  dites  de  vulgarisation  et  destinées  au 
grand  public.  Le  grand  public  est  peut-être  un  mythe  ;  les  entreprises  de 
librairies  n'en  sont  pas  un  ;  souhaitons  que  celle-ci  vaille  mieux  que  maintes  de 
ses  devancières.  Au  demeurant,  les  volumes  dûs  à  la  diligence  de  MM.  Tomâs 
Navarro  et  Américo  Castro  permettent  de  formuler  ce  vœu. 

L.  Barrau-Dihigo. 


Livres  annoncés  sommairement  ..  37 

HISTOIRE. 

H.  Clouzot.  Philibert  de  l'Orme  (Les  Maîtres  de  l'Art).  —  Paris,  Plon-Nourrit,  s.  d. 
(1910),  in-8,  24  pi.  phot.  et  dessins,  5  fig.,  plans  et  fac-similé,  3  fr.  50.  — 
En  écrivant  ce  volume  pour  la  collection  des  Maîtres  de  l'Art,  que  nous 
avons  déjà  signalée,  l'auteur  ne  s'est  pas  borné  à  décrire  l'œuvre  artistique  de 
Philibert  de  l'Orme  :  grâce  aux  documents  biographiques,  par  bonheur  assez 
abondants,  il  a  reconstitué  la  physionomie  et  la  carrière  de  l'homme  de  la 
Renaissance,  et,  dans  un  chapitre  important,  il  n'a  pas  craint  d'analyser  son 
œuvre  d'écrivain  dans  les  Nouvelles  inventions  pour  bien  bastir  (1561)  et  dans 
le  Premier  tome  de  l'architecture  (1567).  Tout  ce  que  les  architectes  français  de  la 
Renaissance  en  général  et  Philibert  de  l'Orme  en  particulier  doivent  à  l'étude  de 
l'Antiquité  ne  doit  pas  faire  oublier  le  lien  qui  les  rattache  à  la  vieille  tradition 
française  :  telle  est  l'idée  qui,  développée  par  M.  Clouzot  dans  son  Introduction, 
l'a  guidé  dans  son  examen  chronologique  des  édifices  de  l'architecte,  tant  con- 
servés que  détruits.  —  M.  Clouzot,  tout  en  vulgarisant,  montre  un  goût  très 
marqué  pour  l'érudition,  ce  dont  témoignent  ses  citations,  sa  bibliographie,  ses 
tables  et  son  index.  L'illustration  est  très  soignée.  G.  A.  Huckel. 

Masson-Forestier.  Autour  d'un  Racine  ignoré.  —  Paris,  Mercure  de  France,  19 10,  in-8, 
7  fr.  $o.  —  Port-Royal  n'a  eu  aucune  influence  sur  Racine,  pas  même  aux  der- 
nières années  de  sa  vie.  Pour  s'expliquer  la  «  formation  »  du  poète,  caractère  et 
talent,  il  faut  ne  considérer  que  son  pays  natal  (l'originale  petite  cité  picarde  de 
La  Ferté-Milon),  et  son  hérédité  :  il  tient  surtout  de  sa  famille  du  coté 
maternel,  et  «  c'est  aux  Sconin  dont  il  eut  la  beauté  insolente,  aux  Sconin  dont 
le  sang  vigoureux  lui  donna  tant  dévie...  qu'est  due  l'action,  la  sève  brûlante  des 
violentes  et  féroces  tragédies  ».  Car  il  n'y  a,  dans  le  théâtre  de  Racine,  ni  tendresse 
ni  douceur  et  il  n'y  en  a  pas  davantage  dans  son  âme  :  ses  personnages  forment 
une  ménagerie  de  fauves;  Racine  est  un  fauve  comme  eux,  un  «  grand  loup  », 
un  «  beau  tigre  »,  et,  non  pas  malgré,  mais  par  sa  complète  immoralité,  s'élève 
au  premier  rang  entre  nos  poètes.  —  Voilà  les  idées  que  présente  M.  Masson-Forcs- 
tier.  Il  y  met  une  telle  outrance  qu'on  est  tenté  de  se  demander  s'il  n'a  pas  voulu 
se  jouer  et  secouer  un  peu  vivement  les  opinions  conventionnelles  qu'on  ses: 
faites  de  Racine.  Son  livre,  à  le  prendre  ainsi,  peut  n'être  pas  tout  à  fait  inutile  ; 
il  contient,  d'ailleurs,  des  recherches  et  quelques  menues  trouvailles  d'un  intérêt 
assez  piquant  ;  enfin,  par  l'entrain  de  son  allure,  par  la  verdeur  du  ton,  il  ne 
cesse  pas,  si  gros  qu'il  soit,  de  nous  amuser.  Par  malheur,  M.  Masson-Forestier 
en  prend  trop  à  son  aise  avec  les  textes  ;  il  ne  les  cite  pas,  il  les  traduit,  comme 
il  dit,  et,  en  les  traduisant,  non  seulement  il  force  ou  affaiblit  leur  sens,  suivant 
les  besoins  de  la  cause,  mais  parfois  même  le  fausse  absolument.  Ainsi,  ce 
volume,  qui  peut  se  lire  avec  plaisir,  doit  être  lu  avec  une  continuelle  défiance. 

M.  Pki.lisson. 

CaYLUS  ((>  de).  Vies  d'Artistes  du  XVIII*  tiède,  Discours,  Salons,  publiés  avec  une 
introduction  et  des  notes  par  André  Fontaine.  —  Paris,  Laurens,  1910,  in-.). 
16  illustrations  hors  texte,  12  fr.  —  Ce  sont  les  confidences  et  les  réflexions  du 
célèbre  amateur  et  antiquaire  sur  l'art  et  les  artistes  contemporains,  que  l'excel- 
lente édition  de  M.  André  Fontaine  fait  connaître  au  grand  public.  La  plupart 
de  ces  écrits  étaient  restés  inédits.  Ce  livre  nous  prouve  qu'ils  méritaient  mieux, 
et  quiconque  s'intéresse  à  l'histoire  de  l'art  du  XVIIIe  siècle  aura  plaisir  et  profit 
à  les  lire  dans  cet  élégant    rec  J.  L. 

A.  Vialay.  Les  cahiers  de  doliances  du-  Tiers-État  aux  Etals  généraux  de  ijSo.  Étude 
historique,  économique  et  sociale.  —  Paris,  Perrin,  1011,  in-8,  5  fr.  —  Si 
bienveillant  qu'on  soit,  on  est  forcé  de  se  demander  à  qui  ce  livre  pourra  servir. 
Un  historique  ambitieux,  mais  étriqué  et  approximatif,  «  de  l'origine  des  institu- 


38  -  . —    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

tions  de  l'ancien  régime,  de  leurs  transformations  à  travers  les  siècles,  de  leur 
influence  sur  l'existence  sociale  du  peuple  »,  écrit  surtout  d'après  quelques 
ouvrages  de  seconde  main,  d'une  valeur  inégale,  à  peu  près  tous  dépassés  aujour- 
d'hui, et  d'après  quelques  textes  pris  dans  les  Archives  Parlementaires  ou  dans  un 
soi-disant  Moniteur  officiel  de  1793  qui  n'existait  pas;  —  un  choix,  sans  principe 
apparent,  de  passages  empruntés  aux  cahiers  généraux,  alors  que,  pour  décrire 
«  l'état  d'âme  »  du  Tiers,  les  cahiers  locaux  des  paroisses  et  des  corporations 
eussent  été  plus  instructifs  ;  —  des  indications  sur  les  réformes  opérées  par  les 
assemblées  révolutionnaires  ;  —  une  esquisse  bornée  aux  questions  relatives  à  la 
constitution,  aux  impôts,  au  clergé,  aux  droits  féodaux  et  seigneuriaux,  et,  par 
conséquent,  omission  à  peu  près  totale  de  ce  qui  touche  à  l'organisation  et  au 
fonctionnement  de  la  justice,  de  l'armée,  de  l'enseignement,  de  l'assistance,  de 
l'industrie,  du  commerce,  etc.  ;  —  un  tableau  final  de  la  société  française  avant 
et  après  la  Révolution,  où  l'auteur,  pour  étayer  sa  conclusion  pessimiste  sur  le 
temps  présent,  assimile  étrangement  les  anciennes  banalités  aux  monopoles 
industriels  de  l'État  ou  de  la  commune,  les  taxes  communales  aux  droits  seigneu- 
riaux, les  communautés  de  métiers  aux  syndicats,  les  privilèges  pécuniaires  de  la 
noblesse  au  favoritisme  administratif,  voilà,  en  somme,  l'ouvrage,  qui  veut 
embrasser  beaucoup,  mais  qui  étreint  peu.  C.  Bloch. 

H.  FLBISCHMANN.  Mémoires  de  Charlotte  Robespierre.  —  Paris,  A.  Michel,  [1910], 
in- 18,  5  fr.  —  Laponneraye,  qui  publia  sous  la  monarchie  de  Juillet  divers 
opuscules  d'inspiration  communiste,  fut  en  relation  avec  plusieurs  survivants  de 
la  Révolution,  et,  en  particulier,  avec  Charlotte  Robespierre,  morte  en  1834. 
C'est  sous  la  dictée  de  celle-ci,  et  sans  doute  en  modifiant  à  son  gré  le  texte  de 
Charlotte,  qu'il  a  écrit  les  Mémoires  publiés  en  1835  et  dont  M.  Fleischmann 
donne  une  édition  nouvelle.  Ces  Mémoires  sont  courts,  peu  intéressants,  imprécis, 
et  cela  s'explique  par  la  date  où  Charlotte  et  Laponneraye  les  élaborèrent; 
Charlotte  y  a  cependant  exprimé  sa  jalousie  rétrospective  contre  les  femmes 
qui  eurent  sur  ses  frères  l'influence  qu'elle  ambitionnait  pour  elle-même.  Plus 
curieuse  que  les  Mémoires  est  Y  Introduction  où  M.  Fleischmann  a  donné  sur 
les  relations  d'Augustin  Robespierre  avec  Mm,e  Ricord,  sur  celles  de  Maximilien 
avec  les  Duplay,  sur  la  situation  de  Charlotte  en  thermidor,  sur  ses  rapports 
avec  l'Empire  et  la  Restauration,  des  renseignements  originaux  que  complètent 
les  textes  publiés  à  l'appendice.  B.  G. 

E.  LuNEL.  Le  Tl)êdtre  et  la  Révolution  (Bibliothèque  du  Vieux  Paris).  —  Paris,  Dara- 
gon,  1910,  in-8,  avec  une  planche  hors  texte,  6  fr.  —  Ce  livre  fait  partie  d'une 
collection  qui  cherche  à  satisfaire  toutes  les  curiosités,  même  les  moins  litté- 
raires. Mais  je  ne  sais  à  quelle  catégorie  de  lecteurs  il  plaira.  Le  décousu  de 
l'exposition  et  la  négligence  du  style  ne  sont  pas  faits  pour  retenir  les  gens  du 
monde  ;  quant  aux  érudits,  s'ils  ont  lu  les  ouvrages  d'Etienne  et  Martainville, 
Muret,  Jauffret,  Lumière,  Welschinger,  etc.,  ils  ne  trouveront  à  glaner  ici  qu'un 
bien  petit  nombre  de  faits  nouveaux,  et  ils  regretteront  l'absence  d'un  index  et 
d'une  table  complète.  L'impression  n'est  pas  parfaitement  correcte  ;  mais  le  papier 
et  le  portrait  de  Talma  qui  sert  de  frontispice  sont  fort  beaux. 

F.  Gaiffe. 

Jorge  Corredor  La  Torre.  L'Église  romaine  dans  l'Amérique  latine.  —  Paris,  Giard 
et  Brière,  1910,  1  vol.  in-16,  4  fr.  50.  —  Trois  parties.  I.  Genèse  de  l'émancipation 
de  ma  conscience.  Les  particularités  de  temps,  de  lieu,  de  personnes,  qui  donne- 
raient de  l'intérêt  à  ces  souvenirs  personnels,  sont  remplacés  par  des  réflexions 
philosophiques.  On  ne  sait  pas  où  l'on  est,  ni  à  quelle  époque.  L'auteur  manque 
de  modération  et  d'équité  (p.  8,  «  le  confessionnal  est  bien  souvent  le  seuil  de 
la  prostitution  »).  —  IL  A  travers  l'histoire.  Historique  rapide  de  la  lutte  des 
libéraux  et  des  catholiques  dans  les  fctats  de  l'Amérique  du  Sud,  particulièrement 


Livres  annoncés  sommairement     ==========================  39 

en  Colombie,  au  Venezuela,  à  l'Equateur  ;  l'auteur  ne  dit  jamais  d'où  il  tire  son 
information.  —  III.  Influence  sociale  de  l'Église  romaine  dans  les  pays  hispano-améri- 
cains. On  tirerait  de  ces  sept  chapitres  huit  ou  dix  pages  de  faits  peu  connus  sur  la 
toute-puissance  du  clergé,  sur  l'enseignement  religieux,  les  mœurs  dévotes,  la 
censure,  etc.,  dans  la  Colombie,  qui  pourrait  être  aujourd'hui  l'état  le  plus  catho- 
lique de  la  terre.  L'auteur  est  un  Colombien  de  distinction,  qui  a  le  mérite  de 
s'être  donné  lui-même  une  culture  philosophique,  et  qui  sait  admirablement  le 
français.  K.-Ch.  Babut. 

SOCIOLOGIE. 

J.  Bourdeau.  Entre  deux  servitudes.  —  Paris,  Alcan,  1910,  in-16,  3  fr.  50.  —  On  sait 
à  quel  public  M.  Bourdeau  adresse,  dans  le  Journal  des  Débats  et  dans  la  Revue  des 
Deux-Mondes,  des  chroniques  assez  documentées  pour  instruire  ses  lecteurs  et 
assez  tendancieuses  pour  satisfaire  leurs  opinions  politiques  et  sociales,  très  déter- 
minées et  généralement  stables.  C'est  une  série  de  ces  chroniques,  écrites  de  1900 
à  1910,  que  M.  Bourdeau  publie  aujourd'hui.  Démocratie,  socialisme,  syndica- 
lisme, impérialisme,  étapes  de  l'Internationale  socialiste,  opinions  de  sociologues, 
en  voilà  les  sujets.  Cela  forme  quatre  parties.  Il  faut  savoir  que  les  sociologues 
dont  on  nous  donne  les  opinions  sont  Tarde  et  Spencer,  Bourget  et  Balzac.  Les 
deux  servitudes  sont  celle  de  l'État  et  celle  du  socialisme.  Les  idées  les  plus 
générales  sont  résumés  dans  la  préface  :  «  Les  sociétés  renferment  des  germes 
de  développements  imprévus...  Tout  dépend  de  l'invention  ;  le  travail  n'est  que  le 
bras  qui  exécute,  une  tête  fait  mouvoir  des  milliers  de  bras...  Rien  ne  remplace 
la  puissance  créatrice...  »  Le  dernier  paragraphe  de  cette  préface  pourrait  être 
donné  comme  épigraphe  aux  Etudes  socialistes.de  M.  Jaurès,  dont  il  semble 
résumer  les  conclusions  :  «  Si  le  socialisme  est  appelé  à  triompher,  il  ne  pourra 
se  maintenir  qu'à  condition  de  s'adapter  à  la  société,  bien  loin  que  la  société  se 
transforme  selon  le  plan  des  utopistes.  »  H.  Bourgin. 

GÉOGRAPHIE  ET  VOYAGES. 

P.  Marge.  Voyage  en  automobile  dans  la  Hongrie  pittoresque. —  Paris,  Pion,  1910, 
in-16,  3  fr.  50.  —  Faire  un  livre  avec  le  récit  d'un  voyage  de  quelques  jours 
en  automobile  à  travers  des  pays  ;  dont  on  ignore  la  langue  et  dont  on  ne 
connaît  l'histoire  que  par  le  Larousse  (ou  ses  équivalents),  c'est  une  idée  qui 
ne  dénote  pas  un  juste  sentiment  des  proportions.  L'automobile  de  l'auteur  l'a 
mené  à  Wagram  et  à  Austerlitz,  en  Galicie,  dans  les  Karpathes  de  Hongrie,  à 
Budapest,  enfin  en  Croatie  (Agram,  Fiume)  et  en  Istrie  (Trieste);  il  y  avait  là 
de  quoi  faire  un  article  de  revue,  tout  au  plus.  Le  style  n'est  pas  exempt  de  pré- 
tention. Peu  de  photographies,  et  médiocres.  M.  Pol. 

Capitaine  Aymard.  Les  Touaregs.  —  Paris,  Hachette,  1910,  in-12,  4  fr.  —  Volume 
de  la  ((  Collection  des  voyages  illustrés  »  ;  photographies  excellentes  en  grand 
nombre  et  bien  choisies.  Au  début  se  placent  les  hypothèses  sur  les  origines  du 
groupe  Targui,  la  religion  ancienne  et  la  conversion  à  l'islamisme;  suit  une 
esquisse  à  grands  traits  de  la  pénétration  française  dans  la  région  de  Tombouc- 
tou,  puis  une  étude  sur  la  vie  publique  et  privée  des  nomades.  Ou  se  demande 
pourquoi  sont  relégués  à  la  fin  du  volume  les  chapitres  où  il  est  question  du  pays 
lui-même  et  de  ses  [ressources.  Il  semble  qu'il  aurait  mieux  valu  poser  le  décor 
avant  de  faire  mouvoir  les  personnages.  L'ouvrage  se  termine  par  des  vues  inté- 
ressantes sur  l'emploi  des  pelotons  méharistes  dans  le  Sahara  soudanais  et  sur 
leur  organisation  encore  imparfaite.  Bien  que  les  méharistes  du  Soudan  et  ceux 
du  Sud  algérien  ne  relèvent  pas  du  même  ministère  à  Paris,  il  est  indispensable 
que  l'expérience  déjà  longue  dés  troupes  métropolitaines  qui  sillonnent  le  nord  du 
désert  ne  soit  pas  perdue  pour  les  troupes  coloniales  qui  opèrent  au  sud. 

A.   n'ESTOURN  ELLES  DB  CONSTANT. 


40  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

J.-R.  Chitty.  En  Chine.  Choses  vues.  —  Paris,  Vuibert,  1910,  in-4,  4  fr.  —  Une 
suite  de  chapitres,  joliment  présentés,  sur  la  vie  de  famille,  la  vie  sociale,  la  vie 
commerciale,  la  vie  religieuse  du  peuple  chinois  ;  chapitres  très  courts,  composés 
d'observations  fragmentaires,  mais  pittoresques  et  fidèles  ;  simples  croquis  de 
mœurs,  commentaire  piquant  de  photogravures  originales  et  magnifiques.  Livre 
sans  prétention  et  sans  parti-pris,  d'où  l'on  peut  tirer  un  peu  d'instruction  et 
beaucoup  d'agrément.  G.  Weulersse. 

J.  Burnichon.  Le  Brésil  d'aujourd'hui.  —  Ouvrage  orné  de  huit  gravures.  Paris, 
Perrin  et  Cie,  1910,  in-16,  3  fr.  50.  —  Ce  livre  est  une  désillusion.  On  attend 
le  Brésil,  et  on  trouve  trois  villes,  Bahia,  Rio,  Saint-Paul  ;  encore  y  a-t-il  peu  de 
choses  sur  cette  dernière.  De  l'immense  intérieur,  des  états  du  sud,  du  florissant 
Minas-Geraes,  rien.  Et  même  pour  les  trois  villes  décrites,  que  nous  donne-t-on  ? 
Quelques  paysages,  quelques  indications  sur  la  voirie  et  les  travaux  publics  :  à 
peu  près  rien  sur  l'état  économique,  sauf  les  quelques  pages  obligatoires  sur  la 
valorisation  du  café.  Le  livre,  en  réalité,  est  consacré  à  la  description  de  collèges 
et  d'œuvres  ecclésiastiques,  à  des  considérations  sur  les  luttes  entre  l'église  bré- 
silienne et  la  franc-maçonnerie,  qui  appellent,  bien  entendu,  la  comparaison  avec 
les  choses  de  France.  Ce  genre  d'études  peut  avoir  son  intérêt  ;  encore  faudrait-il 
que  le  titre  du  livre  fût  plus  clair,  et  ne  fît  pas  attendre  de  la  géographie  là  où  on 
trouve  de  la  polémique  religieuse.  P.  Blanchard. 

SCIENCES. 

A.  Berget.  La  route  de  l'Air  :  Aéronautique,  Aviation.  Histoire,  théorie,  pratique.  — 
Paris,  Hachette,  in-8,  15  fr.  —  Cet  ouvrage,  déjà  signalé  dans  la  Revue, 
est  devenu  un  luxueux  livre  d'étrennes  pour  le  bonheur  des  jeunes  gens  que  les 
exploits  de  Latham,  de  Paulhan  et  de  leurs  rivaux  empêchent  de  dormir  et  que 
la  mort  de  tant  de  braves  ne  refroidit  pas.  La  partie  théorique  n'a  pas  subi  de 
changement  notable  ;  l'illustration,  très  belle,  s'est  augmentée  des  portraits  des 
dernières  victimes  tombées  sur  la  route  de  l'air  et  des  photographies  des  appareils 
les  plus  récents.  A.  Durand. 

H.-L.-A.  Blanchon.  Exploitation  productive  des  oiseaux  de  basse-cour.  —  Paris, 
L.  Laveur,  in-16,  2  fr.  —  Excellent  petit  livre,  très  pratique,  qui  s'adresse  aux 
fermières  et  propriétaires  d'exploitations  agricoles,  mais  dont  les  maîtresses  de 
maison  à  la  campagne  et  en  banlieue  tireront  le  meilleur  parti.  M.  R. 

J.  Roubikouvitch.  Aliénés  et  anormaux.  —  Paris,  Alcan,  in-8,  1910,  63  fig., 
6  fr.  —  L'auteur  a  réuni  dans  ce  volume  une  série  d'articles  publiés  au 
cours  de  ces  dernières  années  dans  un  but  de  vulgarisation  scientifique.  Ce  sont 
des  exposés  sobres  et  clairs,  où  le  pédagogue  et  le  sociologue  comme  le  juriste 
trouveront  d'utiles  indications.  Les  principales  questions  étudiées  sont  :  l'alcoo- 
lisme et  la  folie  homicide,  la  dégénérescence  absinthique,  syphilis  et  folie,  les 
folies  contagieuses,  les  abouliques,  les  états  mélancoliques,  les  spirites,  les  zoo- 
manes,  les  persécutrices  amoureuses,  l'idée  fixe  et  l'obsession,  les  aliénés  dans 
l'armée,  les  enfants  anormaux  en  France,  les  enfants  martyrs,  suicides  d'en- 
fants, les  enfants  difficiles,  le  dépistage  et  le  triage  des  écoliers  anormaux,  la 
portée  sociale  de  l'éducation  des  anormaux  utilisables,  la  prophylaxie  de  la  folie 
par  l'éducation  antialcoolique  >.îes  parents  et  de  la  jeunesse,  la  législation  française 
des  aliénés.  Dr  Fr.  Moutier. 


Imp.  F.  Paillart,  Abbcville.  Le  Gérant  :  Éd.  Cornkly. 


REVUE     CRITIQUE 

des 

Livres    Nouveaux 


VI'  Année,   n*  3.  (deuxième  série)  j5  Mars   1911 


LES  OUVRAGES  DE  VULGARISATION  SCIENTIFIQUE. 

Il  y  a  quelque  vingt  années,  le  mot  de  «  vulgarisation  »  éveillait  dans 
l'esprit  les  noms  de  Jules  Verne,  d'Arthur  Mangin,  de  Guillemain  et  de 
Louis  Figuier  ;  c'est  dire  qu'il  n'existait  alors  qu'une  espèce  de  vulgarisation, 
romanesque  ou  pour  le  moins  émaillée  d'anecdotes  et  d'historiettes,  toujours 
illustrée,  c'est-à-dire  «  amusante  et  instructive  ».  Destinée  exclusivement  à 
l'enfance,  elle  donnait  aux  parents  cette  illusion  qu'elle  éveillait  le  goût  des 
sciences  dans  les  jeunes  esprits.  Il  s'est  fait  une  ample  consommation  de  ces 
livres  à  l'occasion  des  étrennes  et  des  distributions  de  prix  et  je  ne  pense  pas 
qu'aucun  enfant  y  ait  jamais  rien  appris. 

Ces  livres  sommeillent  aujourd'hui,  sous  la  poussière  des  ans,  dans  le 
grand  repos  des  bibliothèques.  L'enfant  lit  moins  qu'autrefois  ;  un  ouvrage 
de  Jules  Verne  et  une  boîte  de  peinture  ne  sont  plus,  pour  lui,  les  étrennes 
idéales;  la  photographie,  la  bicyclette,  les  jeux  de  plein  air  et  la  série  illi- 
mitée des  moteurs  et  des  aéroplanes  fournissent  à  son  besoin  d'activité  des 
aliments  plus  variés  et  des  occupations  plus  saines.  Il  y  apprend  beaucoup 
plus  de  choses  que  les  parents  ne  le  supposent,  et  il  les  apprend  sans  s'en 
douter.  En  revanche,  l'homme  fait  lit  plus  qu'autrefois,  et  mieux  ;  les  livres 
purement  littéraires  ne  lui  suffisent  plus,  parce  que  le  goût  et  le  besoin 
d'idées  scientifiques  se  sont  éveillés  en  lui.  Les  sciences  ont  envahi  toute  la 
vie  ;  quelle  que  soit  la  profession  qu'on  exerce,  on  a  besoin  de  comprendre 
quelque  chose  aux  phénomènes  et  aux  appareils  électriques,  aux  divers  types 
de  moteurs,  aux  différents  modes  d'éclairage,  aux  grandes  réactions  de  la 
chimie  industrielle,  non  moins  qu'aux  progrès  de  la  biologie,  aux  microbes, 
aux  vaccins.  De  là  est  née  toute  une  littérature  scientifique,  dont  les  âges 
précédents  ont  fourni  peu  d'exemples  (1),  et  qui  s'adresse,  non  plus  à  l'en- 
fant, mais  à  l'homme. 

Cette  vulgarisation  scientifique  n'est  pas  née  en  France  ;  c'est  en  Angle- 
terre qu'elle  s'est  développée  tout  d'abord  ;  en  ce  pays,  les  grandes  institu- 
tions scientifiques,  collèges,  laboratoires,  académies,  sont  soutenus  le  plus 
souvent  par  la  générosité  de  puissantes  associations,  dont  la  Société  Royale 
de  Londres  forme  le  type  et  le  modèle  le  plus  accompli.  C'est  ainsi  que  les 
savants  anglais  les  plus  illustres,  depuis  Humphry  Davy  et  Faraday  jusqu'à 
Lord  Kelvin,  ont  pris  l'habitude  d'exposer  leurs  travaux  et  les  progrès  de  la 
science,  par  la  parole  ou  par  la  plume,  sous  une  forme  accessible  au  public 


(1)  Il  faut  pourtant  faire  exception  en  faveur   de  Y  Astronomie  populaire  J'Arago,  un   des  plus 
admirables  livres  de  vulgarisation  scientifique  qu'on  ait  jamais  écrits. 


42  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

qui  les  soutient  par  son  attention  et  par  ses  subsides.  De  là  sont  nés  les 
livres  admirables  de  Tyndall,  de  Lord  Kelvin  et  tant  d'autres  ;  traduits  dans 
toutes  les  langues,  ces  livres  ont  éveillé  partout  autant  d'intérêt  que  dans 
leur  pays  d'origine,  parce  que  les  grandes  questions  scientifiques  y  appa- 
raissaient pour  la  première  fois,  exposées  dans  un  clair  langage,  et  dépouil- 
lées de  l'argot  scientifique  ou  du  voile  des  mathématiques. 

Cet  exemple  n'a  pas  été  perdu  ;  aujourd'hui,  un  savant  français  ne  pense 
plus  déchoir  en  sortant  de  sa  «  tour  d'ivoire  »  pour  exposer  clairement  ses 
travaux  ou  ceux  des  autres.  Ainsi,  d'un  bout  à  l'autre  de  la  presse,  il  s'effec- 
tue une  distillation  progressive  des  vérités  scientifiques,  qui  commence  par 
le  livre,  continue  par  le  magazine  et  s'achève  dans  le  journal  ;  cette  distilla- 
tion n'est  pas  toujours  une  épuration  ;  le  besoin  du  bluff  et  les  nécessités  de 
la  réclame  donnent  parfois  le  jour  à  des  productions  qui  sont  un  outrage  à  la 
science  véritable. 

C'est  pourquoi  celui  qui  lit  a  besoin  d'une  garantie  ;  dans  les  œuvres  de 
vulgarisation,  il  est  impossible,  comme  dans  les  livres  de  science  pure, 
d'étaler  toutes  ses  preuves,  de  justifier  toutes  les  affirmations  et  de  suivre  la 
filière  complète  des  raisonnements  ;  le  lecteur  ne  peut  pas  juger,  il  faut  qu'il 
fasse  confiance  à  l'auteur.  Celui-ci» ne  peut  plus  être  un  vulgarisateur  à  tout 
faire,  capable  "d'écrire  indifféremment  sur  les  mœurs  des  insectes  ou  sur  la 
technique  des  aéroplanes  ;  c'est  nécessairement  un  savant  spécialisé  ;  il  ne 
parle  que  des  questions  sur  lesquelles  il  a  longuement  réfléchi  ;  on  peut  le 
croire  sur  parole,  parce  qu'il  n'avance  rien  au  hasard. 

Dans  ces  conditions  de  sincérité  et  de  compétence  est  née  toute  une  lit- 
térature scientifique,  dont  la  rapide  expansion  prouve  qu'elle  répondait  à  un 
besoin.  L'effort  s'est  organisé  par  la  création  de  Revues  et  de  grandes  Collec- 
tions scientifiques. 

Les  premières  sont  fort  nombreuses,  et  on  y  trouve  une  nourriture  ap- 
propriée à  toutes  les  qualités  d'esprits.  Les  unes,  comme  la  Revue  générale  des 
Sciences,  fondée  il  y  a  vingt  ans  par  le  regretté  Louis  Olivier,  s'adressent  à  un 
public  d'éducation  scientifique  élevée,  ingénieurs,  industriels,  savants  et 
professeurs  ;  d'autres,  comme  la  jeune  Revue  du  Mois,  ont  des  tendances  plus 
philosophiques  et  moins  exclusivement  scientifiques  ;  enfin,  dans  la  Nature 
et  dans  la  Revue  scientifique,  nous  saluons  les  doyennes  de  la  vulgarisation 
scientifique  ;  s'adressant  à  un  public  étendu  et  d'instruction  irrégulière,  elles 
sont  obligées  de  soutenir  l'intérêt  indiscutable  de  leurs  articles  de  fond  par 
le  piquant  de  ces  «  curiosités  scientifiques  »  qui  tiennent  l'esprit  en  éveil. 

Derrière  ces  éclaireurs  de  la  science,  viennent  s'encadrer,  sous  forme  de 
collections  scientifiques,  de  véritables  encyclopédies  des  questions  d'intérêt 
actuel  et  général.  Ici,  plus  d'informations  de  la  dernière  heure  sur  la  récente 
découverte  ou  la  nouvelle  invention,  mais  des  livres,  soigneusement  cons- 
truits par  des  professionnels,  où  la  science,  tout  en  restant  parfaitement 
moderne,  a  été  soigneusement  clarifiée  et  décantée  par  élimination  de  tout  ce 
qu'un  premier  jet  y  avait  laissé  pénétrer. 

Deux  de  ces  collections  se  sont  fait,  en  ces  derniers  temps,  une  place 
importante  dans  la  littérature  de  vulgarisation  ;  l'une  d'elles,  la  Bibliothèque 
de  philosophie  scientifique,  dirigée  par  le  docteur  Gustave  Le  Bon,  et  publiée 
chez  Flammarion,  compte  actuellement  plus  de  cinquante  volumes,  dont 
une  moitié  est  consacrée  spécialement  aux  sciences  physiques  et  naturelles. 
Avec  des  collaborateurs  comme  MM.  H.  Poincaré,  Emile  Picard,  Bouty,  le 


Les  Ouvrages  de  vulgarisation  scientifique   ==========  43 

commandant  Renard,  B.  Brunhes,  Yves  Delage  et  tant  d'autres  maîtres,  uni- 
versellement connus,  il  ne  peut  être  question  de  cette  vulgarisation  qui  rend 
les  choses  «  vulgaires  »,  mais  au  contraire  d'études,  souvent  très  poussées, 
des  problèmes  qui  se  posent  actuellement  à  l'humanité  pensante  et  des  solu- 
tions, provisoires  ou  à  peu  près  définitives,  que  la  science  est  en  état  de  leur 
donner. 

En  même  temps,  la  Nouvelle  Collection  scientifique  (Emile  Borel,  directeur, 
Félix  Alcan,  éditeur)  poursuit  le  même  but  avec  des  collaborations  aussi  pré- 
cieuses ;  MM.  Paul  Painlevé,  Ostwald  tiennent  une  place  éminente  dans  la 
science  contemporaine;  le  jeune  et  remarquable  _  talent  de  M.  Jacques 
Duclaux,  l'esprit  original  et  fécond  de  M.  Le  Dantec,  s'affirment  dans  des 
œuvres  pleines  d'intérêt.  S'il  fallait  marquer,  par  une  nuance,  la  différence 
entre  ces  deux  collections,  on  pourrait  dire  que  la  première  est  plus  classique 
de  tendances,  tandis  que  la  seconde  se  place  un  peu  plus  en  avant-garde  ; 
mais,  dans  l'une  comme  dans  l'autre,  c'est  la  vraie  science  qu'on  rencontre, 
enseignée  par  ceux  qu'une  longue  pratique  des  laboratoires  et  des  méthodes 
scientifiques  autorise  à  se  faire  entendre. 

Ainsi,  on  peut  estimer  que  rien  ne  manque  plus  à  ceux  qui  veulent  se 
tenir  au  courant  des  progrès  de  la  science.  Pourtant,  nous  ne  sommes  qu'à 
moitié  chemin  ;  après  la  vulgarisation  par  le  livre,  il  faudra  en  venir  un  jour 
à  la  vulgarisation  orale.  J'entends  bien  qu'il  se  fait  des  conférences,  et  même 
presque  trop  ;  mais  je  rêve  d'une  sorte  d'exposition  permanente,  où  les 
grandes  expériences  scientifiques  seraient  montrées  et  démontrées,  non  plus 
à  une  élite  de  privilégiés  et  de  professionnels,  mais  au  public,  sans  grands 
discours,  sans  habit  noir  ni  robe  magistrale.  C'est  par  là,  plus  que  par  le 
livre,  que  la  masse  intelligente  pourrait  entrer  en  communion  d'esprit  avec 
le  savant  et  que,  peut-être,  plus  d'un  génie  qui  s'ignore  se  révélerait  à  lui- 
même  et  aux  autres...  mais  ceci  n'est  plus  de  la  bibliographie. 

L.    HOULLEVIGUE. 


COMPTES  RENDUS 


P.  Reboux.  —  La  Petite  Papacoda,  roman  napolitain.  —  Paris, 
Fasquelle,  191 1,  in-12,  365  p.,  3  fr.  50. 

Combien  d'autres  ont  vu  l.i  chère  fleur  éclosc 

S'épanouir  un  jour  dans  les  doigts  du  voisin  !  (F.  Plessis) 

Ces  vers  disent  toute  la  présente  histoire  :  l'amour  d'un  quinquagénaire, 
brave  homme  au  cœur  chaud,  accepté  d'abord  avec  gentillesse  et  reconnais- 
sance par  sa  jeune  maîtresse  et,  bientôt,  fatalement  trahi  pour  un  joli  garçon. 
Il  y  a  des  pages  assez  cruelles  et  fortes  sur  la  douleur  de  vieillir.  Mais  tout 
cela  n'est  qu'un  prétexte,  agréable,  dont  l'auteur  semble  se  railler  un  peu 
dans  les  en-tête  de  chapitres,  humoristiques  à  l'ancienne  mode.  L'essentiel 
c'est  un  «  Voyage  à  Naples  »  qu'il  y  aurait  eu  imprudence,  naïveté  ou  pré- 
somption à  publier  encore  sous  ce  titre.  Et  c'eût  été  dommage  de  ne  pas  le 
publier.  Ainsi  la  Maison  de  Danses  nous  promenait,  pour  nous  conter  une  his- 
toire sentimentale,  dans  une  Espagne  éblouissante  et  capiteuse.  Ici,  c'est  la 
splendeur  et  le  grouillement  de  Naples,  étude  de  paysage  et  de  mœurs  d'un 

* 


44  ■ Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

dessin  net,  d'un  coloris  vigoureux  :  rumeurs,  odeurs,  guenilles  du  quartier 
populaire,  chartreuse-musée,  belvédère  au-dessus  de  la  ville  et  du  golfe, 
aquarium  féerique  du  Jardin  National  ;  c'est  la  comédie  éternelle  que  se 
donne,  à  soi-même  ou  au  passant,  ce  peuple  frère  de  Polichinelle,  dramaturge 
instinctif,  spontanément  habile  à  «  substituer  fructueusement  au  vrai  le  vrai- 
semblable »,  sincèrement  sensible,  d'ailleurs,  à  la  beauté  des  choses  et  de  la 
vie.  Candide  rouerie,  morale  facile,  sensualité  esthétique,  il  est  tout  entier 
résumé,  entre  vingt  tvpes  amusants,  dans  le  personnage  de  Don  Gennaro 
Yisotti,  antiquaire,  commerçant  artiste,  trop  habile  sans  doute,  mais  si  sym- 
pathique !  Sa  boutique,  ses  fouilles,  ses  truquages,  nous  sont  présentés  par 
un  expert  consciencieux,  mais,  au  demeurant,  un  véritable  confrère.  Sa  ja- 
lousie furieuse  d'amant  dupé  se  dénoue  brusquement  en  une  charmante  rési- 
gnation aux  harmonies  supérieures  quand  il  voit  passer,  couple  parfait,  sa 
jolie  fleuriste  enlacée  par  le  beau  sculpteur.  Pas  de  néo-christianisme,  ni 
même  de  raison  raisonnante  dans  son  indulgence  :  mais  le  paganisme  éternel, 
instinctif,  verse  en  son  coeur  autant  de  sérénité.  J.  Bury. 


Dora  Melegari.  —  Mes  filles,  roman.  —  Paris,  Fischbacher, 
1910,  in-18,  272  p.,  3  fr.  50. 

Livre  plein  de  charme  et  de  poésie,  quelquefois  peinture  de  mœurs  où 
ne  manquent  ni  l'âpreté  ni  la  fougue.  Le  début  inquiète  ;  c'est  un  peu  de  la 
dissertation  ;  les  éléments  d'un  problème  moral  sont  juxtaposés,  la  démonstra- 
tion est  prévue,  on  appréhende  une  solution.  Puis  on  s'aperçoit  que  c'est 
plutôt  un  certain  sans  façon,  agréable,  dans  la  composition  ;  l'auteur  a  seu- 
lement voulu  être  clair,  dégager  une  idée  morale  en  effet,  mais  avec  bonho- 
mie, avec  une  absence  totale  d'art  apparent.  Il  nous  dit  comment  le  problème 
brusquement  éveillé  devant  son  cœur  se  résout  peu  à  peu  au  cours  flexible, 
et  quelquefois  violent,  de  la  vie.  Cette  impression  est  encore  renforcée  par 
la  conclusion,  qui  à  vrai  dire  n'en  est  pas  une  :  les  choses  restent  inaccom- 
plies. Qu'en  adviendra-t-il ?  nul  ne  le  sait;  les  conclusions  de  la  vie  ne  sont 
jamais  closes.  Dora  Melegari  n'a  pas  voulu  que  son  livre  se  fermât  sur  de 
l'irréparable.  Il  lui  a  suffi  d'avoir  posé  de  façon  émouvante  une  question 
grave  :  comment  élever  ses  filles  ? 

A  vrai  dire,  elle  dit  surtout  comment  ne  pas  les  élever.  Mais  j'ai  peur 
qu'elle  ne  nous  enseigne  peu  de  chose,  pour  avoir  visé  des  périls  qu'on  ne 
court  guère  que  dans  un  monde  assez  restreint.  Qu'une  belle  ambassadrice, 
bien  née,  parfaitement  heureuse,  et  que  son  bonheur,  semble-t-il,  a  détournée 
de  jamais  penser  à  rien,  vivant  d'ailleurs  dans  un  milieu  probablement  cos- 
mopolite; qu'une  telle  femme,  elle-même  pure  et  ornée  de  toutes  les  grâces 
de  l'âme,  ait  cependant  laissé  ses  filles  se  développer  au  hasard  de  la  vie, 
qu'elle  ne  leur  ait  pas  donné  le  pain  des  forts,  c'est  possible.  Tant  est  que 
toutes  les  trois  se  marient  et  tournent  mal,  chacune  à  sa  mode.  Ici,  trois 
portraits  extrêmement  vivants  (tels  qu'une  mère  pourrait  tracer  ceux  de  ses 
filles  ?  c'est  discutable),  mais  ils  ont  tout  de  même  un  peu  trop  l'air  d'être  là 
pour  la  preuve.  Isabcau  «  beaucoup  de  tempérament,  —  encore  plus  d'ima- 
gination, peu  de  scrupules,  un  héroïque  courage  et  aucune  pudeur  »  ;  — 
Philibertc,  type  absolu  de  pharisaïsme  ;  —  Jacqueline,  créature  exquise, 
rare  et  fragile,  jouant  du  violon  comme  une  fée,  et  détraquée  à  souhait. 


Histoire  —  45 

Par  qui  le  bon  sens,  le  sens  de  la  vraie  vie  est-il  représenté  ?  On  est 
tenté  de  répondre  :  par  un  certain  Denfert,  industriel,  leader  du  centre  droit, 
bientôt  ministre  (en  quelle  république  sommes-nous  ?)  Mais  on  le  voit  peu. 
Non,  le  sens  de  la  vie  est  en  possession  de  deux  femmes  d'œuvres,  non  plus 
d'oeuvres  pharisiennes,  mais  évangélistes  plus  ou  moins  à  la  façon  tolstoïenne, 
la  seule  vraie. 

Conclusion  :  les  gens  de  morale  et  de  religion  traditionnelles  n'ont  plus 
en  eux  les  ressources  voulues  pour  bien  élever  leurs  enfants.  Cela  ne  suffit 
plus.  Lancés  dans  la  vie  (quelle  vie  !),  ils  déraillent.  Le  pain  des  forts,  ce 
sont  les  «  Évangélistes  »  qui  le  donnent.  Les  autres  n'ont  pas  le  sens  du  pro- 
blème moral,  ou  le  trouvent  trop  tard.  Tout  purs  qu'ils  soient  eux-mêmes, 
ils  ne  peuvent  communiquer  une  vertu  qu'à  vrai  dire  ils  n'ont  pas.  Par  leurs 
complaisances  inconscientes,  —  jugements  larges,  mots  légers,  complicités 
innocentes,  —  ils  tolèrent,  ils  propagent  la  corruption. 

Et  c'est  parfois  vrai.  Mais  il  y  a  encore  en  Franee,  et  même  dans  la 
haute  société,  un  assez  grand  nombre  de  familles  qui  vivent  sur  le  vieux 
fonds,  et  qui  donnent  à  leurs  enfants  une  éducation  solide,  un  sens  profond  du 
devoir,  l'horreur  du  mensonge,  et  tout  ce  qui  rend  fort.  Le  livre  de  Dora 
Melegari  fera  penser  ;  dans  ses  parties  romanesques  il  charmera  tout  le 
monde  ;  il  restera  même  comme  un  document  curieux  sur  la  névrose  con- 
temporaine et  les  guérisseurs  d'ici  ou  d'ailleurs.  Qui  sait  même  s'il  ne  plaira 
pas  surtout  par  la  peinture  de  certaine  morbidessc  ?  Mais  au  total  il  donne 
une  bien  fausse  idée  de  la  moralité  en  France.  Qui  donc  le  dira  sinon  les 
Français  ?  J.  Merlant. 


R.  P.  M.-J.  Lagrange.  —  Quelques  remarques  sur  TOrpheus  de 
M.  Salomon  Reinach.  —  Paris,  Lecoffre  (J.  Gabalda),  1910,  in-16,  78  p., 
1  fr. 

P.  Batiffol.  —  Orpheus  et  l'Évangile.  —  Ibid.,  1910,  in-12,  xvi- 
284  p.,  3  fr. 

Je  n'ai  pas  envie  de  dire  du  mal  de  YOrpheiis.  Un  livre  qui  traite  savam- 
ment de  tant  de  questions  d'histoire,  quand  il  se  fait  si  bien  lire  et  stimule  la 
curiosité  de  tant  de  personnes,  est  un  bon  livre  ;  et  ce  livre  rend  et  rendra  des 
services  même  aux  érudits,  en  leur  enseignant  des  faitsJ,  en  leur  donnant  de 
l'horizon,  en  leur  ôtant  tout  prétexte  d'ignorer  la  méthode  comparative.  Mais 
outre  qu'il  y  a  dans  YOrpheiis  des  erreurs  de  fait,  —  pas  beaucoup,  et  elles 
étaient  inévitables  dans  une  encyclopédie  de  poche  écrite  par  un  seul  homme, 
—  il  y  a  de  la  passion  et  de  la  tendance.  L'auteur  désire  immodérément  que 
rien  ne  tienne  dans  l'histoire  primitive  du  christianisme,  que  l'originalité  du 
christianisme  se  réduise  à  presque  rien  et  que  l'Eglise  ait  emprunté  le  plus 
possible  de  ses  rites,  de  ses  symboles,  de  sa  doctrine,  de  ses  légendes  aux  reli- 
gions antérieures  ;  et  il  arrive  que  ce  désir  indue  sur  son  jugement  d'histo- 
rien. Un  exemple  frappant  de  tendance  (le  plus  frappant,  si  j'en  juge  par  la 
façon  dont  nos  deux  critiques  catholiques  l'ont  mis  en  valeur),  est  fourni  par 
le  paragraphe  sur  Barabbas  et  Jésus  (Chap.  VIII,  §  36,  p.  227).  M.  Reinach 
avait  traité  ce  sujet  dans  un  mémoire  savant  :  Le  Roi  supplicie  (Cultes,  Mythes  et 
Religion,  I,  332).  Les  mêmes  faits,  qui  dans  le  mémoire  savant  lui  parais- 
saient trop  obscurs,  trop  dispersés  dans  l'espace  et  le  temps  pour  autoriser 


46  ■■  ■  ■  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

aucune  conclusion,  lui  fournissent,  dans  le  livre  destiné  au  public,  son 
argument  principal  contre  l'historicité  du  récit  de  la  Passion. 

Faire  ainsi,  même  exceptionnellement,  de  l'apologétique  à  rebours,  c'est 
donner  beau  jeu  aux  apologistes.  Le  P.  Lagrange  s'est  contenté  d'écrire  une 
critique  de  YOrphcus,  portant  d'abord  sur  l'ensemble  du  livre,  puis  sur  un 
grand  nombre  de  paragraphes  pris  séparément.  Le  morceau  le  plus  long  est 
une  attaque  de  fond  contre  le  système  que  M.  Reinach  applique  à  l'exégèse 
des  mythes  grecs  ;  ici  le  P.  Lagrange  abuse  du  fait  que  les  ethnographes  sont 
en  désaccord  sur  la  définition  du  totémisme.  Que  dans  certains  cas  on  rem- 
place le  mot  totémisme  par  loolâtrie,  et  les  interprétations  saisissantes  que 
M.  Reinach  a  données  des  mythes  d'Actéon,  d'Orphée,  etc.,  subsisteront 
dans  le  fond.  Il  n'est  pas  possible  d'entrer  ici  dans  l'examen  des  querelles 
particulières,  et  très  souvent  justifiées  (i),  que  le  P.  Lagrange  cherche  à 
M.  Reinach.  Il  suffit  de  dire  qu'il  était  fortement  armé  pour  cette  contro- 
verse par  un  grand  savoir  en  fait  de  religions  sémitiques  et  de  critique  du 
Nouveau  Testament,  et  qu'il  a  su  rendre  ses  arguments  accessibles  à  tous  les 
lecteurs.  Il  y  a  dans  ses  pages  de  conclusion  de  la  courtoisie,  de  la  modéra- 
tion, un  sincère  désir  d'être  juste,  quelque  chose  d'élevé. 

Le  livre  de  M.  Batiffol  est  disposé  tout  autrement.  A  part  quelques  notes, 
il  n'y  est  parlé  de  YOrphcus  et  de  son  auteur  qu'à  la  fin  (et  sur  un  ton  presque 
injurieux,  p.  264).  Le  livre  est  écrit  pour  beaucoup  de  gens  qui  ne  liront  pas 
YOrphcus.  Il  se  compose  de  huit  conférences  sur  les  origines  chrétiennes,  qui 
ont  été  données  à  Versailles,  sous  le  patronage  de  l'évêque.  Je  n'ai  jamais  lu, 
en  français,  d'apologétique  plus  érudite  et  plus  habile.  Bien  informé  de  ce  qui 
s'écrit  en  Allemagne  sur  le  Nouveau  Testament,  l'auteur  fait  valoir,  en  des 
exposés  très  clairs,  les  faits  établis  et  les  hypothèses  produites  qui  tendent  à 
confirmer  l'enseignement  traditionnel.  Il  y  a  beaucoup  à  apprendre  dans  ces 
conférences,  particulièrement  dans  la  4e  et  la  7e  (Saint  Paul  ;  L'historicité 
des  discours  de  Jésus).  Il  faut  en  recommander  la  lecture  aux  personnes  que 
d'autres  lectures  ont  immunisées  contre  le  virus  apologétique.  Mais  les  audi- 
teurs des  conférences  étaient  sensibles  à  ce  virus,  et  la  plupart  des  lecteurs 
ne  vérifieront  guère  les  dires  de  M.  Batiffol.  On  se  demande  s'il  était  probe 
de  prendre,  dans  les  livres  des  critiques  protestants,  tout  juste  les  bribes  d'opi- 
nions qui  sont  favorables  à  la  tradition,  et  de  faire  ainsi  croire  au  séminariste 
qui  écoutait  ou  qui  lit  que  Harnack  et  Wernle  donnent  raison  à  son  cours 
d'Écriture  sainte  ;  d'affirmer  avec  son  autorité  d'érudit,  à  un  public  qui  ne 
demande  qu'à  le  croire,  que  les  Actes  sont  de  l'an  62,  d'où  il  devrait  résulter 
que  les  Synoptiques  sont  antérieurs  à  cette  année  ;  que  l'attribution  tradi- 
tionnelle de  la  Priiva  Pctri  «  ne  semble  pas  pouvoir  être  révoquée  en  doute 
par  une  critique  équitable  »  (p.  168);  et  enfin  que  la  critique  n'oppose  à 
l'authenticité  des  récits  évangéliques  que  des  expédients  (p.  251-260)  ?  Pre- 
mier expédient,  deuxième  expédient,  troisième  expédient,  l'affaire  de  la  cri- 
tique est  réglée.  Et  pourquoi  en  faire  soi-même,  de  la  critique,  quand  on  tient 
toutes  les  assertions  des  évangélistes  «  pour  vraies  parce  qu'elles  sont  inspi- 
rées,... pour  inspirées  parce  que  l'Eglise  nous  les  garantit  telles  »  ?  La  critique 
n'est  plus  qu'un  jeu  et  ce  jeu,  si  l'on  est  vraiment  assuré  qu'on  y  gagnera 


(1)  P.  30.  M.  Reinach  n'abuse  pas  du  texte  de  Socratc.  Les  s;cns  qui  ne  mangent  d'autre 
chair  nue  du  poisson  les  jours  de  jeûne,  on  peut  bien  dire  qu'ils  «  substituent  le  poisson  à  la 
viande  ». 


Histoire     =============================^  47 

toujours,  ne  serait  pas  même  amusant.  Il  est  vrai  que  de  telles  déclarations, 
à  moins  d'être  faites  par  un  ignorant,  n'ont  qu'une  portée  purement  ver- 
bale. On  ne  peut  pas  croire  que  Jésus-Christ  soit  né  sous  Hérode,  c'est-à- 
dire  au  plus  tard  en  l'an  4  avant  notre  ère,  et  né  aussi  au  moment  du 
recensement  de  Quirinus,  c'est-à-dire  vers  l'an  7  de  notre  ère,  ni  qu'il  soit 
mort  le  vendredi  saint  et  mort  aussi  le  jeudi  saint.  E.-C.  Babut. 

Ch.-V.  Langlois.  —  La  Connaissance  de  la  Nature  et  du  Monde  an 
moyen  âge,  d'après  quelques  écrits  français  à  l'usage  des  laïcs.  —  Paris, 
Hachette,  191 1,  in-16,  xxiv-400  p.,  3  fr.  50. 

«  M.  Langlois  a  entrepris  de  faire  connaître  au  public  lettré,  qui  s'inté- 
resse à  l'histoire  du  moyen  âge  en  France,  les  mœurs  et  la  vie  intellectuelle 
des  hommes  de  ce  temps,  d'après  les  textes  originaux,  présentés  et  commen- 
tés conformément  aux  règles  de  la  critique.  Il  a  adopté  pour  cela  une 
méthode  qui  n'est  pas,  à  proprement  parler,  nouvelle,  puisque  c'est  celle 
dont  les  illustres  collaborateurs  de  l'Histoire  littéraire  de  la  France  ont  fait 
usage  depuis  cent  cinquante  ans,  mais  dont  on  ne  s'était  encore  servi  que 
dans  les  livres  destinés  aux  érudits. 

Il  a  publié  d'abord,  dans  ces  conditions,  deux  volumes  dont  le  succès  a 
été  très  encourageant  :  La  Société  française  au  XIIIe  siècle  d'après  quelques 
romans  d'aventure  (1904),  et  La  Vie  en  France  au  moyen  âge  d'après  quelques 
moralistes  du  temps  (1908).  Le  présent  ouvrage  est  le  troisième,  et  le 
dernier,  de  cette  série. 

L'auteur  s'est  proposé,  cette  fois,  de  faire  connaître  ce  que  les  hommes 
du  moyen  âge  sa-^aient  du  monde,  et  comment  ils  s'expliquaient  les  phéno- 
mènes naturels.  Il  le  fait  voir  d'après  les  plus  notables  des  écrits  qui  furent 
alors  composés  pour  l'enseigner  aux  laïcs  intelligents  :  l'œuvre  de  Philippe 
de  Thaon,  l'Image  du  Monde,  les  Propriétés  des  Choses  de  Barthélémy  l'Anglais, 
le  Roman  de  Sidracb,  le  Dialogue  de  Placides  et  Timeo  et  le  Trésor  de  Brunet 
Latin. 

Plusieurs  de  ces  anciens  écrits  sont  inédits  et,  quoique  les  savants  les 
plus  considérables  de  notre  temps,  comme  L.  Delisle,  E.  Renan,  G.  Paris, 
P.  Meycr,  etc.,  s'en  fussent  occupés,  il  restait  beaucoup  à  dire  sur  les 
circonstances  où  ils  ont  été  composés.  » 

A  ces  lignes  qui  définissent  le  dessein  et  la  méthode  de  cet  ouvrage, 
ajoutons  qu'il  n'est  pas  une  simple  mise  au  point  de  données  déjà  acquises, 
mais  que,  composé  d'après  les  sources,  il  contient  des  études  originales. 
Ainsi  les  érudits  y  trouveront  leur  compte  ;  et,  d'autre  part,  une  exposition 
pleine  de  mouvement  et  de  vie,  un  style  alerte  et  nerveux,  en  font  une 
lecture  que  goûteront  les  lettrés  et  où  se  plaira  tout  le  public  cultivé. 

M.  P. 

M.  Marion.  —  Les  impôts  directs  sous  Tancien  régime,  principalement 
au  XVIÏI"  siècle.  —  Collection  de  textes  pour  l'histoire  des  institutions 
et  des  services  publics  de  la  France  moderne  et  contemporaine,  publiée 
sous  la  direction  de  M.  C.  Bloch.  — Paris,  Cornély,  19 10,  in-8,  434p., 
12  fr. 

C'est  une  idée  très  heureuse  qu'a  eue  M.  C.  Bloch  d'organiser  une  col- 


48  —    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

lection  de  textes  concernant  l'histoire  des  institutions,  si  souvent  sacrifiée  au 
profit  de  l'histoire  politique,  militaire,  ou  diplomatique  :  grâce  à  lui,  pro- 
fesseurs, étudiants,  administrateurs  même  auront  désormais  à  leur  disposi- 
tion des  instruments  de  travail  commodes  et  bien  faits,  car  il  est  à  penser  que 
tous  les  volumes  de  la  collection  seront  fabriqués  sur  le  modèle  de  celui  que 
nous  devons  à  M.  Marion. 

M.Marion,  spécialiste  d'histoire  économique  et  financière,  ne  pouvait  en 
effet  manquer  de  former  un  recueil  très  utile  sur  l'histoire  des  impôts  directs 
au  xvme  siècle.  On  trouve  dans  son  recueil  une  introduction  de  123  pages 
sur  la  taille,  la  capitation,  le  dixième,  le  cinquantième,  les  vingtièmes  et  la 
corvée,  des  textes  empruntés  à  des  sources  inédites  ou  imprimées  et  consti- 
tués par  des  actes  du  pouvoir,  des  arrêts  et  remontrances  des  cours  souve- 
raines, des  lettres  et  rapports  administratifs,  des  extraits  d'auteurs  contempo- 
rains et  des  cahiers  de  doléances,  enfin  par  des  modèles  de  rôles,  et,  à  la  fin  du 
volume,  une  table  sommaire  de  matières  et  une  bibliographie.  L'introduc- 
tion, qui  contient  des  notices  sur  chacun  des  impôts  directs  de  l'ancien  régime, 
fournit  des  notions  sommaires  sur  la  répartition  et  la  perception  de  ces  im- 
pôts ;  elles  sont  sommaires,  elles  ne  sont  pas  toujours  très  claires,  et,  en  par- 
ticulier en  ce  qui  touche  le  dixième  et  le  vingtième,  il  y  a  dans  les  notices  de 
M.  Marion,  un  certain  flottement.  Au  demeurant  ce  flottement  est  peut-être 
moins  du  fait  de  M.  Marion  que  des  institutions  qu'il  décrit,  car  de  la  lecture 
de  son  recueil,  il  se  dégage  deux  idées  essentielles  :  c'est  que  les  institutions 
financières  de  l'ancien  régime  étaient  extrêment  peu  cohérentes,  et  que  cer- 
taines cependant,  —  la  capitation  pour  la  contribution  mobilière,  le  vingtième 
pour  la  contribution  foncière,  —  ont  pu  préparer  plus  d'une  des  institutions 
révolutionnaires.  G.  Bourgin. 


G.  Vallette.  —  Jean-Jacques  Rousseau  genevois.  —  Paris,  Pion, 
Genève,  Jullien,  191 1,  xxx-454  p.,  in-8,  7  fr.  50. 

M.  Vallette  est  Genevois,  érudit  et  homme  de  lettres,  trois  qualités  né- 
cessaires pour  bien  traiter  le  sujet  qu'il  a  choisi.  Pour  parler  du  tempérament 
genevois  il  faut  connaître  exactement  son  histoire  et  le  voir  vivre  autour  de 
soi  ;  pour  écrire  avec  agrément  sur  Rousseau  il  faut  le  goût  des  lettres  et  du 
style  ;  enfin  pour  soutenir  une  «  thèse  »  il  faut  s'appuyer  sur  toutes  les  certi- 
tudes ;  on  a  construit  trop  souvent  Rousseau  sur  des  erreurs,  des  contre-sens 
et  des  ignorances  allègres  ;  M.  Vallette  nous  offre  un  nouveau  Jean-Jacques 
où  les  vérités  de  fait  ont  été  diligemment  et  minutieusement  poursuivies. 

Par  là  le  portrait  s'éclaire  sans  cesse  d'une  juste  lumière.  Ce  n'est  pas 
que  M.  Vallette  n'accuse  parfois  plus  qu'il  n'est  juste  quelques  ombres  ou 
quelques  reliefs.  Il  revendique  fortement  les  droits  du  terroir  et  des  mœurs 
natales.  Et  comme  c'est  son  terroir  et  qu'il  l'aime,  il  cède  à  la  flatteuse 
illusion  d'une  Genève  «  dirigeant  pour  la  seconde  fois,  après  trois  siècles,  le 
monde  de  la  pensée  ».  Il  faut  en  convenir  pour  une  part.  D'autres  l'on  dit, 
avant  M.  Vallette,  mais  sans  précisions,  ou  pour  les  détails  seulement.  Par 
les  documents  et  les  faits  M.  Vallette  a  fait  revivre  une  Genève  tatillonne, 
sermonneuse,  batailleuse,  et  somme  toute  généreuse  ;  des  Genevois  ombra- 
geux, enclins  aux  caprices  de  leurs  humeurs,  mais  sincères,  fortement  atta- 
chés à  la  vie  intérieure  et  à  celle  des  champs  ;  toutes  les  forces  des  hommes 


Histoire    ============================^=====^^  49 

et  des  choses  qui  ont  modelé  pour  une  très  large  part  l'âme  et  le  génie  de 
Rousseau. 

Pourtant  il  y  a  autre  chose  en  lui  qui  n'est  pas  genevois.  Les  Lettres  de 
la  montagne,  une  part  de  h  Lettre  à  d'Alcmbcrtetàu.  Contrat,  quelque  chose  de 
la  Nouvelle  Hèloïse,  etc.,  s'expliquent  par  Genève  seulement.  C'estM.  Vallette 
qu'il  faudra  lire  pour  s'en  mieux  convaincre.  Mais  la  part  essentielle  de 
Rousseau,  le  génie  de  l'écrivain,  l'âme  du  poète,  la  fougue  de  la  chimère,  la 
révélation  soudaine  de  la  mélancolie  et  du  rêve,  tout  cela  ne  vient  pas  de  la 
ville  natale.  M.  Vallette  l'avoue  avec  une  précision,  une  volonté  d'équité  et 
une  clairvoyance  critique  qui  sont,  pour  un  pareil  sujet,  le  meilleur  éloge  de 
sa  méthode  et  de  son  livre.  Seulement,  s'il  l'a  dit,  il  l'a  conçu  plutôt 
qu'éprouvé.  Les  voix  de  Genève,  dans  son  livre,  dominent  trop  impérieu- 
sement celles  qui  furent  savoyardes  ou  françaises,  ou  qui  ne  furent  ni  de 
France,  ni  d'ailleurs,  mais  seulement  du  génie  impérieux.  Ainsi  les  deux 
vérités  s'équilibrent  mal  ;  mais  elles  sont  également  respectées  et  l'une 
d'entre  elles  est  assez  neuve  et  assez  robuste  pour  mettre  l'ouvrage  au  pre- 
mier rang  dans  la  littérature  du  Rousseauisme.  D.  Mornet. 


R.  Eucken.  —  Les  grands  courants  de  la  pensée  contemporaine,  tra- 
duit de  l'allemand.  —  Paris,  Alcan,  1911,  in-8,  536  p.,  10  fr. 

Le  premier  ouvrage  traduit  en  français  de  l'illustre  professeur  d'Iéna, 
dont  le  nom  a  été  popularisé  par  un  prix  Nobel  en  1908,  ne  peut  qu'être 
accueilli  favorablement  par  le  public  philosophique.  D'autant  que  les  sujets 
traités  dans  ce  livre  sont  d'un  intérêt  singulièrement  actuel  :  ce  sont  les  fluc- 
tuations et  les  contradictions  de  la  pensée  contemporaine  que  M.  Eucken 
étudie  dans  ses  divers  chapitres,  en  une  série  d'oppositions  frappantes  :  sub- 
jectif et  objectif;  intellectualisme  et  volontarisme;  idéalisme  et  réalisme; 
pensée  et  expérience  ;  mécanique  et  organique  ;  monisme  et  dualisme  ;  société 
et  individu  ;  culture,  histoire,  morale,  religion,  —  tels  sont  les  titres  de  ses 
principaux  chapitres.  Ainsi  ce  livre  se  présente  sous  une  forme  extérieure 
tout  à  fait  analogue  à  la  Classification  systématique  des  doctrines  philosophiques 
ou  aux  Dilemmes  de  la  métaphysique  pure  de  Renouvier.  Mais,  tandis  que 
dans  la  pensée  nette  et  systématique  du  penseur  français  les  diverses  opposi- 
tions étaient  toutes  solidaires  entre  elles,  et  que  c'était  en  somme  le  choix 
entre  deux  philosophies  qui  nous  était  proposé,  la  pensée  plus  compliquée, 
plus  fuyante,  du  philosophe  allemand  les  laisse  davantage  à  l'état  de  problèmes 
indépendants  ;  tandis  encore  que  l'esprit  tranchant  de  Renouvier  nous  con- 
viait à  des  options  franches,  par  oui  et  par  non,  la  tendance  de  M.  Eucken  est 
plus  conciliatrice  :  il  veut  nous  amener  à  un  point  de  vue  supérieur,  d'où 
les  doctrines  opposées  gardent  leur  valeur  et  leur  vérité  relative,  tout  en  se 
subordonnant  à  une  vérité  plus  entière. 

Les  doctrines  qu'il  s'agit  de  dépasser,  c'est,  non  seulement  le  matéria- 
lisme grossier,  mais  le  mécanisme,  le  positivisme,  toutes  les  doctrines  qui 
veulent  prendre  et  expliquer  la  pensée,  ou  la  vie,  ou  la  société,  par  le  dehors  ; 
et  même,  plus  profondément,  tout  intellectualisme  pur,  toute  philosophie  de 
YAujklarung.  La  conception  à  laquelle  il  s'agit  de  s'élever,  c'est  celle  d'une 
vie  de  l'esprit,  originale,  avant  ses  intérêts  propres,  se  développant  sans  doute 
au  sein  de  la  nature,  mais  irréductible  à  elle  pourtant,  immanente  et  transcen- 


50  —    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

dante  à  la  fois,  valeur  suprême  et  source  de  toutes  valeurs,  donnant  ainsi  à 
l'individu,  dans  le  temps,  des  raisons  de  vivre  universelles  et  éternelles.  — 
Conception  très  noble  sans  doute,  mais  qui  reste  dans  ce  livre,  il  faut  l'avouer, 
extrêmement  vague.  Il  est  d'ailleurs  d'un  intérêt  de  premier  ordre  de  la  rap- 
procher, —  avec  tous  ses  traits  distinctifs,  anti-intellectualisme  en  matière  de 
connaissance,  vitalisme  dans  la  théorie  de  la  nature,  immanentisme  dans  les 
questions  pratiques  et  religieuses,  —  du  mouvement  analogue  que  repré- 
sentent en  France  M.  Boutroux  ou  M.  Bergson  ;  au  lieu  seulement  de  la  cri- 
tique serrée,  de  la  "subtile  dialectique,  de  l'analyse  aiguë  et  directe  auxquelles 
nous  ont  habitués  ces  penseurs,  la  méthode  reste  ici,  dans  cette  doctrine 
anti-intellectualiste,  tout  abstractive  et  idéologique  ;  c'est  comme  une  con- 
frontation très  prolixe,  très  abstruse  de  concepts  que  se  présente  ici  la  lutte 
contre  les  concepts.  —  L'œuvre  d'Eucken  n'en  est  pas  moins  de  grand  prix, 
très  propre  à  faire  penser.  En  particulier,  chaque  chapitre  s'ouvre  par  deux 
paragraphes  où  l'auteur,  avant  d'esquisser  sa  solution  propre  d'un  pro- 
blème donné,  fait  d'abord  l'historique  des  termes  qui  l'expriment,  puis  de 
sa  position  même  :  ces  paragraphes  sont  tous  du  plus  haut  intérêt  ;  en  même 
temps  que  d'une  érudition  très  étendue  et  très  sûre,  ils  témoignent  d'une 
véritable  élévation  de  pensée. 

Dans  les  quelques  pages  de  sa  préface,  lumineuses  et  fermes,  plus 
nettes  que  l'œuvre  même,  M.  Boutroux  a  caractérisé  l'orientation  philoso- 
phique d'Eucken.  D.  Parodi. 


L.  Niederle.  —  La  race  slave,  traduit  du  tchèque  par  L.  Léger.  — 
Paris,  Alcan,  1911,  in-8,  232  p.,  avec  une  carte  en  couleurs,  3  fr.  50. 

«  Depuis  que  l'Allemagne  unifiée  —  écrit  le  traducteur  —  a  pris  dans  le 
centre  de  l'Europe  une  situation  prépondérante,  les  destinées  de  la  race  slave 
sont  devenues  solidaires  des  nôtres.  Si  cette  race  réussit  à  tenir  en  échec  l'ex- 
pansion germanique,...  nous  pouvons  espérer  maintenir  notre  situation  du 
côté  des  Vosges  et  qui  sait  ?  la  rétablir  peut-être  sur  le  Rhin.  Si  elle  succombe 
dans  la  lutte,  l'avenir  de  la  nation  française  est  définitivement  compromis.  » 

C'est  donc  «  pour  servir  la  cause  de  la  vérité  en  même  temps  que  les 
intérêts  de  notre  pays  »  que  M.  Léger  a  entrepris  la  traduction  du  livre  de 
M.  Niederle.  Ce  livre  nous  présente  d'une  façon  parfaitement  claire  et  exacte 
l'historique  de  l'expansion  des  races  slaves,  leurs  frontières  linguistiques  ac- 
tuelles, leurs  statistique,  démographie  et  anthropologie.  Cette  statistique  géné- 
rale, rédigée  par  Niederle  en  1900  et  corrigée  par  M.  Léger  d'après  les'  éva- 
luations de  1907,  offre  les  chiffres  suivants  :  Grands-Russes,  65  millions; 
Petits-Russes,  31;  Russes-Blancs,  7;  Bulgares,  5  1/2;  Serbo-Croates,  9; 
Tchèques,  6  1/2;  Slovaques,  2  1/2;  Polonais,  20;  Kachoubes,  350.000  et 
Serbes  de  Lusace,  150.000. 

Tout  ce  monde  slave  est  en  voie  d'accroissement  continu  ;  le  peuple  russe, 
en  particulier,  se  répand  par  voie  d'expansion  lente  à  travers  son  immense 
territoire  et  se  transporte  sous  la  pression  des  persécutions  religieuses  dans 
l'Amérique  du  Nord  ;  les  Tchèques  et  les  Polonais  émigrent  en  Europe  où 
ils  forment  des  colonies  ouvrières  dans  les  grands  centres  industriels. 

Certaines  digressions  détonnent  dans  l'exposé  sobre  et  même  sec  de  l'au- 
teur. On  s'étonne  de  rencontrer  de  longue^  pages  consacrées  à  la  querelle 


Géographie  ■  51 

littéraire  qui  a  avive  les  haines  nationales  entre  Grands  et  Petits  Russes.  L'ex- 
posé long,  animé  et  peut-être  subjectif  de  la  lutte  des  Tchèques  et  des  Alle- 
mands trahit  le  patriote  tchèque.  On  peut  douter  que  tous  les  historiens  con- 
sentent à  attribuer  les  malheurs  de  cette  petite  nation  aux  seules  «  fautes  de 
ses  princes  ». 

Et  on  se  demande  encore  pourquoi,  dans  la  statistique  religieuse  de 
l'empire  russe,  où  l'on  donne  le  chiffre  des  juifs,  des  musulmans,  etc.,  celui 
des  païens  manque,  alors  que  ceux-ci  sont  en  nombre  considérable,  non  seu- 
lement en  Sibérie,  mais  dans  la  région  de  la  Volga,  et  influencent  les 
croyances  du  peuple  russe. 

L'idée  de  répartir  la  population  en  groupes  de  «  nobles,  fonctionnaires, 
bourgeois,  habitants  des  villes,  marchands,  paysans  et  cosaques  »,  n'est  pas 
très  heureuse  :  ces  classes  ne  sont  pas  si  tranchées.  On  aimerait  mieux  con- 
naître les  chiffres  des  ouvriers  industriels,  des  différentes  catégories  des  pay- 
sans, où  une  différenciation  radicale  s'accomplit  à  l'heure  qu'il  est,  ce  qui 
explique  bien  des  choses  de  la  vie  politique  et  sociale  de  la  Russie  contem- 
poraine. 

La  description  des  types  d'agglomérations  rurales  est  incomplète  et 
même  peu  exacte.  L'auteur  applique  sans  réserve  à  la  Russie  cette  formule 
banale  que  «  dans  les  pays  fertiles  il  y  a  de  grands  et  riches  villages,  dans  les 
régions  forestières  le  peuple  préfère  les  petits  hameaux.  »  Or  c'est  précisé- 
ment dans  la  région  de  la  Terre  Noire  qu'à  côté  de  villages  énormes  —  pas 
de  400  habitants  au  maximum,  comme  le  dit  Niederle,  mais  de  15  à  20.000 
—  on  rencontre  très  développé  le  type  de  l'habitation  isolée. 

En  général  l'auteur  ne  fait  que  glisser  sur  les  données  économiques,  et 
ce  n'est  pas  dans  son  travail  qu'il  faut  les  chercher.  Mais,  en  dépit  de  ces 
réserves,  le  livre  de  Niederle  est  hautement  instructif.  La  traduction  en  est 
parfaite.  Il  serait  désirable  que  dans  une  deuxième  édition  le  traducteur  fit 
disparaître  quelques  étourderies  comme  Petits-Russes  au  lieu  de  Russes-Blancs 
(p.  50),  Sibéril  au  lieu  de  Sibérie  (p.  108),  etc. 

O.     DOBIACHE-ROJDESTVEXSKY. 


J.  de  Kergorlay.  —  Sites  délaissés  d'Orient  (du  Sinaï  à  Jéru- 
salem). —  Paris,  Hachette,  191 1,  in-16,  xx-188  p.,  46  phot.  en  32  pi., 
1  pi.  carte-itinéraire  à  1  :  2.600.000,  4  fr. 

En  1906,  l'auteur  se  joignit  à  une  des  excursions  annuellement  orga- 
nisées par  les  PP.  dominicains  de  l'École  biblique  de  Saint-Etienne  de  Jéru- 
salem, pour  se  rendre  de  Suez  en  Palestine  par  des  lieux  généralement  peu 
visités  malgré  leur  importance  au  point  de  vue  archéologique  :  1°  les  mines 
de  Magharah  et  de  Serabit-el-Khadim,  exploitées  par  les  Pharaons  dans  la  pé- 
ninsule du  Sinaï  ;  20  Fciran,  autrefois  Pharan,  centre  religieux  fréquenté  par 
les  premiers  chrétiens  ;  30  la  montagne  du  Sinaï  avec  le  monastère  de  Sainte- 
Catherine  ;  40  Pétra,  l'ancienne  capitale  des  Nabatéens  ;  50  les  châteaux  des 
Croisés  dans  l'ancienne  principauté  d'Oultre-Jourdain  (le  Livaux  de  Moïse  ; 
Montréal,  aujourd'hui  Chobak,  et  le  Krak,  aujourd'hui  Kérak).  —  A  chacune 
de  ces  étapes  l'auteur  a  consacré  un  chapitre,  consistant  en  une  notice  histo- 
rique et  descriptive  illustrée  par  la  photographie  ;  la  meilleure  est  celle  de 


52  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

Pétra  :  c'est  une  très  bonne  caractéristique  de  ville  morte  sans  retour,  fuyante 
à  travers  l'histoire  ;  dans  les  autres,  qui  dénotent  d'ailleurs  un  joli  talent  des- 
criptif, l'auteur  s'est  encombré  de  citations  et  de  notes  de  lectures  qui  gênent 
ses  développements  ;  celle  des  châteaux  des  Croisés  est  la  moins  réussie.  — 
Erreur  p.  23  :  le  géographe  Ptolémée  «  qui  vivait  au  11e  siècle  avant  Jésus- 
Christ  »  (le  contexte  prouve  qu'il  ne  s'agit  pas  d'un  lapsus  calami)  ;  — -  autre 
erreur  p.  148,  n.  1  :  «  Le  sucre  [de  canne]  n'a  commencé  à  être  connu  des 
Européens  que  vers  le  commencement  du  xme  siècle  »  (présentée  ainsi  cette 
affirmation  est  inexacte  :  l'importation  du  sucre  en  Europe  est  antérieure  aux 
Croisades).  G. -A.  Huckel. 


L.  Cuénot.  —  La  Genèse  des  espèces  animales.  —  Paris,  Alcan,  191 1, 
in-8,  496  p.,  123  fig.,  12  fr. 

M.  Cuénot  a  contribué  personnellement  aux  progrès  de  l'étude  des  lois 
de  l'hérédité  ;  ses  recherches  sur  l'hybridation  des  souris  et  leurs  consé- 
quences au  point  de  vue  des  lois  de  la  pigmentation  de  la  robe  des  mammi- 
fères sont  presque  classiques  ;  peu  de  savants  français  pouvaient  écrire  le 
livre  dont  il  s'agit  avec  une  compétence  égale  en  la  matière. 

Son  livre  se  distingue,  dans  la  série  des  volumes  de  la  Bibliothèque  scien- 
tifique internationale,  par  son  caractère  pédagogique  ;  c'est  pour  répondre  au 
désir  de  ses  élèves,  étudiants  en  zoologie  de  l'Université  de  Nancy,  que 
M.  Cuénot  a  réuni,  dans  ce  volume,  l'exposé  des  divers  problèmes  de  Zoo- 
logie générale,  de  l'Hérédité,  de  la  Descendance  des  espèces,  de  la  Distribu- 
tion géographique  des  animaux  ;  il  en  résulte  des  défauts  et  des  qualités  sail- 
lantes. Les  défauts  sont  ceux  de  tous  les  manuels. 

Dans  la  première  partie,  M.  Cuénot  oppose  le  fait  de  la  variabilité  de 
l'espèce  au  dogme  créationiste  ;  il  insiste  sur  les  enseignements  propres  à 
Lamarck  et  à  Darwin  ;  la  seconde  partie  comprend  l'étude  de  l'individu  suivi 
depuis  la  naissance  jusqu'à  la  mort,  exposée  un  peu  brièvement  pour  un  lec- 
teur qui  n'a  point  fait  d'études  zoologiques  approfondies  ;  l'importance  des 
chromotomes  des  noyaux  et  de  leur  réduction  chromatique,  le  déterminisme 
sexuel,  les  variations  ultérieures  qu'on  doit  attribuer  soit  à  la  nature  du 
germe,  soit  au  milieu,  sont  traités  trop  rapidement  par  rapport  aux  problèmes 
du  Peuplement  de  la  terre  et  des  Adaptations,  qui  constituent  la  quatrième  et  la 
cinquième  parties.  La  troisième  partie,  relative  à  l'examen  des  facteurs  de 
l'évolution,  est  certainement  la  plus  intéressante  ;  l'étude  expérimentale  de  la 
mutation  ou  variation  brusque  comprend  l'exposé  des  lois  de  Mendel  avec 
une  application  au  problème  complexe  du  déterminisme  du  sexe  ;  les  diverses 
influences  du  milieu  sont  traitées  sous  le  titre  général  de  fluctuations  ; 
M.  Cuénot  oppose  les  variations  brusques  sans  causes  définies  et  héréditaires 
aux  modifications  provoquées,  mais  non  transmises  aux  descendants.  En 
somme,  toute  cette  étude  est  un  exposé  de  la  doctrine  Weismanienne,  à 
l'aide  d'observations  récentes,  par  un  savant  convaincu  de  la  réalité  d'une 
évolution  dont  le  but  est  plus  ou  moins  déterminé  à  l'avance  (orthogénèse). 

Il  est  regrettable  que  M.  Cuénot  ait  complètement  négligé,  on  pourrait 
dire  évité,  de  donner  dans  son  livre  quelques  arguments,  parfois  très  con- 
vaincants, empruntés  au  règne  végétal  ;  dans  cet  effort  de  mise  au  point  des 


Sciences  53 

hypothèses  modernes  relatives  à  la  variation  et  à  l'hérédité,  il  n'a  fait  allusion 
à  aucun  fait  qui  ne  puisse  trouver  sa  place  dans  un  traité  de  zoologie,  alors 
que  les  hypothèses  en  question  ont  presque  toujours  été  édifiées  à  l'aide 
d'observations  faites  sur  l'ensemble  des  êtres  vivants  ;  ce  souci  de  rester 
dans  les  limites  d'un  programme  officiel  tend  à  disparaître  des  cours  de 
Faculté,  et,  depuis  Darwin  et  même  Lamarck,  n'a  jamais  dominé  la  rédac- 
tion d'un  ouvrage  traitant  des  principaux  problèmes  de  la  Biologie  générale. 

L.  Blaringhem. 


Dr  A.  Martinet.  —  Les  aliments  usuels  (composition;  prépara- 
tion). —  Paris,  Masson,  19 10,  in-8,  350  p.,  4  fr. 

Ce  livre  est  divisé  en  trois  parties  :  i°  Étude  générale  sur  les  aliments  au 
point  de  vue  de  leur  teneur  en  éléments  minéraux  et  organiques,  et  des 
avantages  ou  inconvénients  qu'ils  présentent  pour  chaque  tempérament; 
2e  Étude  (p.  80-200)  des  aliments  animaux  (parmi  lesquels  le  Dr  Martinet 
range  le  lait  et  le  fromage)  et  des  aliments  végétaux  (p.  200-300)  ;  3  e  Étude 
des  boissons  sous  leurs  diverses  formes,  avec  quelques  pages  sur  les  condi- 
ments (p.  305-350). 

Rien  de  meilleur  que  ce  livre  pour  montrer  combien  les  questions  d  ali- 
mentation et  de  régime,  que  nous  croyons  parfois  si  simples,  sont  compli- 
quées et  obscures,  combien  il  faut  s'y  garder  des  solutions  hâtives  et  incom- 
plètes. Nombre  de  médecins  et  d'hygiénistes,  et  non  des  moindres,  s'étaient 
crus  obligés,  depuis  dix  ans,  de  vanter  sans  restriction  les  multiples  formes 
du  régime  lacto-végétarien  :  le  Dr  Martinet  a  bien  fait  d'en  rappeler  les 
multiples  inconvénients.  De  même  pour  la  viande,  dont  l'abus  entraîna  vite 
la  proscription  ;  le  Dr  Martinet  montre  qu'elle  est  parfois  nécessaire,  et  la 
conquête  de  la  Mandchourie  lui  apparaît  comme  une  «  chasse  à  l'albumine  », 
organisée  par  un  peuple  réduit  à  la  «  ration  de  famine  »  du  riz  dans  une 
ile  qui  ne  produit  pas  assez  de  viande  pour  ses  habitants.  De  même  encore 
pour  l'alcool,  dont,  après  Duclaux,  il  révise  le  procès. 

Il  y  a,  dans  l'hygiène,  deux  sortes  de  formules  :  des  axiomes  et  des  con- 
seils. Les  hygiénistes  confondent  trop  souvent  dans  leurs  prescriptions  les 
uns  et  les  autres  ;  ce  livre  montre  que  les  conseils  des  hygiénistes  doivent 
toujours  être  interprétés  et  rappelle  aussi  que  les  questions  d'alimentation  ne 
se  résolvent  point  par  des  analyses  de  laboratoire.  La  digestion,  prélude  de 
la  nutrition,  n'est  pas  une  simple  affaire  de  chimie  :  il  faut  compter  non  seu- 
lement avec  la  composition  des  aliments,  mais  aussi  avec  les  goûts  et  les 
préférences  personnelles,  avec  les  influences  psychiques  sur  la  sécrétion  gas- 
trique,... bref,  avec  toutes  les  formes  de  condiments,  dont  les  plus  faciles  à 
étudier,  les  épices,  nous  sont  à  peine  connus.  Dr  J.  Philippe. 


54    ■    ■  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

LIVRES  ANNONCÉS  SOMMAIREMENT. 

LITTÉRATURE. 

P.  Adam.  Le  Rail  du  Sauveur.  —  Paris,  Librairie  des  Annales,  s.  d.,  3  fr.  50.  — 
Trois  nouvelles;  la  plus  longue  donne  son  titre  au  recueil.  C'est  une  étude 
rapide,  violente,  amusante,  de  moeurs  américaines  ;  on  y  voit  la  vie  fiévreuse 
d'une  ville  qui  pousse,  les  coups  des  lanceurs  d'affaires,  de  la  finance,  de  la 
réclame,  et  la  tranquille  fraternité  de  la  religion  et  du  bluff.  Comment  la  fille  du 
pasteur  Galveston  se  trouve  revêtue,  sans  le  comprendre,  d'un  pouvoir  surnatu- 
rel ;  comment  le  développement  économique  d'une  province  s'accroche  à  l'ermi- 
tage où  elle  attend,  sur  la  montagne,  les  foules  mystiques  des  pèlerins;  comment 
les  voies  ferrées,  à  qui  mieux  mieux,  escaladent  le  lieu  sacré  ;  voilà  ce  que 
M.  Paul  Adam  nous  raconte  ;  farce  énorme  et  pourtant  suggestive  ;  caricature 
outrée  et  méritée  d'un  peuple,  d'une  civilisation,  et  d'une  mentalité  religieuse. 
Peu  de  psychologie  ;  des  descriptions  intenses,  mais  hachées,  papillotantes  ;  une 
langue  vigoureuse  mais  heurtée,  bizarre,  à  peine  correcte,  hérissée  d'anglicismes 
et  de  mots  anglais  ;  les  traces  d'une  hâte  indécente  dans  l'impression  ;  telle  est 
cette  histoire.  Le  lecteur  averti  des  choses  d'Amérique  en  goûtera  l'humour;  elle 
n'est  sans  doute  qu'un  divertissement,  sans  grande  importance.    L.  Cazamian. 

H.  Allorge.  L'essor  étemel.  Poésies.  —  Paris,  s.  d.,  Pion,  in-12,  3  fr.  50.  —  Ces 
vers-là  ne  sont  pas  d'un  poète  parfaitement  maître  de  sa  forme,  mais  qui  peut- 
être  le  deviendra.  La  dernière  pièce  du  recueil  :  la  légende  d'Orphée,  le  laisse 
tout  au  moins  espérer.  L'auteur  s'efforce  vers  la  poésie  philosophique  :  il  veut 
montrer  le  rôle  tout  puissant  de  la  Douleur.  Mais  quelle  douleur  ?  Faut-il  donc 
croire  que  la  poésie  ne  vit  que  d'idées  générales  sans  précision  ?  Et  puis,  il  y  a 
longtemps  qu'un  autre  poète  assez  connu  nous  montra  éloquemment  le  «  prix  de 
la  douleur  ».  Une  pièce  sur  la  Science  et  le  Mystère,  n'a  guère  plus  d'originalité. 
Et  pourquoi  M.  Allorge  n'a-t-il  pu  se  résigner  à  mettre  au  panier  telles  pièces 
de  circonstance  sans  grand  intérêt  (envoi  de  fleurs,  etc.)  ?  J.  Morel. 

La  Chanson  française  au  xv<=  au  XXe  siècle.  —  Paris,  s.  d.,  J.  Gillequin,  2  fr.  —  L'idée 
de  faire  un  recueil  de  ce  genre  et  le  dessein  qu'on  a  suivi  en  le  composant  ont 
assurément  de  l'intérêt  ;  on  a  cherché  à  présenter  non  seulement  les  chansons  les 
plus  parfaites  de  forme,  mais  aussi  «  les  plus  caractéristiques  de  l'âme  française  ». 
—  «  Toutes  les  fois,  dit  la  préface,  que  nous  avons  reconnu  à  une  chanson  un  réel 
mérite  littéraire,  nous  avons  tâché  qu'elle  pût  avoir  place  dans  ce  livre.  Mais  il 
est  bien  rare  que  nous  ayons  rejeté  une  pièce  de  forme  médiocre  ou  même  vul- 
gaire, si  elle  nous  paraissait  vraiment  suggestive  par  sa  signification  psycholo- 
gique ou  historique  ».  —  Sur  la  façon  dont  ce  dessein  a  été  exécuté,  il  y  aurait 
sans  doute  plus  d'une  objection  à  faire.  Mais,  dans  l'ensemble,  les  choix 
attestent  de  l'intelligence  et  du  goût.  Les  textes  sont  reproduits,  en  général,  avec 
correction  et,  au  point  de  vue  typographique,  le  volume  est  convenablement  pré- 
senté. J.  Monthizon. 

Anthologie  des  Prosateurs  français  contemporains  (1850  à  nos  jours).  Tome  I.  Les 
Romanciers,  par  G.  Pellissier.  —  Paris,  Delagrave,  in-16,  3  fr.  50.  —  Ce  volume 
sera  suivi  de  deux  autres,  consacrés  aux  historiens,  critiques,  orateurs,  etc. 
M.  Pellissier  reproduit  en  tête  les  dernières  pages  de  son  manuel  d'Histoire  de  la 
littérature  française.  Il  est  destiné  à  illustrer  et  à  compléter  tous  les  ouvrages  de 
cette  sorte.  Il  appartient  à  la  «  Collection  Pallas  »  d'anthologies  à  l'usage  de  la 
jeunesse  (et  aussi  des  gens  pressés,  que  nous  sommes  presque  tous),  livrets- 
guides,  catalogues  d'échantillons  qui  encouragent  à  lire  plus  outre  et,  au  besoin, 
en  dispensent.  Les  poètes  leur  sont  naturellement  dévolus,  et  en  pâtissent  moins 


Livres  annoncés  sommairement  ■  55 

que  d'autres.  Mais,  des  romanciers  comme  des  dramaturges,  le  mérite  n'éclate 
que  dans  les  ensembles.  Cependant  ce  recueil  est  intéressant.  Notices  précises,  — 
et  concises  jusqu'à  la  discrétion  ;  autographes  (qui  diraient  plus  de  choses  accom- 
pagnant des  portraits);  appréciations  d'étendue  variable,  sobres  et  justes  ;  choix 
très  heureux  des  extraits,  presque  tous  lisibles  sans  leur  contexte.  —  Prés  de  cent 
romanciers,  en  file  chronologique,  des  Misérables  à  Mrae  de  Noailles,  c'est-à-dire 
jusqu'à  une  date  galamment  indéterminée.  Il  ne  manque  aucun  nom  de  première 
ni  de  deuxième  grandeur.  Au-dessous  le  choix  n'a  pu  être  qu'arbitraire.  Passe 
pour  les  admissions.  (Encore,  à  notre  gré,  M.  Marcel  Barrière  pouvait-il  rester 
dans  le  néant  et  M.  Ohnet  «  hors  de  la  littérature  »).  Mais  les  omissions  !  A 
combien  de  gens  elles  feront  dire  :  «  Pourquoi  pas  moi  ?  »  ou  «  Pourquoi  pas 
elle  ?  »  Un  livre  de  ce  genre,  dans  la  mesure  même  où  il  est  plus  compréhen- 
sif,  appelle  aussitôt  une  suite  ou  un  supplément.  J.  Bury. 

HISTOIRE. 

L.  Demaison.  La  cathédrale  de  Reims.  —  G.  Fleury.  La  cathédrale  du  Mans.  (Petites 
monographies  des  grands  édifices  de  la  France).  —  Paris,  Laurens,  1910,  in-16, 
2  fr.  le  vol.  —  Ces  petits  volumes  sont  précieux  pour  le  visiteur  qui  cherche  à 
comprendre  et  non  pas  seulement  à  admirer  la  beauté  d'une  cathédrale.  Ils  sont 
excellents  aussi  à  lire  chez  soi  pour  raviver  les  souvenirs  ;  et  ceux  qui  seraient 
curieux  de  pousser  plus  loin  leur  étude  de  l'architecture  gothique  y  trouveront 
des  bibliographies  sommaires.  —  Notons  dans  le  volume  sur  Reims  le  passage  où 
l'auteur  conteste  la  théorie  de  Viollet-le-Duc  d'après  laquelle  le  projet  de  l'archi- 
tecte primitif  aurait  été  rapidement  exécuté  jusqu'à  la  hauteur  des  voûtes, 
tandis  que  les  parties  hautes  auraient  été  continuées  dans  des  proportions 
réduites  par  raison  d'économie.  —  Dans  le  volume  sur  Le  Mans,  l'illustration 
n'est  pas  seulement  photographique  :  l'auteur  y  a  joint  un  plan  en  couleurs,  des 
coupes  et  des  élévations.  Cela  facilite  beaucoup  la  lecture  de  l'ouvrage.  Intéres- 
sante discussion  sur  les  moyens  qu'aurait  employés  l'architecte  pour  détruire  le 
rétrécissement  produit  par  la  perspective.  A.  E.  C.  R. 

J.  P.  Brissot.  Mémoires  (1754-1793)  publiés  avec  une  Étude  critique  et  Notes  par 
Cl.  Perroud.  —  Paris,  Alphonse  Picard,  19 10,  2  vol.  in-8,  7  fr.  50  chaque 
volume.  —  «  Les  Mémoires  de  Brissot  n'avaient  pas  été  réimprimés  depuis  l'édi- 
tion donnée  en  1830  par  M.  de  Montrol  (4  vol.  in-8),  car  celle  de  M.  de  Les- 
cure  (1877)  n'en  est  qu'une  réduction  faite,  pour  ainsi  dire,  au  petit  bonheur  ». 
Or,  M.  de  Montrol,  qui  travaillait  pour  les  libraires,  s'arrangeait  pour  leur  four- 
nir le  plus  possible  de  «  copie  ».  Aussi  son  édition  comprend-elle  quantité  de 
passages  interpolés,  comme  on  s'en  doutait  dès  longtemps.  Avec  sa  diligence  cou- 
tumière  et  sa  sûre  connaissance  de  l'époque  révolutionnaire,  M.  Perroud  a  su 
dégager  le  vrai  texte  des  Mémoires  de  la  gangue  dont  il  était  entouré.  —  Ces 
Mémoires,  en  eux-mêmes,  ont,  au  reste,  un  intérêt  très  vit.  S'ils  ne  nous  ren- 
seignent pas  autant  qu'on  le  voudrait  sur  la  carrière  politique  de  Brissot,  ils  nous 
apprennent  du  moins  sur  ses  débuts  dans  le  journalisme,  sur  ses  relations  avec 
les  gens  de  lettres,  avec  quelques-uns  des  futurs  acteurs  de  la  Révolution,  entre 
autres  Mirabeau,  une  foule  de  détails  curieux  qu'on  ne  saurait  trouver  nulle  part 
ailleurs.  M.  P. 

P.  Ginisty.  La  Féerie.  (Bibliothèque  théâtrale  illustrée),  —  Paris,  Michaud,  s.  d. 
[1910],  in-16,  2  fr.  50.  —  Le  Mélodrame  (même  collection),  2  fr.  25.  —  La  pre- 
mière de  ces  études,  abondamment  documentée,  est  fort  agréable  à  lire.  Sur 
le  XY"in=  siècle,  quelques  oublis  (la  pantomime-féerie  d'Audinot  et  Nicolet,  méri- 
tait au  moins  une  mention),  des  énumérations  un  peu  arides  (pp.  46-47,  55  à 
58),  quelques  légères  inexactitudes  (p.  63),  certains  passages  écrits  un  peu  vite 
(pp.  58-59);  sur  Martainville,  cinquante  pages,  amusantes  du  reste,  sout  étran- 


56  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

gères  au  sujet.  Mais  tout  ce  qui  concerne  les  soixante  dernières  années  est  excel- 
lent ;  l'illustration  est  du  plus  vif  intérêt  ;  l'ensemble,  alerte,  vivant  et  curieux, 
plaira  et  rendra  service  au  grand  public  lettré.  —  Le  volume  sur  le  Mélodrame 
est  à  la  fois  un  ouvrage  de  vulgarisation  et  la  première  esquisse  d'une  étude 
approfondie  sur  l'évolution  de  cette  forme  dramatique,  étude  qu'un  historien  lit- 
téraire devra  bien  nous  donner  quelque  jour.  On  ne  saurait  demander  à 
M.  Ginisty  de  tout  dire,  en  222  pages,  sur  un  sujet  aussi  vaste  ;  mais  ses  infor- 
mations sont  sûres,  son  exposition  est  nette  ;  sur  les  points  traités  rapidement  — 
comme  la  question  des  origines  —  l'essentiel  est  bien  dit.  Sur  d'autres  —  comme 
la  vie  et  l'œuvre  de  Pixérécourt  —  la  documentation  est  assez  abondante  et 
assez  neuve,  l'illustration  assez  curieuse  pour  rendre  le  livre  indispensable  à  tous 
ceux  qui  voudront  étudier  plus  à  fond  cette  période  si  captivante  et  si  mal  con- 
nue de  l'histoire  de  notre  thé;  tre.  F.  Gaiffe. 

Lord  Broughton.  Napoléon,  Byron  et  leurs  contemporains.  Souvenirs  d'une  longue  vie.  I. 
(1804-1816).  —  Paris,  Juven,  1910,  in-8,  7  fr.  50.  —  C'est  un  livre  scientifi- 
quement à  peu  près  inutilisable,  car  il  est  composé  de  pièces  et  de  morceaux 
empruntés  aux  Recollectious  of  a  long  life,  au  Journal  et  aux  divers  ouvrages  de 
l'auteur,  sans  qu'on  soit  jamais  prévenu  de  l'origine  du  passage  publié,  et  la  tra- 
duction a  enrichi  le  texte  original  d'erreurs  ou  de  négligences  insupportables.  Le 
fond  n'est  pas  très  intéressant  :  néanmoins,  on  y  trouvera  quelques  anecdotes 
sur  Byron,  avec  qui  lord  Broughton,  alors  simple  sir  Hobhouse,  a  vécu  en  grande 
intimité,  sur  le  grand  monde  et  le  monde  du  théâtre  en  Angleterre,  et  on  y 
notera  l'état  d'esprit  d'un  Anglais  admirateur  de  Napoléon,  bien  que  le  frère  de 
lord  Broughton  ait  été  tué  aux  Quatre-Bras.  Il  donne  lui-même  de  ses  sentiments, 
le  12  juin  181 5,  quand  il  quitta  Paris  où  il  était  venu  à  la  nouvelle  du  départ  de 
l'île  d'Elbe,  la  définition  suivante  :  «  Comme  Anglais,  je  ne  saurais  être  témoin 
du  triomphe  des  Français,  et  comme  ami  de  la  liberté,  je  ne  veux  pas  être  témoin 
de  leurs  revers.  »  B.  G. 

L.  Bénédite.  Meissonier.  (Collection  des  grands  artistes).  —  Paris,  Laurens,  19 10, 
in-8,  2  fr.  50.  —  Meissonier  (1811-1895)  a  eu  une  carrière  brillante  et  facile. 
Les  honneurs  se  sont  accumulés  sur  lui  ;  ses  œuvres  ont  été  payées  à  des  prix 
énormes.  Une  réaction  presque  immédiate  s'est  produite  dès  le  lendemain  de  sa 
mort  et  nulle  gloire  n'est  aujourd'hui  plus  discutée  et  plus  contestée  que  la 
sienne.  Dans  la  biographie  très  précise,  très  serrée,  très  nourrie  qu'il  lui  con- 
sacre, M.  Bénédite  s'efforce  de  faire  connaître  l'homme  et  de  faire  comprendre 
le  genre  de  mérite  que  l'artiste  avait  poursuivi  et  que  le  public  admira,  dans 
ses  œuvres  de  genre  et  dans  ses  œuvres  historiques  ;  mais  le  biographe  ne  s'est 
pas  cru  tenu  à  un  panégyrique  et  il  expose,  avec  beaucoup  d'impartialité  et  une 
grande  pénétration,  les  limites  de  l'art  de  Meissonier,  les  raisons  légitimes  du 
discrédit  dans  lequel  il  est  tombé  et  l'influence  pernicieuse  qu'il  a  exercée.  On 
regrette  seulement  qu'attaché  à  son  héros  M.  Bénédite  n'ait  pas  élargi  un  peu 
son  horizon  en  rappelant  le  milieu  parmi  lequel  Meissonier  a  évolué.  Le  livre  se 
termine  —  par  une  innovation  heureuse  dans  la  collection  des  grands  artistes 
et  qui,  nous  l'espérons,  deviendra  une  règle  pour  les  volumes  à  paraître  —  par 
une  bibliographie  ample  et  bien  classée.  L.  Rosenthal. 

Correspondance  de  Renouvicr  et  de  Sécrétait.  —  Paris,  A.  Colin,  19 10,  in-8,  3  fr.  50.  — 
Les  mêmes  aspirations  morales,  des  philosophies  voisines,  une  amitié  commune 
(Mme  Coignet)  rapprochèrent  Renouvier  et  Secrétan.  Leur  correspondance, 
comme  celle  d'un  Leibniz  et  d'un  Clarkc,  est  toute  philosophique  :  ils  s'inter- 
rogent, se  consultent,  se  pénètrent  l'un  l'autre,  vont  au  fond  de  leurs  idées, 
ont  la  joie  de  se  comprendre,  joie  réelle,  profonde,  pour  ces  «  philosophes  de 
corps  et  d'âme  »,  incomplète  pourtant  et  mêlée,  car,  s'ils  constatent  l'accord  de 
leurs  tendances,  ils  se  rendent  compte  de  leur  dissentiment  foncier,  irréductible 


Livres  annoncés  sommairement       ■  57 

sur  les  points  les  plus  fondamentaux  et  les  plus  obscurs,  qui  sont  ceux  qui 
divisent  le  plus  :  la  liberté,  la  création  ou  le  commencement  absolu,  le  phéno- 
mène et  la  substance,  l'infini,  la  charité  et  la  justice,  l'unité  morale  des  hommes, 
la  solidarité,  etc.  Cette  correspondance  est  à  lire  pour  l'étude  des  deux  philo- 
sophes :  ils  y  poussent  fort  loin  l'analyse  de  leurs  principes,  y  font  eux-mêmes 
le  commentaire  de  leur  pensée,  et  s'y  montrent  à  nu,  l'un,  individualiste,  jaloux 
de  son  originalité,  l'autre,  rêvant  la  conciliation  des  doctrines,  épris  de  sympa- 
thie intellectuelle,  tous  deux  dialecticiens  rigoureux  et  penseurs  sincères.  On 
pénètre  aussi  dans  leur  vie  privée;  on  découvre  leurs  passions  philosophiques, 
religieuses,  politiques.  On  suit  leur  carrière  ;  isolés,  sans  l'appui  du  philoso- 
phisme officiel,  ils  vont  péniblement  à  la  conquête  de  la  renommée  et  de  la 
gloire,  soutenus  par  le  zèle  ardent  de  la  recherche  et  le  culte  des  idées. 

L.  Dugas. 

Abbé  Dolonne.  Le  Clergé  contemporain  et  le  célibat.  —  Paris,  Louis  Michaud,  s.  d. 
[1910],  in-16,  5  fr.  50.  —  Ce  livre  est  un  réquisitoire  véhément,  d'un  ton  un  peu 
vulgaire,  contre  le  célibat  ecclésiastique.  La  description  des  souffrances  qu'im- 
pose au  prêtre  le  serment  de  chasteté  à  vie,  serment  qui  lui  a  été  arraché  au 
séminaire  par  une  évidente  contrainte  morale,  est  vraie  et  émouvante.  Ce  qui 
fait  l'intérêt  du  livre,  c'est  que  l'auteur  est  un  vrai  prêtre,  actuellement  en 
exercice  ;  il  n'est  nullement  moderniste  ;  sa  foi  catholique  paraît  robuste,  et  il 
a  conservé,  à  l'égard  des  Juifs,  de  la  Réforme,  des  francs-maçons  et  de  la  Répu- 
blique, tous  les  préjugés  de  son  état.  La  conclusion  est  que  l'Église  serait  sauvée 
si  le  pape  décrétait  l'autorisation  du  mariage,  selon  les  canons  de  l'Eglise 
grecque.  —  En  appendice,  un  document  rare  (en  français  et  sans  indication 
d'origine),  l'encyclique  de  Léon  XIII  sur  le  mariage  des  prêtres  dans  l'Amé- 
rique latine.  E.-Ch.  Babut. 

J.  Moréas.  Variations  sur  la  Vie  et  les  Livres.  —  Paris,  Mercure  de  France,  1910, 
in-18,  3  fr.  50.  —  Ici  se  trouvent  recueillis  tous  ceux  des  essais  en  prose  de 
Moréas  que  le  Mercure  de  France  n'avait  pas  déjà  rassemblés  dans  Esquisses  et 
Souvenirs.  Ce  sont  notes  littéraires,  écrites,  au  hasard  des  lectures,  sur  les 
sujets  les  plus  divers,  depuis  Madame  de  Lafayette  ou  Lamartine  jusqu'à  Walt 
Whitman,  Isabelle  Eberhardt,  Raoul  Ponchon.  Nul  ordre  systématique,  peu  de 
détails  inédits  ;  on  ne  prendra  pas  ce  livre  pour  se  renseigner,  mais  pour  se 
rafraîchir  l'esprit.  L'expression  nette,  agile  et  souple,  d'une  bonne  grâce  et  d'un 
goût  parfaits,  suit  à  merveille  les  mouvements  d'une  sensibilité  mesurée  et 
cultivée.  Critique  ou  conteur  d'anecdotes,  Moréas  reste  poète  ;  son  atticisme 
esquive  la  sécheresse,  et  son  classicisme  échappe  à  l'ennui. 

M.  Drouin. 

A.  Brette.  Propos  du  Siècle.  —  Paris,  Cornély,  1910,  in-18,  3  fr.  50.  —  M.  Brettc  n'a 
pas  eu  tort  de  réunir  en  volume  ses  articles  du  journal  le  Snclc,  qui  valaient 
en  effet  de  ne  pas  subir  le  sort  rapide  des  feuilles  quotidiennes.  Il  y  a  mis  un 
grand  bon  sens  en  même  temps  qu'une  très  précieuse  finesse,  son  goût  de  l'ob- 
servation psychologique  et  les  richesses  de  son  érudition  historique,  son  amour 
des  livres  et  son  amour  des  champs,  une  générosité  louable  de  sentiments  et 
d'idées,  une  ouverture  d'esprit  qui  le  fait  hostile  aux  préjugés  et  aux  on-dit.  On 
pourra  peut-être  aimer  plus  le  fond  que  la  forme,  où  l'on  discerne  un  souci  per- 
pétuel du  léger  et  de  l'amusant  qui,  souvent,  alourdit  et  attriste,  une  recherche 
constante  du  titre  à  effet  qui  est  parfois  pesante.  De  toutes  ces  pages  verveuses, 
celles  qui  passeront  le  moins,  ce  sont  celles  que  M.  Brette  a  groupées  sous  les 
rubriques  générales  de  «  Notes  d'histoire  »,  «  Les  Lettres  et  les  livres  », 
«  Hommes  et  choses  de  la  Révolution  »,  et  celles  aussi  où  il  entreprend 
contre  la  guerre  et  l'esprit  de  violence  une  sympathique  campagne.         G.  B. 


58  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

VOYAGES  ET  GÉOGRAPHIE. 

Cyro  de  Azevêdo.  Chemin,  faisant.  —  Rio  de  Janeiro-Paris,  H.  Garnier,  s.  d. 
[1910],  in-18,  sans  indication  de  prix  [3  fr.].  —  Muni  d'un  Bsedeker, 
M.  de  Azevêdo  a  traversé  Francfort-sur-le-Mein,  Mayence,  Coblentz  et  Cologne  ; 
puis  il  a  visité  la  Hollande,  et  surtout  les  musées  hollandais.  Les  impres- 
sions recueillies  ici  et  là  sont  rarement  neuves  ou  personnelles  ;  cependant,  on 
les  lirait  sinon  avec  profit,  du  moins  sans  fatigue,  si  certaine  préoccupation  un 
peu  naïve  n'apparaissait  dès  les  premières  pages  du  livre.  M.  de  Azevêdo  tient 
trop  à  montrer,  et  à  montrer  péremptoirement  par  son  propre  exemple,  qu'il  est 
des  Brésiliens  fort  cultivés,  fort  lettrés,  nourris,  voire  gavés,  de  littérature  et  de 
science  européenne.  Aussi,  tout  en  égrenant  ses  souvenirs,  en  dissertant  sur 
divers  problèmes  d'esthétique  et  de  politique,  —  ou  en  défendant  le  Brésil 
contre  telles  accusations  mensongères  de  demi-barbarie,  —  a-t-il  bien  soin  de  men- 
tionner les  auteurs  dont  il  a  pratiqué  les  ouvrages  ;  et,  en  vérité,  c'est  une  débauche 
de  noms  de  poètes,  romanciers,  critiques,  philosophes,  naturalistes,  géologues, 
historiens  de  l'art,  historiens  tout  court  :  Henri  Heine  et  Amiel,  Stendhal, 
Flaubert,  Sainte-Beuve,  Brunetière,  Paul  Stapfer,  Herbert  Spencer,  Taine,  Tarde, 
Fouillée,  Darwin,  Lamarck,  Haeckel,  Le  Dantec,  Gressly,  Lapparent,  Penck, 
Charles  Blanc,  Emile  Michel,  Arsène  Alexandre,  Salomon  Reinach,  Maspero, 
etc.,  etc.  J'en  passe,  beaucoup,  et  me  garde  d'insister.       L.  Barratj-Dihigo. 

Huchard  Robert.  Aux  Antilles.  Hommes  et  choses.  —  Paris,  Perrin  et  Cie,  in-16, 
3  fr.  50.  —  Une  semaine  à  la  Trinité,  autant  à  la  Martinique,  dix  jours  à 
la  Guadeloupe,  quelques  escales  dans  les  petites  Antilles,  c'est  peu  pour  faire  un 
livre.  Il  est  vrai  que  l'auteur  a  trouvé  les  Antilles  françaises  en  pleine  période 
électorale,  spectacle  qui  ne  manque  jamais  d'intérêt.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  ins- 
tructif, c'est  la  visite  aux  plantations  de  cacaoyers  et  de  cannes  à  sucre  de  la  Tri- 
nité. Elles  assurent  la  prospérité  de  l'île,  grâce  à  la  main-d'œuvre  fournie  par  les 
coolies  indous.  L.  Gallois. 

Ch.  Renel.  La  race  inconnue.  —  Paris,  Grasset,  1910,  in-16,  3  fr.  50.  —  Voici  un 
de  ces  livres  de  littérature  coloniale  comme  il  commence  à  en  apparaître  chez 
nous,  ce  qui  prouve  que  nous  nous  intéressons  peu  à  peu  à  un  empire  colonial 
qui  nous  donne,  pour  l'instant,  quelque  satisfaction.  C'est  une  vingtaine  d'études 
sur  les  indigènes  de  Madagascar,  considérés  surtout  dans  leurs  rapports  avec  les 
Va^aha,  c'est-à-dire  les  blancs,  colons,  administrateurs,  voire  pasteurs.  Mais  rien 
qui  sente  ici  l'effort,  ni  le  pédantisme  ;  chacune  des  études  n'est  qu'une  histo- 
riette, sobrement  contée,  et  où  jamais  l'auteur  ne  prend  la  parole.  Pas  de  géogra- 
phie non  plus,  pas  assez  peut-être  ;  les  descriptions  sont  rares  ;  pourtant  çà  et  là 
quelques  phrases  heureuses  évoquent  rapidement  des  esquisses  de  paysage,  l'ap- 
parition des  palais  de  Tananarive  dominant  des  pentes  rocailleuses,  les  oueds  du 
pays  Antandroy  avec  leur  végétation  de  cactus,  des  vues  de  forêts,  de  plages,  de 
lagunes.  Mais  avant  tout  ce  sont  les  gens  qui  sont  mis  en  scène,  tout  un  grouille- 
ment de  noirs,  hommes,  femmes,  sorciers,  chasseurs,  Fahavalous  ou  brigands, 
miliciens,  chefs,  roitelets,  porteurs  (bourjanes),  et  surtout  les  séduisantes  rama- 
tous,  les  jeunes  femmes  d'abord  facile,  pour  lesquelles  des  vazaha  font  des  folies. 
Et  à  côté  d'eux,  voici  les  métis  inquiétants,  et  les  blancs,  colons,  soldats,  et  sur- 
tout les  administrateurs,  résolvant  des  cas  épineux  et  comiques  ;  voici  même,  çà 
et  là,  les  appuis  des  conquérants,  les  Sénégalais,  toujours  prêts  à  «  casser  vil- 
lages ».  Le  livre  se  lit  d'un  trait,  avec  plaisir,  et,  lorsqu'il  est  terminé,  on  a  bien 
l'impression  d'avoir  pénétré  l'âme  et  la  vie  malgaches.  R.  Blanchard. 

TECHNOLOGIE  ET  SCIENCES. 

J.  Gauthier  et  L.  Capelle.  Traité  de  composition  décorative.  —  Paris,  Plon-Nourrit, 
191 1,  in-8,  865  fig.  et  53  pi.  hors  texte,  5  fr.  —  Montrer  comment  on  trouve 
des  formes  décoratives,  comment  on  les  interprète  selon  des  modes  et  des  com- 


Livres  annoncés  sommairement     ==============^=============  59 

binaisons  infiniment  variées,  comment  enfin  on  les  réalise  en  les  appliquant  à 
diverses  matières,  pierre,  bois,    fer,    cuivre,  etc.,  selon  des  techniques  diverses 

—  tel  est  l'objet  que  se  propose  cet  ouvrage.  Il  est  conçu  d'après  un  plan 
clair,  solide  et  méthodique.  Grâce  à  la  richesse  de  ses  dessins  et  de  sa  documenta- 
tion, il  constitue  à  la  fois  un  dictionnaire  et  un  manuel  d'art,  qui  donne  des  con- 
seils sans  les  imposer  et  qui  guide  la  recherche  individuelle  sans  paralyser  l'effort. 
C'est  à  ce  titre  qu'il  se  recommande  aux  élèves  des  écoles  d'art,  aux  amateurs  et, 
d'une  manière  générale,  à  tous  ceux  que  l'art  décoratif  intéresse.      R.  Morel. 

J.  Combarieu.  Le  Chant  choral  :  méthode,  morceaux  choisis,  cours  élémentaire  et  moyen. 

—  Paris,  Hachette  et  C'e,  1910,  in-8,  1  fr.  50.  —  Ce  petit  livre,  destiné  aux 
enfants  des  écoles  primaires  et  des  classes  élémentaires  des  lycées  et  collèges, 
mérite  d'être  signalé  à  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  la  diffusion  du  goût  et  de 
l'enseignement  musical  en  France.  Il  est  fondé  sur  une  idée  de  bon  sens,  tout  à 
fait  semblable  à  celle  qui  rénova,  il  y  a  peu  de  temps,  l'enseignement  du  dessin, 
mais  qui  n'en  eût  pas  moins  été  tenue  hier  encore  pour  un  paradoxe.  Ce  que  se 
propose  en  effet  M.  Combarieu,  ce  n'est  pas  d'enseigner  aux  enfants  la  gram- 
maire de  la  musique,  mais  de  les  initier  à  la  musique  elle-même  ;  dès  qu'ils 
savent  battre  une  mesure  et  saisir  les  sons  de  l'accord  parfait,  ils  en  savent  assez 
pour  chanter,  et  il  les  fait  chanter,  se  réservant  de  les  renseigner  ultérieurement 
et  au  fur  et  à  mesure  qu'ils  chanteront  de  nouvelles  chansons  sur  certaines 
notions  théoriques  élémentaires  et  sur  les  signes  graphiques  de  la  musique.  Et 
les  chansons  que  chantent  ces  enfants  valent  vraiment  la  peine  d'être  chantées, 
chansons  populaires  et  anonymes,  souvent  charmantes,  parfois  admirables,  ou 
compositions  très  simples  de  grands  musiciens,  particulièrement  de  musiciens 
français  ou  ayant  écrit  pour  la  France,  Boësset,  Philidor,  Gluck,  Catel,  Gossec, 
Lesueur,  Cherubini.  Les  paroles  de  ces  beaux  chants,  divertissantes  ou  nobles, 
conviennent  elles-mêmes  fort  bien  au  caractère  et  à  la  destination  du  volume.  — 
Un  seul  desideratum  :  il  serait  souhaitable  que  le  nom  des  auteurs  fût  toujours 
accompagné  d'une  mention  biographique  —  aussi  courte  qu'on  le  voudra.  — 
On  peut  d'ailleurs  regretter  que,  par  un  scrupule  excessif,  la  version  originale  de 
Rouget  de  Lisle  ait  été  ici  préférée,  dans  la  transcription  de  la  Marseillaise,  à  celle 
qui  a  prévalu,  qui  a,  par  là  même,  comme  chant  national,  une  authenticité  de 
fait,  qui,  seule,  est  dans  l'oreille  des  enfants,  et  qui,  pour  le  surplus,  est  musica- 
lement supérieure  (page  106).  —  Signalons  enfin,  page  112,  une  phrase  de  Beetho- 
ven, que  l'omission  du  trait  initial  rend  tout  à  fait  méconnaissable.     A.  Cahen. 

Les  conditions  du  travail  aux  États-Unis,  étudiées  spécialement  dans  la  tannerie  au  chrome 
pour  chaussures.  —  Paris,  Cornély,  19 10,  in-8,  6  fr.  —  Qu'est  devenu  le 
temps  où  le  secret  était  de  rigueur  en  matière  de  procédés  industriels  ?  où  c'était 
crime  de  trahison  de  les  laisser  connaître  à  des  étrangers  ?  En  mai  1908,  partait 
de  France  une  mission  officielle,  chargée  d'étudier  aux  Etats-Unis  les  con- 
ditions du  travail  dans  une  branche  spéciale  de  la  tannerie.  Elle  y  était  accueillie 
à  merveille,  copieusement  renseignée  et  promenée  parmi  les  usines,  et  ce  sont 
les  résultats  de  ce  voyage  d'information  que  nous  présente  M.  Barrât,  enquêteur 
au  Ministère  du  Travail.  L'enquête  a  porté  sur  le  recrutement  des  ouvriers,  le 
mode  d'apprentissage,  la  teneur  des  contrats  stipulés  avec  les  patrons,  les 
machines  employées,  la  répartition  des  tâches  entre  hommes,  femmes  et  adoles- 
cents, la  longueur  de  la  journée,  les  salaires,  les  assurances  contre  les  accidents 
et  maladies.  Puis,  suivant  son  cours  hors  de  la  fabrique,  l'enquête  examine  les 
rapports  des  organisations  ouvrières  et  des  organisations  patronales,  le  coût  du 
logement,  de  la  nourriture,  du  vêtement,  des  dépenses  diverses  qui  incombent 
aux  travailleurs.  Des  comparaisons  avec  ce  qui  existe  au  Canada  et  ce  qui  se  passe 
en  France  dans  la  même  industrie,  une  bonne  introduction  de  M.  Barrât  permet- 
tent d'aboutir  à  des  conclusions,  qui  ne  sont  pas  les  fruits  d'une  conception 
individuelle,  mais  qui  sont  en  quelque  sorte  imposées  par  la  force  des  choses. 

G.  Renard. 


60  — r    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

L.  Lessard.  La  voiture  de  tourisme.  Paris,  Delagrave,  in- 12,  135  figures,  5  fr.  — 
Ce  livre  comprend  une  partie  pratique,  destinée  à  ceux  qui  possèdent  déjà  une 
connaissance  élémentaire  de  l'automobile,  et  une  partie  plus  technique,  à  l'usage 
des  ingénieurs.  La  première  est  une  mise  au  point  précise  des  questions  qui  se 
rattachent  à  la  voiture  de  tourisme.  Elle  se  distingue  des  ouvrages  antérieurs  en 
ce  qu'elle  a  vient  à  un  moment  où  le  moteur  à  pétrole  semble  avoir  acquis  sa 
forme  définitive  et  peut  être  disséqué  sans  crainte  de  voir  son  anatomie  se  modi- 
fier d'ici  une  date  rapprochée.  »  L'auteur  étudie  successivement  :  le  moteur  et 
ses  accessoires  (on  ne  saurait  trop  le  louer  de  suivre  ici  le  lumineux  exposé  de 
M.  Lacoin  plutôt  que  de  s'abandonner  au  désir  de  faire  œuvre  originale),  l'em- 
brayage, les  changements  de  vitesse,  le  châssis,  la  direction,  et  conclut  par  un 
chapitre  «  sur  ce  que  l'on  pouvait  remarquer  au  dernier  Salon.  »  En  résumé, 
exposé  net  de  la  situation  actuelle  et  des  problèmes  de  détail  qui  restent  à 
résoudre.  —  Dans  la  seconde  partie,  note  de  M.  Arnoux  sur  l'équilibre  dyna- 
mique des  moteurs  d'automobile  ;  considérations  sur  la  stabilité,  les  freins,  etc.  ; 
enfin,  liste  de  constantes.  Cette  partie  paraît  trop  condensée  pour  être  utile  aux 
ingénieurs,  trop  embarrassée  de  symboles  mathématiques  pour  servir  au  petit 
constructeur.  —  L'ouvrage  se  recommande  surtout  parce  qu'il  «  met  »  vraiment 
«  le  lecteur  en  mesure  de  juger  en  connaissance  de  cause  un  véhicule  quel- 
conque. »  R.-M.  L. 

G.  Millochau.  De  la  Terre  aux  Astres.  —  Paris,  Ch.  Delagrave,  s.  d.,  in-4, 
65  illustrations,  3  planches,  5  fr.  —  Exposé  attachant,  bien  que  très  concis,  des 
notions  fondamentales  sur  l'astronomie,  et  très  scientifique,  quoique  facile  à  lire 
sans  connaissances  spéciales.  Ce  n'est  pas  une  cosmographie  qu'a  écrite  M.  Mil- 
lochau. Il  passe  sous  silence  bien  des  questions  secondaires  sur  lesquelles  les  cos- 
mographies s'appesantissent,  surtout  s'il  y  a  prétexte  à  calcul.  En  revanche  il 
insiste  sur  les  découvertes  faites  en  astronomie  physique,  branche  de  l'astronomie 
devenue  si  riche  en  résultats  remarquables.  Plusieurs  photographies,  notamment 
des  photographies  de  spectres,  sont  dues  à  l'auteur.  Les  résultats,  très  modernes, 
sont  présentés  aussi  souvent  que  possible  comme  le  fruit  d'observations 
patientes  et  non  comme  des  principes  géométriques  ;  l'auteur  décrit  les  principaux 
instruments  d'observation  auxquels  il  consacre  un  chapitre  spécial  et  sur  lesquels 
il  revient  à  propos  des  plus  importantes  applications.  Tout  un  chapitre  aussi  pour 
les  observatoires  de  montagne  qui  ont  reçu  plus  d'une  fois  la  visite  de  M.  Millo- 
chau. Livre  très  sympathique,  qu'on  lirait  encore  avec  autant  de  plaisir  s'il  était 
notablement  plus  développé.  Bien  des  gens  qui  croient  savoir  apprendront  beau- 
coup en  Usant  ce  petit  livre.  G.  Sagnac. 

A.  Lesage.  Traité  des  maladies  du  Nourrisson.  —  Paris,  Masson,  191 1,  68  fig., 
10  tr.  —  De  lecture  aisée,  cet  ouvrage  comble  nettement  une  lacune  sensible 
parmi  les  traités  didactiques  contemporains.  Le  principal  mérite  en  réside  en  ce 
que  l'auteur  a  longuement  étudié  par  lui-même  les  affections  et  les  méthodes 
thérapeutiques  dont  il  présente  sobrement  l'exposé.  Après  une  étude  approfondie 
de  la  vie  normale  du  nourrisson,  où  l'on  trouvera  notamment  un  exposé  des 
recherches  les  plus  récentes  sur  la  digestion  intestinale,  l'auteur  insiste  longuement 
sur  la  rarion  alimentaire,  les  différentes  pratiques  de  l'allaitement  et  du  sevrage. 
Vient  ensuite  une  série  de  chapitres  consacrés  aux  différentes  maladies  du  premier 
âge.  L'auteur  a  particulièrement  insisté  sur  l'étude  des  gastro-entérites  et  des 
méningites  qui  lui  doivent  du  reste  un  grand  nombre  de  données  nouvelles. 
Nous  avons  également  rencontré  avec  intérêt  des  aperçus  originaux  sur  la  fièvre 
de  déséquilibre,  l'inanition,  la  maladie  spasmodique,  la  cachexie  dermolympha- 
tique.  Enfin,  les  considérations  diététiques  et  le  résumé  posologique  qui  terminent 
l'ouvrage  seront  particulièrement  bien  accueillis  du  praticien.     Dr  Fr.  Moutier. 

Imp.  F.  Paillart,  Abbeville.  Le  Gérant  :  Éd.  Cornély. 


REVUE     CRITBQUE 

des 

Livres    Nouveaux 


VI"  Année,   n*  4.  (deuxième  série)  i5  Avril    1911 


LIVRES  RÉCENTS  SUR  L'ANGLETERRE  CONTEMPORAINE. 

A.  Chevrillon.  Nouvelles  Études  Anglaises.  Paris,  Hachette,  19 10, 
328  p.,  in-16,  3  fr.  50.  —  Fœmina.  L'Ame  des  Anglais.  2e  édition. 
Paris,  B.  Grasset,  191 1,  327  p.,  in-16,  3  fr.  50.  —  A.  Filon.  L'An- 
gleterre d'Edouard  VIL  Paris,  Édition  d'Art  et  de  Littérature,  191 1, 
305  p.,  in-8,  5  fr.  —  G.  K.  Chesterton.  What's  Wrong  with  the 
World.  Londres,  Cassell  et  Cie,  19 10,  293  p.,  in-8,  7  fr.  50. 

On  retrouve  dans  le  volume  de  M.  Chevrillon  les  qualités  exception- 
nelles qu'il  apporte  à  étudier  les  choses  anglaises.  Sa  pensée  large  et  subtile, 
forte  et  pénétrante,  est  une  des  nourritures  les  plus  substantielles  que  nous 
offre  la  littérature  de  ce  temps.  Il  procède  par  analyses  psychologiques  et 
sociales,  démêle  les  éléments  simples  et  profonds  —  sentiments,  besoins, 
idées,  rythmes  des  esprits  et  des  races  —  dont  sont  faites  les  formes  d'art  et 
de  vie  ;  puis  les  reconstruit  en  synthèses  puissantes,  dont  l'architecture 
s'appuie  sur  un  style  périodique  et  nerveux.  Cette  méthode  n'est  point  ori- 
ginale; en  d'autres  mains  elle  a  pu  paraître  dangereuse  ;  mais  M.  Chevrillon 
est  très  averti  de  ses  excès  possibles  ;  il  en  corrige  le  caractère  trop  simple 
par  une  attention  passionnée  aux  nuances,  un  vif  souci  de  précision  ;  et  s'il 
a  l'esprit  philosophique,  il  n'a  pas  l'esprit  de  système.  Un  bonheur  tout  par- 
ticulier d'intuition  le  sert  d'ailleurs  quand  il  touche  à  l'Angleterre  ;  admira- 
blement adapté  aux  instincts  propres  qui  font  la  personnalité  intellectuelle  et 
politique  de  ce  peuple,  il  le  comprend,  le  voit  vivre  et  agir  avec  une  lumi- 
neuse sympathie.  —  Les  études  ici  réunies  posent  avec  ampleur  plusieurs 
des  problèmes  sociaux  ou  moraux  que  cherche  à  résoudre  en  ce  moment  la 
civilisation  anglaise  ou  anglo-saxonne  ;  on  ne  saurait  conseiller  de  lecture 
plus  suggestive.  Tout  au  plus  peut-on  regretter  que  le  développement  des 
thèmes  dépasse  parfois  ce  qu'exigerait  leur  simple  mise  en  valeur  —  comme 
si  M.  Chevrillon  connaissait  quelque  chose  de  cette  ivresse  démonstrative 
contre  laquelle  il  est  pourtant  sur  ses  gardes  ;  et  que  les  préférences  inté- 
rieures de  sa  pensée,  éprise  d'ordre  historique  et  de  logique  vitale,  mêlent 
parfois  à  l'intelligence  émue  de  l'Angleterre  traditionnelle  une  répugnance 
inconsciente  à  en  accueillir  la  nécessaire  évolution. 

Aimez-vous  les  demi-vérités  ?  Fœmina  en  a  mis  partout.  Qu'est-ce, 
d'ailleurs,  qu'une  vérité  entière,  surtout  en  fait  de  psychologie  collective  ?  La 
femme  très  distinguée  qui  a  écrit  ces  pages  ne  s'illusionne  pas  sur  les 
difficultés  de  la  tâche  ;  elle  a  prononcé,  d'un  cœur  sincère,  les  paroles  de 
modestie  qui  conjurent  le  mauvais  destin.  Pourquoi  faut-il  qu'elle  n'ait  pas 


62  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

apporté  une  égale  prudence  à  éviter  les  théories  trop  simplistes  ?  Telle  géné- 
ralisation poussée  sur  le  pouvoir  magique  du  paysage  anglais,  dont  les 
lointains  brumeux  expliqueraient  le  tempérament  moral  de  la  race  ;  telle 
tentative  pour  ramener  l'originalité  britannique  à  une  ce  muscularité  » 
essentielle,  rappellent  les  excès  aujourd'hui  vieillis  des  premiers  disciples 
de  Taine.  Il  y  a  quelque  inexpérience  scientifique  et  philosophique  dans  ce 
recueil  ;  les  traces  d'une  culture  un  peu  inégale,  plus  dispersée  que  solide. 
Mais  il  y  a  bien  autre  chose  :  une  connaissance  intime,  vécue,  de  l'Angleterre  ; 
une  perception  vive,  pénétrante,  frémissante,  de  ses  caractères  pittoresques  et 
de  son  âme  secrète  ;  des  intuitions  féminines,  guidées  par  un  sens  très  ferme 
et  très  large  des  réalités  intérieures  ;  une  langue  souple,  imagée,  fine  et  ner- 
veuse, capable  d'exprimer  à  la  fois  les  grands  traits  d'une  physionomie  natio- 
nale, ses  lignes  les  plus  délicates,  et  l'atmosphère  même  où  elle  baigne.  Ce 
livre  sans  prétention  est  à  lire  ;  il  nous  parle  mieux  de  la  terre  anglaise  et  de 
ses  habitants  que  mainte  étude  doctorale  et  savante.  Quelques  chapitres  sur- 
tout — -  ceux  qui  analysent  la  sensualité  spéciale  de  nos  voisins,  leurs  dispo- 
sitions religieuses,  leurs  goûts  esthétiques,  leur  sentiment  de  la  nature  et  des 
jardins  —  jettent  une  lumière  nouvelle  sur  certains  coins  mal  explorés  de  leur 
âme  obscure.  L'ensemble,  parfois  irritant,  est  toujours  intéressant,  suggestif; 
et  les  taches  de  style  qui  s'y  rencontrent  —  anglicismes,  incorrections,  erreurs 
typographiques,  celles-ci  très  nombreuses  —  confirment  l'impression  sans 
doute  voulue  d'une  grâce  un  peu  négligée,  capricieuse,  sous  laquelle  se  joue 
une  vigoureuse  intelligence. 

Le  livre  de  M.  Filon  réunit  des  articles  parus  dans  la  Revue  des  Deux 
Mondes  (sur  le  roi  Edouard,  les  ministres  Asquith,  Lloyd  George,  le  leader 
Balfour,  etc.)  avec  une  étude  générale  et  rapide  intitulée  :  «  Un  demi-siècle 
à  vol  d'oiseau  ».  Un  long  séjour  en  Angleterre  a  donné  à  M.  Filon, 
malgré  les  résistances  de  sa  nature  rebelle,  un  certain  sens  de  la  vie  et  des 
affaires  anglaises  ;  ses  contacts  avec  un  grand  nombre  de  personnalités  poli- 
tiques ou  mondaines  le  renseignent  de  première  main  en  matière  biogra- 
phique ou  anecdotique.  D'autre  part,  l'attention  continue  qu'il  a  prêtée 
depuis  quarante  ans  à  l'évolution  anglaise  ne  pouvait  manquer  de  lui  en  faire 
saisir  quelques  directions  générales.  On  trouvera  dans  son  livre  des  aperçus 
souvent  intéressants,  parfois  nuancés,  et  les  impressions  d'un  observateur 
averti,  quoique  décidément  pessimiste.  On  n'y  trouvera  point,  toutefois,  un 
résumé  complet  et  satisfaisant  de  l'ample  matière  que  son  titre  embrasse  ;  car 
sa  vision  sociale  a  ses  limites,  que  ne  contribue  pas  à  élargir  une  partialité 
politique  courageusement  affirmée. 

Dans  le  volume  de  M.  Chesterton,  on  trouve  toute  sa  personnalité 
bruyante  :  sa  verve  un  peu  grosse,  mais  qui  soudain  éclate  en  inventions 
lyriques,  délicates  et  riches  ;  son  langage  incisif,  volontaire,  chargé  d'an- 
tithèses et  d'associations  imprévues  ou  plaisantes  ;  son  ironie  paradoxale 
enfin,  qui  raille  tous  les  aspects  du  présent,  et  prend  triomphalement 
le  contre-pied  des  truismes  du  jour.  Rationaliste  comme  les  autres  cri- 
tiques de  l'Angleterre  contemporaine,  il  prosterne  la  raison  aux  pieds  de 
la  tradition  ;  par  les  audaces  de  la  libre  satire,  où  d'autres  infusent  une 
âme  anarchiste,  Nietzschéenne  ou  socialiste,  il  découvre  et  ramène  au 
jour,  toutes  fraîches  d'originalité,  les  plus  anciennes  orthodoxies  morales, 
sociales,  religieuses.  Ce  recueil  d'articles  brefs,  réunis  par  un  lien  assez 
lâche,   répond   à   la   préoccupation   commune    de    tous   les    bons  esprits 


Livres  récents  sur  Y  Angleterre  contemporaine     ■     ■■■■  -  63 

anglais  :  la  crise  où  fléchissent  les  institutions  politiques,  et  s'inquiètent  les 
habitudes  mentales  de  la  race.  M.  Chesterton  nous  apprend,  lui  aussi,  «  ce 
qui  cloche  de  par  le  monde  »  (what  is  wrong  with  the  world).  C'est  que 
l'homme  —  l'Anglais  en  particulier  —  a  voulu  raffiner  sur  les  vieux  prin- 
cipes éprouvés  de  la  civilisation,  de  la  vie  et  de  la  conduite.  Avant  que  les 
doctrines,  les  mœurs,  les  gouvernements  du  passé,  eussent  pu  vraiment 
développer  leur  vertu  féconde,  la  manie  du  changement  a  ouvert  l'ère 
anxieuse  du  progrès  et  des  utopies.  La  famille  se  désagrège,  et  le  foyer  n'est 
plus  qu'un  mot.  L'impérialisme  brutal  et  commercial  a  matérialisé  la  poli- 
tique humaine.  Oubliant  le  royaume  domestique  où  régnait  son  empirisme 
souverain,  la  femme  prétend  disputer  à  l'homme  le  domaine  des  spécialisa- 
tions qui  rétrécissent  ;  et  le  féminisme  tue  la  féminité.  Tout  cela  exprimé 
avec  la  vigueur  agressive,  l'humour,  les  plaisanteries  fortes,  le  courroux 
biblique  d'un  Carlyle  ;  et  mêlant  étrangement  des  solutions  radicales,  la 
haine  robuste  de  la  stupidité  britannique,  à  des  partis-pris  résolument  réac- 
tionnaires. —  On  peut  juger  assez  vaine  cette  prédication  à  rebours  du 
siècle,  et  trouver  assez  mince  la  substance  doctrinale  de  ce  prophète  attardé. 
Mais  il  est  intéressant  par  tout  ce  qu'il  représente  ;  c'est  l'Angleterre  profonde 
—  celle  de  jadis,  celle  d'hier,  celle  qu'on  croyait  éternelle  —  qui  bataille  en 
lui,  par  lui,  contre  le  monde  nouveau  qui  la  menace  ;  il  est  le  polémiste  de 
la  tradition,  et  il  l'adapte  aux  ironies  combatives  du  présent,  aux  exigences 
d'une  intellectualité  qu'en  son  fond  elle  méprise.  L.  Cazamian. 


COMPTES  RENDUS 


J.  H.  Rosny  Aîné.  —  La  guerre  du  feu,  roman  des  âges  farouches. 
—  Paris,  Fasquelle,  191 1,  in-18,  330  p.,  3  fr.  50. 

L'action  du  roman  est  constituée  par  les  aventures  de  trois  hommes  d'une 
tribu  de  l'âge  paléolithique,  qui  s'en  vont,  le  feu  de  la  tribu  s'étant  éteint,  à 
la  recherche  d'autres  hommes  sur  lesquels  ils  puissent  le  reconquérir.  Ren- 
contre de  l'ours  gris,  du  lion  géant  et  de  la  tigresse,  des  mammouths,  de 
l'ours  géant,  lutte  contre  les  Kzamms  détenteurs  du  feu,  contre  les  nains 
rouges,  rencontre  des  hommes  au  poil  bleu,  alliance  avec  les  mammouths, 
avec  les  Hommcs-qui-mcurent,  dernier  péril,  et  le  pire  de  tous,  par  la 
haine  et  la  traîtrise  d'un  homme  de  la  même  tribu,  ambitieux  de  s'appro- 
prier le  feu  que  Nam  et  ses  compagnons  ont  si  bravement  et  durement  con- 
quis :  voilà  les  épisodes  principaux  de  l'expédition.  L'œuvre  est  belle  et 
forte.  On  se  souvient  de  Vamireh,  où  les  frères  Rosny  qui  alors  travaillaient 
ensemble,  s'étaient  essayés  au  roman  préhistorique.  J'aime  mieux  ce  nouvel 
ouvrage,  où  il  n'y  a  pas  d'idylle  romanesque,  et  où  l'imagination  s'est  plus 
sévèrement  disciplinée.  Je  ne  sais  si  un  archéologue  y  trouverait  tout  vrai- 
semblable, et  si  M.  Salomon  Reinach  n'aurait  pas  d'objection  à  faire.  Mais 
certainement  la  vision  de  l'écrivain  s'est  soumise  aux  données  exactes  d'une 
érudition  étendue  et  sérieuse.  Toute  son  invention  a  ses  racines  dans  une  con- 
naissance précise.  La  synthèse  est  poétique,  heureusement  ;  mais  les  éléments 


64  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

sont  scientifiques.  C'est  le  5e  livre  de  Lucrèce  commenté  à  l'aide  du  Musée  de 
Saint-Germain.  M'.  Rosny  a  très  ingénieusement  adapté,  modifié,  selon  la 
science  actuelle,  sa  vision  des  paysages  du  monde  contemporain,  pour  compo- 
ser d'admirables  paysages  préhistoriques  ;  il  a  de  même  défait  la  psychologie 
de  l'homme  d'aujourd'hui  pour  imaginer  les  états  rudimentairos  des  cons- 
ciences de  l'âge  paléolithique.  Il  nous  indique  tous  les  commencements  de 
tout  dans  les  associations  de  sensations  et  d'images  qui  tiennent  lieu 
aux  hommes  d'alors  de  réflexion  et  de  raisonnement  analytiques,  dans  les 
inquiétudes  sourdes,  mêlées  de  joie,  d'étonnement  et  d'admiration,  devant  des 
phénomènes  naturels  qui  n'affectent  pas  directement  leur  bien-être  ou  leur 
sécurité.  Nous  qui  possédons  les  conséquences,  qui  sommes  à  l'autre  bout 
de  la  chaîne,  nous  remarquons  chez  ces  hommes  d'il  y  a  peut-être 
cent  mille  ans  des  états  d'où—  au  bout  de  combien  de  siècles  ?  —  sortiront  la 
religion,  l'art,  la  science,  la  philosophie,  la  stratégie,  la  politique,  les 
gouvernements,  etc.  Nous  croyons  ces  hommes-là  des  primitifs  :  erreur. 
Le  monde  était  déjà  vieux.  Des  sociétés  déjà  avaient  vécu,  et  passé.  Un 
épisode  nous  montre  les  Homtnes-qui-meurent,  une  humanité  plus  vieille, 
plus  avancée,  qui  dégénère  et  déchoit  et  disparaît  peu  à  peu,  mais  disparait 
en  léguant  à  un  homme  d'une  humanité  plus  jeune  et  plus  barbare  deux 
découvertes,  un  appareil  à  lancer  le  javelot,  et  l'art  de  tirer  le  feu  du  choc 
de  deux  cailloux.  Si  bien  que  la  tribu  disparue  et  oubliée  sera  repré- 
sentée anonymement  dans  la  civilisation  des  âges  futurs  par  ce  double  dépôt 
qu'elle  y  aura  laissé.  Tout  cela  est  d'une  pensée  originale  en  même  temps 
que  d'une  poésie  saisissante.  G.  Lanson. 


A.  Hermant.  —  Histoire  d'un  fils  de  roi.  —  Paris,  Fayard,  s.  d., 
111-4,  158  p.,  1  fr.  50. 

C'est  un  roman  symbolique.  Il  est  publié  dans  une  de  ces  collections 
économiques  qui  s'achètent  et  s'abandonnent  au  hasard  des  loisirs  et  des 
trains  :  cela  signifie  sans  doute  qu'il  y  est  question  de  choses  vaines  et  de 
gens  qui  sont  comme  s'ils  n'étaient  point.  L'ouvrage  n'a  proprement  ni 
suite,  ni  méthode  ;  il  s'en  va  au  hasard  des  chapitres  et  s'arrête  comme  il 
commence,  sans  raison  ;  ce  qui  veut  dire  assurément  que  la  vie  de  ses  fan- 
toches n'est  qu'une  succession  de  hasards  et  d'accidents.  La  manière  et  le 
style  ne  laissent  pas  d'être  monotones  ;  Abel  Hermant  ne  fait  pas  d'effort 
pour  renouveler  l'agrément  de  sa  prose  et  les  surprises  de  ses  ironies  ;  c'est 
peut-être  que,  sous  l'apparente  liberté  de  leurs  caprices,  ces  gens  du  monde 
traînent  la  plus  monotone  et  la  plus  plate  des  destinées. 

Il  y  a  d'ailleurs  autre  chose  que  des  défauts,  même  symboliques  ;  il  y  a 
un  rare  talent  et  une  force  de  satire  qui  font  d'Abel  Hermant  l'héritier  direct 
des  conteurs  du  xvme  siècle.  La  comparaison  n'est  pas  neuve  ;  mais  elle  est 
juste.  L'ouvrage  côtoie  sans  cesse  l'actualité  ;  les  noms  et  les  aventures 
s'inscrivent  d'eux-mêmes  sous  le  masque  qui  les  transpose;  ce  fut  là  bien 
souvent  le  plaisir  ou  l'audace  des  Diderot,  des  Crébillon  et  des  autres.  La 
réalité  y  est  figurée  en  traits  incisifs  qui  ne  retiennent  des  pensées  et  des 
choses  que  les  lignes  saillantes  ;  le  style  dédaigne  l'éclat  pittoresque  des 
apparences  ou  les  troubles  remous  des  émotions  ;  Crébillon  encore, 
d'Argcns,  Duclos  ou  Laclos  aimèrent  ainsi  la  hâte  précise  des  silhouettes  et 


Histoire  —  6r> 

la  froideur  aiguë  et  nonchalante  des  ironies.  Comme  eux,  Abel  Hcrmant 
est  un  raisonneur  ;  il  reste  du  siècle  où  l'on  fit  la  physique  de  la  morale,  de 
l'amour  et  de  la  pensée  ;  il  s'inquiète  avec  une  allègre  subtilité  des  raisons  de 
ses  déraisons  et  des  ficelles  de  ses  marionnettes. 

Il  reste  seulement  qu'il  est  plus  féroce  que  ses  devanciers  ou  que  la  vie 
s'est  faite  plus  sinistre.  Ceux  qu'évoquent  maints  romans  du  XVIIIe  siècle 
n'avaient  sans  doute  pas  d'autre  règle  que  leur  plaisir.  Mais  du  moins  la 
suivaient-ils  avec  méthode,  intelligence  et  parfois  avec  génie.  S'ils  n'avaient 
pas  de  cœur  ni  de  conscience  ils  avaient  du  goût  ou  pour  le  moins  de  la 
curiosité.  Près  d'eux  les  Barbance  et  les  Trousselière  et  les  autres  font  figure 
décourageante.  Ils  ont  la  continuité  de  l'incohérence  et  leur  seul  mobile  est 
le  hasard  de  l'opinion.  Le  vice  sans  doute  dégénère,  comme  la  richesse  et 
l'oisiveté.  Cela  n'est  pas  pour  déplaire  à  ceux  qui  ne  sont  ni  oisifs  ni  riches. 

D.  Moknht. 


Fr.  Christol.  —  L'arl  dans  l'Afrique  australe.  Impressions  et 
souvenirs  de  mission.  —  Paris,  Berger-Levrault,  191 1,  in-4,  144  p., 
218  ill.  dont  205  fig.,  10  francs  broché. 

M.  Christol  est  missionnaire  protestant  et  il  a  passé,  avec  sa  famille, 
vingt-six  ans  chez  les  Bassoutos  du  sud  de  l'Afrique.  Doué  d'un  joli  talent 
de  dessinateur,  il  a  pris,  chemin  faisant,  beaucoup  de  croquis  et  de  notes  de 
voyage  dont  il  nous  offre  l'essentiel  dans  un  aimable  volume  illustré  de  nom- 
breuses images.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  un  livre  de  voyage,  comme 
ont  plaisir  à  en  lire  ceux  qui  se  passionnent  pour  les  descriptions  des  pays 
lointains.  Les  archéologues  et  les  historiens  y  trouveront  aussi  leur  profit, 
parce  que  l'auteur  a  eu  la  bonne  idée  de  recueillir  beaucoup  de  documents 
sur  l'art  du  dessin  chez  ces  peuples  sauvages.  Peintures  et  gravures  sur 
parois  de  rochers,  ornementations  de  calebasses  et  de  bâtons,  armes  anciennes, 
statuettes  de  bois  et  d'argile,  poteries,  tissus,  objets  mobiliers,  construction 
des  huttes  et  des  paillottes,  tout  a  été  vu  d'un  œil  qui  observe  bien  et  a  été 
reproduit  avec  fidélité.  Les  folk-loristes  y  puiseront  aussi  quelques  rensei- 
gnements sur  les  contes,  sur  la  langue,  les  noms  et  surnoms.  C'est  pour- 
quoi M.  Ph.  Berger,  linguiste  et  orientaliste  connu,  a  voulu  présenter 
lui-même  au  public  l'ouvrage  de  M.  Christol  dans  une  préface  où  il  fait 
ressortir  l'intérêt  de  ces  matériaux  rassemblés. 

En  effet,  ces  notes  sont  d'autant  plus  précieuses  que  M.  Christol,  incité 
par  sa  culture  générale  et  par  sa  curiosité  d'esprit  naturelle  à  examiner  ce 
qui  se  passait  autour  de  lui,  n'est  pas  un  savant  ni  un  professionnel  des  études 
ethnographiques.  Il  a  regardé  et  dessiné  sans  aucun  parti-pris,  sans  théorie 
préconçue.  Il  n'ignore  pas  l'importance  du  folk-lore,  mais  il  est  visible  qu'il 
n'a  lu  aucun  des  travaux  de  Lange,  ni  de  Crosse,  ni  de  Frazer  ou  de 
S.  Reinach  en  la  matière.  On  ne  peut  donc  lui  prêter  aucune  idée,  même 
involontaire,  de  préciser  ou  d'arranger  les  détails.  On  consultera  avec 
d'autant  plus  de  plaisir  les  belles  planches  en  couleurs  où  nous  revoyons 
quelques  monuments  déjà  connus,  comme  la  curieuse  peinture  représentant 
le  combat  entre  deux  tribus  sauvages  dont  l'une  défend  son  troupeau  de 
bœufs,  la  chasse  à  l'autruche  où  un  indigène  revêtu  de  la  peau  d'un  des 
oiseaux  s'approche  furtivement  des  autres  bêtes  un  peu  inquiètes.  D'autres 


66  —    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

scènes  sont  inédites  et  permettent  de  comprendre  le  caractère  pittoresque  et 
naturaliste  de  cet  art  qui,  par  tant  de  traits,  rappelle,  comme  le  remarque 
justement  M.  Christol,  les  primitives  ébauches  du  dessin  grec  lui-même.  Ici 
encore  l'historien  comprendra  la  force  impérieuse  qui  régit  en  tous  lieux  les 
premières  manifestations  de  l'art  naissant  et  il  ne  cherchera  pas  à  les  expliquer 
par  de  vaines  hypothèses  sur  les  transmissions  de  peuple  à  peuple  ni  par 
les  migrations  des  symboles  écrits.  E.  Pottier. 


Ph.  E.  Legrand.  —  Daos.  Tableau  de  la  comédie  grecque  pen- 
dant la  période  dite  nouvelle.  (Annales  de  l'Université  de  Lyon,  nouvelle 
série,  II,  22).  —  Lyon,  Rey,  Paris,  Fontemoing,  19 10,  in-8,  673  p., 
15  fr. 

De  récentes  découvertes  ont  précisé  nos  connaissances  sur  la  comédie 
grecque  «  nouvelle  »  qui,  à  l'époque  d'Alexandre,  succède,  après  une 
comédie  «  moyenne  »  assez  mal  connue,  à  la  comédie  «  ancienne  »  d'Aristo- 
phane et  de  ses  émules,  et  qui,  par  sa  matière  comme  par  ses  procédés  dra- 
matiques, est,  plus  même  que  de  celle-ci,  proche  de  notre  comédie  classique. 
Le  moment  était  propice  pour  faire  la  somme  des  renseignements  que  nous 
possédons  sur  la  «  nouvelle  »  et  en  dresser  un  tableau  d'ensemble.  C'est  ce 
qu'a  fait  M.  Legrand  dans  un  ouvrage  considérable,  avec  une  science  appro- 
fondie et  sagace,  et  une  conscience  scrupuleuse  qui  mérite  toute  louange  et 
même,  si  l'on  songe  à  la  masse  du  labeur,  toute  admiration.  Il  y  a  dans  ce 
gros  volume,  dont  le  plan  est  irréprochable  et  où  l'on  ne  s'égare  pas  un 
instant,  tout  ce  qu'on  peut  savoir  sur  le  genre  étudié.  La  matière  de  la 
comédie  nouvelle  :  personnages,  types,  caractères,  aventures,  psychologie, 
observation  réaliste  et  fantaisie  ;  —  sa  structure  :  l'action  et  ses  ressorts,  les 
conventions  théâtrales,  les  procédés  dramatiques  ;  —  sa  valeur  comique  et 
morale,  les  causes  de  son  succès  et  sa  place  dans  l'évolution  de  la  littérature 
grecque,  tels  sont  les  sujets  que  traite  successivement  et  qu'épuise  presque 
M.  Legrand.  Sur  un  seul  point,  et  qui  est  important,  le  livre  laisse  prise 
encore  à  la  discussion.  Même  après  les  récentes  découvertes,  les  imitations 
de  Plaute  et  de  Térence  restent  notre  source  essentielle  pour  la  connais- 
sance de  la  comédie  nouvelle.  Mais  dans  quelle  exacte  mesure  peut-on 
juger  de  celle-ci  par  celles-là  ?  La  question  est  traitée  dans  plusieurs  cha- 
pitres du  livre  ;  peut-être  ne  l'est-elle  pas  encore  assez  complètement  ;  il 
semble  souvent  que  l'auteur  traite  les  comédies  latines  comme  si  elles  étaient 
les  comédies  grecques  elles-mêmes,  sans  que  cette  attitude  d'esprit  se  trouve 
assez  justifiée. 

Le  livre  de  M.  Legrand  est  un  livre  de  science.  Mais  il  doit  être  recom- 
mandé à  tout  le  public  curieux  de  la  littérature  universelle  :  n'est-ce  pas  à 
elle  qu'appartient  la  comédie  de  Ménandre  ?  Je  me  demande  si  ceux  qui  ont 
traité  de  la  comédie  nouvelle,  et  M.  Legrand  lui-même,  l'ont  assez  fait 
ressortir.  N'est-ce  pas  en  somme  dans  cette  comédie .  que  pour  la  première 
fois  sur  la  scène,  et  dans  tout  le  domaine  littéraire,  la  question  des  rapports 
des  sexes,  et  si  Ton  aime  ou  n'aime  pas,  et  si  l'on  épouse  ou  n'épouse  pas, 
apparaît  comme  la  grande  affaire  ?  Rudimentaires,  à  coup  sûr,  ces  intrigues 
plutôt  romanesques  qu'amoureuses,  avec  leurs  insipides  procédés,  reconnais- 
sances, enlèvements,   substitutions,   et  tout  extérieures   et   sans  âme,  et 


Histoire    ======================^^  67 

d'observation  assez  petite  et  médiocre  ;  mais  enfin  le  thème  est  donné,  et  du 
«  théâtre  d'amour  »  les  variations  rempliront  les  siècles. 

Il  faut  donc  souhaiter,  avec  un  critique,  que  «  Daos  entre  là  où  beau- 
coup d'ouvrages  d'érudition  trouvent  porte  close.  »  Mais  il  faut  lui  frayer  la 
route  et  j'exprimerai  un  désir.  Il  est  bien  gros,  Daos  ;  il  coûte  cher;  il  fait  partie 
d'une  collection  de  livres  qu'on  ne  trouve  pas  chez  son  libraire.  Et,  allant  plus 
au  fond,  disons  que,  pour  le  lecteur  moyen,  non  spécialiste,  le  développement 
si  consciencieux  n'en  va  pas  sans  quelque  longueur,  quelque  monotonie, 
quelques  énumérations  trop  prolongées,  quelques  redites  enfin.  Je  voudrais 
que  M.  Legrand  fût  charitable  pour  ce  lecteur  moyen  :  le  sujet  en  vaut  la 
peine.  Et  je  rêve  un  Daos  «  grand  public  »,  un  Daos  in-16,  sans  notes, 
raccourci  et  allégé,  et  qui  marcherait  d'un  pas,  toujours  aussi  sûr,  mais 
plus  alerte.  Celui-là,  je  tiens  qu'il  ferait  très  vite  son  tour  de  France. 

E.  Cahen. 


Ramôn  Menéndez  Pidal.  —  L'Épopée  castillane  à  travers  la  litté- 
rature espagnole.  Traduction  de  Henri  Mérimée.  —  Paris,  A.  Colin, 
19 10,  in-16,  xvi-306  p.,  3  fr.  50. 

M.  Menéndez  Pidal  s'est  proposé  de  suivre,  dans  tout  le  cours  de  la 
littérature  espagnole,  les  «  merveilleuses  migrations  de  l'épopée  »,  laquelle, 
d'après  lui,  «  anime  tous  les  genres  littéraires  »  (p.  2).  En  d'autres  termes, 
il  ne  s'est  pas  borné  à  étudier  les  chansons  de  geste  et  leurs  dérivés  immé- 
diats qu'on  dit  être  les  romances  (ch.  I-V)  ;  il  a  voulu  aussi  montrer  com- 
ment, depuis  le  xvie  siècle  jusqu'à  nos  jours,  tels  dramaturges,  poètes  ou 
romanciers  ont  mis  en  œuvre  la  «  matière  épique  castillane  »,  ou,  pour 
parler  une  langue  plus  claire,  interprété  des  thèmes  épiques  empruntés  soit 
directement  soit  indirectement  aux  cantares  et  au  Romancero.  Ce  sont  donc 
deux  sujets  connexes,  mais  distincts  que  l'auteur  a  traités  :  on  reconnaîtra 
sans  peine  que  le  premier  l'emporte  de  beaucoup  en  intérêt  et,  par  là,  mérite 
seul  de  retenir  l'attention  du  critique. 

Etant  donné  la  personnalité  de  M.  Menéndez  Pidal,  le  nombre  et  la 
valeur  de  ses  précédents  travaux,  —  quelques-uns,  hors  de  pair,  ont  eu  un 
retentissement  considérable,  —  on  ouvre  ce  petit  volume  avec  une  curiosité 
très  vive.  Avouerons-nous  que  l'on  ne  tarde  pas  à  éprouver  quelque  décep- 
tion, ou  plutôt  quelque  surprise  ?  M.  Menéndez  Pidal  qui,  par  ailleurs,  a 
renouvelé  tant  de  questions  épuisées  en  apparence,  tend  toujours  ici  à 
accepter,  confirmer,  renforcer  les  opinions  traditionnelles.  Qu'il  s'agisse  de 
l'épopée,  qu'il  s'agisse  des  «  romances  »,  la  doctrine  qu'il  soutient  est  évi- 
demment forte  et  cohérente,  mais  à  la  condition  que  l'on  admette  les 
théories  antérieures  des  Gaston  Paris  et  des  Rajna,  des  Durân  et  des  Mila  y 
Fontanals.  Or,  la  plupart  de  ces  théories  sont  battues  en  brèche,  ruinées,  ou 
menacent  ruine.  Avant  peu,  si  nos  renseignements  sont  exacts,  il  sera 
prouvé  que  les  plus  anciens  «  romances  »  historiques  ne  sauraient  être  con- 
sidérés comme  «  des  fragments  des  longs  poèmes  de  la  décadence  ».  Et  dès 
à  présent,  quand  on  s'occupe  de  chansons  de  geste,  est-il  permis  d'attribuer 
à  ce  genre  spécial  une  origine  indéfiniment  lointaine  ?  Est-il  permis  de 
supposer  que  les  poèmes  dont  nous  possédons  le  texte,  ont  été  composés 
sous  l'influence  des  événements  qu'ils   relatent,    ou  reposent  sur  d'autres 


68  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

poèmes,  aujourd'hui  perdus,  mais  nés  eux-mêmes  des  événements  ?  Est-il 
permis  enfin  d'appliquer  à  ces  poèmes  épiques  le  qualificatif  trompeur  de 
«  populaire  »,  qui,  destiné  à  tout  expliquer,  n'explique  rien,  ou  pas 
grand'chose  ?  Que  M.  Menéndez  Pidal  reprenne  contact  avec  les  beaux  livres 
de  M.  J.  Bédier,  et  qu'il  se  reporte  ensuite  à  certaine  phrase  qu'il  a  lui- 
même  écrite  :  «  Plusieurs  traditions  épiques  sont  en  rapport  étroit  avec 
l'histoire  de  quelques  grands  monastères  »  (p.  264).  Alors  peut-être  abandon- 
nera-t-il  ses  hypothèses  concernant  l'origine  germanique  de  l'épopée  castil- 
lane, l'existence  d'une  épopée  visigothique,  l'existence  d'une  épopée  castil- 
lane formée  dès  le  xe  siècle,  etc. 

En  dépit  de  ces  réserves,  fondamentales,  et  d'autres,  accessoires,  qu'il 
serait  aisé  de  formuler,  l'ouvrage  de  M.  Menéndez  Pidal  vaut,  cela  va  sans 
dire,  qu'on  le  tienne  en  haute  estime  :  après  l'avoir  étudié  page  par  page,  les 
hispanisants  de  toutes  nationalités  en  feront  leur  profit,  pour  des  motifs  et  à 
des  titres  divers  ;  quant  au  public  français,  qui  d'ordinaire  ignore  complè- 
tement la  littérature  espagnole,  il  apprendra  beaucoup  dans  cet  exposé  que 
l'on  aurait  désiré  plus  original,  plus  hardi,  mais  qui  n'en  demeure  pas  moins 
fort  savant  et  méritoire.  L.  Barrau-Dihigo. 


E.  Berteaux.  —  Donatello  (Collection  des  Maîtres  de  l'Art).  — 
Paris,  Pion,  1910,  in-8,  255  p.,  3  fr.  50. 

Donatello  a  été  un  des  plus  grands  sculpteurs  de  l'Italie,  le  plus  connu, 
sans  doute,  après  Michel-Ange.  Sa  popularité  actuelle  vient  de  la  passion 
qu'il  a  apportée  dans  son  art.  Il  s'est  servi  de  la  forme  pour  exprimer  la  vie. 
Moins  épris  de  rythmes,  moins  ample  que  Ghiberti,  moins  serré  et  moins 
nerveux  que  Verrocchio,  moins  large  que  Jacopo  délia  Quercia,  moins 
ingénu  que  Mino  da  Fiesole,  moins  féminin  qu'Agostino  di  Duccio,  il  a  une 
puissance  de  sentiments  dont  n'approche  aucun  autre,  et  il  a  éprouvé  et 
exprimé,  avec  une  intensité  égale,  les  impressions  les  plus  opposées.  Il  a 
célébré  la  jeunesse  avec  un  éclat  incomparable  et  le  Saint  Georges  d'Or  San 
Michèle  à  Florence  reste,  pour  nous,  une  image  parfaite  du  héros  à  l'aurore 
de  la  vie  ;  il  a  chanté  l'enfance  potelée  et  bruyante  à  Padoue,  ou  dans  la  tri- 
bune aux  chanteurs  de  Santa  Maria  del  Fiore  ;  mais  il  est  aussi  l'auteur  du 
Zuccone  à  la  figure  hideuse,  d'un  Saint  Jean-Baptiste  émacié,  et  de  la  Madeleine 
du  Baptistère  de  Florence,  déformée  par  l'âge  et  la  pénitence. 

La  biographie  que  M.  Berteaux  consacre  à  cet  artiste  demeuré  si  près 
de  nous  est  établie  avec  la  rigueur  scientifique  la  plus  scrupuleuse  ;  elle 
nous  donne  l'essentiel  de  ce  qu'il  est  possible  d'affirmer  aujourd'hui  sur 
Donatello  et  s'accompagne  d'une  bibliographie  critique  très  étendue. 

Les  reproches  que  l'on  pourrait  adresser  à  ce  travail  excellent  dérivent 
des  scrupules  mêmes  de  l'auteur.  Il  a  voulu  faire  uniquement  une  biogra- 
phie et,  au  début,  il  a  supposé,  chez  ses  lecteurs,  une  connaissance  de  l'état 
de  la  sculpture  italienne  au  seuil  du  xve  siècle  qui,  probablement,  manquera 
à  la  plupart  d'entre  eux.  Il  s'est  méfié  de  sa  sensibilité  et  a  parfois  exprimé 
avec  trop  de  réserve  son  admiration  pour  les  œuvres  dont  il  définissait  l'im- 
portance. Toutes  les  fois  que  M.  Berteaux  a  élargi  son  horizon  ou  qu'il  a 
développé,  avec  plus  de  liberté,  ses  impressions,  il  l'a  fait  avec  un  rare  bon- 
heur ;  je  citerai,  parmi  les  parties  les  mieux  venues  de  son  ouvrage,  l'étude 


Histoire  ■  69 

rapide  consacrée  à  l'histoire  du  bas-relief,  ou  au  thème  artistique  des 
Amours. 

M.  Berteaux  montre  qu'aucun  témoignage  ne  permet  actuellement 
d'affirmer  que  Donatello  ait  connu  les  œuvres  de  Claus  Sluter  et  qu'il  en  ait 
subi  l'influence.  A  défaut  d'une  filiation  directe,  il  est  à  présumer  que  l'au- 
teur du  Puits  de  Moïse  et  celui  du  Zuccone  ont  subi  des  actions  très  générales 
analogues.  Il  eût  été  intéressant  de  les  rechercher. 

M.  Berteaux  a  rejeté  en  un  chapitre  spécial  l'étude  de  ce  que  Donatello 
fut  en  tant  qu'  «  homme  ».  Il  eût,  peut-être,  été  préférable  de  ne  pas  disso- 
cier cette  préoccupation  de  l'ensemble  de  l'ouvrage.  En  un  dernier  chapitre 
très  ingénieux,  l'auteur  résume  ce  que  Donatello  apportait  de  nouveau  à 
l'art  italien  et  expose  les  raisons  qui  rendirent  stériles  la  plupart  de  ses  leçons. 

L.  RoSENTHAL. 

E.  Levasseur.  —  Histoire  du  Commerce  de  la  France.  (Première 
partie  :  Avant  1789).  —  Paris,  Arthur  Rousseau,  191 1,  gr.  in-8,  de 
xxxm-610  p.,  12  fr.  50. 

M.  Emile  Levasseur,  administrateur  du  Collège  de  France  et  créateur  en 
France  de  l'histoire  économique,  fait  preuve,  avec  ses  quatre-vingt-trois 
ans,  d'une  activité  infatigable.  Il  vient  de  condenser  un  enseignement  de 
plusieurs  années  dans  le  gros  volume  que  nous  mentionnons  ci-dessus  et 
qui  est  le  premier  ouvrage  d'ensemble  sur  le  sujet. 

Le  champ  que  l'auteur  embrasse  est  immense  :  une  vingtaine  de  siècles 
dans  le  temps  ;  et,  pendant  cette  longue  durée,  le  va-et-vient  des  échanges  à 
l'intérieur  du  pays  ou  avec  les  nations  étrangères,  les  voies  et  moyens  de 
communication,  l'évolution  des  monnaies  et  du  crédit,'  la  grandeur  et  la 
décadence  des  marchés  et  des  foires,  la  fondation  et  l'exploitation  des  colo- 
nies, les  variations  des  tarifs  douaniers,  voilà  les  principaux  points  qui  atti- 
rent tour  à  tour  l'attention  de  l'historien. 

La  matière  y  est  divisée  en  sept  livres  et  en  neuf  périodes.  C'est  peut- 
être  sur  la  multiplication  excessive  de  ces  périodes,  subdivisées  encore  en 
sous-périodes,  que  pourrait  porter  la  critique.  Elles  sont  trop  souvent  datées 
par  l'avènement  d'un  roi,  c'est-à-dire  par  un  accident  politique  qui  n'a  pas 
nécessairement  une  importance  économique.  Il  vaudrait  mieux,  à  mon  avis, 
qu'elles  fussent  déterminées  par  quelque  grand  changement  dans  l'organisme 
social,  ou  simplement  dans  les  conditions  et  l'étendue  du  marché  commer- 
cial. 

Cela  dit,  il  faut  rendre  justice  à  la  conscience  de  l'écrivain,  à  sa  richesse 
d'informations,  surtout  pour  l'époque  moderne,  à  l'effort  souvent  heureux 
qu'il  a  fait  pour  classer  une  multitude  de  données  très  diverses.  C'est  en 
somme  un  livre  de  haute  vulgarisation,  pareil  à  un  grand  réservoir  d'où  il 
est  à  souhaiter  que  les  notions  précises,  dont  il  est  plein,  se  répandent  en 
nappes  fécondantes  dans  notre  enseignement  secondaire.       G.  Rexard. 

P.  Hazard.  —  La  Révolution  française  et  les  Lettres  italiennes.  — 
Paris,  Hachette,  19 10,  in-8,  500  p.,  10  fr. 

Ouvrage  important,  abondamment  et  solidement  documenté  ;  ample 
répertoire  des  relations  littéraires  entre  la  France  et  l'Italie  de  1796  à  181 5, 


70  —    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

qui  se  trouve  être  en  même  temps  un  chapitre  fondamental  de  l'histoire  de 
la  littérature  italienne  pendant  la  même  période.  Avec  cela  beaucoup  d'idées, 
beaucoup  de  finesse  et  d'animation. 

L'auteur  nous  apprend  :  comment  les  idées  françaises  pénètrent  avant 
les  armées  françaises  et  avec  elle  ;  dans  quels  domaines  elles  agissent  princi- 
palement ;  comment  l'esprit  italien  essaie  d'abord  de  réagir  ;  puis,  après 
1800,  comment  s'exerce  la  pression  napoléonienne  sur  les  esprits,  comment 
s'organise  la  résistance  sur  les  terrains  où  elle  est  permise  :  la  philosophie, 
la  littérature,  la  langue  ;  enfin  comment  les  littératures  du  Nord,  par  l'inter- 
médiaire de  la  France  même  pénètrent  en  Italie  et  y  contribuent  à  la 
transformation  définitive  de  l'esprit  public  et  à  la  fin  de  l'hégémonie  fran- 
çaise. 

J'avoue  que  sur  cette  construction,  sur  cette  histoire,  quelque  peu  dra- 
matique, de  la  lutte  entre  l'esprit  français  et  l'esprit  italien,  je  crois  qu'il  y 
aurait  à  redire.  Les  choses  ne  se  sont  pas  probablement  passées  tout  à  fait 
ainsi.  Et  la  thèse  favorite  de  l'auteur  :  que  l'influence  de  la  Révolution  fran- 
çaise prépare  la  fin  de  l'hégémonie  française,  est  un  peu  trop  ingénieuse, 
non  pas  pour  être  vraie  (il  se  peut  qu'elle  le  soit),  mais  pour  servir  de  fil  con- 
ducteur à  une  aussi  vaste  matière  historique.  Il  est  vrai  que,  dans  le  corps  du 
livre,  sous  la  masse  des  faits  le  système  souvent  disparaît  ;  on  ne  voit  plus 
—  et  c'est  bien  —  que  l'histoire  intellectuelle  du  peuple  italien,  exposée  avec 
une  abondance,  une  largeur  de  vues,  et,  en  particulier,  un  soin  dans  l'étude 
des  conditions  de  la  vie  intellectuelle,  des  procédés  et  des  agents  de  l'impor- 
tation, des  phénomènes  collectifs,  des  rapports  entre  la  littérature  et  l'esprit 
public,  qui  sont  encore  aujourd'hui  chose  rare. 

L'auteur  aurait  dû  dire  plus  clairement,  pour  éviter  tout  malentendu, 
qu'il  ne  donnait  pas  toute  l'histoire  intellectuelle  de  l'Italie  pendant  cette 
période.  Il  manque  à  ce  livre,  pour  donner  à  l'ensemble  des  faits  qu'il  rapporte 
sa  juste  valeur,  une  sorte  de  contrepartie,  où  serait  montré  :  i°  tout  le 
travail  intellectuel  qui  se  poursuit  en  dehors  de  l'influence  française  comme 
en  dehors  de  la  réaction  qu'elle  provoque;  2°  le  considérable  bagage  intel-' 
lectuel  (importé  ou  national)  antérieur  à  la  Révolution  française,  et  qui  agit 
en  même  temps  qu'elle. 

Il  y  aurait  beaucoup  de  choses,  et  importantes,  à  ajouter  à  ce  qui  est  dit 
des  «  Effets  de  la  Révolution  avant  la  conquête  »  ;  en  dépit  de  ce  qu'annonce 
son  titre,  l'auteur  a  sacrifié  (36  pages  sur  500)  cette  période  de  sept  années, 
où  pourtant  l'influence  française  est  si  forte,  malgré  la  réaction,  et  qui  éclaire 
si  utilement  les  vingt  années  suivantes. 

Enfin,  j'aurais  aimé  un  peu  plus  de  discernement  dans  l'emploi  des  docu- 
ments, jetés  en  trop  grande  abondance  dans  le  texte,  alors  qu'un  grand 
nombre  auraient  mieux  figuré  en  note  ou  mieux  encore  dans  des  réper- 
toires analytiques  en  appendice.  L'accumulation  des  «  faits  à  l'appui  »  produit, 
à  plusieurs  endroits,  le  contraire  de  l'évidence  ;  et  le  «  significatif  »  est  quel- 
quefois sacrifié  au  pittoresque.  Savoir  maîtriser  le  document,  c'est  l'art  des 
maîtres  :  M.  Hazard,  qui  est  à  ses  débuts,  nous  le  montrera  dans  son  pro- 
chain ouvrage. 

J.  Luchaire. 


Géographie  ■    ■  71 


P.  Walle.  —  Au  Brésil.  De  F  Uruguay  au  Rio  de  Sûo  Francisco.  — 
Paris,  Librairie  orientale  et  américaine,  E.  Guilmoto,  19 10,  in-8, 
xvm-444  p.,  8  fr.  50.  —  Au  Brésil.  Du  Rio  Sào  Francisco  à  l'Amazone. 
—  Ibid.,  1910,  in-8,  464  p.,  10  fr. 

M.  Paul  Walle  publie  dans  ces  deux  volumes  les  résultats  d'une  vaste 
enquête  qu'il  vient  d'entreprendre  dans  les  différentes  parties  du  Brésil.  Déjà 
familier  avec  l'Amérique  du  Sud,  auteur  d'un  livre  apprécié  sur  le  Pérou 
économique,  M.  Walle  visitait  pour  la  quatrième  fois  les  pays  dont  il  nous 
parle.  On  peut  dire  qu'il  est  allé  partout,  cherchant  sans  parti-pris  à  se 
rendre  compte,  disant  simplement  ce  qu'il  a  vu,  avec  la  seule  préoccupation 
d'être  utile  à  ses  compatriotes.  L'ouvrage  est  donc  avant  tout  pratique. 
M.  Walle  s'excuse  d'avoir  systématiquement  écarté  les  anecdotes  et 
menus  incidents  de  voyage.  Nous  avons  tant  de  livres  qui  ne  sont  que  des 
recueils  d'anecdotes  qu'on  lui  saura  gré,  au  contraire,  d'avoir  fait  œuvre 
sérieuse.  A  vrai  dire,  l'art  d'exposition  fait  un  peu  défaut;  il  y  a  parfois  sur- 
abondance de  renseignements,  l'essentiel  ne  se  dégage  pas  toujours  assez 
nettement  de  ces  pages  trop  pleines  ;  mais  pour  qui  voudrait  voyager  au 
Brésil,  y  nouer  des  relations  commerciales,  pour  qui  veut  simplement  être 
informé  sur  les  ressources  et  le  développement  du  pays,  en  un  temps  où  les 
capitaux  français  sont  de  plus  en  plus  sollicités  à  s'y  employer,  l'ouvrage  est 
à  recommander  sans  réserve.  M.  Walle  s'est  acquitté  en  conscience  de  la 
mission  que  lui  avait  confiée  le  Ministre  du  Commerce. 

Il  ne  peut  être  question  de  rendre  compte  en  quelques  lignes  de  livres 
qui  contiennent  tant  de  choses.  L'enseignement  qu'on  retire  de  leur  lecture, 
c'est  que  le  Brésil,  depuis  une  période  qu'on  peut  faire  commencer  avec 
l'établissement  de  la  république  (1889),  est  en  très  grand  progrès.  La  capi- 
tale, Rio  de  Janeiro,  a  été  transformée,  assainie  ;  les  grands  ports  ont  été 
aménagés  ou  sont  en  train  de  l'être.  Partout  des  lignes  ferrées,  des  télé- 
graphes ont  été  poussés  vers  l'intérieur.  Dans  les  grands  centres,  des  établis- 
sements industriels  ont  été  créés.  Les  États  du  Sud  ont  surtout  gagné  :  la  ville 
de  Sào  Paulo  a  passé  de  35.000  habitants,  en  1890,  à  340.000  en  1910; 
Santos,  où  régnait  en  permanence  la  fièvre  jaune,  est  aujourd'hui  une  ville 
de  70.000  habitants.  Porto  Alegre,  la  capitale  du  Rio  Grande  do  Sul,  a  plus 
que  doublé  sa  population  depuis  vingt  ans  ;  elle  compte  aujourd'hui 
100.000  habitants.  Presque  partout  le  pays  est  salubre  ;  même  dans  le  bassin 
de  l'Amazone,  sur  lequel  régnent  encore  tant  de  préjugés,  l'Européen  peut 
vivre  et  se  livrer  au  travail.  Les  fièvres  paludéennes  n'y  sévissent  guère  que 
sur  les  chercheurs  de  caoutchouc,  dont  l'hygiène  est  déplorable.  M.  Walle 
cite  cet  exemple  probant  qu'en  pleine  forêt  vierge,  sur  les  chantiers  du  che- 
min de  fer  Madeira-Mamoré,  la  santé  des  terrassiers  italiens  et  espagnols 
reste  très  satisfaisante.  Il  est  vrai  qu'on  n'embauche  que  des  hommes 
sobres  et  robustes  et  que  l'alcool  est  sévèrement  proscrit.  Le  pays  est  im- 
mense, la  mise  en  valeur,  sur  beaucoup  de  points,  en  est  à  peine  commencée, 
les  possibilités  de  développement  sont  infinies.  Est-ce  à  dire  qu'il  n'y  ait 
aucune  réserve  à  faire  ?  Le  Brésil,  sauf  dans  sa  partie  méridionale,  est  un 
pays  tropical  et  le  climat  y  pèse  sur  l'organisme  humain  ;  d'autre  part,  les 
iacilités  qu'offre  la  vie,  n'incitent  guère  à  l'énergie.  L'indolence  native  paraît 
sans  remède,  surtout  dans  les  vieux  États  du  Nord  où  dominent  les  nègres  et 


72  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

les  gens  de  couleur.  Il  faut  signaler  encore  le  danger  de  cultures  ou  d'ex- 
ploitations trop  exclusives.  On  sait  à  quelle  crise  économique  a  conduit  dans 
l'Etat  de  Sào  Paulo  la  culture  presque  unique  du  caféier.  L'exploitation  à 
outrance  des  arbres  à  caoutchouc,  sans  qu'on  prenne  soin  de  créer  des  plan- 
tations d'hevea,  paraît  menacer  à  bref  délai  les  États  de  l'Amazone.  La  cri- 
tique est  donc  à  côté  de  l'éloge  et  le  témoignage  de  M.  Walle  n'en  a  que 
plus  de  prix.  Ces  deux  livres  sont  ornés  de  nombreuses  phototypies  mon- 
trant l'aspect  des  villes,  des  cultures,  les  principaux  sites.  La  grande  carte  du 
Brésil  qui  les  accompagne  est  à  la  fois  trop  petite  d'échelle,  et  d'une  exécu- 
tion bien  médiocre.  Elle  est  presque  illisible.  On  a  bien  fait  d'y  suppléer 
dans  le  second  volume  par  de  petites  cartes  des  différents  Etats,  encore  que 
la  représentation  du  relief  y  soit  bien  archaïque.  L.  Gallois. 

E.  F.  Gautier.  —  La  Conquête  du  Sahara  (Essai  de  psychologie 
politique).  — Paris,  A.  Colin,  1910,  in-12,  272  p.,  3  fr.  50. 

L'auteur  avait  écrit  sur  le  Sahara,  qu'il  connaît  pour  l'avoir  parcouru 
lui-même,  le  livre  d'un  savant  (1).  Ensuite,  comme  pour  un  délassement, 
sa  plume  s'est  faite  ironique,  et  le  polémiste  a  remplacé  le  géographe.  Le 
livre  est  attrayant.  M.  Gautier,  avec  une  discrétion  charmante  d'ailleurs, 
laisse  deviner  certains  dessous  amusants,  par  quoi  s'expliquent  tant  d'affaires 
coloniales,  celle  d'In-Salah  entre  autres.  Dans  de  pareilles  entreprises  la 
part  du  hasard  est  grande  et  très  souvent  l'inattendu  vient  bouleverser  les 
projets  qu'élaborent  les  bureaux  du  ministère.  Et  pourtant  ces  événements 
imprévus  ont  leur  logique  à  eux,  très  rigoureuse,  même.  —  La  dernière 
partie  résume  les  idées  fort  intéressantes  de  l'auteur  sur  le  Transsaharien  :  s'il 
ne  faut  pas  se  faire  illusion  sur  la  valeur  économique  du  Sahara,  l'on  doit 
pourtant  cesser  de  considérer  ce  chemin  de  fer  «  comme  une  utopie  ridi- 
cule ».  Le  Transsaharien  se  fera  et  cette  «  grande  voie  de  communication 
mondiale  »  coûtera  à  établir  moins  cher  qu'on  ne  pense.  Le  grand  public  vit 
dans  une  ignorance  profonde  et  regrettable  de  ce  qui  touche  notre  empire 
colonial.  Aussi  M.  Gautier  fait-il  bien  d'avoir  écrit  un  livre  plaisant  qui  ne 
rebutera  pas  ce  genre  de  lecteurs.  Peut-être  seulement  les  a-t-il  supposés 
plus  savants  qu'ils  ne  sont  ;  un  chapitre  manque,  au  début,  où  la  question 
saharienne  serait  délimitée  nettement,  et  située  dans  le  temps  et  dans  l'espace. 
L'on  serait  presque  tenté  de  faire  à  l'auteur  le  reproche,  qu'encourent  sou- 
vent les  spécialistes,  d'avoir  quelquefois  sous-entendu  l'essentiel. 

A.  d'Estournelles  de  Constant. 


M.  deGasté.  —  Réalités  imaginatives...  Réalités  positives.  Essai  d'un 
code  moral  basé  sur  la  science.  —  Paris,  Alcan,  191 1,  in-8,  347  p., 
7  fr.  50. 

M.  de  Gasté,  homme  de  sport,  conçoit  à  quarante  ans  l'importance  du 
raisonnement  scientifique  dans  l'amélioration  du  cheval  trotteur,  et,  ne  pou- 


(1)  Gautier,  Le  Sahara  algérien,  Colin,  1908,  in-8. 


Sciences  — -.  73 

vant  imposer  ses  convictions  aux  éleveurs  imbus  de  préjugés,  reconnaît  le 
danger  de  l'argument  d'autorité  tant  dans  la  vie  courante  qu'au  point  de  vue 
moral.  Après  avoir  «  révisé  ses  convictions  »,  dit  M.  Le  Dantec  dans  la 
préface,  «  il  a  pensé  que  son  travail  pourrait  être  utile  à  ceux  qui  ont  une  vie 
analogue  à  la  sienne;  il  a  écrit  un  livre  pour  les  gens  de  ce  monde  auquel  il 
appartenait  naguère  par  la  forme  de  son  esprit,  et  où  l'on  croit  aisément  tout 
savoir  parce  qu'on  ne  s'est  jamais  rien  demandé.  » 

Il  y  a,  d'après  M.  de  Gasté,  des  Réalités  positives  que  nous  indiquent  la 
réflexion,  l'observation  et  la  démonstration  expérimentale  ;  les  principes 
de  la  morale  doivent  être  basés  sur  elles  et  nullement  sur  l'opinion  ou  la 
coutume,  qui  ne  sont  que  le  résultat  d'impressions  n'ayant  aucun  rapport 
avec  la  réalité  des  choses  ;  d'où  des  définitions  du  bien  et  du  mal,  du  droit 
et  du  devoir.  La  morale  naturelle  doit  reposer  sur  des  principes  naturels,  et 
ceux  qui  paraissent  le  mieux  convenir  sont  les  lois  de  l'Evolution  des  êtres 
déduites  de  la  doctrine  darwinienne  :  la  loi  de  Sélection  par  le  meilleur,  la 
loi  d'Adaptation  à  un  milieu,  la  loi  de  Survivance  des  plus  aptes,  la  loi  de 
Formations  lentes,  la  loi  de  l'Évolution,...  la  loi  de  la  Division  du  travail  et 
celle  de  l'Interdépendance  sociale.  Ces  conclusions  résultent  d'une  discussion 
comparée  des  enseignements  de  la  Science  et  de  la  Religion  (p.  49-86). 
L'auteur  examine  ensuite  l'origine  de  la  pensée,  l'automatisme  de  la  pensée, 
l'intelligence  de  la  pensée  et  l'évolution  de  la  pensée  (p.  89-344). 

C'est  en  somme  un  livre  intéressant  pour  les  philosophes  qui  y  trouve- 
ront souvent  une  fraîcheur  d'idées  et  de  termes,  rare  dans  ce  domaine,  mais 
assez  confus,  parce  qu'on  y  trouve  les  traces  d'une  lecture  hâtive  de  plusieurs 
ouvrages  médiocres.  L.  Blaringhem. 


A.  Colson.  —  L'essor  de  la  Chimie  appliqua  (Bibliothèque  de 
Philosophie  scientifique).  —  Flammarion,  Paris,  19 10,  in-*8,  349  p., 
3  fr.  50. 

Le  livre  de  M.  Colson  renferme  un  exposé  consciencieux  du  mouvement 
scientifique  le  plus  important,  peut-être,  des  temps  modernes  ;  depuis  la 
fabrication  de  la  fonte  jusqu'à  la  synthèse  des  parfums  les  plus  subtils,  la 
chimie  a  mis  son  empreinte  sur  tous  les  produits  de  notre  civilisation.  L'au- 
teur passe  en  revue  ces  multiples  industries,  dont  le  nombre  est  tel  qu'il  est 
forcé  de  ne  consacrer  à  chacune  qu'une  rapide  monographie  ;  et  ceci  est  la 
principale  critique  que  je  me  vois  contraint  d'adresser  à  ce  livre  ;  il  parait 
impossible,  dans  un  ouvrage  de  vulgarisation,  de  traiter  un  sujet  aussi  vaste 
sans  se  résigner  à  y  faire  de  larges  coupures  ;  quelques  exemples,  bien  choisis 
et  développés  à  loisir,  vaudraient  mieux  qu'une  accumulation  de  faits,  de 
réactions  et  de  données  numériques  où  l'esprit  risque  de  s'égarer.  Et,  comme 
si  le  sujet  n'était  pas  déjà  trop  vaste,  M.  Colson  a  cru  bon  d'y  ajouter  des 
questions  qui  ne  se  rattachent  à  la  chimie  appliquée  que  par  un  lien  assez 
lâche  :  les  expériences  de  Ramsay  et  la  dégradation  des  éléments,  les 
enzymes,  les  diastases,  le  charbon,  la  rage,  la  diphtérie,  la  lumière  ultra- 
violette, la  loi  des  phases,  l'entexie,  que  sais-je  encore  !  Ne  vaudrait-il 
pas  mieux  extraire,  à  l'intention  du  lecteur,  la  moelle  de  cette  grande 
évolution  chimique,  en  montrer  les  voies  générales,  et  déterminer  les  facteurs 
agissants  ? 


74  —    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

Cette  critique  faite,  je  ne  puis  oublier  que  ce  livre,  écrit  par  un  auteur 
de  compétence  indiscutable,  s'appuie  sur  une  documentation  très  complète 
et  très  moderne.  Mais  je  ne  puis  comprendre  comment  l'éditeur  a  osé  «  illus- 
trer »  l'ouvrage  par  des  figures  qui  deshonoreraient  le  cahier  d'un  mauvais 
élève  de  dixième  ;  une  pareille  négligence  est  sans  excuse. 

L.     HOULLEVIGUE. 


LIVRES  ANNONCÉS  SOMMAIREMENT. 


LITTERATURE. 


E.  Moselly.  Joson  Meunier.  —  Paris,  Ollendorff,  in-16,  3  fr.  50.  —  Un  pauvre 
paysan  lorrain,  meurtri  par  les  durs  travaux  et  par  les  douloureuses  épreuves,  a 
reporté  sur  son  fils  toutes  ses  espérances.  Tandis  qu'il  «  trime  comme  un  sau- 
vage »,  une  idée  le  réconforte  :  «  Mon  fils  sera  plus  heureux  que  moi  !  »  Il  se 
saigne  pour  mettre  l'enfant  au  collège.  Et  Maurice  triomphe  aux  distributions  des 
prix  —  entre  à  l'École  Polytechnique  —  en  sort  lieutenant  d'artillerie  —  épouse 
la  fille  du  riche  voisin,  de  l'orgueilleux  industriel  —  ;  bref  le  voilà  un  «  Mon- 
sieur »  —  qui  n'a  plus  que  mépris  pour  son  bonhomme  de  père.  Maintenant 
Joson  avec  sa  blouse,  ses  mains  calleuses,  son  parler  rustique,  lui  fait  honte.  Et 
le  pauvre  vieux,  mis  au  rancart,  ne  songe  plus  qu'à  se  terrer,  loin  du  fils  ingrat, 
en  attendant  la  mort  libératrice.  —  Cette  simple  et  touchante  histoire,  qui  est 
parfois  une  histoire  vraie,  M.  Moselly  l'a  contée  avec  une  émotion  discrète,  dans  la 
manière  sobre  et  délicate  qui  fit  naguère  le  succès  de  Jean  des  Brebis  et  de  Terres 
lorraines.  Cette  fois  encore,  c'est  dans  des  paysages  lorrains  que  s'encadre  le 
récit  ;  ils  lui  ont  communiqué,  semble-t-il,  leur  distinction  un  peu  sèche  et  leur 
finesse  un  peu  grêle.  On  saura  gré  d'ailleurs  à  M.  Moselly  de  n'avoir  pas  écrit 
un  roman  à  thèse  :  dans  ce  genre,  et  sur  la  question  que  soulève  le  sujet  traité, 
Y  Étape  de  M.  Bourget  suffit.  M.  Lange. 

Jane  Catulle-Mendès.  Les  petites  confidences.  Che\  soi,  avec  un  portrait  de  l'auteur  par 
Albert  Michaut.  —  Paris,  Sansot,  191 1,  in-12,  o  fr.  90.  —  Petites,  toutes  petites 
confidences,  et  pourtant  que  d'énormités  !  l'idolâtrie  de  soi-même  y  est  sans 
bornes.  Orgie  verbale,  littératurite  poussée  au  paroxysme.  C'est  un  document 
pour  une  pathologie  de  la  littérature  contemporaine.  Ainsi  pris,  ce  ne  serait  pas  sans 
valeur.  J.  Merlant. 

C.  Jakobowski.  Werther  le  JuiJ.  —  Paris,  Librairie  nationale,  191 1,  3  fr.  50.  —  On  a 
jugé  à  propos  de  traduire  ce  médiocre  roman  judéo-allemand.  Le  seul  intérêt 
qu'il  présente,  en  sa  naïveté,  est  de  faire  connaître  à  qui  ne  les  connaît  pas  quel- 
ques manières  d'être  étrangères  :  mélange  de  sentimentalité,  de  brutalité  et  de 
muflerie.  P.  D. 

C.  Dormier.  Le  Val  d'Amour,  nouvelles  franc-comtoises.  — Paris,  Nouvelle  Librairie 
Nationale,  1910,  in-18,  3  fr.  50.  —  Un  des  meilleurs  volumes  de  la  collection 
des  écrivains  régionaux,  les  Pays  de  France.  Des  récits  courts,  alertes,  où  s'ex- 
priment les  divers  aspects  du  caractère  comtois,  tels  que  les  définit  la  brève  pré- 
face. Le  livre  s'ouvre  et  s'intitule  par  la  légende,  assez  connue,  de  la  vouivre  du 
Val  d'Amour,  c'est-à-dire  du  pays  de  la  Loue  entre  le  Doubs,  le  Jura  et  la  forêt 
de  Chaux.  Mais  ensuite  les  usages  et  les  paysages  décrits  évoquent  la  Comté 
presque  entière,  de  Montbéliard  à  Salins.  Le  cadre  sobre  de  chaque  nouvelle,  les 
traits  de  mœurs  variés  sont  excellents.  Très  heureux  aussi,  mais  avec  quelque 
excès  de  stylisme,  de  manière,  les  tableautins  rustiques,  les  poèmes  en  prose   de 


Livres  annoncés  sommairement  r         ■        j    ..  75 

la  fin.  Quant  aux  -récits  ils  ont  tous,  mais  ils  ont  trop,  et  trop  uniformément,  une 
qualité,  certes,  qui  manque  à  plus  d'un  recueil  analogue  :  l'invention  drama- 
tique —  ou  mélodramatique.  Scènes  de  vengeance  jalouse  et  de  guerre,  ren- 
contres fortuites  et  douloureuses  d'êtres  rapprochés  des  extrémités  du  monde, 
rien  là-dedans  qui,  pris  à  part,  ne  soit,  à  la  rigueur,  vraisemblable  et  même  émou- 
vant :  au  reste,  une  tradition  orale,  souvent  un  fait  réel,  a  fourni  maint  sujet. 
Mais  de  ces  sombres  accidents,  en  série,  l'un  fait  tort  à  l'autre.  Érigé  en  système, 
le  recours  littéraire  au  hasard  ou  au  crime  est  un  système  puéril,  faux  et  froid. 
On  lira  donc  ce  recueil  à  petites  doses,  par  intervalles,  en  s'attachant  plus  à  l'at- 
mosphère, au  détail,  qu'aux  faits  eux-mêmes   et  surtout  qu'aux  dénouements. 

J.  Bury. 

M.  Morel.  Violettes  et  primevères.  Poésies  enfantines,  pièces  à  dire.  —  Paris,  Larousse, 
s.  d.  [191 1  j,  in-12,  1  fr.  50.  —  M.  Maurice  Morel  a  écrit  déjà  sur  les  enfants  et 
la  famille  de  fort  jolies  choses,  délicatement  senties  et  exprimées  avec  une  heu- 
reuse originalité.  Aujourd'hui  c'est  pour  les  enfants  eux-mêmes  qu'il  écrit  :  son 
inspiration,  qu'a  toujours  dominée  une  haute  culture  philosophique  et  un  souci 
esthétique  très  avisé,  se  fait  ici  toute  simple  et  familière  et  tente  de  mettre  le 
Beau  et  le  Vrai  à  la  portée  des  tout  petits.  Tâche  difficile,  où  l'auteur  a  souvent 
réussi  :  si  les  fresques  enfantines  à  sujet  historique  ont  un  aspect  un  peu  bana- 
lement primaire,  toute  la  première  partie  est  fine,  jolie  et  accessible.  Ce  livre 
plaira,  il  sera  lu,  récité  et  justement  aimé  des  petits  et  des  grands.    F.  Gaiffe. 

Jeanne  Termier.  Derniers  Refuges  (Poèmes).  —  Paris,  Grasset,  in-12,  1910,  3  fr.  50. 
—  La  jeune  poétesse  a  voulu  exprimer  l'angoisse  morale  où  notre  siècle  vit  :  cette 
angoisse  vient  de  notre  attitude  trop  intellectuelle,  et  de  la  multiplicité  des  doc- 
trines :  il  paraît  que  la  joie  chrétienne  est  le  dernier  refuge.  Ces  idées,  claires 
dans  la  préface,  s'ennuagent  de  symboles  sentimentaux  et  mélancoliques  dans  le 
livre  même.  Le  vers,  aux  coupes  volontairement  incertaines,  ajoute  du  trouble  à 
ces  images  tristes  qu'  «  une  jeune  fille  de  vingt  et  un  ans  »  a  rêvées.  On  vou- 
drait aux  idées  plus  de  précision,  donc  d'originalité,  et  parfois  un  peu  de  joie 
humaine.  J.  Morel. 

HISTOIRE. 

Em.  Cauderlier.  L'Église  infaillible  devant  la  Science  et  l'Histoire.  —  Paris, 
E.  Nourry,  1910,  in-18,  1  fr.  25.  —  Le  titre  serait  plutôt  :  L'Église  contre 
la  Science.  Liée  par  la  tradition  à  son  histoire  sainte,  qui  implique  une  cosmo- 
graphie, une  géologie  et  une  préhistoire,  l'Église  catholique  a  proscrit  la  recherche 
scientifique  tant  qu'elle  en  a  eu  le  moyen  ;  depuis  que  la  recherche  scientifique 
est  libre,  elle  a  vingt  fois  convaincu  d'erreur  l'Église  infaillible.  Artifices  divers 
de  l'Église  pour  couvrir  ses  défaites.  Actuellement,  le  déluge  se  passe  sous 
silence  dans  les  facultés  catholiques  ;  dans  les  conférences  d'apologétique,  c'est 
un  «  diluvium  volcanique  plus  ou  moins  étendu  »  ;  dans  les  collèges  secondaires, 
il  ne  noie  que  la  terre  habitée  ;  dans  les  écoles  des  frères,  c'est  le  vieux  déluge 
universel.  —  L'auteur  devrait  citer  les  livres  qu'il  résume.  L'un  d'eux  est  excel- 
lent, la  Question  biblique  de  M.,Houtin.  Pour  la  partie  ancienne,  M.  Cauderlier 
est  mal  informé.  Ainsi  (p.  14)  il  n'est  pas  sûr  que  le  pape  Zacrurie  et  saint 
Boniface  aient  «  nié  les  antipodes  ».  Alexandre  III  (p.  10),  au  concile  de  Tours 
de  1 165,  n'a  pas  «  défendu  l'étude  de  la  physique  et  des  lois  du  monde  »,  il  a 
interdit  aux  moines  de  quitter  leurs  couvents  pour  étudier  l'art  de  l'apothicaire  et 
le  droit  laïque  (Jcges  mundanas)  ;  le  texte  n'avait  rien  à  voir  ici.  Malgré  cette 
bourde  et  quelques  autres  erreurs,  petit  livre  sincère,  dont  la  seconde  partie  est 
fort  intéressante.  E.  Ch.  Babut. 

Amours  et  Coups  de  Sabre  d'un  Chasseur  à  Cheval  (1800-1809).  —  Paris,  L.  Michaud, 
1911,  in-12,  1  fr.  50.  —  C'est  une  réédition  partielle  des  souvenirs  de  Parquin. 


76  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

L'auteur,  ex-capitaine  de  légère  à  la  garde,  les  rédigea  en  1843  dans  la  prison  de 
Doullens  où  l'avait  conduit  son  dévouement  aux  Bonaparte.  Le  volume  est 
coquet,  l'illustration  soignée  ;  l'introduction  de  M.  A.  Savine  est  solide  ;  des 
notes,  tirées  des  documents  d'archives  et  des  mémoires,  sont  là  pour  donner,  à 
propos  des  noms  des  militaires  cités,  les  éclaircissements  nécessaires  ;  il  est 
regrettable  qu'un  travail  de  ce  genre  n'ait  pas  été  entrepris  pour  les  noms  de 
lieux.  —  Parquin  conte  ses  aventures  sans  art,  et  même  avec  maladresse  ;  pour- 
tant on  prend  plaisir  à  le  relire,  car  maints  détails  curieux  s'y  trouvent,  relatifs  à 
la  vie  qu'on  menait  «  chez  l'habitant  »  en  Pologne,  en  Allemagne  et  en  Hongrie. 

A.  E.  C.  R. 

C.  Latreille.  Après  le  Concordat.  L'opposition  de  1803  à  nos  jours.  —  Paris,  Hachette, 
1910,  in-16,  3  fr.  50.  — L'opposition  religieuse  au  Concordat.  La  petite  église  de 
Lyon.  —  Lyon,  Lardanchet,  191 1,  in-16.  —  Ces  deux  volumes  sont  la  suite  et  le 
complément  de  L'opposition  religieuse  du  Concordat  de  1792  à  1803,  dont  nous 
avons  précédemment  rendu  compte  (n°  du  15  Juillet  1910).  —  Dans  le  premier, 
l'auteur  conduit  jusqu'à  nos  jours  l'histoire  de  la  Petite  Église,  c'est-à-dire  du 
clergé  et  des  fidèles  irréductiblement  hostiles  au  Concordat  et  attachés  à  la  doc- 
trine de  l'inamovibilité  de  l'épiscopat.  Il  raconte  les  persécutions  qu'elle  subit  sous 
le  Consulat  et  l'Empire,  ses  vaines  espérances  sous  la  Restauration,  la  déception 
que  lui  causa  le  Concordat  de  181 7,  la  dissolution  du  groupe  des  prélats  oppo- 
sants dont  les  uns  finirent  par  se  rallier  à  l'Eglise  romaine,  dont  les  autres 
moururent,  si  bien  que,  dès  le  règne  de  Charles  X,  l'ancien  évêque  de  Blois, 
l'octogénaire  Thémines,  demeura  le  seul  chef  des  dissidents  ;  la  vie  des  petites 
communautés  qui  se  maintinrent  à  Lyon,  à  Vendôme,  en  Normandie  et  dans 
l'Ouest,  leur  tentative  infructueuse  auprès  du  Concile  de  1870,  l'état  actuel  de 
ces  survivants  qui,  ne  voulant  pas  se  soumettre  à  l'absolutisme  pontifical,  s'obsti- 
nent à  rester  en  marge  de  l'Église  officielle,  et  «  mettent  leur  confiance  en 
Dieu,  sans  s'inquiéter  de  l'avenir  ».  —  Le  second  volume  retrace  par  le  menu 
l'histoire  du  groupe  lyonnais  de  ces  catholiques  encore  aujourd'hui  fidèles  à  leur 
doctrine  et  à  leur  foi,  intransigeants,  «  profondément  convaincus,  admirables  par 
leur  élévation  morale,  par  leur  piété,  et  peut-être  par  leur  obstination  même  ». 
Le  sujet  pouvait- il  fournir  la  matière  de  trois  volumes,  sans  éviter  les  longueurs 
et  les  redites  ?  En  tout  cas,  la  documentation  est  riche  et  neuve. 

C.   Bloch. 

Ch.  Péguy.  Victor-Marie  comte  Hugo.  —  Paris,  1910,  Cahiers  de  la  Quinzaine, 
in-18,  sans  indication  de  prix.  —  M.  Péguy  compte  des  admirateurs.  Mais,  appa- 
remment, il  n'a  pas  écrit  ce  volume  pour  eux  seuls,  puisqu'il  l'a  fait  tirer  à  seize 
cents  exemplaires.  N'est-il  pas  permis  de  se  demander  si,  en  dehors  de  son 
groupe  de  fidèles,  il  se  trouvera  des  lecteurs  pour  se  plaire  à  l'étrange  «  ma- 
nière »  qu'il  a  adoptée,  et  si  beaucoup  ne  seront  pas  déçus  lorsque,  dans  un 
livre  sur  Victor  Hugo,  il  leur  faudra  lire  près  de  cent  pages  qu'emplit  seule  la 
personne  de  M.  Péguy?  M.  Pellisson. 

A.  Lefebvre.  L'inconnue  de  Prosper  Mérimée.  Sa  vie  et  ses  œuvres  authentiques.  — 
Paris,  E.  Sansot,  1910,  in-12,  3  fr.  50.  —  Elle  se  nommait  Jeuny1  Dacquin  et 
était  la  fille  d'un  notaire  de  Boulogne-sur-Mer.  A  vingt  ans,  sous  le  pseudonyme 
de  Léona,  elle  «  jetait  sur  le  papier  ses  sensations  fugitives.  »  Elle  disait  ses 
rêves  d'exotisme,  son  amour  de  la  mer  ;  elle  rimait  des  barcarolles,  qui  n'auraient 
pas  assuré  l'immortalité  à  son  nom.  Mais,  en  octobre  1831,  elle  eut  l'idée 
d'écrire  à  Mérimée  pour  obtenir  un  autographe  de  lui,  et  ce  fut  le  début  de  la 
longue  aventure.  Tout  d'abord  Mérimée  n'était  pas  sans  défiance.  Cette  démar- 
che inattendue  ne  cachait-elle  pas  un  piège  ?  ne  risquait-il  pas  d'être  conduit  au 
mariage  ?  Que  penser  d'ailleurs  de  cette  mystérieuse  correspondante  qui  signait 
lady  Algernon  Seymour?    Une  jeune  muse  départementale  ?   Une  aventurière  ? 


Livres  annonces  sommairement  ■     77 

Peut-être  une  matrone  romanesque  ?...  Il  la  vit  et  fut  rassuré.  —  M.  Lefebvre 
suit  de  très  prés  l'histoire  de  cette  amitié  amoureuse.  Son  grand  souci  est 
d'établir  que  jamais  ne  furent  franchies  les  limites  d'un  attachement  platonique. 
C'est  un  point  sur  lequel  il  est  toujours  difficile  de  se  prononcer.  Au  reste  la 
chose,  pour  nous,  n'est  pas  de  très  grande  importance...  Etait-il  bien  utile  aussi 
de  nous  révéler  les  premiers  essais  de  la  jeune  fille  et  de  publier  cette  série  de 
lettres  inédites  ?  On  y  trouvera  des  impressions  de  voyage  assez  banales.  Quant 
aux  jugements  littéraires,  voici  :  «  Je  viens  d'avoir  la  dernière  partie  des  Misé- 
rables ;  je  ne  sais  qu'en  penser  ;  cela  se  laisse  lire.  »  —  M.  Lefebvre  a  tenu  a 
nous  bien  faire  connaître  Jenny  Dacquin  ;  mais  toute  sa  gloire  restera  d'avoir 
été  l'Inconnue.  J.  Marsan. 

P.  Albin.  Les  grands  traités  politiques.  Recueil  des  principaux  textes  diplomatiques 
depuis  1 81 5  jusqu'à  nos  jours.  Bibliothèque  d'histoire  contemporaine.  — 
Paris,  Alcan,  191 1,  in-8,  7  fr.  —  Il  nous  manquait  un  instrument  de 
travail  qui  mît  à  notre  disposition  les  principaux  textes  diplomatiques, 
auxquels  il  est  fait  si  souvent  allusion  sans  qu'on  en  connaisse  exactement  la 
teneur.  Cet  instrument,  M.  Albin  l'a  établi  de  façon  fort  satisfaisante.  Après 
une  Î7itroduction  où  sont  groupés  les  textes  essentiels  qui  se  rattachent  au  Con- 
grès de  Vienne,  il  donne  ceux  qui  concernent  chaque  grande  région  du  monde, 
Europe,  Orient,  Afrique,  Asie,  Amérique,  Océanie,  et  finit  par  quelques  textes 
relevant  du  droit  arbitral  en  formation.  Il  va  sans  dire  que  nous  avons  affaire  à 
un  choix  :  M.  Albin  a  exclu  les  actes  à  caractère  commercial,  judiciaire  ou  admi- 
nistratif ;  ce  qui  est  plus  gênant,  c'est  qu'il  a  coupé  un  peu  trop  largement  dans 
la  forêt  touffue  des  actes  qui  concernent  les  grandes  questions  internationales,  ■ — 
Orient,  Afrique,  Extrême-Orient  ;  enfin,  il  y  a  vraiment  trop  peu  de  choses, 
dans  son  Recueil,  sur  le  droit  arbitral,  et  il  n'y  a  rien  sur  l'organisation  des  grandes 
institutions  internationales,  auxquelles  la  Suisse  sert  de  siège.  De  plus,  il  eût  été 
bonde  dresser  une  bibliographie,  même  sommaire,  non  pas  des  questions  diploma- 
tiques, mais  des  recueils  généraux  et  spéciaux,  des  sources,  en  un  mot  où  M.  Albin 
a  puisé  ses  textes.  On  lui  saura  gré,  en  revanche,  d'avoir  su,  à  l'intérieur  des 
grandes  divisions,  grouper  logiquement  les  textes  retenus  et  ne  pas  se  borner 
au  simple  ordre  chronologique,  de  les  avoir  commentés  par  des  notices  intro- 
ductives  sommaires,  mais  suffisantes,  et  une  annotation  qui  reproduit  souvent  des 
textes  secondaires,  d'avoir  enfin  permis  les  recherches  au  moyen  d'une  table 
alphabétique,  d'une  table  chronologique  et  d'une  table  analytique.  La  table  alpha- 
bétique, toutefois,  est  trop  sommaire,  et  M.  Albin  eût  dû  y  faire  figurer  tous  les 
noms  de  lieux  donnés  par  les  textes  et  dont  on  a  souvent  besoin  de  retrouver 
la  signification  diplomatique.  B.  G. 

J.  de  Gourmont.  Muscs  d'aujourd'hui.  —  Paris,  Mercure  de  France,  1910,  in-12, 
5  fr.  50.  -  De  ces  onze  poétesses  on  n'a  pas  voulu  nous  expliquer  le  coeur, 
innombrable  en  désirs,  sans  nous  montrer  aussi  le  visage,  à  plus  d'une  son  cher 
inspirateur.  Ce  livre  est  un  album,  un  écrin.  Des  autographes  prolongent  les 
confidences  des  portraits.  Les  notices  les  expliquent,  mais  sans  minutie  exté- 
rieure ;  ni  biographies,  ni  bibliographies,  ni  longues  déductions  ;  de  brèves  syn- 
thèses de  la  sensibilité  et  de  la  manière,  en  formules  expertes,  poétiques,  parfois 
subtiles,  en  citations  précises.  Un  préliminaire  Essai  de  physiologie  poétique  réunit 
les  théories,  les  vues  d'ensemble  sur  la  spontanéité  féminine  en  poésie.  La  sym- 
pathie de  l'exégète,  amoraliste,  verlainien,  mallarméen,  était  tout  acquise  à  nos 
muses,  à  leur  fougue  romantique  ou  païenne,  à  leurs  nouveautés  et  osons  dire 
leurs  impudeurs,  transpositions  sur  le  mode  de  leur  sexe  des  délicatesses,  des 
raffinements,  et  des  perversions  enfin,  des  poètes  mâles,  à  leur  recherche  ou  à 
leur  rencontre  d'une  musicale  imprécision  dans  la  forme.  Avec  quelle  ardeur  il 
défend  deux  «  nietzehéennes  »  prétendues,  calomniées  par  L'incompétence  des 
critiques  bourgeois  !  Et  pourtant  il  conclut  avec  une  modération  piquante  :  «  Ce 


78  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

travail  d'abeilles  butineuses  de  sensations  fraîches  n'aura  pas  été  inutile  :  un 
poète  de  génie  viendra  qui  fera  du  miel  avec  cette  cire  parfumée  de  l'odeur  de  la 
femme.  »  J.  B. 

R.  de  Chavagnes.  La  Vérité  sur  la  Russie.  —  Paris,  Vanier,  1910,  in-12,  1  fr.  50. 

—  Ce  livre  n'est,  à  proprement  parler,  qu'une  grosse  jbrochure  et  une  brochure 
à  scandale.  On  y  trouve  recueillis  pêle-mêle,  sans  l'ombre  de  discernement, 
des  racontars  affolants  de  révolutionnaires  russes,  des  extraits  anciens  de  docu- 
ments exacts,  aujourd'hui  sans  valeur,  des  citations  tronquées  de  livres 
sérieux,  et  enfin,  de  stupéfiants  coq-à-l*âne  qui  viennent  de  ce  que  l'auteur 
ignore  probablement  le  russe  et  la  Russie,  et  prend,  à  chaque  pas,  le  Pirée  pour 
un  nom  d'homme.  Un  seul  exemple  :  p.  22,  M.  de  Chavagnes  fait  du  grand  duc 
Nicolas  Nicolaévitch  deux  personnages,  «  les  grands  ducs  Nicolas  et  Nicolaévitch.  » 
Plus  grave  que  cette  amusante  bévue  est  l'opinion  émise  p.  29,  suivant  laquelle  : 
«  On  s'efforça  de  détruire  le  bien  communal...  pour  liquider,  au  détriment  de  la 
grande  masse  paysanne,  la  question  agraire.  »  En  réalité,  la  loi  qui  a  permis  à 
ceux  des  paysans  qui  vivaient  sous  le  régime  communal,  de  recevoir  la  libre 
disposition  de  leur  lot  de  terres,  et  qui,  en  même  temps,  a  fait  procéder  à  un 
«  remembrement  »  méthodique  des  parcelles,  à  été  le  signal  d'une  bienfaisante 
révolution  économique  qui  triplera,  sans  aucun  doute,  la  production  agricole  de 
la  Russie.  J.  Legras. 

V.  de  Pallarès.  Le  Crépuscule  d'une  Idole  (Nietzsche,   Niet^schéisme,  Nietzschéens). 

—  Paris,  Bernard  Grasset,  in-18,  3  fr.  50.  —  M.  de  Pallarès  a  lu  les  Œuvres  de 
Nietzsche  et  ses  lettres.  Ses  citations  ne  sont  pas  mal  choisies  ;  il  trouve,  çà  et 
là,  des  formules  heureuses.  Si  son  étude  passe  un  peu  inaperçue  entre  les  livres 

'  français  sur  Nietzsche  qui  l'ont  précédée  et  qui  la  suivront,  ce  n'est  pas,  comme 
l'auteur  le  croira  peut-être,  faute  d'un  parti-pris  admiratif.  Mais  c'est  qu'inspirée 
d'un  parti-pris  contraire,  pleine  de  reproches  et  de  réfutations,  elle  ne  nous  aide 
guère  à  comprendre  l'origine  des  pensées  de  Nietzsche,  ni  leur  liaison  profonde, 
ni  ce  qu'elles  contiennent  malgré  tout  de  durable  et  de  fécond.     M.  Drouin. 

Publications  de  la  Société  d'histoire  moderne.  —  Série  des  instruments  de  travail.  II.  Les 
ministères  français  (1789- 1909).  —  Paris,  Cornély,  1910,  in-8,  58  p.  —  Le  petit 
volume  publié  par  la  Société  d'histoire  moderne  rendra  les  services  qu'on 
demandait  jusqu'ici  au  livre  classique  de  Muel.  Il  en  eût  rendu  davantage  s'il  se 
fût  terminé  par  une  table  alphabétique  des  noms  propres,  qui  permit  de  savoir 
rapidement  à  quel  gouvernement  appartint  tel  ou  tel  homme  politique.  Malgré 
une  révision  très  sérieuse  des  épreuves,  les  auteurs  ont  laissé  passer  quelques 
erreurs  et  quelques  oublis,  —  touchant  en  particulier  les  intérim,  —  qui  seront 
corrigés  dans  une  prochaine  édition  ;  c'est  dans  celle-ci  également  que  nous  espé- 
rons trouver  le  personnel  des  Commissions  executives  qui  remplacèrent  en  l'an  II 
les  ministères  supprimés.  B.  G. 

J.  Rouché.  L'Art  théâtral  moderne  (Collection  de  la  Grande  Revue).  —  Paris,  Cor- 
nély, 19 10,  in-8,  avec  des  illustrations  dans  le  texte  et  deux  planches  hors  texte 
en  couleur,  5  fr.  —  Ce  livre,  aussi  neuf  par  le  fond  que  brillamment  présenté  et 
illustré,  résume,  en  y  apportant  quelque  clarté,  et  aussi  quelques  réserves,  les 
théories  allemandes,  russes  et  anglaises  sur  la  rénovation  de  l'art  scènique  :  le 
décor  artistique  et  synthétique  substitué  au  trompe-l'œil  soi-disant  réaliste,  la 
subordination  de  la  décoration  au  drame  et  du  décorateur  à  l'acteur,  tels  sont 
les  deux  principes  essentiels  de  cette  nouvelle  esthétique  de  la  scène,  qui  sur- 
prendra les  routines  obstinées,  mais  qui  paraît  infiniment  plus  conforme  aux  lois 
générales  de  l'art.  M.  J.  Rouché  n'aura  pas  moins  de  succès  comme  théoricien 
que  comme  directeur  du  Théâtre  des  Arts  où  il  a,  hardiment,  joint  l'exemple  au 
précepte.  F.  G. 


Livres  annoncés  sommairement  ,    .  79 

A.  Soubies.  Almanach  des  spectacles,  année  1909.  —  Paris,  Flammarion,  1910,  pel. 
in-12,  5  fr.  —  Il  n'y  a  pas  à  rendre  compte  dé  ce  nouveau  volume  d'une 
publication  qui  en  est  à  sa  trente-neuvième  année  ;  mais  il  convient  de  le 
signaler  en  rappelant  qu'avec  son  «  journal  »  de  l'Opéra  et  de  la  Comédie-Fran- 
çaise, sa  liste  de  toutes  les  pièces  représentées  à  Paris  et  en  province  et  des 
acteurs  qui  en  ont  joué  les  rôles,  enfin  sa  bibliographie  très  complète,  ce  réper- 
toire si  diligent  est  un  instrument  de  travail  indispensable  pour  les  historiens  à 
venir  de  notre  théâtre  et  de  notre  musique  dramatique.  A.  C. 

GÉOGRAPHIE  ET  VOYAGES. 

L.  Morel-Payen.  Troyes  et  Provins  (Collection  des  Villes  d'Art  célèbres).  —  Paris, 
Laurens,  1910,  120  ill.,  in-4,  4  fr.  —  Nous  n'avons  pas  besoin  de  présenter  à 
nos  lecteurs  cette  intéressante  collection.  Ils  la  connaissent  déjà.  Le  volume  que 
M.  Morel-Payen  y  ajoute,  la  continue  de  la  façon  la  plus  heureuse.  Il  fait  revivre 
avec  leur  physionomie  originale  «  le  charme  éclectique  de  Troyes  »,  ville  élégante, 
riche  en  œuvres  d'art,  et  la  rude  cité  de  Provins,  qu'on  dirait,  derrière  ses 
remparts  massifs,  à  peine  sortie  du  moyen-âge.  J.  L. 

Ch.  Géniaux.  Le  Maroc.  —  Édition  du  Figaro  Illustré,  24  p.,  in-f°,  3  fr.  —  Belle 
publication,  richement  illustrée  :  80  photographies  d'après  nature  ou  d'après  des 
dessins  de  Jean  Hess,  planches  en  couleur  reproduisant  les  tableaux  de  L.  A.  Gi- 
rardot,  une  carte.  Le  texte,  description  du  pays  et  des  habitants,  pourrait  instruire 
les  lecteurs  mondains.  A.  E.  C. 

H.  Lebeau.  Otahiti.  Au  pays  de  l'éternel  été.  —  Paris,  Colin,  191 1,  in-12,  3  fr.  50.  — 
Rien  d'une  étude  géographique.  Ce  sont  les  impressions  d'un  artiste  et  d'un 
lettré  très  averti  dont  la  préoccupation  principale  est  d'admirer  et  d'aimer  «  cette 
belle  nature  opulente  et  joyeuse  ».  Mais  les  acteurs  qui  s'agitent  dans  ce  décor 
idyllique  sont  piètres  ou  attristants.  Papeete  est  un  «  mauvais  lieu  »,  Montmartre 
austral  des  riches  américains.  Les  colons,  presque  tous  mécontents,  y  ont  apporté 
avec  leurs  maladies  et  leurs  vices  les  mesquines  querelles  de  leur  petite  ville  de 
province.  Cinq  cent  dix  fonctionnaires  pour  dix  mille  habitants  absorbent  le  plus 
clair  des  ressources  d'une  population  oisive,  rongée  par  les  pourritures  qui  la 
détruisent  avec  certitude,  sans  cesse  traquée  par  «  l'omnipotence  du  gendarme  ». 
Seuls  les  missionnaires  de  toutes  religions,  médecins  du  corps  autant  que  de 
l'âme,  sympathisent  avec  les  indigènes,  mais  en  déracinant  tout  ce  qui  faisait  l'ori- 
ginalité de  leur  race.  Et  l'on  détourne  les  yeux  vers  cette  nature  baignée  par 
«  l'idéal  climat  du  Pacifique  austral  ».  Le  style,  généralement  pur,  est  très  évoca- 
teur  et  très  coloré.  J.  E.  Martin. 

TECHNOLOGIE  ET  SCIENCES. 

J.  Levître.  Alphabet  du  Piégeage.  — 'Paris,  Laveur,  1910,  in-16,  66  photogravures, 
7  fr.  50.  —  Dans  cet  ouvrage,  l'auteur  présente  sous  forme  de  roman  la  vie 
d'un  piégeur  de  profession.  Plusieurs  gardes  ,  réunis  une  nuit  de  Noël  sous  le 
chaume  d'un  camarade,  font  l'éducation  d'un  élève.  Et  il  semble  bien  que  rien 
ne  manque  dans  cette  leçon  improvisée,  pas  même  ces  petits  secrets  acquis  au 
cours  d'une  longue  carrière  et  qui  sont  si  précieux.  Chaque  mode  de  piégeage 
est  traité  à  fond  avec  ses  applications  aux  divers  animaux  et  dans  les  circons- 
tances les  plus  variées.  En  outre,  à  suivre  ce  dialogue  si  vivant  entre  le  maître 
et  l'élève,  on  n'ignorera  plus  rien  des  mœurs  des  différentes  bêtes  à  capturer, 
Mammifères  et  Oiseaux  de  proie.  L'Alphabet  du  Piégeage  se  termine  par 
l'exposé  des  desiderata  souvent  exprimés  au  sujet  de  la  destruction  des  bêtes 
fauves  et  des  autres  animaux  supérieurs  nuisibles  à  la  culture.       Ed.  Griffon. 


80  ===================___    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

A.  Sauvaire-Jourdan.  La  Marine  de  Guerre.  —  Paris,  Vuibert,  1910,  gr.  in-8, 
10  fr.  —  Qu'est-ce  qu'une  marine  de  guerre  ?  Quels  sont  les  multiples  pro- 
blèmes que  fait  surgir  l'éventualité  d'une  guerre  navale  ?  Quelle  est  enfin  la  figure 
de  notre  propre  marine  comparée  à  celles  des  autres  grandes  nations  ?  Un  ouvrage 
qui  renseigne  'le  public,  la  jeunesse  en  particulier,  sur  ces  diverses  questions 
paraît  à  son  heure.  M.  Sauvaire-Jourdan,  officier  supérieur  de  la  marine,  l'a 
écrit  avec  compétence.  Ses  exposés  techniques  sont  clairs,  simples,  appuyés 
d'exemples  parmi  lesquels  ceux  tirés  de  la  guerre  russo-japonaise  ne  sont  pas 
les  moins  saisissants.  Mais  le  métier  d'écrivain  ne  lui  est  pas  aussi  familier  que 
celui  de  marin  :  son  plan  manque  de  netteté,  ses  effets  littéraires  sont  souvent 
ingénus  et  maladroits.  Volontiers  il  se  laisse  aller  à  des  digressions  à  tendance 
moralisatrice  et  presque  politique  déplacées  dans  une  œuvre  d'un  caractère  quasi- 
scientifique.  L'illustration  est  copieuse  mais  d'un  procédé  vieilli.  Dans  un  livre 
très  moderne,  on  eût  mieux  aimé  trouver  des  photogravures  que  des  reproduc- 
tions d'aquarelle  d'une  valeur  artistique  relative  et  qui  n'ont  point  le  mérite  de 
l'exactitude.  J.  Assailly. 

G.  Lehnert.  La  Technique  du  froid.  Traduit  de  l'allemand  par  G.  Dermine.  —  Paris, 
Ch.  Delagrave,  19 10,  in- 12,  140  fig.,  12  pi.,  6  fr.  —  Les  principaux  procédés  de 
refroidissement  et  leurs  applications  (conservation  des  viandes,  des  matières  ali- 
mentaires,...) sont  décrits  dans  la  première  moitié  du  volume  sous  une  forme  très 
simple  qui  n'exige  point  de  connaissances  spéciales.  Vient  ensuite  une  étude 
détaillée  des  machines  frigorifiques  avec  le  minimum  de  théorie  indispensable. 
Beaucoup  de  figures,  de  schémas  et  de  plans  ;  beaucoup  de  tableaux  numériques 
et  de  données  relatives  aux  installations.  Sous  une  forme  concise,  cet  ouvrage 
sera  un  préci«ux  guide  pour  tous  ceux  qui  s'intéressent  aux  applications  de  l'in- 
dustrie du  froid.  G.  Sagnac. 

Dr  A.  Leclercq.  Les  Maladies  de  la  Cinquantaine  :  Clinique  du  cœur.  Diabète  et 
Goitre  exophtalmique.  Albuminuries.  —  Paris,  Doin,  1908-1910-1911,  3  vol. 
in-12,  sans  indication  de  prix.  —  Ces  trois  volumes  appartiennent  aune  série  où 
le  Dr  Leclercq  étudie  les  maladies  qui  se  manifestent  de  préférence  autour  de  la 
cinquantaine.  L'auteur  s'efforce  de  guider  l'examen  clinique  du  malade  par  une 
documentation  puisée  au  laboratoire  et  dans  les  recherches  des  expérimentateurs  : 
documentation  un  peu  éparse,  quoiqu'elle  vise  à  être  complète.  Le  classement 
des  symptômes  est  méthodiquement  divisé  :  mais  leur  description  n'est  pas 
toujours  suffisamment  claire,  parce  que  la  matière  déborde  le  cadre  de  ces  livres. 
Le  mérite  de  ces  trois  volumes  est  de  toucher  à  presque  toutes  les  questions  qui 
se  posent  à  propos  des  sujets  du  titre  :  à  ce  point  de  vue,  leur  lecture  prépare  à 
l'étude  des  traités  où  chaque  côté  de  ces  questions  est  examiné  à  fond. 

D"-  J.  Philippe. 

P.  Londe.  La  Médecine  Préventive  du  premier  âge.  —  Paris,  Alcan,  191 1,  in-16,  4  fr. 
—  L'auteur,  dans  ce  livre  de  vulgarisation,  préconise  la  méthode  préventive,  et 
s'élève  contre  le  préjugé  des  nourrices  et  des  mères,  qui  craignent  toujours  que 
leur  enfant  «  meure  de  faim  ».  —  Le  nourrisson  mange  trop.  Pendant  la  longue 
période  d'adaptation  à  la  vie  extra-utérine,  il  est  continuellement  en  état  d'immi- 
nence morbide  :  il  suffira  de  le  mettre  en  temps  opportun  à  la  diète  plus  ou 
moins  absolue,  au  régime  restreint,  pour  éviter  une  catastrophe.  —  D'autre  part, 
presque  toutes  les  maladies  infantiles  sont  une  infection  broncho-intestinale,  ou 
relèvent  d'une  infection  broncho-intestinale  :  on  en  aura  le  plus  souvent  raison 
par  la  diète  hydrique.  —  Diète  préventive,  diète  thérapeutique  :  telles  sont  les 
deux  prescriptions  dont  l'observation  rigoureuse  diminuerait  certainement  la. 
mortalité  infantile  de  plus  de  moitié.  Dr  M.  Herer. 

Imp.  F.  Paijllast,  AbbtTille.  Le  Gérant  :  Éd.  Cornélt. 


REVUE     CRITIQUE 

des 

Livres    Nouveaux 


VI'  Année,   n"  5.  (deuxième  série)  i5  Mai    1911 


Claude  FARRÈRE. 


Fumée  d'Opium.  —  Les  Civilisés  (prix  Goncourt  1906).  —  L'Homme 
qui  assassina.  —  Mademoiselle  Dax,  jeune  fille.  —  Les  Petites  Allias.  — 
Paris,  Ollendorf,  s.  d.,  5  vol.  in-12,  3  fr.  50.  —  La  Bataille.  — Paris, 
Fayard,  s.  d.,  in-8  illustré,  1  fr.  50.  —  La  Maison  des  hommes  vivants. 
—  Paris,  Librairie  des  Annales  politiques  et  littéraires,  191 1,  in-12, 
3  fr.  50. 

Le  fait  est  rare  et  mérite  d'être  signalé  :  voici  un  homme  qui  débuta  dans  la 
littérature  par  un  succès,  un  gros  succès  même,  et  pourtant  cet  homme  eut  le 
courage  de  ne  pas  composer  l'année  suivante  un  second  roman  sur  le  modèle 
du  premier.  Le  public  prétend  classer  les  œuvres  d'un  même  écrivain,  et  plus 
généralement  d'un  même  artiste,  sous  une  étiquette  déterminée.  Trop  d'au- 
teurs s'asservissent  volontiers  à  cette  exigence  qui  paralyse. 

Cl.  Farrère,  lui,  ne  se  cantonne  pas  dans  d'aussi  étroites  limites.  La  carrière 
qu'il  a  suivie  (il  est  officier  de  marine)  lui  a  permis  de  parcourir  le  globe  en 
tous  sens  et  de  séjourner  longtemps  dans  maints  pays.  Il  a  été  capable  de 
concevoir  des  romans  dans  chacun  de  ces  cadres,  qui  s'offraient  si  différents 
à  ses  yeux  ;  il  s'est  plu  à  s'adapter  et  à  adapter  ses  personnages  à  ces  milieux 
étranges.  Si  bien  que  l'allure  générale  de  l'intrigue,  le  développement  des 
caractères,  le  ton  et  jusqu'aux  procédés  du  narrateur  diffèrent  profondément 
d'un  volume  à  l'autre  et  concourent  à  former  de  chacun  d'eux  quelque  chose 
de  très  particulier  qui,  à  première  vue,  ne  ressemble  à  rien,  même  pas  à 
«  du  Farrère  ». 

Une  pareille  aptitude  à  consacrer  son  talent  à  une  variété  si  grande  de 
types  de  paysages  et  de  types  humains  est  une  preuve  de  la  richesse  de  ce 
talent  même. 

Dans  l'Homme  qui  assassina,  c'est  Stamboul  et  le  Bosphore  ;  dans  Mademoi- 
selle Dax,  c'est  Lyon,  son  manteau  de  brumes  et  son  fleuve  méchant  ;  dans  les 
Petites  Alliées,  c'est  «  Toulon  de  mer,  de  lumière  et  d'amour  »,  que  chantait  si 
bien  Consolata  (1).  Dans  les  Civilisés,  Saigon,  nouvelle  GomOrrhe  où,  aux 
vices  de  l'Orient,  s'ajoutent  et  se  superposent  les  mauvais  instincts  des  envahis- 
seurs. Dans  lu  Bataille  c'est  le  Japon  moderne  qui  n'emprunte  aux  barbares 
occidentaux    leurs  habitudes  de  pensée,  leurs  procédés  techniques  a  leurs 


(1)  Henry  Daguerches  :  Consolata,  fille   du  Soleil.  —    i  vol.  in-12.    Calniann-Lcvy  —  livre 
charmant  que  je  suis  heureux  de  pouvoir  citer  à  côté  des  «  Petites  Alliées  0. 


82  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

progrès  industriels,  que  pour  pouvoir  vaincre  mieux  l'étranger,  le  chasser  plus 
vite  et  conserver  intact  son  patrimoine  de  qualités  morales  particulières. 

Or,  ces  paysages  différents,  les  personnages  dissemblables  qui  s'y  meu- 
vent, c'est  pourtant  une  même  pensée  qui  les  fait  vivre  et,  pour  un  lecteur 
attentif,  certaines  pages  ont  entre  elles  comme  un  air  de  famille,  parce  que  ce 
sont  les  mêmes  qualités  qui  les  rendent  fortes,  et  parce  que  de  temps  à  autre  les 
mêmes  défauts  y  ont  laissé  leur  trace,  —  très  légère  d'ailleurs  et  à  peine 
visible. 

Ainsi  déjà  dans  le  premier  volume  de  Farrère,  Fumée  d'Opium,  il  était  pos- 
sible de  saisir,  en  puissance,  tout  le  tempérament  du  romancier.  On  y  recon- 
naît déjà  la  faculté  d'emprunter  avec  une  aisance  pareille  ses  sujets  à  tous  les 
milieux,  à  tous  les  pays,  même  à  diverses  époques  de  l'histoire  (voir  par 
exemple  le  conte  intitulé  :  la  Peur  de  M.  de  Fierce)  et  d'exceller  également 
dans  tous  les  genres. 

Une  autre  qualité  frappe  aussi  dès  Fumée  d'Opium  :  on  la  retrouvera 
dans  l'œuvre  tout  entière  développée  au  plus  haut  degré,  c'est  l'imagination. 
Elle  est  chez  Farrère  d'une  audace  singulière,  et  pourtant  jamais  ses  construc- 
tions, si  hardies  soient-elles,  ne  nous  déconcertent,  tant  il  possède  l'art  de  nous 
faire  passer  par  transition  insensible  du  monde  qu'il  observe  dans  celui  qu'il 
invente.  On  quitte  le  réel  pour  entrer  dans  le  fantastique  sans  pouvoir  dire 
où  Cesse  la  vraisemblance,  et  si  grande  est  la  force  que  l'auteur  met  à  objec- 
tiver ses  rêves  que  les  épisodes  les  plus  extravagants  nous  laissent  néanmoins 
l'impression  de  la  vie.  Qu'il  regarde  la  nature  environnante  ou  qu'il  regarde 
en  lui-même,  Farrère  voit  toujours  aussi  nettement  ;  puis  il  décrit,  toujours 
avec  une  exactitude  scrupuleuse.  Ainsi  dans  la  Maison  des  hommes  vivants,  le 
dernier  en  date  des  volumes  de  Farrère,  mais  aussi  le  plus  proche  parent  des 
Fumées,  n'en  déplaise  à  la  chronologie,  les  détails  précis  abondent  aussi  bien 
dans  le  récit  de  l'ascension  nocturne  du  Grand  Cap  que  dans  la  scène  où  des 
vieillards  tricentenaires  épuisent,  pour  prolonger  leur  propre  vie,  la  vie  d'êtres 
jeunes  et  forts. 

Conte,  nouvelle  ou  roman,  il  n'en  est  pas  un,  où,  à  côté  de  l'observation, 
qualité  que  peut  acquérir  tout  romancier  honnête,  nous  n'apercevions  chez 
Farrère  une  imagination  exceptionnelle  qui  est  bien,  elle,  un  don,  un  don 
précieux  de  l'intelligence. 

L'imagination,  c'est  elle  qui  fait  incomparables  les  dénouements.  La 
fin  des  romans  de  Farrère  est  toujours  bien  inventée.  On  ne  peut  jamais  (sauf 
pour  les  Petites  Alliées  et  c'est  peut-être  dommage)  prévoir  comment  ils  vont 
finir.  Chaque  intrigue  se  dénoue  soudain  en  quelques  pages,  parfois  en  quel- 
ques lignes  (dans  la  Bataille),  et  toutes  seraient  à  citer  :  celle  mystérieuse  et 
angoissante  de  l'Homme  qui  assassina,  celle  pitoyable  de  la  pauvre  petite  Dax, 
celle  des  Civilisés  surtout  :  dans  une  atmosphère  de  serre  chaude  où  montent 
des  odeurs  malsaines  évolue  une  humanité  louche,  sans  aspirations  hautes, 
n'ayant  d'autre  souci  que  de  jouir.  Pendant  de  longues  pages  denses,  peut- 
être  trop  denses  même,  l'auteur  a  exposé  la  difformité  morale  de  ces  cosmo- 
polites et  misa  nu  leur  âme  boueuse.  On  conserverait  du  livre  une  impression 
lourde  et  pénible  ;  mais  tout  à  coup  le  vent  du  large  s'élève  et  dissipe  les 
parfums  insidieux  des  tropiques.  Au  contact  de  l'air  salé  le  héros  du  roman 
retrouve  son  courage  et  l'âme  de  ses  ancêtres  barbares  ;  la  guerre  a  éclaté,  il 
fait  son  devoir  et  meurt  dans  un  combat  naval.  C'est  d'une  élévation  et  d'une 
sobriété  indicibles. 


Un  Romancier  contemporain  :   Claude  Farrère  —  83 

Sans  doute  il  faudrait  parler  de  beaucoup  d'autres  choses  encore.  Farrère 
est  à  la  fois  un  observateur  perspicace,  un  analyste  subtil,  un  romancier  qui 
sait  à  merveille  graduer  l'émotion  et  l'intérêt,  un  écrivain  dont  le  style  sonore 
est  plein  de  formules  heureuses.  Il  faudrait  dire  la  qualité  très  particulière  de 
son  exotisme  :  il  ne  dépeint  guère  d'un  pays  lointain  que  ce  que  les  Occiden- 
taux en  peuvent  réellement  connaître  :  la  nature,  la  colonie  européenne  et 
la  foule  cosmopolite  qui  gravite  autour  d'elle. 

Sans  doute  aussi  quelques  défauts  se  montrent  par  endroits.  Parfois 
l'auteur  se  laisse  aller  un  tant  soit  peu  au  romanesque  (cf.  la  scène  entre  le 
mari  et  l'amant  dans  la  tourelle  cuirassée  au  cours  de  la  Bataille).  Parfois  aussi 
ses  romans  qu'il  anime  le  plus  possible  par  le  dialogue  sont  alourdis  par  de 
véritables  dissertations  :  Farrère  n'élude  pas  les  problèmes  de  morale  sociale 
ou  individuelle  qui  se  posent  pour  une  situation  déterminée,  il  envisage 
impartialement  le  pour  et  le  contre  et  fait  exposer,  un  peu  trop  longuement, 
à  ses  personnages  leurs  théories  inconciliables.  C'est  ce  qui  donne  à  certaines 
parties  des  Civilisés  et  des  Petites  Alliées  l'allure  paradoxale  d'un  roman  à  deux 
thèses. 

Signalons  encore  la  grande  fécondité  de  l'auteur  (7  volumes  en  huit  ans) 
qui  pourtant  n'est  romancier  que  durant  ses  loisirs  ;  mais  tout  cela  disparaît, 
je  le  répète,  devant  la  puissance  et  la  richesse  de  cette  imagination  extraordi- 
naire qui  est,  à  elle  seule,  comme  un  organisme  :  on  dirait  un  cheval  de 
sang,  aux  lignes  impeccables,  aux  actions  magnifiques,  capable  de  bonds 
prodigieux  et  pourtant  très  docile. 

A.  d'Estournelles  de  Constant. 


COMPTES  RENDUS 


A.  Mjllioud  —  Le   Pâturage  de  Niedens.    Contes.   —  Genève, 
ullien,  1911,  in-12,  254  p.,  sans  indication  de  prix. 

A.  Millioud  est  un  archiviste  érudit  et  fin  avec  une  âme  de  poète.  Le 
sort  a  placé  pour  son  bonheur  ses  parchemins  poudreux  au  haut  de  la'  tour 
sud  de  la  cathédrale  de  Lausanne.  C'est  là  qu'il  vit,  qu'il  médite,  qu'il  rêve. 
Dans  son  réduit  suspendu  entre  ciel  et  terre,  où  les  bruits  de  la  ville 
n'arrivent  pas,  il  se  meut  dans  un  monde  fantomatique  et  enchanté.  Ce  ne 
sont  pas  des  papiers  qui  dorment  autour  de  lui,  entassés  sous  les  vieilles 
boiseries,  c'est  tout  le  passé  qui  s'évoque,  les  êtres  disparus  qui  revivent 
en  une  communion  fraternelle  avec  les  êtres  contemporains.  «  Ici  reposent 
les  gens  de  Nyon,  que  l'on  appelait,  longtemps  avant  Charlemagne, 
le  Comté  des  Equestres  ;  ici,  ceux  qui  habitaient  parmi  les  roseaux  de 
Cudrefin...  Voici  les  pâtres  des  Ormonts  ;  il  y  a  un  millier  d'années  qu'ils 
bénissaient  leurs  premiers  troupeaux,  à  la  mi-été,  et.  un  millier  d'années 
avant,  leurs  ancêtres  célébraient  en  ce  jour  le  soleil  qui  s'en  va.  Voici  les 
villes,  Lausanne,  Moudon  ;  voyez-vous  ces  rues  pleines  d'étables,  ces  poutres 
gauloises  dans  les  façades  ?»  A.  Millioud  aime  son  vieux  Lausanne  ;  non 
seulement  celui  qui  s'est  déplacé  dans  le  cours  des  siècles  pour  devenir  la 
Ville  aux  trois  collines,  mais  l'antique  Lousonium  qui  dort  au  pied  de  la 


84  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

ville  nouvelle,  sous  les  prés  de  Vidy,  étendu  jusqu'aux  anciennes  forêts 
celtiques  ;  il  aime  d'un  égal  amour  la  ville  épiscopale,  tributaire  des  ducs 
de  Savoie,  lieu  de  pèlerinage  vénéré,  protégée  par  la  cathédrale  sur  son  haut 
rocher,  enveloppée  dans  son  manteau  de  tristesse,  se  levant  et  s'endormant 
aux  sons  des  offices  de  cinq  couvents,  et  la  ville  protestante,  tributaire  de 
«  Messieurs  de  Berne  »,  des  gaillards  simples  et  frustes,  mais  amis  de 
l'ordre.  Les  contes,  d'inspiration  variée,  sont  tirés  d'anciens  parchemins 
comme  l'histoire  de  François  Montet,  d'Olivier  de  Serres,  la  lettre  de  Frère 
Aloysius  à  son  neveu  ;  ou  bien  imaginaires,  avec  des  souvenirs  historiques. 
Le  plus  joli  est  intitulé  «  Le  Guet  parle  ».  Le  veilleur  de  nuit  garde  du  haut 
de  la  tour  sa  ville  endormie  ;  du  haut  de  la  tour  aussi,  l'archiviste  veille  sur 
la  ville  ancienne,  la  ville  morte  ;  et  le  veilleur  de  nuit  qui  sait  tout  ce  qui 
se  passe  dans  la  ville  au-dessous  de  lui  rend  visite  à  l'archiviste  qui  sait  tout 
ce  qui  s'y  passa  dans  le  cours  des  âges.  Mais  ils  connaissent  tous  deux  un 
autre  homme  plus  puissamment  et  plus  sereinement  heureux,  c'est  le 
Guide,  qui  veille  sur  les  sommets  des  Alpes,  de  l'autre  côté  du  lac, 
et  qui  sait  tout  ce  qui  se  passe  dans  la  montagne,  «  sous  le  ciel  frisson- 
nant » . 

Ce  recueil  de  contes,  outre  sa  poésie,  a  tout  le  charme  des 
œuvres  de  terroir  ;  il  est  Vaudois  par  l'inspiration,  par  le  sujet,  par  le 
tour  archaïque  qui  distingue  la  langue  de  cette  région,  par  la  simplicité 
rustique  cachant  une  forme  littéraire  de  très  ancienne  culture,  enfin  par 
une  finesse  doucement  narquoise,  propre  aux  Lausannois  et  qui  les 
rapproche  plus  de  nos  Savoisicns  que  de  leurs  voisins  de  Genève  ou  de 
Berne.  Ce  mélange  de  naïveté  et  d'ironie,  de  familiarité  et  de  gravité  émue 
donne  au  style  d'Alfred  Millioud  une  fraîcheur  et  une  originalité  des  plus 
savoureuses.  J.  Lancret. 


Henri  Heine.  —  Œuvres  :  i.  Poèmes  et  Chants,  i  vol.  in-12, 
278  pp.  —  2.  Reisebilder,  1  vol.  in-12,  316  pp.  —  3.  De  l'Alle- 
magne, 2  vol.  m-i23  247  et  235  pp.  En  tout,  quatre  volumes,  sans 
date  et  sans  indication  de  prix,  édition  et  Librairie  Bibliopolis,  83, 
rue  Denfert-Rochereau,  Paris. 

—  Chansons  et  Poèmes.  Transcriptions  en  rimes  françaises  par  Mau- 
rice Pellisson.  —  Paris,  Hachette,  1910,  in-12,  275  pp. ,3  fr.  50. 

I.  Une  librairie  que  je  crois  nouvelle,  Bibliopolis,  a  eu  l'idée  de  rééditer 
en  français  les  œuvres  de  Heine.  Cette  intention  était  en  elle-même  excel- 
lente. On  peut  se  demander  si  elle  a  été  réalisée  avec  toute  l'expérience  qu'il 
fallait.  Les  éditeurs  nous  préviennent,  dans  leur  Avertissement,  qu'ils  n'offrent 
pas  au  public  «  toute  l'œuvre  de  Heine,  mais  l'essentiel  et  le  meilleur  de 
cette  œuvre  »  (p.  7).  Cependant,,  un  peu  plus  bas,  le  préfacier  avoue  que  le 
Romancero  et  le  Livre  de  Lazare,  dont  aucune  pièce  ne  figure  dans  le  présent 
choix,  «  contiennent  de  parfaits  poèmes  »  (p.  16).  Ce  ne  sont  donc  pas  des 
raisons  de  perfection  qui  ont  motivé  le  choix  d'œuvres  qui  nous  est  ici  présente. 
Il  pouvait  se  justifier  par  l'idée  de  réimprimer  purement  et  simplement  les 
ouvrages  publiés  en  français  du  vivant  de  l'auteur  ;  non  pas  que  Heine  les 
jugeât  seuls  «  dignes  du  lecteur  français  »  (p.  7),  comme  le  dit  Y  Avertissement  ; 
mais  parce  que  le  recueil  des  oeuvres  publiées  en  français  du  vivant  de  Heine 


Littérature     ================z==========^^  85 

et  contrôlées  par  lui  a  constitué  un  ensemble  qui,  tel  quel,  a  été  un  événement 
dans  l'histoire  littéraire  française,  et  parce  qu'il  était  bon  de  ne  pas  déformer 
ni  disjoindre  cet  ensemble.  Les  éditeurs  ne  se  sont  pas  arrêtés  à  ce  plan  ;  ils 
ont  «  retraduit  de  l'allemand,  disent-ils,  les  poésies  qui  ne  l'avaient  pas 
été  du  vivant  de  l'auteur  :  ce  sont  les  Jeunes  souffrances  et  le  Retour  en  entier, 
ainsi  qu'un  certain  nombre  de  pièces  de  V  Interme\\o  et  de  la  Mer  du  Nord, 
qu'avait  cru  devoir  négliger  Gérard  de  Nerval  »  (p.  7).  Si  je  ne  me  trompe, 
cela  ne  s'appelle  pas  «  retraduire  »,  mais  «  traduire  pour  la  première  fois.  » 
Et  dès  qu'on  se  décidait  à  grossir  le  recueil,  il  est  regrettable  qu'on  n'y  ait 
pas  accueilli  ce  Romancero  et  ce  Livre  de  Lazare,  dont  l'importance  littéraire 
n'est  plus  à  démontrer,  et  tant  de  poésies  posthumes  qui  sont  aussi  de 
a  parfaits  poèmes  ».  Enfin,  il  manque  de  très  notables  et  beaux  fragments  de 
l'œuvre  prosaïque  {Lutece,  de  la  France,  les  lettres  sur  le  Salon,  les  lettres  sur 
le. théâtre  français,  le  livre  sur  Ludwig  Bocrne,  etc.).  Le  seul  principe  qui 
ait  été  suivi  dans  cette  réédition,  c'a  donc  été  de  «  respecter  jusque  dans  ses 
imperfections  »  le  texte  revu  par  Heine.  Ce  n'est  pas  suffisant.  Les  imper- 
fections ne  sont  jamais  respectables.  Heine  n'était  pas  un  styliste  pur  en 
français.  Gérard  de  Nerval  disposait  de  ressources  verbales  limitées;  sa 
méthode  de  traduction  était  étriquée  et  nous  paraît  vieillie.  Il  n'était  pas  très 
difficile  de  mieux  faire.  Avant  tout,  il  était  nécessaire  de  distinguer  par  des 
signes  aisément  rcconnaissables  ou  par  des  notes  le  texte  de  Nerval  d'avec 
les  traductions  nouvellement  ajoutées  par  M.  Amédée  Dunois.  —  On  a  mau- 
vaise grâce,  sans  doute,  à  morigéner  des  éditeurs  qui  ont  cru  faire  de  leur 
mieux.  On  ne  demanderait  qu'à  décerner  des  éloges.  Des  précautions  un  peu 
plus  minutieuses  les  auraient  mis  à  l'abri  de  critiques  aussi  élémentaires 
et  aussi  indispensables  que  celles  que  nous  leur  adressons. 

Parmi  les  imperfections  de  détail,  assez  graves,  de  l'édition  nouvelle,  signa- 
lons les  suivantes  :  i°  Des  erreurs  historiques  du  préfacier  :  Le  poème  de 
Gcrmania  aurait  été  «  inséré  dans  la  revue  allemande  que  le  jeune  Karl  Marx 
publiait  alors  à  Paris  »  (p.  16).  Il  suffit  d'avoir  ouvert  les  Annales  franco- 
allemandes  de  Marx  et  de  Ruge  pour  savoir  qu'elles  n'ont  pas  inséré  ce  long 
poème,  mais  seulement  les  courtes  pièces  intitulées  Lobgesdnge  auf  Konig 
Ludwig  ;  —  On  lit  p.  99  :  «  La  Lorelei  (ce  nom  vient  peut-être  du  rocher  de 
Lurlei  qui  se  trouve  proche  de  Saint-Goar)  a  été  véritablement  créée  par 
Heine.  Les  poètes  après  lui  l'ont  très  fréquemment  chantée  ».  Cette  double 
question  mythologique  et  littéraire  est  résolue  depuis  longtemps.  Le  mythe 
de  la  Lorelei  de  Bingen  a  été  créé  par  Brentano.  La  légende  a  été  reprise, 
après  lui,  avec  talent,  par  le  comte  Loeben.  Heine  leur  est  à  tous  deux  très 
redevable.  —  «  Le  poème  intitulé  Rêve  et  les  deux  grenadiers  (p.  37,  48) 
seraient  écrits  en  1816  ».  Or  on  sait  qu'ils  sont  tous  deux  de  1819.  — 
20  Lacunes  :  Le  Bucb  der  Licdcr  manque  de  la  somptueuse  et  très 
importante  préface,  mi-partie  vers,  mi-partie  prose,  qui  précède  l'édition  de 
1839.  —  La  Postface  du  Rciscbild  sur  la  Ville  de  Lacques  n'est  pas  reproduite 
complètement,  telle  que  l'offre  le  texte  allemand  définitif.  —  Le  recueil  De 
V Allemagne  manque  des  préfaces  allemandes  de  1834  et  de  1S52.  —  La  conclu- 
sion du  chapitre  sur  les  Poètes  romantiques  manque  du  passage  si  impor- 
tant, et  biffé  par  la  censure,  à  la  gloire  de  la  France.  (De  l'Allemagne, 
t.  1,  p.  246.) 

L'avenir  appartient  à  une  traduction  nouvelle  des  œuvres  de  Heine,  qui  ne 
se  fera  pas  l'esclave  des  faux-sens  et  des  gaucheries  de  Gérard  de  Nerval,  et 


86  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

qui  sera  faite  d'après  les  éditions  critiques  les  meilleures  (Elster  ou  Walzel). 
Nous  ne  savons  si  une  telle  traduction  se  prépare  déjà.  D'ici  là  la  réédition  de 
Bibliopolis  rendra  des  services.  Elle  se  présente  d'ailleurs  dans  une  forme 
véritablement  élégante,  comme  papier  et  comme  caractère,  et,  nous  dit-on, 
à  très  bas  prix. 

II.  M.  Pellisson,  dans  le  choix  de  Chansons  et  Poèmes  qu'il  nous  offre, 
n'a  traduit  que  le  Buch  âer  Lieàer  et  le  Nouveau  printemps.  Un  recueil  biblio- 
graphique, dont  il  est  lui-même  collaborateur,  lui  doit  de  parler  de  lui  avec 
une  absolue  sincérité.  M.  Pellisson  croit  qu'un  poète  lyrique  doit  être  tra- 
duit en  vers.  Rien  de  mieux  si  le  traducteur  est  lui-même  un  poète  de  talent. 
La  traduction  de  M.  Pellisson  est  d'un  humaniste  délicat  qui  sait  sa  langue, 
qui  a  un  sentiment  juste  de  son  poète,  et  qui  le  rend  avec  une  souplesse, 
une  exactitude,  une  délicatesse  de  sonorité  qui  sont  souvent  pour  surprendre. 
C'est  à  peine,  si  quelques  pièces  sont  d'un  tour  plus  faible  ou  plus  banal 
(p.  1 59  :  «  Sur  les  murs  de  Salamanca,  —  Il  souffle  un  air  de  volupté.  —  Avec 
ma  charmante  doiïa,  —  J'y  vais  flâner  les  soirs  d'été.  »)  —  J'ai  bien  cherché 
pour  trouver  des  contre-sens.  Je  n'en  ai  trouvé  qu'un.  M.  Pellisson  l'a  commis 
aussi  complètement  que  M.  Amédée  Dunois.  Heine  dans  Heimkehr,  lied  3, 
décrit  une  sentinelle  hanovrienne,  qui  fait  le  maniement  d'armes  devant  sa 
guérite  :  «  Er  pra^sentiert  und  schultcrt  ».  —M.  Pellisson  traduit  :  «  Le  jeune 
gars,  —  En  voulant  badiner,  me  couche  —  En  joue.  »  Le  mot  schulteru  en 
allemand  ne  veut  pas  dire  «  épauler  une  arme  »,  mais  «  mettre  l'arme  sur 
l'épaule  »  (V.  le  commandement  militaire  d'  «  arme  sur  l'épaule  »  : 
«  schultert  cuer  Gewehr  !  »).  Le  poète  regrette  que  le  militaire  consume 
son  temps  en  mouvements  de  parade,  au  lieu  de  faire  de  son  arme  un 
usage  plus  sérieux  et  qui  rendrait  service  à  sa  mélancolie  :  «  Ich  wollt'  er 
schoesse  mich  tôt.  »  Ch.  Axdler. 


A.  Gazier.  —  Les  Derniers  Jours  de  Biaise  Pascal.  —  Paris,  Cham- 
pion, 1910,  in-8,  70  p.,  1  fr.  50. 

Pascal  a  ce  privilège  :  ses  cendres  sont  toujours  brûlantes.  Jésuites,  jan- 
sénistes, voire  thomistes  et  gens  du  dehors  viennent  encore  de  se  livrer 
bataille  autour  de  sa  mémoire,  ou  de  son  cadavre.  Il  s'agit,  en  effet,  de  ses 
derniers  sentiments.  A-t-il,  peuv  avant  sa  mort,  et  depuis  deux  ans  même 
en  çà,  ab}uré  le  jansénisme,  renié  ses  amis  de  Port-Royal?  C'est  le  sens, 
si  l'on  veut,  d'une  attestation  écrite  donnée  en  1665  à  l'archevêque  de  Paris, 
par  le  P.  Beurrier,  curé,  qui  avait  administré  Pascal.  Puis,  une  polémique 
ayant  surgi,  pressé  de  s'expliquer  par  la  famille  de  Pascal  (cf.  dans  Faugère, 
Opuscules  de  Mme  Périer,  la  lettre  de  celle-ci,  datée  par  le  P.  Guerrier,  de 
1665,  et  sans  doute  plus  tardive),  Beurrier  avait  écrit  en  1671  et  1673  à 
Mme  Périer  et  à  son  fils  deux  lettres  où  il  déclare  s'être  mépris  sur  les  paroles 
du  mourant.  A  elles  seules  (et  il  y  a  d'autres  raisons)  ces  lettres  avaient  paru, 
jusqu'ici,  trancher  la  question.  Mais  M.  Jovy  l'a  renouvelée,  il  y  a  quelques 
mois,  au  tome  II  de  son  Pascal  inédit  (à  Vitry-le-François,  chez  l'auteur).  Il  y 
publie  les  Mémoires  inédits  de  Beurrier  où  celui-ci  revient  à  sa  première  décla- 
ration, sans  parler  de  ses  lettres  :  Ouod  scripsi,  scripsi.  Voila  l'affaire  :  elle  est 


Histoire  87 

toute  clans  l'autorité  du  témoin  et,  ce  que  les  pascaliens  ont  peine  à  ima- 
giner, dans  l'authenticité  des  deux  lettres  déposées  à  Port-Royal.  Ce  point 
réservé,  M.  Gazicr  dans  sa  brochure,  courte,  lumineuse,  généralement 
modérée  de  ton,  mais  pleine  de  ferveur,  et  dure  parfois  pour  les  «  ennemis  » 
anciens  et  nouveaux  du  jansénisme,  semble  bien  avoir  anéanti  toute  l'impor- 
tance prétendue  du  fait  nouveau.  On  prendra  chez  lui  l'idée  la  plus  claire  du 
débat.  Cependant,  il  ne  l'a  pas  clos.  A  lui  et  à  son  second,  le  P.  Petitot, 
dominicain  (cf.  surtout  Revue  pratique  il 'Apologétique ',  Ier  nov.  1910),  les  répli- 
ques n'ont  pas  été  épargnées  (cf.  contre  Gazier  et  Petitot  le  sérieux  article 
de  l'Ami  du  Clergé,  23  février  19 1 1 ,  et,  pour  eux,  celui  de  M.  A.  Hallays, 
Débats  du  10  mars  191 1).  Tout  bien  pesé  et  d'une  vue  impartiale,  je  persiste- 
rais à  conclure  avec  M.  Gazier  :  «  Il  n'est  pas  nécessaire  de  faire  une  nou- 
velle Vie  de  Pascal,  une  nouvelle  Histoire  de  Port-Royal  ;  les  anciennes  sont 
bonnes  et  absolument  conformes  à  la  vérité.  »  Et,  s'il  ne  s'agissait  éventuelle- 
ment de  l'interprétation  des  fragments  des  Pensées  écrits  en  dernier  lieu, 
M.  Faguet  n'aurait  pas  tort,  qui  ajoute  (Revue,  Ier  février  191 1)  :  «  Vous 
pensez  bien,  du  reste,  qu'une  rétractation  de  Pascal  malade  à  la  mort  et  tout 
proche  de  l'agonie,  si  elle  m'était  prouvée,  je  la  tiendrais  pour  un  fétu.  » 

J.  BURY. 


A.  Aulard.  —  Napoléon  I"  et  le  monopole  universitaire.  Origines  et 
fonctionnement  de  l'Université  impériale.  —  Paris,  Armand  Colin, 
in-16,  ix-385  p.,  4  francs. 

M.  Aulard  étudie  la  création,  et  l'histoire  pendant  le  premier  Empire, 
de  ce  «  corps  officiel  et  d'Etat,  appelé  Université  »,  qui  fut  seul  chargé  jus- 
qu'en 1850  du  service  de  l'instruction  publique.  Comment  et  pourquoi 
Napoléon  a  institué  ce  qu'on  est  convenu  de  nommer  le  monopole  universi- 
taire, quels  furent  sous  son  règne  les  résultats  du  nouveau  régime  scolaire, 
tel  est  donc  l'objet  du  livre. 

On  y  peut  distinguer  trois  parties  :  une  introduction  consacrée  à  la 
législation  révolutionnaire  et  à  l'application  du  décret  du  3  brumaire  an  IV  ; 
—  un  historique  de  la  loi  du  1 1  floréal  an  X,  qui  réorganisait  le  système  de 
l'instruction  publique,  et  de  ses  effets  ;  —  une  étude  sur  l'Université  impé- 
riale sous  le  régime  de  la  loi  du  10  mai  1806  et  du  décret  organique  du 
17  mars  1808,  et  sous  celui  de  la  réforme  du  décret  du  1 5  décembre  181 1. 

Cela  n'est  pas  à  résumer,  mais  à  lire.  D'après  les  documents,  en  grande 
partie  inédits,  des  Archives  nationales  et  d'après  les  principaux  ouvrages 
dignes  de  confiance,  l'auteur  trace  le  tableau  des  trois  ordres  d'enseignement, 
avec  une  grande  abondance  de  détails  précis.  Les  travailleurs  trouveront  ici 
un  bel  exemple  de  faits  et  de  témoignages  recueillis  avec  une  méthode  stricte- 
ment objective,  qui  exclut  tout  souci  de  célébrer  les  bienfaits  du  monopole 
ou  de  l'attaquer,  et  de  chercher  dans  l'histoire  des  armes  pour  la  polémique 
des  partis. 

Suivant  M.  Aulard,  le  monopole  ne  fut  pas  pour  Napoléon  une  conception 
de  doctrine,  un  postulat  théorique.  Ce  ne  fut  qu'un  moyen  de  gouverne- 
ment, imaginé  contre  la  concurrence  faite  par  l'enseignement  privé,  notam- 
ment l'enseignement  religieux,  aux  établissements  de  l'État  ;  et,  si  les  dispo- 
sitions   législatives  de   1806  furent   renforcées  et   aggravées  en    iS  1  1 ,  c'est 


88  .  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

uniquement  pour  affaiblir  davantage  une  concurrence  difficile  à  vaincre.  Assu- 
rément, l'idée  de  l'Université  impériale  n'est  pas  contraire  à  la  tradition  du 
xvme  siècle  et  de  la  Révolution,  pour  qui  l'éducation  est  essentiellement 
œuvre  d'État  ;  Napoléon  ne  fit  guère,  en  1806,  que  coordonner  et  perfection- 
ner les  institutions  de  la  Convention  et  le  système  scolaire  de  l'an  X  ;  il 
apparaît  tout  pénétré  de  l'esprit  rationaliste  du  siècle.  Son  œuvre  en  matière 
d'instruction  publique  doit  être  comprise  comme  un  prolongement  et  un 
couronnement.  Mais,  si  elle  est  en  harmonie  avec  l'esprit  du  temps  et  avec  les 
antécédents,  elle  n'est  tout  de  même,  en  fait,  qu'une  œuvre  de  circonstance. 

On  la  regarde  souvent  comme  rétrograde,  parce  qu'elle  assigna  expres- 
sément à  l'éducation  une  base  religieuse.  Mais  il  n'y  a  là  qu'une  apparence, 
résultant  d'un  calcul  politique.  Napoléon  ne  consentit,  par  le  Concordat,  des 
avantages  à  l'Église  que  pour  la  mieux  dominer  ;  de  même,  il  voulut  mettre 
la  religion  à  son  service  par  l'école  et  dans  l'école,  pour  qu'elle  favorisât  la 
formation  d'une  jeunesse  à  la  dévotion  de  l'Empereur.  C'était  une  façon  d'en- 
lever l'enseignement  à  l'Église  que  d'incorporer  l'Église  à  l'Université,  et  de 
faire  participer  les  prêtres  enseignants  de  «  l'esprit  d'un  corps  laïque  ». 

On  représente  encore  l'institution  des  lycées  comme  une  réaction  contre 
les  écoles  centrales  et  contre  l'esprit  révolutionnaire.  Mais  ce  ne  fut  nulle- 
ment l'opinion  des  contemporains  ;  les  représentants  de  l'Église,  en  particu- 
lier, n'acceptèrent  jamais  l'Université,  et  ne  cessèrent  jamais  de  la  combattre. 

Une  autre  preuve  du  caractère  révolutionnaire  de  l'Université  napoléo- 
nienne, M.  Aulard  la  tire  de  deux  faits  :  les  sciences  occupaient  dans  le  nou- 
veau système  d'instruction  publique  une  place  sans  doute  un  peu  moindre 
que  dans  les  écoles  centrales,  mais  toutefois  encore  assez  large  ;  de  même,  la 
place  de  l'histoire  était  importante. 

Donc,  création  d'un  organisme  administratif  et  politique  destiné,  non 
seulement  à  donner  à  la  jeunesse  une  éducation  rationnelle,  mais  encore 
à  lutter  contre  l'influence  de  l'Église  avec  le  concours  de  l'Église  domesti- 
quée, tel  fut  le  plan.  A-t-il  réussi  ? 

En  dehors  des  critiques  d'ordre  pédagogique  qu'il  pourrait  encourir,  et 
outre  que  l'enseignement  supérieur  fut  imparfait  et  l'enseignemeni  primaire 
négligé,  il  y  eut  une  grave  cause  d'échec.  L'enseignement  privé  n'a  pas  souf- 
fert du  monopole,  a  même,  au  contraire,  été  fort  prospère  sous  le  premier 
Empire,  grâce  à  la  connivence  du  grand-maître  de  l'Université,  Fontanes,  avec 
l'Eglise.  En  le  choisissant  de  préférence  à  ce  «  penseur  libre  »,  Fourcroy,  qui 
était  déjà  directeur  général  de  l'instruction  publique,  Napoléon  s'imagina  que 
les  sentiments  catholiques  de  Fontanes  inspireraient  confiance  à  l'Église,  et 
qu'ainsi  le  chef  de  l'Université  aiderait  à  la  subordination  de  l'Église  par 
l'École.  Mais  il  se  trouva  que  Fontanes  songea  plus  à  faire  les  affaires  de 
l'Église  que  celles  de  l'Empereur.  M.  Aulard  montre  ses  complaisances  pour 
l'enseignement  privé,  sa  mollesse  voulue  dans  l'application  des  lois  contre  lui. 
Par  une  «  demi-trahison  »,  Fontanes  trompa  donc  son  maître.  Le  maître  s'en 
apercevait  bien,  mais  pardonnait  :  le  coupable  était  si  spirituel  et  si  charmant  ! 
comment  résister  au  plaisir  délicieux  de  sa  société  ? 

On  voit  bien  l'intérêt  et  la  nouveauté  des  conclusions  du  livre  de 
M.  Aulard,  que  j'ai  brièvement  dégagées.  Cet  important  ouvrage  s'ajoute'à 
l'œuvre  considérable  par  laquelle  l'auteur  a  renouvelé  profondément  notre 
connaissance  de  la  Révolution  ;  il  est  le  prélude  d'études  qui  nous  feront 
mieux  connaître  l'Empire.  C.  Bloch. 


Histoire  -  8U 


C.  Ricci.  —  Histoire  générale  de  l'art.  Italie  du  Nord.  —  Paris, 
Hachette,  191 1,  in-12,  iv-367  p.,  avec  63  gravures  (série  Ars  Una~), 
7  il.  50. 

La  qualité  maîtresse  de  celte  histoire  de  l'art  dans  le  Nord  de  l'Italie, 
c'est  que  la  promesse  du  titre  n'est  pas  vaine  :  le  sujet  a  vraiment  été  traité- 
dans  toutes  ses  parties,  depuis  les  débuts  de  l'Empire  chrétien  jusqu'à  nos 
jours.  Il  ne  faut  pas  moins  en  louer  l'illustration,  très  riche  et  de  bonne  qualité, 
où  ne  font  tache  que  trois  mauvaises  planches  en  couleurs.  L'auteur  a  depuis 
longtemps  donné  sa  mesure  comme  connaisseur  expert  de  l'art  italien  ;  son 
nom  me  dispense  de  dire  qu'il  possède  parfaitement  son  sujet  et  le  traite 
avec  une  érudition  qui  n'estpas  d'hier,  —  dont  le  fardeau,  lentement  accumulé, 
ne  l'écrase  pas. 

Mes  réserves  porteront  d'abord  sur  la  disposition  des  matières.  M.  Ricci 
a  étudié  successivement  les  diverses  provinces,  Ravenne,  Venise,  la  terre 
ferme,  le  Milanais,  le  Piémont,  la  Liguric,  l'Emilie.  Chaque  chapitre  ou 
chaque  groupe  de  chapitres  forme  un  tout  ;  on  y  passe  en  revue  quinze  siècles 
de  production  artistique.  Il  en  résulte,  par  exemple,  que  Corrège  parait  à 
la  p.  334,  tandis  qu'un  artiste  mort  de  nos  jours,  comme  Segantini,  est 
nommé  à  la  p.  186.  Le  lecteur  est  continuellement  censé  savoir  ce  qu'on  ne 
lui  a  pas  appris  encore  ;  il  est  question  à  chaque  instant  de  l'influence  d'ar- 
tistes dont  il  sera  seulement  parlé  200  pages  plus  loin.  Les  inconvénients  d'une 
pareille  méthode  sont  certains  et  l'on  n'en  voit  pas  les  avantages.  Assuré- 
ment, il  est  difficile  d'adopter  un  ordre  qui  satisfasse  à  toutes  les  exigences  ; 
mais  je  crois  que  Liibke,  Woermann  et  Springcr,  pour  ne  citer  que  des 
étrangers,  ont  suivi  un  plan  préférable  à  celui  de  M.  Ricci. 

Un  défaut  plus  grave  encore  est  l'absence  de  perspective.  Dans  un  pareil 
ouvrag?,  il  faut  beaucoup  de  noms,  noms  d'artistes,  de  monuments,  de  lieux; 
mais  il  faut  surtout  des  idées  générales  propres  à  orienter  le  lecteur  novice,  à 
diriger  son  attention,  à  former  son  goût.  Je  reproche  à  M.  Ricci  deux  choses: 
d'avoir  souvent  omis  de  caractériser  les  artistes  et  les  œuvres  ;  de  les  avoir 
parfois  caractérisés  faiblement  ou  à  côté.  Prenons,  par  exemple,  ce  qu'il 
dit  de  Luini  (p.  159).  Pas  un  mot  de  la  tendance  doucereuse  de  ce  peintre, 
de  son  manque  d'originalité  et  de  vigueur  ;  rien  qui  le  distingue  de  son 
entourage,  sinon  le  nombre  plus  grand  d'œuvres  citées.  M.  Ricci  trouve  à 
Lorenzo  Lotto  «  une  précieuse  individualité  due  à  un  coloris  précis  et  vivant 
qu'on  pourrait  comparera  celui  du  Corrège  »  (p.  68).  Je  ne  sais  si  le  traduc- 
teur (en  général  assez  élégant  et  correct)  l'a  trahi,  car  je  n'ai  pas  sous  les 
yeux  l'original  italien  ;  mais  ces  propos  ont  le  tort  de  ne  rien  signifier. 
La  «  précision  »  du  coloris  est  une  qualité  douteuse  que  personne  n'attribuera 
jamais  à  Lotto  et  qui,  rapprochée  du  sfumato  du  Corrège,  fait  un  non-sens. 
Prenons  Crivelli,  cet  artiste  vraiment  extraordinaire,  qu'on  a  plusieurs  fois 
comparé  aux  grands  Japonais.  L'auteur  qualifie  ses  œuvres  de  «  délicieuses  » 
(p.  43)  et  ne  dit  même  rien  de  leur  archaïsme  voulu.  A  propos  de  Sodoma 
(p.  212),  pas  un  mot  de  l'influence  ombrienne  et  péruginesque  qu'il  a  subie. 
De  la  Jocondc,  nous  apprenons  seulement  que  c'est  un  «  merveilleux  por- 
trait »  (p.  149).  A  côté  de  kyrielles  d'œuvres  médiocres  citées  ou  reproduites 
—  que  vient  faire  (p.  186)  une  croûte  comme  celle  de  T.  Cremona?  — 
VAntiope  du  Corrège  n'est  môme  pas  nommée  !  Il  me  serait  facile  de  signaler 


90  .  —    Revue  critique  des  Livres  nouveaux- 

bien  d'autres  lacunes,  bien  d'autres  défauts  de  proportion.  Ce  livre  n'est  pas 
assez  bien  composé  ni  assez  bien  écrit  pour  se  lire  avec  plaisir  ;  on  le  con- 
sultera avec  fruit,  grâce  aux  index,  mais,  là  encore,  on  trouvera  à  redire. 
Quand  on  est  obligé  de  faire  suivre  certains  noms  de  beaucoup  de  chiffres, 
il  faut  absolument,  pour  ne  pas  décourager  le  lecteur,  signaler  à  l'attention 
le  renvoi  essentiel  par  des  caractères  gras  ou  une  astérisque.  Ainsi  je  trouve 
1 1  chiffres  à  la  suite  du  nom  de  Lotto  ;  un  seul  devait  être  mis  en  évidence,  68. 
L'index  a  été  compilé  mécaniquement  sur  un  texte  où  il  y  a  des  fautes  assez 
graves.  P.  106,  à  deux  reprises,  on  lit  Hyppolite,  et  cette  cacographie  a  passé 
dans  l'index.  A  la  même  page,  il  est  dit  que  H.  Andreasi  «  imita  aussi  le 
Parmigliano.  »  Faute  d'impression  pour  Parmigianino,  celui  que  nous  appe- 
lons le  Parmesan  ;  mais,  à  l'index,  on  retrouve  Parmigliano,  à  la  suite  de  Par- 
migianino, avec  un  renvoi  à  la  p.  106. 

Je  sais  par  expérience  qu'on  n'écrit  pas  de  manuel  sans  y  laisser  de  nom- 
breuses erreurs  et  que  la  première  édition  d'un  livre  n'est  la  bonne  que  pour 
les  bibliophiles.  Mais  ce  que  je  regrette  de  ne  pas  trouver  dans  le  volume  de 
M.  Ricci,  appelé  d'ailleurs  à  rendre  de  grands  services,  est  plus  important 
que  les  lapsus  qu'on  y  pourra  relever  :  c'est  l'ordre  logique  et  la  précision 
psychologique.  Ce  sont  là  des  défauts  qui  ne  se  corrigent  pas  dans  des  errata. 

S.  Reinach. 

G.  Milhaud.  —  Nouvelles  études  sur  l'histoire  de  la  pensa  scientifique. 
—  Paris,  Alcan,  191 1,  in-8,  235  p.,  5  francs. 

M.  G.  Milhaud  est  arrivé  à  la  philosophie  en  passant  par  les  sciences, 
et  surtout  par  les  mathématiques  qu'il  a  longtemps  cultivées  et  enseignées. 
Cela  explique  sa  compétence  toute  spéciale  et  l'autorité  qu'il  a  acquise  en 
matière  de  philosophie  scientifique.  L'ouvrage  qu'il  nous  présente  aujourd'hui 
est  une  réunion  d'articles  parus  dans  diverses  revues  ou  de  leçons  magistrales 
professées  à  l'Université  de  Montpellier. 

M.  G.  Milhaud  n'a  pas  eu  la  prétention  d'écrire  l'histoire  complète  de  la 
pensée  scientifique  depuis  les  débuts  de  l'humanité  :  une  pareille  tâche  exi- 
gerait sans  doute  de  nombreux  in-octavo  ;  il  a  su  se  limiter  et  nous  instruire 
en  nous  présentant  quelques  points  de  vue  de  spécial  intérêt.  Trois  chapitres 
sont  consacrés  à  étudier  l'apport  de  l'Orient  dans  la  science  grecque  ;  nous 
en  détacherons  seulement  la  conclusion  :  «  L'Orient  a  transmis  aux  Grecs 
un  ensemble  de  connaissances  pratiques,  qui  ont  pu  servir  de  base  à  leur 
science,  mais  celle-ci  leur  appartient  bien  véritablement.  Ce  qui  la  caracté- 
rise, c'est  qu'elle  a  pour  unique  but  la  recherche  delà  vérité  et,  pour  mobile, 
l'amour  désintéressé  de  l'ordre  éternel  des  choses.  » 

Après  une  fort  intéressante  étude  du  Traite  de  la  méthode,  d'Archimède, 
découvert  en  1907  à  Jérusalem  par  le  professeur  Heiberg  de  Copenhague, 
l'auteur  nous  ramène  aux  fondateurs  de  la  science  moderne,  Fermât,  Des- 
cartes, Leibniz  et  Newton.  Lequel,  de  Descartes  ou  de  Fermât,  a  découvert 
la  géométrie  analytique  ?  Comment  Descartes  a-t-il  été  amené  à  trouver  les 
lois  de  la  réfraction  lumineuse  ?  Quel  a  été  le  rôle  de  ces  grands  penseurs 
dans  la  formation  de  nos  idées  scientifiques  ?  Toutes  ces  questions  sont  étu- 
diées avec  un  clair  bon  sens  et  dans  un  langage  élégant  et  accessible  à  tous  ; 
c'est  dire  que  savants  et  philosophes  liront  le  livre  de  M.  G.  Milhaud  avec 
autant  de  plaisir  que  de  profit.  L.  Houllevigue. 


Sociologie  -  91 


Dr  J.  Bertillon.  —  La  dépopulation  de  la  France.  Ses  conséquences; 
ses  causes;  mesures  à  prendre  pour  la  combattre.  —  Paris,  F.  Alcan, 
191 1,  in-8,  iv-346  p.,  6  francs. 

L'auteur  consacre  depuis  longtemps  une  partie  de  son  activité  à  avertir 
la  France  des  dangers  dont  la  menace  une  dépopulation  progressive.  Comme 
il  connaît  bien  la  question,  son  livre  est  instructif. 

Il  constate  d'abord  qu'à  la  fin  duxvne  siècle  la  France  comprenait,  à  elle 
seule,  environ  40  °/0  de  la  population  des  grandes  puissances  de  l'Europe, 
et  qu'en  1908  la  part  de  la  France  n'était  plus  que  de  7  °/0  dans  la  popula- 
tion des  grandes  puissances  du  monde.  Cela  tient  non  seulement  à  ce  que  le 
nombre  des  grandes  puissances  a  augmenté,  mais  à  ce  que,  tandis  que  la 
population  de  tous  les  pays  (sauf  l'Irlande)  s'accroît  toujours,  celle  de  la 
France  est  stationnaire.  —  En  1850  la  France  avait  encore  autant  d'habitants 
que  le  territoire  actuel  de  l'Empire  allemand  ;  l'Allemagne  a  maintenant 
65  millions  d'habitants  et  la  France  39  (dont  un  million  d'étrangers,). 

Les  conséquences  militaires  de  cet  état  de  choses  sont  sérieuses. 
En  1907- 1908,  il  y  a  eu  en  France  286.183  conscrits  et  539.334  en  Alle- 
magne. En  outre,  il  est  dès  à  présent  certain  que,  dans  vingt  ans,  le  contin- 
gent français  sera  inférieur  de  40.000  hommes  à  ce  qu'il  est  aujourd'hui, 
tandis  que  le  contingent  allemand  sera  supérieur  de  75.000  hommes  au 
moins.  La  France  perd  donc  cinq  corps  d'armée  dans  le  temps  que  l'Alle- 
magne en  gagne  dix.  La  qualité,  d'ailleurs,  ne  compense  pas  la  quantité,  car 
dans  les  pays  à  natalité  faible  tout  le  monde  est  accepté  comme  soldat  ;  ail- 
leurs, on  choisit  les  recrues.  «  Les  soldats  français  sont  moins  robustes  que 
ceux  des  autres  armées  et  cette  infériorité  physique  se  traduit  dans  les  statis- 
tiques médicales  de  l'armée.  »  —  Les  conséquences  économiques  sont  moins 
frappantes  que  les  militaires,  mais  elles  ne  sont  pas  moins  graves  :  le  déve- 
loppement de  la  richesse  publique  paraît  arrêté  en  France  depuis  une  quin- 
zaine d'années. 

La  cause  du  phénomène  en  question  est  très  claire.  Ce  n'est  pas  l'excès 
de  mortalité  :  la  mortalité  est  modérée  en  France  ;  et,  du  reste,  si  la  mortalité 
y  diminuait  encore,  il  n'est  pas  douteux  que  la  natalité  baisserait  proportion- 
nellement, car  c'est  une  des  lois  les  mieux  établies  de  la  démographie  que 
tout  décès  tend  à  provoquer  une  naissance  :  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  en 
quelque  pays  que  ce  soit,  moins  il  y  a  de  décès,  moins  il  y  a  de  naissances. 
La  cause,  c'est  le  défaut  de  naissances,  qui  est  dû  à  la  volonté  réfléchie  des 
conjoints  (le  célibat  n'est  pas  plus  fréquent  en  France  qu'à  l'étranger).  L'ai- 
sance entraîne  la  quasi  stérilité  et  l'aisance  est  très  répandue  dans  notre  pays, 
puisque  les  trois  quarts  des  Français  possèdent,  paraît-il,  quelque  chose  à 
l'âge  de  cinquante  ans.  Cette  considération  suffit  à  rendre  compte  de  l'insuf- 
fisante fécondité  des  unions  contractées  en  France.  L'affaiblissement  des  con- 
victions religieuses  n'a,  quoi  qu'on  dise,  pas  d'influence  notable  là-dessus  : 
dans  le  département  de  Maine-et-Loire,  un  des  plus  catholiques  de  France, 
la  natalité  annuelle  a  passé  (pour  1.000  femmes  de  15  à  50  ans)  de  34  pen- 
dant la  première  décade  du  xixe  siècle,  à  18  pendant  la  dernière,  c'est-à-dire 
que  Maine-et-Loire  est  aujourd'hui  un  des  douze  départements  français 
où  le  taux  de  la  natalité  est  le  plus  bas  ;  le  catholicisme  y  est  très  fort,  mais 
l'aisance  y  est  générale. 


92  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

L'alcoolisme  n'a  pas  non  plus  l'influence  inhibitoire  qu'on  lui  attribue 
souvent  :  les  alcooliques  et  les  hérédo-alcooliques  ont  beaucoup  d'enfants  ; 
dans  la  Normandie  dépeuplée,  le  département  de  la  Seine-Inférieure  a  gardé 
une  natalité  fort  «  honorable  »  (au  point  de  vue  quantitatif)  de  28  °/0  ;  c'est 
parce  qu'on  y  boit  plus  qu'ailleurs.  —  Quant  à  savoir  pourquoi  l'aisance 
entraine  la  stérilité  volontaire,  c'est  ce  qu'il  est  bien  aisé  d'expliquer  :  en 
deux  mots,  c'est  parce  qu'elle  crée  la  prévoyance  ;  c'est  surtout  parce  qu'elle 
permet,  avec  les  loisirs,  la  réflexion  qui  conduit  à  regarder  la  vie,  à  la  juger 
et  à  en  avoir  peur. 

M.  Bertillon  a  consacré  une  section  de  son  ouvrage  (pp.  210-246)  à 
l'historique  des  propagandes  faites  en  France  et  ailleurs  pour  répandre  le 
néo-malthusianisme.  Emanant  d'un  apôtre  de  la  thèse  contraire,  cet  histo- 
rique est  écrit,  on  le  devine,  dans  un  esprit  d'hostilité  déclarée.  Mais,  parmi 
les  causes  accessoires  de  la  décadence  de  la  natalité  française,  la  propagande 
néo-malthusienne  est  assurément  une  des  moins  efficaces.  L'auteur  lui-môme 
en  signale  d'autres  qui  ont  infiniment  plus  d'action  :  complication  encore 
excessive  des  formalités  à  accomplir  pour  contracter  mariage  (même  après  la  loi 
Lemire),  diffusion  de  la  littérature  pornographique,  indifférence  et  malveil- 
lance de  la  législation  (surtout  récente)  à  l'égard  des  familles  nombreuses,  etc. 

Le  chapitre  des  Remèdes  est  intéressant,  car  l'auteur  est  pessimiste,  mais 
non  pas  résigné.  Encouragé  par  l'approbation  de  l'Académie  des  Sciences 
morales  et  politiques,  qui  l'appuie  de  toutes  ses  forces,  il  veut  lutter,  il  veut 
qu'on  lutte.  ■ —  Les  remèdes  qu'il  recommande  entre  tous  ceux  qui  ont  été 
proposés  paraissent,  d'ailleurs,  raisonnables  pour  la  plupart.  Partant  du  prin- 
cipe que  «  tout  homme  a  le  devoir  de  contribuer  à  la  perpétuité  de  sa  patrie 
exactement  comme  il  a  celui  de  la  défendre  »,  il  demande  que  le  fait  d'élever 
un  enfant  soit  considéré  comme  une  forme  de  l'impôt  (dégrèvements  propor- 
tionnels au  nombre  des  enfants,  à  partir  de  trois)  ;  que  la  loi  belge  sur  le  ser- 
vice militaire  (service  obligatoire  à  raison  d'un  fils  par  famille)  soit  généra- 
lisée en  vertu  d'une  entente  internationale,  ce  qui  résoudrait  du  coup  la 
célèbre  difficulté  de  la  réduction  simultanée  des  armements  ;  réforme  des  lois 
successorales;  attribution  à  l'État  de  la  portion  disponible  de  l'héritage  des 
familles  qui  n'ont  qu'un  ou  deux  rejetons  ;  indemnités  aux  familles  nombreuses 
et  surtout  aux  veuves  chargées  d'enfants.  «  L'État  ne  devrait  perdre  aucune 
occasion  de  témoigner  du  respect  et  de  la  gratitude  pour  les  parents  qui  élèvent 
de  nombreux  enfants  :  toutes  les  faveurs  dont  il  dispose  devraient  leur  être 
réservées  autant  que  possible.  » 

On  est  un  peu  surpris  que,  dans  un  ouvrage  intitulé  La  dépopulation  de 
la  France,  il  ne  soit  pas  fait  mention,  à  propos  des  «  remèdes  »,  des  apports 
de  l'immigration.  Car  la  naturalisation  des  étrangers  qui  viennent  spontané- 
ment s'établir  dans  les  pays  à  population  insuffisante  ou  à  natalité  déficitaire 
est  un  remède  naturel  aux  inconvénients  dont  ces  pays  sont  exposés  à  souf- 
frir à  la  longue.  Mais  c'est  que  M.  Bertillon  considère  l'immigration  moins 
comme  un  bienfait  que  comme  un  danger.  Il  la  range  parmi  les  «  consé- 
quences »  fâcheuses  du  mal  qu'il  dénonce.  Et  il  en  parle  d'une  manière  très 
superficielle,  même  au  point  de  vue  statistique.  —  La  naturalisation  en 
masse  peut  être,  en  effet,  un  danger  :  les  États-Unis,  qui  l'ont  si  largement 
pratiquée  au  siècle  dernier,  commencent  à  s'en  apercevoir;  mais  c'est  seule- 
ment lorsque  les  éléments  apportés  par  l'immigration  sont  ethniquement  de 
qualité  inférieure  ou  inquiétante.  Si  la  France  était  colonisée  par  des  nègres 


Géographie  =============================^  93 

ou  des  Orientaux  (Syriens,  Arméniens  et  autres),  il  serait  légitime  de 
craindre  ;  mais  les  Belges,  les  Allemands,  les  Italiens  sont  des  hommes 
comme  nous  et  dont  les  descendants  s'assimilent  promptement  la  tradition 
française,  ce  qui  est  l'essentiel.  M.  Bertillon  n'en  est  pas  sans  doute  à  croire 
qu'il  v  a  une  «  race  »  française.  Trente-huit  millions  de  Français  de  date 
plus  ou  moins  ancienne  forment  un  milieu  qui  serait  capable  de  franciser  à 
fond  en  une  ou  deux  générations  la  descendance  de  beaucoup  plus  de  cousins 
plus  ou  moins  germains  que  nous  n'en  accueillons  chaque  année. 

Au  demeurant  le  livre  de  M.  Bertillon  traite  moins  de  la  dépopulation  que 
de  la  natalité  française.  Tout  ce  qu'il  dit  de  son  véritable  sujet  n'entraîne  pas, 
du  reste,  la  conviction.  Dans  son  opinion,  il  y  a,  comme  dans  celle  qu'il  com- 
battes vérités  et  des  sophismes.  On  est  continuellement  choqué,  en  le  lisant, 
de  le  voir  exalter  le  nombre,  sans  considération  de  la  qualité.  Tous  les  pères 
de  nombreux  enfants  ne  méritent  point  des  couronnes  civiques  et  les  faveurs 
de  l'État;  il  en  est,  comme  les  syphilitiques,  les  alcooliques  et  beaucoup  d'au- 
tres, qui  sont  des  criminels  et  qu'on  châtierait  rudement  dans  une  société  bien 
policée.  Ces  problèmes  sont  très  complexes  et  ne  sauraient  être  épuisés  par 
des  esprits  sans  nuances.  —  L'auteur  est,  du  moins,  de  bonne  foi  :  il  va  jus- 
qu'à donner,  parmi  ses  «  monographies  »  en  appendice,  une  étude  sur  le 
canton  de  Lillebonne  (Seine-Inférieure),  qui  paraît  de  nature  à  fortifier  gran- 
dement les  scrupules  que  sa  thèse  éveille  :  il  en  ressort  que  la  natalité  du 
canton  de  Lillebonne  a  énormément  augmenté  à  partir  du  moment  où  il  fut 
démoralisé  parla  grande  industrie,  l'alcool  et  la  misère.  P.  Dubois.  - 


J.  Brunhes.  —  La  Géographie  humaine.  —  Paris,  Alcan,  1910,  in-8, 
iv-843  p.,  202  figures  et  cartes  dans  le  texte  et  4  cartes  hors  texte, 
20  francs. 

M.  Brunhes,  regardant  comme  le  domaine  propre  de  la  géographie 
la  surface  de  contact  entre  la  zone  inférieure  de  l'atmosphère  et  la  zone 
superficielle  de  l'écorce,  réserve  à  la  géographie  humaine  ceux  des  phéno- 
mènes superficiels  auxquels  participe  l'activité  humaine,  «  toujours 
englobés  dans  le  cadre  de  la  géographie  physique,  mais  qui  ont  toujours  ce 
caractère  aisément  discernable  de  toucher  plus  ou  moins  directement  à 
l'homme  ».  Ils  doivent  être  constamment  envisagés  sous  les  catégories 
d'activité  et  de  connexité.  La  géographie  humaine  est  une  science  dyna- 
mique et  synthétique.  Quant  aux  faits  qu'elle  étudie,  «  ils  peuvent  être 
classés  en  trois  groupes  et  ramenés  à  six  types  :  occupation  stérile  du  sol  : 
maisons  et  chemins,  à  l'étude  desquels  se  rattache  celle  de  l'agglomération 
urbaine  ;  conquête  végétale  et  animale  :  champs  cultivés  et  animaux 
domestiques  ;  économie  destructive  :  exploitation  minérale,  et  dévastation 
végétale  ou  animale. 

Pour  chacun  de  ces  groupes  de  faits  M.  Brunhes  montre  comment 
on  peut  rassembler  les  matériaux  qui  s'y  rapportent.  Ainsi  à  propos  de  la 
maison  de  bois  de  l'Europe  forestière  il  s'efforce  de  répondre  aux  quatre 
questions  :  Où  est-elle  ?  Comment  est-elle  faite  ?  Jusqu'où  va-t-elle  ?  Que 
devient-elle  ?  Des  types  simples  de  la  maison,  du  chemin,  du  village,  il 


94  ,  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

s'élève  aux  faits  complexes  :  agglomération  urbaine,  route  politique,  géogra- 
phie générale  de  la  circulation.  Ainsi  des  autres  questions.  Le  livre  se  termine 
par  trois  chapitres  consacrés  en  somme  à  définir  ce  que  doit  être  l'esprit 
géographique,  soit  que  la  géographie  «  par-delà  les  faits  essentiels  »  prenne 
les  épithètes  d'humaine,  régionale,  ethnographique,  sociale,  politique,  histo- 
rique, soit  que  les  sciences  économiques,  sociales,  historiques  ne  puissen- 
se  désintéresser  des  faits  géographiques,  soit  que  l'enseignement  de  la 
géographie  doive  être  rénové  par  la  méthode  nouvelle. 

L'ouvrage  est  volumineux.  Peut-être  les  proportions  en  auraient-elles  été 
réduites  par  l'emploi  d'une  forme  plus  simple  et  plus  condensée,  qui  n'au- 
rait rien  perdu  en  caractère  scientifique  à  être  plus  impersonnelle  et  à  éviter 
davantage  les  termes  germaniques.  En  un  si  gros  volume  des  lapsus  devaient 
se  glisser,  certains  dus,  semble-t-il,  à  une  rédaction  hâtive.  Quelques  erreurs 
sont  plus  graves  :  la  thèse  de  Chantriot  devient  (p.  61 5)  la  Tbiéracbe  au  lieu  de 
la  Champagne  ;  Grenoble  est  représenté  comme  faisant  exception  à  la  loi  qui 
veut  que  les  établissements  humains  du  Graisivaudan  soient  fixés  sur  les 
cônes  de  déjection.  L'appareil  bibliographique  est  abondant  ;  il  est,  rare- 
ment, il  est  vrai,  incomplet  :  avant  Levainville  (p.  744),  Blanchard  avait 
donné  des  cartes  de  moisson  {La  Flandre,  Paris,  Colin,  1906,  p.  20). 

La  géographie  humaine  est  une  science  à  ses  débuts.  M.  Brunhes  déclare 
qu'elle  n'évite  pas  toujours  le  désordre  et  la  fantaisie,  et  qu'il  en  veut  préciser 
la  méthode.  Il  aurait  pu  ajouter  que  certains  lui  contestent  le  droit  à  l'exis- 
tence, et  définir  de  plus  près  encore  la  matière,  les  bornes  et  les  procédés  de 
la  science  nouvelle  pour  la  justifier  des  critiques  que  lui  ont  récemment 
adressées  les  sociologues.  La  définition  de  la  géographie  humaine,  telle  que 
la  donne  M.  Brunhes,  reste  en  somme  assez  vague,  et  par  ailleurs  cette 
discipline  a  besoin  d'être  mise  en  garde  contre  un  cause-finalisme  abusif. 

L'objet  même  du  livre  de  M.  Brunhes  peut  sembler  indécis.  Ce  n'est 
pas  un  tout  coordonnant  des  résultats  acquis  ;  ce  n'est  pas  un  ensemble  de 
monographies  originales  conduites  avec  une  ampleur  uniforme.  Le  plan 
qu'a  adopté  M.  Brunhes  laisse  une  impression  confuse  et  morcelle  l'atten- 
tion. Malgré  l'insistance  avec  laquelle  l'auteur  rappelle  constamment  ce  qu'il 
nomme  le  principe  de  connexion,  peut-être  n'aperçoit-on  pas  assez  nette- 
ment ce  que  les  travaux  de  l'école  géographique  française  ont  si  bien  mis  en 
lumière,  que  toute  géographie  —  physique  ou  humaine  —  est  une  synthèse  ;  et 
aux  lecteurs  de  cette  Revue  (1)  comme  aux  géographes  et  professeurs  fran- 
çais il  sera  bien  permis  de  regretter  que  M.  Brunhes  n'ait  pas  plus  largement 
profité  des  travaux  sur  la  France  naguère  signalés  ici.  Il  les  cite  sans  doute, 
et  avec  éloges  ;  mais  ils  ont  donné  des  exemples  de  méthode,  que  les 
Allemands  eux-mêmes  se  plaisent  à  reconnaître  ;  et  tel  de  ces  ouvrages  parait 
aborder  les  faits  globaux  dans  leur  totale  et  naturelle  «  complexité  »  plus 
complètement  qu'il  n'est  possible  de  le  faire  en  étudiant  des  «  îles  »,  de 
«  petits  mondes  ». 

M.  Brunhes  avait  entrepris  une  grande  et  difficile  tâche.  Quelques  critiques 
ne  sauraient  diminuer  la  valeur  de  son  livre.  Une  information  très  étendue, 
une  critique  avisée,  un  esprit  largement  ouvert  à  toutes  les  questions, 
rendent  attachante  et  instructive  la  Géographie  humaine.  Les  cartes  et  les  pho- 


(1)  Tome  IV,  pp.  49,  81. 


Sciences  95 

tographies  abondent,  significatives,  illustrées  d'excellents  commentaires. 
Fécond  en  suggestions  pour  les  spécialistes,  le  livre  de  M.  Brunhes  inté- 
ressera les  «  honnêtes  gens  a  qu'il  réconciliera  avec  la  géographie  abhorrée 
depuis  les  bancs  de  l'école.  Ph.  Arbos. 


E.  Buat.  —  L artillerie  de  campagne.  —  Paris,  Alcan,  191 1, 
in-16,  347  p.,  3  fr.  50. 

L'histoire,  l'évolution  et  l'état  actuel  de  l'artillerie  de  campagne  sont 
présentés  par  le  chef  d'escadron  Buat  d'une  façon  précise  et  telle  que  le 
public,  désireux  de  se  faire  une  opinion  sur  les  transformations  de  l'organi- 
sation et  de  l'emploi  de  l'arme,  puisse  trouver  dans  cet  ouvrage  tous  les 
éléments  nécessaires  pour  apprécier,  aussi  bien  au  point  de  vue  scientifique 
qu'au  point  de  vue  national,  tous  les  efforts  faits  par  nos  artilleurs.  La 
réalisation  du  canon  de  75  à  tir  rapide,  la  composition  organique  de  la  bat- 
terie, la  tactique  de  l'arme  et  le  ravitaillement  sont  des  questions  vitales 
dont  la  solution  adoptée  par  notre  armée  appelle  une  comparaison  avec  les 
solutions  adoptées  par  les  armées  étrangères.  C'est  là  surtout  ce  qui  intéresse 
au  plus  haut  point  le  public  français  qui  a  le  droit  de  savoir  comment  son 
argent  est  employé  et  s'il  est  bien  certain  que  les  sacrifices  consentis  par  lui 
correspondront  à  une  sécurité  complète.  M.  Buat  n'a  pas  manqué  de  donner 
à  cette  comparaison  la  valeur  qui  lui  revient  dans  l'économie  de  son  livre, 
Et  il  en  résulte  à  la  fois  une  impression  de  confiance  et  de  fierté  d'autant 
plus  forte  qu'elle  est  basée  sur  des  notions  vérifiables  et  à  la  portée  de 
tout  lecteur  éclairé  sans  être  versé  dans  les  sciences  spéciales  dont  relève 
l'artillerie. 

En  somme  cet  excellent  livre  de  vulgarisation  satisfait  un  besoin  qui 
se  fait  impérieusement  sentir  chez  les  citoyens  d'une  grande  nation  chaque 
lois  que  les  problèmes  de  la  Défense  Nationale  sont  remis  en  discussion.  Or 
ces  problèmes  reviennent  annuellement  avec  les  budgets  et  aussi  avec  les 
productions  de  la  littérature  militaire  qui  s'inspire  des  exemples  des  guerres 
récentes  et  des  perfectionnements  prodigieux  des  movens  matériels. 

C'est  pourquoi  il  serait  du  plus  grand  intérêt  que  la  Nouvelle  Collection 
scientifique  fit  pour  les  autres  armes  et  pour  la  constitution  de  l'armée 
moderne  ce  qu'elle  vient  de  faire  pour  l'artillerie  de  campagne.  Les 
Français  trouveraient  dans  ces  publications  les  notions  essentielles  qui 
président  à  l'organisation  et  à  l'emploi  des  armées,  notions  qui  proviennent 
des  sciences  exactes,  de  la  sociologie,  de  la  psychologie  et  qui  combat- 
traient efficacement  nombre  de  préjugés  graves  et  répandus  dans  notre  pays, 
en  ce  qui  concerne  la  Défense  nationale.  Capitaine  Mirvalle. 


St.   Meuxier.    —    L'évolution    des   théories  géologiques.   —    Paris, 
F.  Alcan,  191 1,  in-12,  368  p.,  3  fr.  50. 

Ce  livre  n'offre  pas  l'histoire  de  l'évolution  de   la  géologie,  promise  par 
le  titre  et  la  préface.  M.  St.  Meunier  se  propose  de  rechercher  a  par  quelles 


J6  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

voies,  par  quelles  hésitations,  par  quelles  erreurs  successivement  corrigées, 
on  est  parvenu  à  la  science  géologique.  »  Il  doit  aussi  mettre  en  évidence 
la  part  néfaste  qui  revient,  dans  les  vicissitudes  de  cette  science,  d'une  part 
aux  tendances  trop  mathématiques  de  certains  esprits,  d'autre  part  à  l'autori- 
tarisme des  dirigeants  de  la  science  officielle,  qui  arguent  souvent,  dans  les 
discussions,  d'une  opinion,  conforme  à  la  leur,  imaginée  pour  les  besoins  de 
la  cause  et  attribuée  arbitrairement  à  une  aussi  docile  que  fictive  «  unanimité 
des  géologues.  »  —  Le  lecteur  est  donc  prévenu.  Il  ouvre  un  ouvrage  ten- 
dancieux, qui  pourrait  être  vivant,  qui  serait  à  coup  sûr  d'une  psychologie 
intéressante,  s'il  marquait  véritablement  les  étapes  successives  de  l'évolution 
d'une  science,  soit  par  les  avatars  de  telle  théorie,  pour  un  temps  «  à  la 
mode  »,  soit  par  le  règne  prédominant  de  telle  personnalité  forte,  soit 
encore —  car  elles  comptent,  en  géologie  comme  ailleurs  —  par  tel  faisceau 
de  découvertes  nouvelles.  —  Au  lieu  de  cela,  M.  St.  Meunier  ne  nous 
donne  qu'une  série  de  chapitres  morcelés  :  théorie  cosmogéniques,  théories 
géogéniques,  etc..  Chacun  d'eux  est  formé  de  citations  anciennes,  très 
écourtées  et  incomplètes,  sans  lien  les  unes  avec  les  autres,  et  à  travers 
lesquelles  il  est  bien  difficile  de  suivre  l'évolution  d'une  théorie  quelconque. 
De  plus,  l'ouvrage  est  d'une  sobriété  déconcertante  à  propos  de  la  géo- 
logie contemporaine.  Le  terrain  sur  lequel  l'auteur  annonce,  dès  le  début, 
vouloir  se  placer,  l'obligeait,  semble-t-il,  à  donner  une  part  dans  son 
livre  aux  idées  qu'il  déclare  vouloir  combattre,  et  pour  le  moins  à  indiquer 
que  les  théories  actuelles  ne  se  bornent  pas  aux  siennes  propres,  très  contes- 
tables, sur  le  volcanisme,  la  non  existence  des  périodes  glaciaires,  la  fin  du 
globe  par  dessication,  etc..  Ch.  Jacob. 


LIVRES  ANNONCÉS  SOMMAIREMENT. 


LITTERATURE. 


A.  Machard.  Histoire  naturelle  et  sociale  d'une  bande  de  gamins  sous  la  troisième 
République.  Trique,  Neness,  Bout,  Miette  et  Cie.  —  Paris,  Figuière,  1910,  in-12, 
3  fr.  50.  —  La  Cie  c'est  Mimi,  Torchon,  Teresou,  Caca,  Poum  et  les  demoiselles 
Crochu.  M.  Machard  a  traité  son  sujet  d'une  manière  réaliste,  sèche  et  précise. 
Chaque  figure  a  son  relief,  et  la  bande  vit  d'une  vie  collective.  Il  y  a  là-dedans  du 
talent,  et  ce  petit  volume  est  à  lire.  G.   Lanson. 

Mme  L.  Hourticq..  Les  plus  beaux  contes  de  tous  les  pays.  —  Paris,  Hachette,  1910, 
grand  in-4,  relié,  20  fr.  —  Superbe  livre,  trésor  des  petits,  plaisir  d'art  aussi 
pour  les  grands.  Les  quarante-huit  plus  beaux  contes?  Qui  le  dira?  En  tout 
cas  ce  choix  heureux,  varié,  sans  redites.  —  rires  et  terreurs,  contes  classiques  ou 
presque  inédits,  —  nous  promène  par  toutes  les  provinces  du  royaume  de  féerie. 
Contes  de  tous  les  pays  ?  Tant  s'en  faut,  mais  des  pays  les  plus  divers,  du  Japon 
à  la  Norvège.  D'ailleurs  l'étiquette  d'origine  est  souvent  chose  secondaire  autant 
que  hasardeuse.  Et  l'auteur  du  recueil  fait  subir  à  tous  ces  récits  un  travail  déli- 
cat d'abréviation  et  d'adaptation  dont  sont  seuls  exemptés  les  quatre  extraits  de 
Perrault.  Notamment  elle  atténue  les  traits  ethniques  qui  auraient  exigé  un  com- 
mentaire. Toutefois,  de  ces  traits  et  de  ces  notes,  les  chromogravures  (hors  texte 
et    anonymes),   d'une   exécution  parfaite^   d'un   coloris  hardi  et   harmonieux, 


Livres  annoncés  sommairement     ==^========:  97 

tiennent  la  place.  La  tonalité  de  chacune,  l'exactitude  des  paysages,  des  types, 
des  costumes,  les  dessins  de  monstres  (Cyclopes  rocheux  par  exemple,  couronnés 
d'arbres  et  guidés  par  la  lune  qui  brille  dans  leur  unique  orbite),  tout  cela  équi- 
vaut à  une  exégèse.  On  y  saisit  l'origine  des  mythes  et  comment,  dit  A.  France, 
ils  ont  pris  «  les  teintes  de  l'air  »  et  des  moeurs  de  chaque  contrée.  Cette  illus- 
tration tient  de  près  au  récit,  sauf  pour  la  Fée  Pervenche  et  le  Beau  Nicolas;  ici  les 
deux  gravures  semblent  se  rapporter  à  un  autre  état  de  la  rédaction  ou  à  une 
sélection  différente.  J.  BURY. 

A.  Conan  Doyle.  Micah  Clarke  :  I  :  les  Puritains.  Traduit  de  l'anglais  par 
René  Lécuyer  ;  2e  édition.  —  Paris,  Pion,  191 1,  in-16,  3  fr.  50. —  Peut-être 
certains  seront-ils  déçus  de  trouver  ici,  non  des  histoires  policières,  mais  un 
roman  historique.  Ils  auraient  tort  ;  cette  nouvelle  manière  vaut  mieux  que 
l'ancienne.  C'est  toujours,  et  nettement,  de  la  littérature  de  seconde  qualité  ; 
mais  il  y  a  des  éléments  d'intérêt  assez  substantiels  —  un  tableau  de  mœurs  et 
d'histoire  qui  ne  manque  pas  de  couleur  ni  de  vie,  une  mise  en  œuvre  adroite 
de  cette  curieuse  matière  puritaine  que  Walter  Scott  avait  exploitée  sans  l'épui- 
ser, et  des  caractères  dont  certains  se  tiennent.  De  la  convention,  cela  va  sans 
dire  ;  le  genre  reste  assez  faux;  et  une  recherche  du  tragique  parfois  facile.  Mais 
l'ensemble  est  une  honnête  lecture  pour  veillées  ;  aisée,  rapide,  évoquant 
l'image  amusante  d'une  époque  naïve  et  mal  connue.  La  traduction  a  des  qua- 
lités. L.  Cazamian. 

D""  G.  Espé  DE  Metz.  Le  Couteau.  Essai  dramatique  sur  les  limites  du  droit  chirurgi- 
cal. —  Paris,  Bernard  Grasset,  1910,  in-12,  3  fr.  50.  —  Il  ne  suffit  pas  qu'une 
femme  du  monde  désire  avoir  un  amant  sans  s'exposer  aux  ennuis  de  la  mater- 
nité pour  que  le  chirurgien  soit  autorisé  à  pratiquer  sur  elle  l'ablation  des 
ovaires.  Voilà  ce  que  nous  démontre  l'auteur.  Il  nous  affirme  en  outre  que 
l'amour  du  lucre  conduit  à  la  malhonnêteté,  la  malhonnêteté  au  succès.  Nous 
sommes  d'accord.  Était-il  bien  nécessaire  de  développer  ces  idées  en  quatre  actes  ? 

—  Peu  importe  le  sujet,  dira-t-on  ;  il  n'y  a  que  «  la  manière  ».  —  Dans  un  style 
aux  tendances  réalistes,  le  Dr  Espé  de  Metz  nous  présente  quelques  situations 
saisissantes  et  assez  dramatiques.  Son  livre  intéressera  les  lecteurs  qui  ignorent  le 
milieu  médical.  D^  M.  Herer. 

Œuvres  complètes  d'André  Chénier,  publiées  d'après  les  manuscrits  par  P.  Dimorf. 
Tome  IL  Poèmes,  hymnes,  théâtre.  —  Paris,  Delagrave,  s.  d.,  in-8,  3  fr.  50. — 
Ce  deuxième  volume  est  digne  du  Ier.  Nul  travail  ne  peut  faire  mieux  com- 
prendre au  public  l'intérêt  des  éditions  critiques.  M.  Dimoff  a  le  goût  d'un  artiste 
érudit,  et  la  patience  d'un  Bénédictin.  —  A  signaler,  pour  Y  Invention,  les  notes 
et  ébauches  que  G.  de  Chénier  n'avait  que  partiellement  citées  ;  —  on  les  trouve 
ici  intégralement,  et  sur  elles  on  peut  étudier  la  manière  dont  travaillait  Chénier. 

—  Pour  Y  Hernies,  M.  Dimorf  établit  qu'il  n'aurait  eu  que  3  chants,  le  fragment 
sur  la  Nuit  devant  probablement  servir  d'introduction  au  3e.  En  revanche,  il 
restitue  à  l'Art  d'aimer  ses  4  chants  ;  et  c'est  un  mérite  qui  n'est  pas  mince 
d'avoir  su  mettre  en  ordre  les  débris  de  ce  poème,  et  de  l'avoir  rendu  à  peu  près 
lisible  ;  il  a  fallu  faire  d'abord  un  départ,  très  délicat,  entre  les  matériaux  des 
Elégies  et  ceux  que  le  poète  destinait  à  Y  Art  d'aimer.  —  Enfin,  M.  Dimolf  recons- 
titue le  poème  de  la  République  des  lettres.  On  lit  et  on  comprend  bien  mieux 
Chénier  dans  cette  édition  que  dans  les  précédentes.  Quelques  coquilles.  Ex. 
p.  177:  usage,  pour  nuage.  J.  Merlant. 

M.  Epuy,  Anthologie  des  humoristes  anglais  et  américains  (Du  XVIIe  siècle  à  nos  jours). 

—  Paris,  Delagravc,  1910,  in-18,  3  fr.  50.  —  LTne  préface  agréablement  écrite, 
mais  où  le  difficile  problème  de  l'humour  est  effleuré  superficiellement.  L'auteur 
nous  donne  une  impression  bien  générale  et  vague  de  cette  variété  du  comique  ; 
et  le  choix  des  textes  qui  suivent  n'est  pas  fait  pour  nous  éclairer.  Les  écrivains 


08  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

antérieurs  à  l'époque  contemporaine  sont  peu  et  mal  représentés  ;  en  revanche, 
les  humoristes  d'aujourd'hui  occupent  une  place  parfois  disproportionnée  avec 
leur  mérite.  Des  lapsus  en  fait  d'histoire  littéraire  anglaise.  Les  traductions  sont 
d'une  facilité  sous  laquelle  on  aperçoit  quelques  grosses  inexactitudes.  L'ensemble 
se  lit  sans  déplaisir,  mais  il  faut  de  la  bonne  volonté  pour  s'amuser  d'un  bout  à 
l'autre.  L.  Cazamian. 

Y.  Scantrel  [Suarès].  Sur  la  Vie.  Essais.  —  Paris,  Cornély,  Collection  de  la  Grande 
Revue,  s.  d.,  in-12,  deux  vol.  à  3  fr.  50  chacun.  —  Dans  ces  deux  volumes, 
M.  Suarès  a  réuni  près  d'une  centaine  d'articles  qu'il  a  publiés  depuis  quatre  ans 
dans  la  Grande  Revue.  Il  y  a  là  de  l'actualité,  des  «  choses  vues  »,  des  «  éléva- 
tions »,  des  pages  de  critique  d'art,  de  critique  littéraire.  Ce  qui  donne  quelque 
unité  à  ce  recueil  si  varié,  c'est  le  caractère  de  l'auteur,  dont  l'indépendance  fait 
la  marque,  et  son  talent,  qui  est  d'un  poète.  Malgré  le  mot  «  Essais  »,  qui  figure 
dans  le  titre  de  son  ouvrage,  M.  Suarès  n'envisage  pas  la  vie  en  moraliste  ; 
poète,  il  a  moins  souci  de  réfléchir  sur  les  choses  et  les  hommes  que  de  les  péné- 
trer par  le  sentiment  et  l'intuition  ;  et,  comme  il  est  heureusement  doué,  il  donne 
souvent  l'impression  directe  de  la  réalité  et  atteint  au  vif  des  âmes.  Pourquoi  ne 
s'est-il  pas  défendu  de  prendre  une  attitude  où,  à  notre  avis,  il  y  a  plus  encore 
d'enfantillage  que  de  fierté  ?  Lisez  cette  déclaration  :  «  Quelques  personnes  d'une 
haute  vertu  aiment  les  œuvres  de  Suarès.  D'autres,  eu  plus  grand  nombre,  les 
haïssent  sans  les  avoir  lues.  Presque  tout  le  monde  les  ignore.  Parmi  ceux  qui 
les  pratiquent,  plusieurs  sont  rebutés;  certains  avouent  n'y  rien  comprendre  et 
confessent  qu'ils  se  sont  laissés  séduire.  Il  ne  reste  donc  à  ce  poète  qu'une  poi- 
gnée d'amis,  gens  de  l'esprit  le  plus  rare,  et,  dans  le  nombre,  les  deux  ou  trois 
plus  grands  artistes  de  ce  temps.  »  M.  Suarès  se  trompe,  croyons-nous  ;  nombre 
de  gens,  à  qui  manque  «  une  haute  vertu  »,  et  qui  ne  prétendent  pas  à  «  l'esprit 
le  plus  rare  »,  seront  capables,  sinon  d'aimer  ce  qu'il  écrit  d'un  grand  et  profond 
amour,  du  moins  d'y  prendre  un  intérêt  sympathique  et  de  goûter  ce  qull  y  met 
de  distingué,  d'élevé  et  de  généreux.  M.  Pellisson. 

HISTOIRE. 

Andréa  Mantegna.  L'œuvre  du  maître,  tableaux,  gravures  sur  cuivre  (Collection  des 
classiques  de  l'art).  —  Paris,  Hachette,  191 1,  in-8,  200  gravures,  10  fr.  —  Ce 
livre,  comme  tous  ceux  de  la  même  série,  est  simplement  un  tirage,  pour  la 
France,  d'un  volume  de  la  collection  des  Khssiker  der  Kunst,  éditée  à  Stuttgart. 
Il  est  donc  un  exemple  nouveau  d'un  phénomène  qu'expliquent,  à  des  titres 
divers,  la  perfection  de  l'outillage  des  maisons  allemandes,  la  faible  diffusion  des 
ouvrages  d'art  en  France  et  aussi  la  timidité  et  le  manque  d'initiative  des  éditeurs 
français.  C'est,  au  reste,  un  excellent  recueil,  donnant,  à  un  prix  abordable,  des 
reproductions  soignées  de  l'œuvre  intégral  de  Mantegna,  en  y  joignant  les  prin- 
cipaux ouvrages  qui  lui  ont  été  attribués.  Des  notes  critiques  intéressantes  accom- 
pagnent ces  planches.  Par  contre  la  biographie  anonyme  de  l'artiste  est  médiocre  et 
surtout  écrite  sans  compréhension  réelle  et  sans  sympathie.       L.  Rosenthal. 

M.  Roustan.  Les  Philosophes  et  la  Société  française  au  XVIIIe  siècle.  —  Paris, 
Hachette,  191 1,  in-16,  3  fr.  50.  —  Sous  un  format  plus  réduit,  à  un  prix  moins 
élevé,  M.  Roustan  fait  rééditer  l'ouvrage  qu'il  avait  donné  en  1906  et  qui  avait 
été  alors  accueilli  avec  estime.  Le  titre  même  indique  assez  l'intérêt  d'un  sujet, 
que  M.  Roustan  a  étudié  avec  diligence,  sans  parti  pris,  mais  avec  une  sympathie 
avouée  pour  les  hommes  qui,  au  xvme  siècle,  représentèrent  «  la  cause  du  talent, 
et,  à  voir  les  choses  d'un  peu  plus  haut,  de  la  raison  et  de  la  liberté.  » 

J.  Monthizon. 

F.  CoppéE.  Souvenirs  d'un  Parisien.  —  Paris,  A.  Lemerre,  1910,  in-12,  3  fr.  50.  — 
Un  lecteur  très  familier  avec  l'œuvre  de  Coppée   reconnaîtra,  avec  plaisir  sans 


Livres  annoncés  sommairement  =  99 

doute,  presque  chaque  ligne,  chaque  image  de  ces  fragments  posthumes.  Ils 
n'ajoutent  guère  à  la  connaissance  de  l'homme  et  de  son  talent.  On  peut  accor- 
der qu'ils  la  synthétisent,  mais  seulement  jusqu'aux  dix  dernières  années. 
Coppée  s'était  raconté  et  laissé  raconter  sous  maintes  formes  quand  il  entreprit, 
en  1898,  nous  dit  M.  Jean  Monval  dans  l'avant-propos,  ces  Mémoires,  qu'il 
interrompit  bientôt  pour  vivre  «  dans  la  prière  et  dans  la  lutte  ».  Ainsi  les 
premiers  chapitres  seuls  achevés,  très  extérieurs  du  reste  et  qui  ne  veulent 
rien  avoir  d'une  confession,  nous  racontent,  une  fois  encore,  son  enfance,  sa 
jeunesse  parnassienne,  sa  première  gloire.  On  les  a  fait  suivre  de  quatre  Cau- 
series où  le  poète,  en  1879,  a  présenté  lui-même,  avec  bonne  grâce,  son  œuvre 
poétique.  Elles  reflètent  l'opinion  courante  de  la  critique  sympathique.  Enfin, 
sous  le  titre  connu  de  Promenades  et  Intérieurs,  mais  moins  semblables  par 
leurs  proportions  aux  célèbres  dizains  qu'à  des  poèmes  des  Humbles  mis  ou 
laissés  en  prose,  onze  morceaux  parisiens  :  les  tourlourous,  le  barbier  du  fau- 
bourg populaire,  le  conducteur  d'omnibus,  les  tonnelles  de  banlieue,  toute  sa 
modeste  lyre  qui  rend  un  dernier  son  clair  de  bonhomie  pittoresque  et  spiri- 
tuelle. J.  B. 

A.  E.  Sorel.  Essais  de  psychologie  dramatique.  —  Paris,  Sansot,  191 1,  in-16,  3  fr.  50. 
—  Dans  ces  études,  consacrées  à  neuf  de  nos  plus  notoires  auteurs  dramatiques, 
M.  A.  E.  Sorel  atteint  rarement  à  la  profondeur  que  semble  promettre  son  titre, 
qui  rappelle  celui  de  livres  illustres  ;  mais  il  n'est  jamais  ennuyeux.  Ses  tentatives 
pour  expliquer  les  oeuvres  par  les  hommes  ont  parfois  quelque  chose  de 
gauche,  de  superficiel  et  d'inachevé  ;  mais  elles  nous  valent,  chemin  faisant, 
quelques  détails  curieux.  Les  portraits  qu'il  retrace,  à  défaut  d'un  dessin  très 
vigoureux,  sont  assez  exacts,  avec  un  parti  pris  de  sympathie  qui  ne  nuit  pas  à 
la  clairvoyance  du  peintre.  Les  analyses  sont  nettes  et  diligentes.  Le  style  ren- 
ferme des  audaces  syntaxiques,  qui  devraient  peut-être  s'appeler  des  négligences 
ou  des  incorrections  ;  mais  il  est  personnel  et  clair.  L'auteur  apparaît  très  sym- 
pathique, à  travers  ce  qu'il  écrit.  Les  gens  qui  aiment  le  théâtre  —  et  l'on  sait 
s'ils  sont  nombreux  —  liront  ce  livre  avec  plaisir.  F.  Gaiffe. 

J.  Bertaut.  La  jeune  fille  dans  la  littérature  française.  —  Paris,  Louis  Michaud,  191 1, 
in-18,  3  fr.  50.  —  M.  Bertaut  passe  en  revue  les  jeunes  filles  que  l'on  rencontre 
chez  nos  écrivains  de  Molière  à  M.  Prévost.  Il  constate  qu'à  mesure  que  la  jeune 
fille  a  eu  une  vie  plus  libre,  un  rôle  moins  effacé,  elle  a  pris  dans  la  littérature 
une  importance  croissante  ;  de  là  vient  qu'il  étudie  plus  longuement  la  jeune  fille 
moderne.  —  Dans  ce  livre  de  compilation  et  de  critique,  la  compilation  est  par- 
fois indiscrète  parce  que  la  critique  est  superficielle.  Certaines  figures  ne  sont  là, 
semble-t-il,  que  pour  ne  pas  laisser  vides  les  cadres  où  l'auteur  enferme  sa 
matière  :  elles  n'ont  droit  à  une  place  dans  la  «  littérature  française  »  ni  par  la 
vérité  de  l'observation  ni  par  l'art  avec  lequel  elles  sont  présentées.  En  revanche 
M .  Bertaut  est  bien  sévère  pour  «  l'insipide  Agnès  »  ;  il  méconnaît  ce  que  les  jeunes 
filles  de  Molière,  même  indiquées  d'une  simple  ligne,  ont  de  vivant  et  de  vrai.  Il 
remarque  que  les  jeunes  filles  de  G.  Sand  sont  des  femmes  vues  à  travers 
G.  Sand  et  ses  idées  au  moment  même  où  elle  écrit  ;  il  est  moins  clairvoyant  s'il 
s'agit  de  «  Claudine  »,  où  des  confidences  de  femme  ont  collaboré  et  qui  ne 
paraît  plus  vraie  que  parce  qu'elle  est  accommodée  au  goût  du  jour.  —  Enfin  on 
souhaiterait  dans  ce  livre  quelque  idée  directrice  qui  domine  et  organise  les 
analyses,  les  remarques  souvent  judicieuses  de  l'auteur,  et  qui  fournisse  le  prin- 
cipe d'une  classification  moins  artificielle.  P.  S. 

GÉOGRAPHIE. 

M.  Honoré.  L'Amérique  du  Sud  à  tort  et  à  travers.  Six  mois  de  tourisme.  Préface  de 
Marcel  Dubois.  —  Paris,    Roger  et  Chernoviz,    191 1,  in-16,   21  phot.  4  fr.  — 


fÛO  Revue  critique  des  Livres  nouveaux- 

«  Un  livre  de  bonne  foi  et  de  bonne  humeur  »,  dit  l'auteur  lui-même  dans  sa  con- 
clusion. C'est  vrai;  la  bonne  humeur  est  même  parfois  un  peu  grosse  ;  la  bonne 
foi,  d'autre  part,  paraît  entière,  l'auteur  disant  ce  qu'il  a  vu,  et  ce  qu'il  en  pense,, 
sans  flatterie  excessive  ni  sévérité  chagrine.  Mais  le  résultat  est  bien  maigre  :  on 
nous  conte  une  promenade  de  Panama  à  Valdivia  le  long  des  chemins  de  fer  et 
des  bateaux,  puis  des  escales  brèves  de  Buenos-Aires  à  Pernambuco  ;  c'est  bien, 
hélas  !  du  tourisme  à  tort  et  à  travers  ;  seules  les  notes  sur  le  Pérou,  pays  délabré 
et  triste,  présentent  quelque  intérêt.  Çà  et  là  de  grosses  erreurs,  d'autant  plus  cho- 
quantes que  l'auteur  y  appuie  des  plaisanteries  :  ne  range-t-il  pas  la  Perse,  avec 
la  Bolivie  et  la  Suisse,  parmi  les  pays  qui  n'ont  aucune  communication  directe 
avec  la  mer  ?  R.  Blanchard. 

PHILOSOPHIE  ET  SCIENCES. 

F.  Nicolaï.  L'esprit  de  taquinerie,  étude  de  psychologie  comparée.  —  Paris,  Perrin.. 
191 1,  3  fr.  50.  —  «je  suis  étonné,  dit  P.  Janet  dans  son  livre  sur  les  Obsessions... 
(I,  p.  407),  que  les  moralistes  et  les  psychologues  n'aient  pas  été  tentés  davan- 
tage par  l'analyse  de  ce  phénomène  si  remarquable  de  la  taquinerie.  »  Le  pré- 
sent ouvrage  ne  comble  pas  la  lacune.  C'est  une  collection  d'anecdotes,  pour  la 
plupart  sans  valeur  et  présentées  en  désordre.  P.  D. 

A.  Dubuisson.  Positivisme  intégral.  —  Paris,  G.  Crès,  1910,  in-8,  6  fr.  —  C'est  la 
partie  logiquement  la  plus  discutable,  mais  psychologiquement  la  plus  intéres- 
sante, de  l'œuvre  d'Aug.  Comte  que  l'auteur  résume  sous  le  nom  de  «  Positi- 
visme intégral  ».  La  Religion  de  l'Humanité,  son  objet  précis  (l'humanité  incar- 
née dans  ses  meilleurs  représentants,  conçue  comme  «  l'ensemble  continu  des 
êtres  convergents  »),  sa  raison  d'être  (l'homme,  à  lui-même  sa  propre  Provi- 
dence), son  organisation  hiérarchique  (Direction  spirituelle,  Grand  Prêtre  de 
l'Humanité),  ses  prescriptions,  ses  pratiques,  son  culte,  ses  sacrements,  l'éducation 
qu'elle  fonde,  la  régénération  sociale  qu'elle  entreprend  et  réalise,  par  l'appel  aux 
sentiments  et  la  culture  des  sentiments,  —  ses  rêves,  ses  utopies,  comme  celle  de  la 
Vierge  Mère,  tout  le  mysticisme  à  base  réaliste  de  Comte,  voilà  ce  que  M.  Dubuis- 
son expose  d'une  manière  systématique  et  suivie  d'après  la  Synthèse  subjective  et 
les  dernières  œuvres  du  Maître.  Il  y  a  là  réunis  tous  les  matériaux  d'une  curieuse 
étude  psychologique  sur  le  passage  des  notions  positives  aux  conceptions  sym- 
boliques, de  la  science  à  la  religion,  qui  a  si  fort  troublé  et  déconcerté  certains 
positivistes  comme  Littré  et  Stuart  Mill,  et  dont  les  «  positivistes  complets  », 
comme  M.  Dubuisson,  ne  paraissent  pas  soupçonner  la  témérité  ou  la  hardiesse. 

L.  Dugas. 

Ch.  Richet.  L'Anaphylaxie.  —  Paris,  F.  Alcan,  I9ii,in-i2,  3  fr.  50.  —  Certaines 
substances,  peu  toxiques  lorsqu'elles  sont  injectées  une  première  fois  dans  le 
sang,  peuvent  provoquer  des  accidents  mortels  chez  les  animaux  qui  longtemps 
auparavant  en  ont  reçu  même  une  faible  dose.  Ch.  Richet  qui  a  découvert  et 
étudié  ce  curieux  phénomène  le  désigne  sous  le  nom  d'anaphylaxie  (le  contraire 
de  la  protection  :  phylaxie)  ;  il  est  l'opposé  de  l'immunisation  par  les  vaccins. 
—  C'est  par  l'anaphylaxie  qu'on  peut  expliquer  la  sensibilité  des  tuberculeux 
à  la  tuberculine  de  Koch,  les  accidents  produits  chez  certaines  personnes  par 
l'ingestion  d'aliments  particuliers  :  lait,  œufs,  fraises,  moules,  crustacés,  etc. 
Ch.  Richet  conclut  que  chaque  individu  présente,  de  même  qu'une  personnalité 
psychique  qui  le  distingue  des  autres,  une  personnalité  humorale,  formée  par 
des  intoxications  antérieures  multiples  qui  lui  donnent  une  sensibilité  spéciale 
aux  diverses  actions  toxiques.  Cette  sensibilité  individuelle  se  transmet  par 
l'hérédité.  Mme  G.  Rudler. 

Imp.  F.  Pàillart,  Abbeville.  Le  Gérant  :  Éd.  Cornélt. 


REVUE     CRITIQUE 

des 

Livres    Nouveaux 


VI'  Année,   n"  6.  (deuxième  série)  j5  Juin    1911 


LA  RÉFORME  DE  L'INSTITUTION  MILITAIRE  DE  LA  FRANCE. 


Jean  Jaurès.  —  L'armée  nouvelle.  —   Paris,  J.  Rouff,  s.  d.  [1911], 
18,5  x  12,  686  p.,  3  fr.  50. 

M.  Jaurès  a  promis  naguère  d'exposer  un  plan  d'  «  organisation  socia- 
liste »  de  la  France  :  bref,  son  programme.  On  le  lui  a  depuis  réclamé  plus 
d'une  fois.  Il  commence  à  s'exécuter  aujourd'hui  en  publiant  le  présent 
ouvrage,  qui  «  traite  des  questions  relatives  à  la  défense  nationale  ». 

Ce  livre  doit  être  lu  avec  attention  et  je  dirai  avec  gravité  et  même  avec 
respect,  car  il  est  d'un  homme  dont  la  pensée  a  beaucoup  d'essor  et  de 
noblesse,  et  qui  est  sincère.  M.  Jaurès  n'est  pas  suspect,  ici,  de  complaisance 
démagogique,  puisque  ses  propositions  tendent  plutôt  à  aggraver  qu'à 
alléger,  en  les  transformant,  les  obligations  militaires.  Il  ne  saurait  être, 
d'autre  part,  forclos  sommairement  pour  cause  d'incompétence  :  il  dit  très 
bien  pourquoi  (pp.  22,  81);  et  puis  il  a  été  visiblement  renseigné  par  des 
gens  du  métier  qui,  dans  la  circonstance,  se  sont  servis  de  lui  comme  de 
mégaphone.  Nous  avons  affaire  en  sa  personne  à  un  philosophe,  à  un  histo- 
rien, à  un  patriote  —  oui,  à  un  très  ardent  patriote  —  qui  croit  voir  claire- 
ment les  vices  de  l'institution  militaire  telle  qu'elle  est,  avec  les  raisons 
historiques  de  ces  vices,  et  qui  cherche  de  bonne  foi,  voire  avec  passion, 
ayant  le  goût,  l'habitude  et  le  talent  des  constructions  logiques,  à  esquisser 
le  plan  d'un  régime  nouveau,  non  seulement  plus  rationnel,  mais  plus 
efficace. 

I.  —  Sa  critique  du  régime  actuel  (ch.  11)  est  certainement  très  forte. 
«  Le  vice  essentiel  de  notre  organisation  militaire,  dit-il,  c'est  qu'elle  a  l'ap- 
parence d'être  la  nation  armée  et  qu'en  effet  elle  ne  l'est  point...  Il  y  a  un  pré- 
jugé persistant  qui  contrarie  les  effets  du  principe,  et  ce  préjugé,  c'est  que  l'on 
ne  peut  guère  compter  vraiment  que  sur  la  partie  encasernée  de  l'armée  », 
celle  que  l'on  désigne  par  l'épithète  caractéristique  d'activé.  Pendant  des 
générations,  les  armées,  dans  les  grands  Etats  modernes,  ont  été  des  armées 
de  caserne,  formées  de  professionnels.  Lorsque  la  force  et  les  nécessités  des 
temps  nouveaux  ont  conduit  à  proclamer  le  principe  de  la  nation  armée,  et 
à  incorporer,  par  le  service  obligatoire,  personnel  et  égal,  d'énormes  contin- 
gents, la  force  de  la  tradition  a  travaillé  énergiquement  pour  réduire  l'année 
nouvelle  à  n'être,  tout  de  même,  qu'une  contrefaçon  de  l'ancienne.  Qu'est-ce 
que  la  caserne,  dans  la  pure  théorie  de  la  nation  armée  ?  L'école  préparatoire 
du  soldat.  Si,  depuis  cent  ans,  la  caserne  n'avait  été  vraiment  conçue,  en 
effet,  que  comme  l'école  préparatoire  du   soldat,  on  n'aurait  pas  tant  lutté 


102  ■■  .  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

pour  y  retenir  les  recrues  pendant  des  années  :  sept,  cinq,  trois  ou  même 
deux  ans  ;  car  il  ne  faut  pas  tant  de  temps  pour  apprendre  au  futur  soldat  ce 
qu'il  a  besoin  de  savoir.  Si  l'on  a  lutté  si  vivement,  jusqu'à  présent,  pour 
retenir  les  recrues  à  la  caserne  le  plus  longtemps  possible,  c'est  parce  que  l'ar- 
mée encasernée,  dite  active,  n'a  pas  cessé  d'être  considérée  par  l'opinion 
militaire,  et  même  par  l'opinion  publique,  comme  l'armée  véritable, 
«  le  cadre  et  le  point  d'appui  nécessaires,  le  centre  des  forces  obscures  ou  à 
demi  suspectes  disséminées  dans  la  nation...  C'est  cette  arrière-pensée  de 
l'infériorité  des  réserves  qui  gouverne  en  fait  tout  notre  système  militaire, 
et,  par  un  retour  inévitable,  tout  le  système  tend  à  créer  cette  infériorité  ». 
Les  lois  militaires  qui  se  sont  succédé  chez  nous  (et  ailleurs)  depuis  trente 
ans  sont  le  résultat  de  transactions  successives  entre  la  conception  ancienne 
de  l'armée  de  métier  et  celle  de  la  nation  armée,  au  vrai  sens  de  cette  expres- 
sion. Ce  que  vaut,  logiquement  et  pratiquement,  la  dernière  de  ces  transac- 
tions qui  ait  été  passée  en  France,  c'est-à-dire  la  loi  de  deux  ans,  l'auteur 
l'examine  avec  vigueur.  Il  la  juge  ambiguë,  équivoque  et  bâtarde,  comme 
les  précédentes,  et  souligne  dans  les  écrits  des  généraux  et  des  politiciens 
qui  l'ont  plus  ou  moins  défendue  des  aveux,  des  contradictions,  des  hésita- 
tions, des  flottements  de  pensée  qui  ne  laissent  pas  d'être  inquiétants. 

A  son  gré  la  loi  de  deux  ans  marque,  non  pas,  comme  l'ont  dit  les 
politiciens  qui  contribuèrent  à  la  procurer,  l'ouverture  d'une  ère  nouvelle, 
mais  la  clôture  de  l'ère  ancienne,  en  ce  sens  qu'elle  est  la  dernière  des  combi- 
naisons possibles  entre  l'armée  de  métier  et  la  nation  armée  :  «  Au  delà  il 
n'y  a  plus  que  la  forme  authentique  de  l'armée  nationale  »  (celle  que  préco- 
nise M.  Jaurès),  ou,  ajoutons-le,  le  retour  délibéré  au  régime  des  armées 
professionnelles. 

Les  ch.  iv  et  v  (i),  consacrés  à  la  critique  des  idées  stratégiques  du 
capitaine  Gilbert  (dont  les  livres,  publiés  vers  1890,  ont,  paraît-il,  inspiré 
depuis  le  haut  enseignement  des  sciences  militaires  dans  notre  pays)  sont 
aussi  très  intéressants.  Gilbert  fut  l'apologiste  de  l'offensive  napoléo- 
nienne,^ foudroyante  et  décisive,  —  par  colonnes  volantes,  pour  ainsi  dire,  — 
dont  l'Etat-major  prussien  s'est  inspiré  au*xixe  siècle  (mais  lourdement,  à 
l'allemande).  Le  capitaine  qui  est  dans  —  ou  derrière  —  M.  Jaurès  oppose 
à  cette  doctrine  celle  de  Clausewitz,  la  pratique  de  Turenne  et  les  enseigne- 
ments des  premières  guerres  de  la  Révolution.  Il  expose  (p.  144  et  s.)  le 
«  plan  de  campagne  »  de  son  ami,  le  «  commandant  Rossel  »  de  l'Humanité, 
dont  voici  le  résumé  :  «  La  conception  stratégique  qui  répond  à  la  guerre  de 
défense  nationale,  c'est,  d'une  part,  la  concentration  des  armées  à  l'abri  de 
tout  danger  ;  d'autre  part,  l'offensive  générale  au  moment  et  à  l'endroit  judi- 
cieux ».  Ne  souriez  pas  de  le  voir  s'engager  dans  un  ordre  de  considérations 
qui,  même  sous  la  plume  des  théoriciens  les  plus  réputés  du  métier,  font 
assez  souvent  penser  au  :  «  Couper  et  envelopper  »  de  l'opérette.  Lisez. 
Il  se  dégage  fort  bien  du  ridicule  menaçant  pour  établir  que  la  France  a  le 
droit  et  le  devoir  de  s'informer  si  l'État-major  de  son  armée  a  une  méthode 
de  guerre,  et  laquelle  :  «  Il  ne  s'agit  pas  de  plans  secrets  ;  ce  n'est  pas  dans 
le  sanctuaire  de  la  rue  Saint-Dominique  que  doivent  être  résolus  ces  grands 
problèmes.  La  technique,  la  science  militaire  ont  pour  objet   de  mettre   en 


(1).  Comparer  le   ch.  xiu,  car  le  livre  n'est  pas  composé  avec  rigueur  et  bien  des  choses  y 
sont  dites  plusieurs  fois. 


La  réforme  de  l'Institution  militaire  de  la  France  ■  L03 

œuvre  la  méthode  adoptée  ;  mais  cette  méthode,  c'est  la  nation  qui  doit  la 
déterminer  elle-même  en  conformité  avec  son  dessein  politique  et  social. 
Cette  méthode,  le  pays  doit  la  connaître,  car  il  faut  qu'il  y  soit  préparé.  Car, 
selon  que  la  France  aura  choisi,  pour  son  salut,  l'offensive  à  la  prussienne 
ou  la  défensive  nationale  telle  que  le  commandant  Rossel  la  définit,  tout  est 
changé  dans  l'organisation  militaire  ».  —  L'offensive  à  la  Napoléon  (et 
maintenant  à  la  prussienne),  procédant  par  coups  d'assommoir  dès  le  début 
des  hostilités,  suppose  des  armées  relativement  peu  nombreuses,  mais 
massées  à  la  frontière  et  toujours  entraînées  pour  être  prêtes  au  premier 
signal.  La  défensive  à  la  Clausewitz  et  à  la  «  Rossel  »  remplace  l'effet  décon- 
certant de  l'attaque  brusque  par  «  l'effet  de  masse,  de  patience  héroïque,  de 
concentration  totale  et  d'élan  réfléchi  ».  Mais  alors  il  convient  que  la  nation 
soit  préparée  à  cette  manière  de  combattre.  Une  tactique  qui  comporte  «  la 
concentration  colossale  des  millions  de  soldats  citoyens  à  l'abri  des  atteintes 
de  l'ennemi  »,  c'est-à-dire  assez  loin  en  deçà  de  la  frontière,  et  qui,  par  con- 
séquent, entraine,  comme  entrée  de  jeu,  l'abandon  d'une  partie  notable  du 
territoire  aux  envahisseurs,  risquerait  d'être  très  mal  interprétée  si  elle  était 
pratiquée  sans  que  la  nation  eût  été  avertie  à  l'avance  des  raisons  qui  la 
recommandent.  «  Il  faut  que  Rome  s'habitue  à  comprendre  Fabius...  (i) 
Mais  ce  n'est  pas  seulement  l'éducation  de  la  nation  qui  doit  être  appropriée 
à  ce  dessein  ;  c'est  tout  un  plan  nouveau  de  concentration  qui  doit  être 
étudié...  Le  pire  serait,  le  désastre  des  désastres,  que  l'État-major  flottât 
encore  à  ce  sujet  entre  des  idées  contradictoires.  Or  j'ai  la  conviction  absolue 
qu'entre  l'offensive  vraie  et  la  défensive  vraie  il  n'a  pas  fait  un  choix  ;  qu'il  a 
accepté  et  pour  la  mobilisation  et  pour  la  concentration  et  pour  la  conduite 
générale  de  la  guerre  des  combinaisons  hybrides,  à  deux  fins,  et  vouées  par 
cette  ambiguïté  même  à  un  misérable  avortement...  » 

Il  y  a  encore  dans  cet  ouvrage  d'autres  dissections  critiques  de  ce  qui 
est  ou  se  dit.  Tel  est  le  ch.  vin,  sur  la  formation  et  l'éducation  des  cadres, 
où  l'auteur  intervient  dans  la  question  si  controversée  de  1'  «  unité  d'ori- 
gine »  des  officiers.  Il  y  intervient  en  un  sens  hostile  à  «  l'esprit  d'égalité 
brute  »(p.  341),  auquel,  croyant  faire  preuve  par  là  de  hardiesse  démocra- 
tique, on  a  récemment  multiplié  des  concessions,  d'ailleurs  «  superficielles 
et  trompeuses  »,  qui  sont  ici  condamnées.  La  suppression  radicale  des  écoles 
militaires,  l'accès  aux  grades  par  le  rang  seulement  ?  Non.  Ce  sont  là  des 
«  solutions  de  petite  bourgeoisie  niveleuse  »  (p.  351),  qui  entraîneraient  la 
«  disparition  de  toute  éducation  militaire  de  l'esprit  ».  M.  Jaurès  «  ne  con- 
sentira jamais  »,  pour  sa  part,  à  supprimer  «  les  hautes  épreuves  initiales  », 
sanction  de  la  «  riche  culture  »  de  l'Enseignement  secondaire,  pour  «  l'élite  » 
des  futurs  officiers  ;  ne  demander  à  tous  les  officiers  que  la  culture  que 
donne  «  l'Enseignement  primaire  supérieur  »,  comme  le  veut  la  démagogie 
radicale,  c'est  selon  lui,  «  déclasser  l'armée  du  haut  niveau  intellectuel  où 
elle  a  été  portée  par  l'immense  effort  de  l'esprit  humain  0.  &  Pour  nous, 
socialistes,  démocratie  n'a  jamais  signifié  médiocrité  uniforme  et  abaissement 
commun  ».   A  cet  égard,   le  socialisme  de  M.  Jaurès   s'honore  d'avoir   sur 


(1)  Les  gêna  d'aujourd'hui  sont  plutôt  portifi,  en  effet,  à  confondre  Fabius  avec  les  généraux, 
comme  on  en  a  vu  en  1X70  en  pendant  l.i  guerre  russo-japonaise,  qui  expliquent  leurs  recu- 
lades en  disant  qu'ils  ont  «  un  plan  ».  Kouropatkine,  lorsque  les  Japonais  eurent  franchi  la 
ligne  du  Yalou,  qu'il  aurait  dû  leur  interdire,  télégraphia  :  «  Nous  les  tenons  t. 


104  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

l'oreille  un  pompon  d'aristocratie  (i).  Quelle  que  soit  l'opinion  qu'on  puisse 
avoir  là-dessus  (2),  on  lira  avec  profit  la  discussion  où  l'auteur  passe  au 
crible  les  actes  et  les  paroles  des  derniers  protagonistes,  plus  ou  moins 
ardents  et  conséquents,  de  Y  «  unité  d'origine  »,  MM.  André,  Messimy, 
Picquart  (un  peu  mou),  Klotz,  etc.  Il  excelle  à  démasquer  les  raisonnements 
par  à  peu  près  et  à  dégonfler  —  non  pas,  il  est  vrai,  comme  dit  l'autre,  en 
trois  coups  d'épingle  —  mais  à  dégonfler  pourtant  les  «  grands  mots  vagues  » 
de  la  phraséologie  administrative  et  parlementaire.  Il  n'en  est  pas  dupe  ;  il  s'y 
connaît. 

IL  —  Cependant  l'intention  principale  de  l'auteur  de  Y  Armée  nouvelle 
n'est  pas  de  démolir  ;  c'est  d'indiquer  un  plan  régulier  et  harmonieux 
de  reconstruction.  Il  ne  démolit  que  pour  montrer  la  nécessité  de  recons- 
truire. 

Essayons  de  condenser  en  quelques  lignes  le  système  qu'il  présente 
avec  un  lyrisme  intarissable,  éblouissant  d'abord,  un  peu  fatigant  à  la  longue. 
Tout  le  monde  sait  que  M.  Jaurès  a  le  don  royal  des  images  grandioses  : 
nuées,  foudres,  rafales  et  «  flamboiements  augustes  ».  Il  s'exprime  souvent 
d'une  manière  sublime.  Trop  souvent,  peut-être  ;  car  le  propre  du  sublime 
est  de  s'évanouir  en  se  prolongeant. 

Avant  tout,  renoncer  à  la  superstition  du  service  de  caserne  ;  ne  voir 
dans  la  caserne  qu'  «  une  école  de  recrues  donnant  au  soldat,  en  quelques 
mois,  les  éléments  nécessaires  ».  Ensuite,  «  organiser  sérieusement,  dans  le 
pays  même,  des  unités  de  combat  à  plein  effectif  ;  ces  unités  seront  convo- 
quées périodiquement  sur  le  territoire  même  où  vivent  les  citoyens  qui  en 
font  partie  et  vigoureusement  entraînées...  »  (p.  49).  Tel  est  le  véritable 
régime  de  la  nation  armée.  Il  ne  comporte  pas  de  guerres  offensives  ;  mais 
M.  Jaurès  espère  et  croit  que  l'ère  des  guerres  offensives  est  close  pour  notre 
pays.  Il  est  exclusivement  défensif  ;  mais  M.  Jaurès  l'estime  de  nature  à 
procurer,  sur  ce  terrain,  une  force  tout  à  fait  invincible.  La  «  pleine  et  sou- 
daine utilisation  des  réserves  »  s'impose,  d'ailleurs,  à  son  avis,  aux  pays  à 
faible  natalité  comme  la  France.  «  Avec  l'écart  croissant  de  population,  la 
France  est  vaincue  d'avance  dans  la  lutte  [contre  l'Allemagne]  pour  le  déve- 
loppement de  Y  active...  Elle  ne  peut  se  sauver  et  vaincre  qu'en  faisant  de  la 
nation  armée  une  vérité  vivante  »  (p.  73)  (3). 

C'est  le  système  des  milices,  qui,  seul,  s'oppose  en  raison  à  celui  des 
armées  de  métier.  La  pensée  n'en  est  pas  nouvelle.    C'est  celui  qu'exposa 


(1)  L'auteur  de  Y  Armée  nouvelle  se  rencontre 'sur  plusieurs  points,  à  propos  des  mesures 
récemment  prises  «  vers  l'unité  d'origine  »,  avec  celui,  nullement  socialiste  et  très  militaire  à 
l'ancienne  mode,  de  Y  Officier  contemporain.  (Capitaine  d'Arbeux.  L'Officier  contemporain.  La 
démocratisation  de  l'armée.  —  Paris,  B.  Grasset,  191 1,  2  fr.). 

(2)  Quelle  que  soit  l'opinion  qu'on  puisse  avoir  là-dessus,  il  est  certain  que  la  conviction  de 
M.  Jaurès  à  cet  égard  repose  sur  un  postulat.  11  est  persuadé  que  les  officiers  sortis  de  Saint-Cyr 
et  de  l'Ecole  polytechnique,  «  ayant  la  même  pratique  du  métier  que  les  autres  et  ayant  en 
outre  une  avance  de  culture  marquée  »,  doivent  révéler,  «  à  mesure  que  le  grade  s'élève,  des 
facultés  militaires  supérieures  »  (p.  375).  En  a-t-il  la  preuve  ?  Voici  sa  preuve;  c'est  une  ques- 
tion :  «  A  quoi  servirait  donc  la  haute  éducation  des  premières  années  si  elle  n'assurait  pas  à 
l'homme,  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  une  supériorité  réelle  et  qui  se  manifeste  surtout 
quarte  fonction  plus  difficile  veut  des  qualités  plus  diverses  ?...  » 

(3)  Q.  p.  179,  où  l'auteur  revient  sur  les  avantages  stratégiques  de  son  système  au  point  de 
vue  français  :  «  La  France,  par  la  mobilisation  simultanée  et  par  la  concentration  des  douze 
classes  qui  correspondent  aujourd'hui  à  la  réserve,  mettra  en  ligne,  pour  les  premiers  grands 
combats,  une  masse  formidable  de  deux  millions  d'hommes....  » 


Là  réforme  de  l'Institution  militaire  de  la  France  ■  105 

Carnot,  dès  août  1792,  à  l'Assemblée  législative  (p.  197  et  s.).  C'était  celui 
de  Dubois-Crancé  (p.  266).  Ni  Carnot,  ni  Dubois-Crancé,  ces  grands  orga- 
nisateurs de  la  victoire,  ni  aucun  homme  de  la  Montagne  n'a  confondu  «  ser- 
vice militaire  et  encasernement  ».  Si  la  Révolution,  «  ayant  pu  conclure  à 
temps  la  paix  avec  le  monde,  comme  le  souhaitait  passionnément  Robespierre, 
avait  pu  assurer  sans  crise,  sans  thermidor  ni  brumaire,  le  fonctionnement 
de  l'institution  militaire  »,  tout  donne  à  croire  qu'elle  aurait  adopté  ce 
modèle.  —  Et  ce  régime,  dont  la  pensée  est  donc  la  pure  tradition  de  la 
Révolution  française,  n'est  pas  resté,  d'ailleurs,  dans  le  monde,  à  l'état  de 
concept  théorique.  Il  est  depuis  longtemps  pratiqué,  avec  des  modalités 
diverses,  par  des  peuples  qui  sont  à  la  vérité,  pour  la  plupart,  de  petits  peu- 
ples sans  prétentions  offensives,  mais  dont  tous  les  experts  s'accordent  à 
reconnaître  que  la  défense  contre  un  envahisseur,  quel  qu'il  fût,  serait  des 
plus  redoutables.  C'est  l'institution  militaire  de  la  Suisse,  qui  est  décrite  ici 
en  détail  (ch.  vu).  Celles  du  Danemark,  de  la  Belgique,  de  la  Hollande,  de  la 
Norvège,  de  la  Suède,  s'en  rapprochent  plus  ou  moins,  et  de  plus  en  plus  ; 
il  y  a  même  en  Angleterre  un  grand  mouvement  dans  ce  sens  (ch.  xn).  Si 
l'Allemagne  n'était  pas  là,  avec  son  militarisme  prussien,  que  ses  grands 
voisins  se  sont  crus  et  se  croient  tenus  d'imiter  de  leur  mieux,  quelque  con- 
traire qu'il  fût  ou  qu'il  soit  à  leur  tempérament  naturel  ou  à  leurs  tendances 
nouvelles,  l'Europe  serait  déjà  convertie  à  l'organisation  défensive.  —  Il  est 
curieux,  soit  dit  en  passant,  qu'il  ne  soit  pas  question,  à  ce  propos,  du  Japon, 
dont  l'armée  n'est  pas  non  plus  encasernée  au  même  degré  que  celles  des 
grands  peuples  du  continent  européen.  Est-ce  parce  que  M.  Jaurès  n'a  pas 
été  assez  renseigné  à  ce  sujet,  ou  parce  que  l'armée  japonaise  n'est  pas, 
quoique  fort  peu  encasernée,  d'humeur  exclusivement  défensive  ? 

Si  le  régime  de  la  milice  est  pratiqué  sincèrement,  comme  il  l'est  en 
Suisse,  il  exige  autant  ou  plus  de  l'individu  que  le  service  français  actuel. 
En  France,  «  on  fait  son  service  pour  en  finir  avec  le  service  militaire  »,  car 
les  périodes  d'instruction  qui  suivent  le  temps  de  caserne  ne  sont  pas  plus 
prises  au  sérieux  par  ceux  qui  les  font  que  par  ceux  qui  les  font  faire.  Le 
système  actuel  «  accable  la  première  jeunesse  d'un  inutile  fardeau  de  pseudo- 
éducation militaire  [deux  ans  pour  l'instant,  au  lieu  des  six  mois  nécessaires] 
et  néglige  ensuite  beaucoup  trop  d'entretenir  chez  les  hommes  libérés  de  la 
caserne  les  facultés  d'action  »  (p.  58).  Or,  l'homme  qui  éprouve  de  la  répu- 
gnance pour  l'austère  obligation  du  service  armé,  supposé  qu'on  lui  laissât 
le  choix,  préférerait  peut-être  encore  «  tirer  »  deux  ans  (dont  un  au  moins 
de  fainéantise)  que  de  se  tenir  en  haleine,  sans  désemparer,  jusqu'à  l'âge  de 
35  ou  40  ans.  —  Et  nous  touchons,  ici,  je  crois,  au  nœud  vital  du  problème. 

On  peut  faire  sans  doute  aux  vues  et  aux  projets  de  M.  Jaurès  des  objec- 
tions innombrables.  M.  le  général  Langlois  a  pris  le  premier  la  parole  à  cet 
effet  ;  nul  doute  que  le  livre  de  Y  Armée  nouvelle  ne  soit  bientôt  (si  ce  n'est 
déjà  fait)  submergé,  malgré  son  volume  (686  pp.)  et  son  poids,  par  un  flot 
de  littérature  militaire,  qui  le  roulera  et  le  disloquera  en  tous  sens.  Il  con- 
tient, non  seulement  des  vues  d'ensemble,  mais  des  propositions  fermes 
pour  l'organisation  des  milices,  avec  une  loi  des  cadres  ;  la  malveillance  des 
critiques  trouvera  à  s'exercer  sur  une  matière  si  abondante.  Même  sans  être 
général  (je  ne  le  suis  pas),  on  est  du  reste  un  peu  surpris,  en  le  lisant,  d'affir- 
mations comme  celle-ci  :  «  Cette  masse  colossale  [les  deux  millions  d'hommes 
de  la  nouvelle  armée  française  sur  le  pied  de  guerre]  pourra  être  distribuée 


106  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

en  plusieurs  armées,  assez  distinctes  pour  ne  pas  s'embarrasser  les  uns  les 
autres  et  assez  liées  les  unes  aux  autres  pour  pouvoir  combiner  des  opérations 
convergentes  »  (p.  179).  On  se  dit  ingénument,  en  lisant  cela  :  «  Mais  est-il 
vrai  qu'une  telle  masse  pourra  être  ainsi  maniée  ?»  ;  et  si  par  hasard  c'était 
très  difficile  ?  On  se  dit  aussi  qu'il  y  a  infiniment  d'illusions  et  vraiment  trop 
de  rhétorique  dans  le  ch.  ix,  qui  traite  du  recrutement  et  de  l'éducation  des 
officiers  de  la  future  milice  (Les  officiers  et  l'organisation  ouvrière  ;  les  officies  à 
l'Université)  :  les  pages  (pp.  382  et  s.),  très  bizarres,  sur  l'utilité  qu'il  y  aurait 
à  ce  qu'une  certaine  proportion  des  officiers  fussent  d'anciens  boursiers  de 
«  la  grande  famille  prolétarienne  »,  élevés  ad  hoc  par  les  mutualités,  les  syn- 
dicats et  les  coopératives,  n'est  sans  doute  qu'une  de  ces  bourdes  que  les 
pontifes  de  toutes  les  religions  (la  socialiste,  semble-t-il,  comme  les  autres) 
prennent  l'habitude  de  débiter,  sans  y  prendre  garde,  dans  l'intérêt  du  culte  ; 
cela  ne  tire  pas  à  conséquence.  Mais  les  développements  relatifs  à  l'ensei- 
gnement des  sciences  militaires  dans  les  Universités,  avec  les  lieux  communs 
surchargés  d'ornements  dont  ils  pullulent,  sonnent  si  creux  qu'on  en  est 
effrayé  :  j'aimerais  à  dire  pourquoi,  mais  la  place  m'est  mesurée.  Aussi 
bien,  je  répète  que  le  nœud  vital  du  problème  n'est  dans  aucun  des  détails  de 
la  doctrine  soumise  par  M.  Jaurès  à  l'examen  du  public.  Il  est  là  où  l'auteur 
lui-même  l'a  très  bien  situé  dès  le  commencement  de  son  discours. 

Le  régime  de  la  milice,  pratiqué  comme  il  faut,  réclame  de  la  nature 
humaine  plus  d'efforts,  de  sérieux  et  de  vertu  que  tout  autre.  Chez  les  peu- 
ples qui,  pour  ainsi  dire,  n'en  sont  pas  dignes,  parce  qu'ils  ne  sont  pas  assez 
raisonnablesouparcequ'ilssont  tropfatigués,  il  s'effondre  promptementdansle 
ridicule,  qui  fut  proverbial,  des  francs-archers  de  l'ancienne  France,  ou  dans 
celui  des  «  baïonnettes  intelligentes  »  et  des  «  bataillons  scolaires  »  d'une 
époque  plus  récente.  C'est  une  mascarade,  et  qui  risque  d'être  mortelle  — 
deux  fois  mortelle  parce  qu'elle  est  à  la  fois  périlleuse  et  grotesque.  Il  faut 
donc  examiner  mûrement,  avant  de  s'engager  dans  cette  voie,  les  conditions 
où  l'expérience  est  possible. 

Or  il  n'y  en  a  qu'une,  mais  nécessaire  :  c'est,  dans  la  nation,  un  esprit 
public  approprié.  Ou  bien,  comme  en  Suisse,  des  habitudes  séculaires  qui 
tiennent  lieu  d'enthousiasme,  sans  l'exclure  ;  ou  bien  la  source  sans  cesse 
renouvelée  de  force  morale  qu'est  une  grande  pensée  qui  vit  véritablement 
dans  les  cœurs.  Lorsque  cette  flamme  existe,  la  nation  qui  la  porte  est,  en 
effet,  irrésistible,  et  pas  seulement  pour  la  défensive,  comme  l'ont  fait  voir 
entre  autres  les  armées  de  la  Révolution,  celles  de  l'Allemagne  ulcérée  par 
la  tyrannie  de  Napoléon  et  celles  du  Japon  moderne.  Lorsque  cette  flamme 
existe,  tout  est  simple  ;  l'organisation  indispensable  se  crée  comme  d'elle- 
même,  et  le  succès  s'ensuit.  Manque-t-elle  ?  Non  seulement  toute  offensive 
heureuse  contre  un  égal  est  impossible  (on  s'en  consolerait)  ;  mais  la  défen- 
sive même  est  compromise,  et  le  plus  sûr  est  sans  doute  de  s'en  tenir  au  mi- 
nimum de  garanties  qu'offre  la  routine  traditionnelle,  celle  que  suivent  aussi 
les  adversaires  éventuels.  L'instinct  de  conservation  fait  sentir  qu'il  n'est  pas 
prudent  d'innover  en  pareil  cas,  parce  que,  en  pareil  cas,  l'échec,  c'est-à-dire 
la  rapide  dégénérescence  des  institutions  nouvelles,  si  sagement  combinées 
qu'elles  puissent  être  sur  le  papier,  est  certain. 

Tout  revient  donc  à  savoir  si  la  France  a  présentement  la  force  morale 
qui  serait  nécessaire  pour  opérer  sans  trop  de  risques  une  révolution  dans  son 
appareil  de  défense.  L'idée  de  Revanche  s'est  fort  atténuée  à   la  longue,  et 


La  réforme  de  l'Institution  militaire  de  la  France  .■  107 

d'ailleurs  ne  conviendrait  pas.  L'idée  du  simple  devoir  patriotique  à  la  vieille 
mode  n'est  pas  dans  une  de  ses  périodes  de  paroxysme  et,  d'ailleurs,  l'opéra- 
tion demandée  suppose  une  flamme  non  pas  paroxystique,  mais  continue. 
Cependant,  il  faut  une  flamme.  —  Eh  bien  !  il  y  a,  dit  M.  Jaurès,  la  foi  so- 
cialiste. «  Le  ressort  de  confiance  qui  doit  soulever  en  même  temps  toutes 
les  âmes  et  leur  donner  un  incomparable  élan  »,  le  voilà. 

V Armée  nouvelle  est  en  partie,  et,  comme  il  résulte  de  ce  qui  précède,  dans 
ses  parties  essentielles,  une  homélie  sur  ce  thème.  Ainsi  s'explique  que  l'on 
ait  intercalé  (de  la  façon  la  plus  singulière),  entre  les  chapitres  ix  et  xi,  qui 
traitent  des  cadres,  un  chapitre  x  dont  le  titre  :  Le  ressort  moral  et  social. 
L 'Armcc,  la  Pairie  et  le  Prolétariat,  suffit  à  faire  prévoir  que  l'auteur  n'y 
méritera  point  le  mot  de  Stendhal  sur  Napoléon  :  «  Il  n»e  disait  jamais  de 
choses  vagues  »,  Ce  chapitre  qui  paraît,  au  premier  abord,  un  hors-d'œuvre, 
est,  au  contraire,  au  centre  du  sujet.  Mais  le  fil  des  idées  n'y  est  pas  facile  à 
suivre  :  il  y  est  question  de  bien  des  choses,  notamment  des  services  rendus 
au  xixe  siècle  par  le  capitalisme  et  la  bourgeoisie,  de  l'affaire  Dreyfus,  de 
Marx,  et  aussi  (mais,  mon  Dieu,  que  de  précautions  oratoires  !)  de  Hervé. 
Disons  seulement  que  ce  morceau  paraît  plutôt  destiné  aux  socialistes  qui 
n'admettent  pas  la  patrie  qu'aux  patriotes  qui  ne  sont  pas  au  courant  du 
socialisme.  Il  s'agit  surtout,  pour  le  philosophe,  de  réconcilier  l'Internatio- 
nale et  la  Nation  :  «  Un  peu  de  patriotisme  éloigne  de  l'Internationale  ;  beau- 
coup de  patriotisme  y  ramène  »  (p.  $71).  Très  bien.  Au  moyen  âge,  le  triomphe 
des  docteurs  scolastiques  était,  comme  ils  disaient,  de  «  concordare  discor- 
dantia  »  ;  il  y  avait,  en  ce  temps-là,  de  gros  livres  intitulés  :  Coucordanlix 
discordantium. 

On  fera  bien  de  parcourir,  après  Y  Armée  nouvelle,  l'opuscule  sur  la 
Démocratisation  de  l'année  que  j'ai  cité  plus  haut,  en  note.  Il  contient  les 
doléances  du  corps  actuel  des  officiers,  à  un  point  de  vue  étroitement  (et  même, 
parfois,  assez  bassement)  professionnel,  et  plutôt  «  réactionnaire  »,  mais 
avec  beaucoup  de  faits  précis.  Il  est  très  instructif  pour  faire  connaître  l'état 
d'esprit  qui  prévaut  dans  ces  milieux  où  l'on  est,  maintenant,  paraît-il,  aussi 
loquace  qu'on  était  «  muet  »  jadis.  A  l'en  croire,  les  conséquences  de  la  loi 
de  deux  ans  ont  été  telles  qu'il  n'y  a  déjà  plus  que  des  «  miliciens  »  (p.  31) 
dans  l'active  ;  mais  des  miliciens  démoralisés  par  les  propagandes  pacifistes, 
et  à  qui  tout  idéal  fait  défaut:  «  Ils  ont  moins  la  fierté  d'accomplir  leur  devoir 
militaire  que  l'impatience  d'en  être  quittes  »  (p.  32).  L'auteur  exprime  la 
conviction  que  les  mots  de  patrie  et  d'honneur,  quoique  abondamment 
répétés,  ne  suffisent  plus  à  dissimuler  la  lassitude  de  l'impôt  du  sang  et  le 
désir  d'y  couper  (p.  30).  D'autres  mots,  fussent-ils  très  éloquents,  ajoutés  à 
ceux-là,  qui  sont  déjà  si  beaux,  ne  produiraient  pas,  peut-être,  beaucoup 
plus  d'effet.  Mais  si  les  prédicateurs  savaient  cela,  ils  ne  le  croiraient  pas  ; 
ils  n'en  resteraient  pas  moins  optimistes  ;  car,  s'ils  n'étaient  plus  optimistes, 
ils  cesseraient,  probablement,  de  prêcher.  Nogaret. 


108         {  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

COMPTES  RENDUS 

E.  Bourcier.  —  La  Rouille.  —  Paris,  Cornély  (Collection  de  la 
Grande  Revue),  19 10,  in-12,  232  p.,  3  fr.  50. 

Beaucoup  de  descriptions  avec  des  détails  justes  et  des  phrases  sonores. 
Carrier  s'engage  dans  l'infanterie  coloniale.  Il  aime  le  métier  militaire  ; 
encouragé  par  les  officiers,  séduit  par  la  promesse  des  galons,  alléché  par 
l'idée  de  la  prime,  il  signe  un  rengagement  de  cinq  ans.  Mais  voilà  que  le 
père  et  le  frère  aîné  du  jeune  homme  viennent  à  mourir,  la  mère  et  les 
enfants  plus  jeunes  vont  rester  sans  soutien,  car  le  militaire  ne  peut  revenir 
au  foyer  les  protéger,  puisque  d'un  trait  de  plume  et  pour  un  si  long  temps 
il  a  aliéné  sa  liberté.  Pendant  que  la  famille  souffre  toutes  les  misères,  le 
marsouin  part  pour  l'expédition  de  Chine  ;  scènes  de  pillage  ;  un  sergent  lui 
fait  des  propositions  infâmes,  révolte  de  Carrier,  voies  de  fait,  conseil  de 
guerre,  travaux  publics,  tentative  d'évasion,  Bat'  d'Af  ;  le  malheureux  meurt 
après  mille  tortures  physiques  et  morales  dans  un  engagement  à  la  frontière 
marocaine. 

Assurément  un  problème  grave  se  pose  :  autant  il  est  légitime  de  se  pré- 
munir contre  les  retours  d'humeur  et  les  caprices  des  jeunes  gens,  autant  il 
paraît  injuste  de  n'admettre  aucun  cas  de  force  majeure  pour  lequel  le  renga- 
gement devienne  caduc.  Et  puis,  jusqu'à  quel  point  a-t-on  le  droit  de  laisser 
une  jeunesse  imprévoyante  engager  l'avenir  pour  cinq  ans  ?  Il  peut  être  exact 
aussi  que  bien  des  abus  de  pouvoir  soient  commis  aux  bataillons  d'Afrique  et 
certes  tout  cela  est  à  discuter;  bien  des  réformes  sont  souhaitables.  Or  je 
conçois  fort  bien  que  l'on  attire  l'attention  du  public  sur  cet  ordre  de  faits 
dans  des  articles  de  revues  où  l'on  cite  des  documents  et  où  l'on  dévoile  ses 
sources  d'information.  Mais  qu'on  y  trouve  sujet  à  roman,  je  le  conteste. 
Qu'est-ce  que  l'art  et  la  littérature  peuvent  gagner  à  ces  pages  où  l'on  parle 
l'argot  des  chiourmes  —  d'ailleurs  avec  certaines  pudeurs  bien  illogiques  ? 
Enfin,  il  n'est  pas  permis  d'imposer  au  public  une  lecture  aussi  pénible,  de 
spéculer  sur  les  sentiments  de  dégoût,  d'horreur  et  de  pitié  sans  prouver 
avec  certitude  que  ce  que  l'on  avance  est  rigoureusement  vrai.  Ceci  ne 
saurait  être  le  cas  pour  un  roman,  œuvre  d'imagination  et  le  lecteur  a  raison 
d'hésiter  avant  de  généraliser  le  cas  de  tel  souffre-douleur  qui  succombe. 
Comment  savoir  si  tel  tableau  n'est  pas  outré  pour  les  besoins  de  la  cause, 
si  tel  fait  n'est  pas  inventé  ?  Même,  le  public,  qui  n'aime  point  qu'on  le 
sorte  de  l'ataraxie,  trouve  l'excuse  excellente  et  ne  s'émeut  pas,  parce  qu'il 
doute  que  cela  soit  «  arrivé  ». 

A.  d'Estournelles  de  Constant. 

Rudyard  Kipling.  —  Rewards  and  Fairies.  —  Londres,  Mac- 
millan,  1910,  xn-338  p.,  in-12,  7  fr.  50. 

Ce  nouveau  recueil  confirme  l'évolution  récente  du  talent  de  Kipling. 
Après  les  nouvelles  réalistes  et  le  roman  de  mœurs  anglaises  ou  hindoues, 
nous  revenons  aux  histoires  merveilleuses;  c'est,  comme  Puck  of  Pooh's  Hill, 
un  nouveau  Jungle  Book  ;  mais  l'esprit  est  bien  différent.  Nous  sommes  main- 
tenant en  Angleterre  ;  les  bêtes  qui  parlent  sont  remplacées  par  des  génies  ; 


Histoire  -10  9 

Puck,  lutin  capricieux  mais  bienveillant,  se  mêle  aux  jeux  de  deux  enfants, 
Dan  et  Una,  dans  le  décor  très  contemporain  de  la  campagne  anglaise  ;  il 
fait  surgir  à  leurs  yeux  des  apparitions  du  temps  passé.  En  chair  et  en  os, 
familiers  quoique  distants,  des  personnages  historiques  et  symboliques  pas- 
sent ainsi  devant  nous  ;  et  leurs  paroles,  adaptées  à  leur  caractère,  à  leur 
époque,  sont  une  vive  et  forte  évocation  de  réalité  suggestive.  Chacune  de 
ces  histoires  enseigne  une  leçon  ;  et  l'on  devine  quelle  sagesse  Kipling  pro- 
pose à  ses  lecteurs,  jeunes  ou  vieux  —  car  il  semble  écrire  pour  les  enfants, 
mais  ne  sera  guère  compris  que  des  adultes...  C'est  une  doctrine  d'énergie  et 
de  violence,  de  sacrifice  austère  aux  destinées  de  la  patrie  et  de  la  race  ;  de  tra- 
vail, etde  mépris  pour  les  faiblesses  de  la  pensée  ;  un  impérialisme  brutal  autant 
que  mystique  —  évangile  que  l'Angleterre  ne  paraît  plus  accueillir  avec  le 
même  enthousiasme.  Comme  la  philosophie,  l'art  a  vieilli  dans  ces  contes  ; 
ils  portent  encore  la  marque  du  maître,  par  la  vigueur  condensée  de  la  narra- 
tion et  de  la  langue,  la  force  imaginative,  la  brusque  poésie  de  certains 
traits  ;  le  sens  profond  des  grands  instincts,  des  réactions  immédiates  de 
l'âme  ;  mais  il  y  a  du  pénible,  de  l'étrange  dans  la  mise  en  œuvre,  du  bizarre 
et  de  l'obscur  dans  ces  récits  qui  commencent,  se  nouent,  se  dénouent,  se 
transportent  du  présent  au  passé,  du  réel  au  surnaturel,  avec  un  minimum 
de  préparation  et  de  logique.  Fantaisie  originale,  dira-t-on  ?  Mais  la  fantaisie 
n'est  plus  portée  par  un  courant  d'invention  spontanée  ;  elle  n'est  plus 
nourrie  par  un  filon  intérieur  de  raison  ou  d'observation  simple  ;  elle  est 
trop  souvent  fatiguée,  tendue,  et  l'on  dirait  presque  vide  et  stérile...  La  note 
de  vieillesse  et  de  tristesse  qui  s'y  fait  entendre  est,  peut-être,  ce  qui  rend 
malgré  tout  sympathique  un  volume  animé  de  méfiance  ou  de  haine  contre 
les  nations  hors  de  l'Empire,  les  formes  de  pensée  hors  de  la  pensée  primi- 
tive et  rude  de  son  prophète.  L.  Cazamiaw 


F.  Lachèvre.  —  Disciples  et  successeurs  de  Théophile  de  Viau  :  la 
vie  et  les  poésies  libertines  de  Des  Barreaux  et  Saint-Pavin.  —  Paris, 
Champion,  191 1,  in-8,  xiv-541  p.,  10  francs. 

M.  Lachèvre  s'est  donné  pour  tâche  d'écrire  l'histoire  du  libertinage  au 
xviie  siècle  :  gros  sujet,  dont  ce  gros  livre  ne  traite  qu'une  petite  partie.  En 
ce  qui  concerne  Des  Barreaux,  c'est  une  nouvelle  édition  revue,  corrigée  et 
augmentée,  d'un  travail  publié  en  1907  ;  en  revanche  la  vie  de  Saint-Pavin 
n'avait  pas  encore  été  écrite.  M.  Lachèvre  a  recueilli  avec  diligence  tout  ce 
qu'on  en  peut  aujourd'hui  savoir,  et  qui  est  d'ailleurs  assez  peu  de  chose. 
Quant  aux  poésies  libertines  de  «  l'Illustre  Débauché  »  et  à  celles  du  «  Roi 
de  Sodome  »,  identifiées  pour  la  première  fois,  on  les  a  groupées  pour 
chacun  d'eux  à  la  suite  de  sa  biographie  ;  mais  on  a  fait  un  tirage  à  part  de 
celles  dont  le  sujet  trop  scabreux  risquait  d'effaroucher  le  lecteur. 

Il  est  un  peu  surprenant  d'entendre  l'auteur  d'un  ouvrage  si  vaste  con- 
sacré à  deux  libertins  de  si  médiocre  envergure  déclarer  (dans  une  préface 
singulièrement  tendancieuse)  que  «  le  rôle  des  libertins  au  xvnc  siècle  a  été 
fort  exagéré  ».  Ailleurs,  il  est  vrai,  il  les  appelle  «  ces  précurseurs  des  phi- 
losophes du  xvme  siècle,  ces  peu  glorieux  ancêtres  de  la  libre  pensée  » 
(p.  451)  :  voilà  bien  des  contradictions.  On  peut  regretter  que  M.  Lachèvre, 
qui  n'a  pas   fait  entrer  dans   le   cadre  de  son  travail  l'étude  littéraire  des 


110  ■ .  . .   .  «  Revue  critique  des  Livres  nouveaux- 

poésies  de  Des  Barreaux  et  de  Saint-Pavin,  n'ait  pas  cru  devoir  préciser  non 
plus  la  portée  de  leur  action.  Il  serait  intéressant  de  chercher  quelle  influence 
ont  pu  exercer  le  séduisant  Des  Barreaux,  le  spirituel  Saint-Pavin  sur  les 
grands  seigneurs  et  les  beaux  esprits  auprès  de  qui  ils  avaient  accès, 
malgré  leur  réputation  bien  établie  de  libertinage,  —  si  cette  tolérance 
même  n'est  pas  un  indice  de  sympathie  et  de  connivence,  —  dans  quelle  me- 
sure les  relations  de  Des  Barreaux  avec  Chapelle  et  Molière  ou  avec  les  ma- 
gistrats dijonnais,  celles  de  Saint-Pavin  avec  l'Hôtel  de  Condé,  l'Hôtel  de 
Rambouillet,  Mme  et  Mlle  de  Sévigné,  ont  pu  contribuer  à  détacher  des 
croyances  traditionnelles  des  esprits  qu'ébranlait,  d'autre  part,  la  méthode  de 
Descartes  ou  la  philosophie  naturelle  de  Gassendi.  M.  Lachèvre  sera  moins 
tenté,  sans  doute,  de  croire  qu'on  a  exagéré  le  rôle  des  libertins  du  xvne 
siècle,  quand  le  cours  de  ses  recherches  le  mènera  à  constater  leur  hardiesse 
croissante  et  à  entendre  les  cris  d'alarme  que  leurs  progrès  font  pousser, 
vers  la  fin  du  siècle,  aux  défenseurs  de  la  foi.  M.  Lange. 


Zurlinden  (Général).  —  Napoléon  et  ses  maréchaux.  ■ —  Paris,  Ha- 
chette, 191 1,  2  vol.  in-16  de  266,  240  p.,  3  fr.  50  chaque  volume. 

C'est  un  résumé,  plutôt  de  la  vie  de  Napoléon,  que  de  l'histoire  de  son 
règne,  où,  en  dépit  du  titre  de  l'ouvrage,  les  maréchaux  de  Napoléon  tien- 
nent très  peu  de  place  et  sont  simplement  nommés  là  où  il  ne  se  pouvait  pas 
qu'il  en  fût  autrement.  C'est  un  résumé  sec,  net,  exact,  écrit  d'un  style  for- 
cément rapide,  visiblement  soigné,  où  rien  ne  vous  heurte,  où  rien  ne  vous 
enlève.  Le  général  a  mis,  dit-il,  à  profit  tous  les  récents  travaux.  Je  n'en 
doute  pas.  Ce  qui  me  frappe,  c'est  que  ces  renseignements  nouveaux  ne 
changent  pas  sensiblement  l'idée  qu'on  se  faisait  de  Napoléon.  M.  Zurlinden 
nous  dit  aussi  qu'il  s'est  efforcé  d'être  impartial  ;  de  fait  il  blâme  Napoléon 
à  peu  près  à  tous  les  moments  où  il  a  été  communément  repris  :  en  Bru- 
maire ;  après  l'attentat  de  la  rue  Saint-Nicaise,  pour  ses  mesures  injustes 
contre  les  Jacobins  ;  au  moment  où  il  commet  l'enlèvement  et  le  meurtre 
du  duc  d'Enghien  ;  après  la  paix  d'Amiens,  quand  il  veut  avoir  et  qu'il 
obtient  un  pouvoir  discrétionnaire  sur  la  nation.  Par  exemple,  M.  Zurlinden 
ne  prouve  pas,  comme  il  le  croit,  que  Napoléon  ait  été  totalement  innocent 
de  la  rupture  de  la  paix  d'Amiens.  11  n'est  pas  sûr  que  Napoléon  n'ait  pas 
fait  de  son  côté  autant  que  les  Anglais  du  leur,  pour  amener  cette  rupture. 
Là  où  M.  Zurlinden  me  paraît  être  vraiment  trop  indulgent  ou  pas  tout  à 
fait  exact,  c'est  dans  l'exposé,  trop  court  d'ailleurs,  qu'il  fait  de  la  conduite 
de  Napoléon,  en  181 3,  au  moment  du  congrès  de  Prague.  A  ce  moment  on 
lui  offrait  des  conditions  qu'il  pouvait,  qu'il  devait  accepter. 

Partial,  non,  M.  Zurlinden  ne  l'est  pas  précisément  ;  toutefois  il  est  sen- 
sible que,  quand  il  blâme  Napoléon,  il  est  sans  entrain,  il  est  froid  ;  il  sait 
en  revanche  le  louer  chaudement.  Son  faible  intime  se  révèle  par  là  ; 
faible  qui  s'excuse  et  se  comprend  chez  un  général.  C'est  un  prodigieux 
homme  de  guerre  que  Napoléon  ;  il  est  difficile  qu'un  professionnel  échappe 
tout  à  fait  à  son  incomparable  prestige.  P.  Lacombe. 


Histoire  ================================  111 


Arthur  Meyer.  —  Ce  que  mes  yeux  ont  vu.  —  Paris,  Pion,  xxiv- 
432  p.,  in-12,  3  fr.  50. 

M.  Arthur  Meyer,  qui  ne  dissimule  pas,  car  cela  n'est  pas  possible,  sa 
très  modeste  origine,  est  depuis  longtemps  un  des  personnages  les  plus 
connus  de  la  vie  parisienne  :  à  la  Bourse  d'abord,  puis  au  boulevard  et, 
enfin,  dans  les  salons  de  la  vieille  aristocratie  française.  «  Manager  »  du 
Gaulois,  mécène  d'académiciens  en  herbe,  en  fleur  ou  en  fruit,  successive- 
ment serviteur  de  plusieurs  princes  appartenant  à  diverses  dynasties  déchues, 
en  bons  termes  cependant  avec  beaucoup  d'hommes  qui  ont  passé  au  pou- 
voir sous  la  Gueuse  (1),  conspirateur  à  ses  heures,  homme  du  monde  avant 
tout,  il  a,  certes,  vu  beaucoup  de  choses  de  1870  à  191 1.  On  pourrait  donc 
s'attendre,  semble-t-il,  à  ce  que  ses  Mémoires  anthumes  (comme  disait 
Alphonse  Allais)  fussent  instructifs  et  amusants.  En  fait,  ils  sont  vides, 
fades  et  un  peu  écœurants.  Mais  c'est  bien  naturel. 

C'est  naturel,  non  seulement  parce  qu'il  y  a  des  raisons  pour  que  les 
mémoires  qui  ne  sont  pas  posthumes  manquent  de  nerf,  mais  parce  que 
l'auteur  est  ce  qu'il  est  :  trop  «  aimable  »  pour  contrister  quelqu'un  qui 
puisse  lui  en  vouloir,  trop  gentilhomme  pour  n'être  pas  discret,  et  trop 
chrétien  pour  garder  rancune  des  avanies  qu'il  encaissa.  Avec  cela,  un  style 
approprié,  coulant  et  nul  ;  tout  en  épithètes  banales,  en  mots  prévus  et  en 
clichés. 

Ces  mérites,  qui  n'en  sont  pas  pour  un  mémorialiste,  ont  fait  la  fortune 
littéraire,  et  la  fortune  tout  court,  de  M.  Arthur  Meyer.  Il  n'a  pas  renoncé, 
comme  de  juste,  à  les  déployer  ici.  A  la  fin,  «  index  des  noms  cités  »  :  un 
millier  de  noms  environ,  c'est-à-dire,  dans  le  livre,  presque  autant  de  coups 
de  chapeau.  Car  un  compliment  en  passant  ne  coûte  guère  et  fait  toujours 
plaisir. 

Un  des  principaux  chapitres  est  intitulé  V Antisémitisme.  Si  l'on  considère 
que  l'auteur  a  été  qualifié  de  «  Juif  immonde  »  par  son  prince,  M.  le  duc 
d'Orléans,  dans  une  dépêche  que  le  Figaro  a  pris  la  peine  de  reproduire  plus 
d'une  fois,  on  appréciera  le  sentiment  qui  lui  lait  dire  que  la  Troisième  Répu- 
blique a  créé  l'antisémitisme  (2).  Le  chapitre  sur  «  le  Dreyfusisme  »,  singu- 
lièrement entortillé,  n'est  pas  non  plus  sans  intérêt,  en  ce  qu'il  fait  très  bien 
voir,  non  pas  la  pensée  de  M.  Arthur  Meyer  sur  ce  sujet  (ce  qui  n'aurait  pas 
d'importance),  mais  les  précautions  que  le  directeur  du  Gaulois  se  croit 
encore  obligé,  pour  sa  clientèle,  de  prendre,  en  191 1,  en  parlant  de  cette 
affaire.  Au  reste,  M.  Arthur  Meyer  tout  entier  n'a  de  valeur  historique 
que  comme  miroir  de  la  clientèle  qui  l'a  adopté.  On  l'étudier»  plus  tard 


(1)  «  Implacable  pour  les  institutions  républicaines  qui  corrompent  les  hommes,  selon  la 
formule  lumineuse  de  M.  le  Comte  de  Paris,  je  suis  indulgent  pour  ceux-ci   »  (p.  <;9)- 

(2)  Il  y  a,  dans  ce  chapitre  (p.  125),  une  psychologie  du  «  Juif  »  :  •  Envahisseur  dans 
le  domaine  mondain...  »  ;  etc.  —  Plus  loin  (p.  1^3),  on  lit  :  <■  M.  Roosevelt  a  dit  un  jour 
une  parole  :  Avant  un  siècle  le  momie  sera  catholique  <«  libre  penseur.  Si  la  première  partie  de 
cette  prédiction  venait  à  se  réaliser,  si  le  monde  était  régénéré  par  la  victoire  de  la  seule 
religion  d'unité,  de  discipline  et  de  hiérarchie,  les  Juifs  peuvelu  être  sans  inquiétude  :  les 
catholiques  connaissent  la  loi  du  Christ  qui  est  la  loi  de  pardon  :  ils  pardonneraient  et  ouvri- 
raient leurs  bras  à  tous  leurs  frères  égarés.  M.'.is  si,  par  malheur,  la  libre  pensée  venait  à 
triompher,  c'est  alors  que  les  Juifs  pourraient  prendre  peur...  Us  n'auraient  pas  longtemps 
à  se  réjouir  de  notre  anuihilenieut  :  ils  succomberaient  bien  vite  api  es  nous.  » 


112  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

pour  se  rendre  compte  de  l'état  d'esprit  du  meilleur  monde  en  ce  temps-ci. 
Ce  qu'il  y  a  de  plus  amusant  dans  Ce  que  mes  yeux  ont  vu,  c'est  d'y  ap- 
prendre (p.  205)  que,  à  la  rédaction  du  Gaulois,  M.  E.  Faguet  est  connu 
sous  le  sobriquet  de  «  Toujours  prêt  ».  Or,  il  se  trouve  justement  que 
M.  Faguet  a  enrichi  le  volume  d'une  préface.  L'infatigable  polygraphe  déclare 
là,  «  avec  sa  tranquillité  ordinaire  »,  que  M.  Arthur  Meyer  est  «  un  type  fort 
sympathique  »  et  un  «  extrêmement  honnête  homme  dans  le  sens  actuel  du 
mot,  et  dans  le  sens  que  le  mot  avait  au  xvne  siècle,  et  dans  tous  les  sens  ». 
J'ai  toujours  pensé,  mais  je  suis  certain  maintenant,  que  ce  qu'il  dit  encore 
(p.  xxiv)  de  son  préfacé  peut  s'appliquer  à  lui-même  :  «  Devenu,  au  moment 
où  nous  sommes,  d'une  indulgence  générale,  où  il  est  entré  beaucoup  de 
bonté  et  où  il  reste  un  peu  de  raillerie...  »  P.  Dubois. 

G.  Séailles.  —  Eugène  Carrière.  —  Paris,  A.  Colin,  191 1,  in-12, 
373  p.,  8  planches  hors  texte,  3  fr.  50. 

M.  Séailles,  au  seuil  de  son  étude,  proteste  contre  la  doctrine  qui  fait 
de  l'œuvre  d'art  «  l'œuvre  de  tout  le  monde,  excepté  de  l'artiste  lui-même  ». 
S'il  entend  réagir  contre  les  abus  de  la  théorie  du  milieu,  on  ne  peut  que  lui 
donner  raison,  mais  s'il  prétend  que  «  les  causes  générales,  milieu  physique, 
milieu  social,  n'expliquent  jamais  que  ce  qu'il  y  a  de  commun  dans  l'art 
d'un  peuple  ou  d'une  école  »,  il  se  réfute  lui-même,  car  il  nous  dit  dans 
son  livre  comment  «  Carrière  toujours  est  resté  du  peuple,  un  homme  parmi 
les  hommes  »,  et  il  nous  montre  l'action  qu'exercèrent  sur  sa  sensibilité  les 
humbles  appartements  des  Batignolles  qu'il  a  habités  et  la  grande  crise  poli- 
tique et  morale  dans  laquelle  il  prit  une  position  de  combat.  Malgré  le  ton 
agressif  de  sa  préface,  l'ouvrage  de  M.  Séailles  n'a  du  reste  pas  été  écrit  pour 
illustrer  une  doctrine  ;  c'est  un  livre  de  bonne  foi,  une  scrupuleuse,  péné- 
trante et  subtile  analyse,  par  laquelle  l'auteur  a  voulu  rendre  hommage  à 
l'homme  admirable  et  au  grand  peintre  que  fut  Carrière.  Jamais  homme 
n'eût  une  existence  plus  digne  et  plus  droite  que  Carrière,  jamais  artiste 
n'associa  dans  un  accord  plus  étroit  son  art  et  sa  vie.  Le  livre  de  M.  Séailles 
peut  être  recommandé  comme  une  lecture  édifiante  :  c'est  un  saint  laïque 
qu'il  présente  à  nos  méditations.  Ceux  qui  ne  voient  dans  une  peinture  qu'un 
objet  de  luxe,  pour  qui  le  peintre  est  un  virtuose  plus  ou  moins  ingénieux, 
auront  profit  à  lire  ce  livre  où  l'on  montre  comment  l'homme  de  génie  peut 
exprimer  par  le  jeu  des  couleurs  et  des  lignes,  les  sentiments  les  plus  pro- 
fonds de  son  âme,  sa  conception  de  l'humanité  et  de  l'univers  et  inscrire 
dans  sa  toile  toute  une  philosophie.  La  pensée  de  M.  Séailles  est  ingénieuse, 
multiple  ;  il  reprend  ses  idées  sous  des  formes  successives  et  trouve  toujours 
à  y  ajouter  ;  il  s'ensuit  que  son  livre  supporte  malaisément  une  lecture  con- 
tinue ;  il  faut  l'étudier  à  tête  reposée,  le  quitter  pour  y  revenir. 

L.    ROSENTHAL. 


C.  Wagner.  — Par  le  sourire.  — Paris,   Hachette,    1910,   in-12, 
vn-302  p.,  3  fr.  50. 

M.'C.  Wagner  est  un  bonhomme  Richard  qui  aurait  le  sens  de  la  nature 
et  celui  de  la  poésie.  Le  complément  a  son  prix.  La  morale  du  bonhomme 


Sciences  =■  113 

Richard  est  courte,  et  elle  est  sèche  ;  à  elle  seule  elle  aurait  laissé  sagement 
l'humanité  polir  les  os  et  les  cailloux  de  l'âge  de  pierre.  M.  Wagner  la  con- 
tinue pour  une  part  :  la  morale  qu'il  enseigne  est  sûre,  réglée,  minutieuse, 
domestique,  ménagère,  optimiste  et  prudente.  Il  n'est  pas  prouvé  qu'on  ne 
puisse  heureusement  cultiver  chez  les  enfants  un  idéal  plus  ardent  et  moins 
sage. 

Mais  cette  morale,  par  un  peu  de  poésie  et  beaucoup  de  nature,  a  des 
vertus  profondes.  Elle  s'appuie  tout  entière  sur  un  grand  principe  pédagogi- 
que. L'éducation  se  faisait  chez  l'Emile  de  Rousseau  par  le  sentiment  de 
l'intérêt  bien  entendu  :  force  solide  et  qui  vaut  qu'on  en  use  ;  elle  se  complé- 
tait par  l'instinct  du  cœur,  par  la  générosité  spontanée  :  instinct  qui  réserve 
quelques  mécomptes.  M.  Wagner,  au  contraire,  fait  surtout  appel  à  l'imagi- 
nation. C'est  une  grande  sagesse.  La  morale  ne  se  démontre  peut-être  pas; 
dans  tous  les  cas  ses  raisonnements  ne  sont  pour  les  enfants  que  des  mots. 
M.  Wagner  ne  raisonne  jamais  :  il  raconte  une  histoire,  il  développe  des 
images  :  une  cruche,  un  sac,  un  moulin  de  sureau,  un  cerf-volant,  un  grain 
de  blé.  De  cette  histoire  il  dégage  par  symbole  un  enseignement.  Logique- 
ment, c'est  tout  arbitraire.  Pour  l'enfant,  c'est  décisif.  L'image  se  fixe  et 
l'association  se  crée  qui  garde  l'enfant  du  vice  ou  l'incline  vers  une  vertu. 

Ajoutons  que  le  sens  juste  de  la  nature,  le  goût  de  la  vie  obscure  des 
choses  mettent  dans  ces  petits  récits  autre  chose  que  la  persuasion  des 
images  et  l'agrément  du  pittoresque  :  ils  les  élargissent.  Par  eux  ces  histoires 
pour  les  petits  se  haussent  à  demi  jusqu'à  la  dignité  d'une  philosophie.  Il  est 
bon  que  les  enfants  voient  leur  conduite  s'associer  sans  cesse  à  la  destinée  du 
grain  qui  pousse,  de  l'eau  qui  coule  ou  de  l'escargot  qui  rampe.  Ils  pren- 
dront sourdement  conscience  que  leur  vie  s'unit  à  la  grande  tâche  universelle. 
Ainsi  cette  morale,  de  lignes  toutes  chrétiennes,  s'ouvre  sur  d'autres  hori- 
zons. Elle  «  sourit  »  et  elle  aime  la  vie  :  ce  sont  là  de  fortes  vertus. 

D.  Mornet. 


Sir  \V.  Ramsay.  —  La  Chimie  moderne.  Ouvrage  traduit  par 
M.  H.  de  Miffonis.  —  Paris,  Gauthier-Villars,  2  vol.  in-12,  1909- 
191 1,  150,  276  p.,  ensemble  7  fr.  25. 

Voici  un  livre  en  faveur  duquel  plaide  assez  le  nom  de  son  auteur.  Pour 
qui  connaît  ses  travaux  et  la  marche  hardie  qui  le  mena  de  la  découverte  de 
l'argon  à  celle  de  l'hélium  et  des  autres  gaz  rares,  Ramsay  représente  une 
manière  de  conquérant  capable  de  toutes  les  audaces.  Un  ouvrage  de  lui  ne 
saurait  être  banal.  Et  en  effet  celui-ci  paraîtra  au  public  français  un  étrange 
et  attachant  petit  livre. 

Il  est  divisé  en  deux  parties.  La  première  (Chimie  théorique,  155  pages) 
est  un  résumé  très  concis  et  très  clair  de  notre  atomistique  moderne.  — 
Quelques  pages  d'historique  nous  amènent  à  la  notion  de  molécule.  Puis,  nous 
assistons  à  la  détermination  des  poids  moléculaires,  et  l'examen  des  cas  excep- 
tionnels nous  conduit  à  l'étude  de  la  dissociation.  L'exposé  des  phénomènes 
de  dissociation  électrolytique  est  conforme  aux  théories  actuelles  de  la  phy- 
sique :  on  n'admet  plus  que  des  électrons  négatifs,  c'est  leur  départ  qui  crée 
les  charges  positives  et  c'est  leur  liaison  plus  ou  moins  étroite  avec  les  atomes 
qui  règle  la  tendance  de  ceux-ci  à  l'ionisation.  Cette  hypothèse  est  plus  simple 


114  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

que  celle  des  deux  électricités  ;  mais  sa  notation  est  un  peu  plus  compliquée, 
et  en  tout  cas  nouvelle  pour  le  lecteur  français  qu'elle  déroutera  légèrement. 
Elle  est  d'ailleurs  intéressante,  et  on  voit  plus  loin  comment  elle  explique  la 
valence  des  corps  simples.  Les  éléments,  leur  systématique,  voilà  évidem- 
ment la  grande  préoccupation  de  l'auteur  et  la  partie  maîtresse  du  livre  (près 
de  60  pages).  Aussi  le  chapitre  de  l'allotropie,  qui  est  la  polymérie  des  élé- 
ments, est-il  égal  en  étendue  au  chapitre,  fort  bien  fait  d'ailleurs,  sur  l'iso- 
mérie  des  composés  (20  pages).  Et  nous  sommes  presque  arrivés  à  la  fin  du 
livre.  Il  se  termine  par  une  étude  des  affinités  (l'énergie)  qui  se  réduit  à 
13  pages.  Nous  l'avons  bien  dit  :  cette  première  partie  est  surtout  un  exposé 
d'atomistique,  ce  n'est  pas  toute  la  chimie  générale. 

La  seconde  partie  (267  pages)  ne  réalise  pas  non  plus  complètement  les 
promesses  de  son  titre.  Ou  plutôt  les  mots  français  «  chimie  descriptive  » 
prêtent  à  une  équivoque  dont  le  titre  anglais  est  peut-être  exempt  (1).  On 
s'attend  à  trouver  dans  une  chimie  descriptive  une  véritable  description  des 
produits  chimiques  et  de  leurs  propriétés  comme  elle  est  faite  dans  nos  vieux 
(et  parfois  excellents)  traités  français  de  chimie.  Mais  ici  en  réalité  c'est 
plutôt  la  filiation  des  produits  qui  se  trouve  décrite,  avec  leurs  relations 
mutuelles,  et  assurément  on  n'a  jamais  donné  en  un  tel  raccourci  une 
systématique  aussi  complète  des  espèces  chimiques.  —  Tout  d'abord  la 
préparation  des  corps  simples  y  prend  la  première  place  et  la  plus  impor- 
tante, puis  viennent  les  hydrures,  les  haloïdes,  les  oxydes  basiques  et  les 
hydroxydes,  les  oxydes  neutres,  les  anhydrides  et  les  acides,  etc.  Tout  cela 
se  déroule  dans  une  marche  rapide.  Les  formules  s'enchaînent  avec  une 
logique  parfaite.  Tous  les  cadres  sont  prêts  pour  les  acides  du  phosphore  et 
chacun  vient  se  mettre  à  sa  place.  De  même  pour  les  acides  du  soufre  ;  de 
même  pour  les  silicates.  Et  c'est  au  développement  de  l'atomistique  que  nous 
devons  ce  bel  ordre.  —  Pourtant  il  manque  quelque  chose  à  ce  tableau  pour 
être  tout  à  fait  didactique.  A  la  notation  de  tous  ces  composés  on  voudrait 
pouvoir  ajouter  un  signe  qui  indiquerait  leur  degré  de  stabilité,  et  un  autre 
signe  qui  attesterait  leur  degré  d'importance.  Le  lecteur  ne  verrait  pas  tout 
sur  un  même  plan,  son  attention  se  diffuserait  un  peu  moins,  et  il  conser- 
verait de  la  chimie  une  vue  plus  nette  et  plus  adéquate  à  la  réalité 
moyenne  des  faits.  —  Voici  qui  est  tout  à  fait  caractéristique  à  cet  égard  et 
qui  est  une  des  marques  d'originalité  du  livre  :  la  chimie  du  carbone  y  est 
confondue  avec  celle  des  autres  éléments.  Les  carbures  d'hydrogène  appa- 
raissent simplement  au  chapitre  général  des  hydrures,  les  alcools  au  chapitre 
des  hydroxydes,  etc.  Sans  doute  cette  méthode  s'explique  :  si  l'on  examine 
les  choses  de  haut,  la  chimie  organique  ne  mérite  peut-être  pas  la  place  à 
part  qu'on  a  coutume  de  lui  donner.  Un  tel  privilège  rompt  la  belle  har- 
monie de  l'ensemble  chimique  et  détruit  son  unité  ;  il  est  bon  de  montrer  au 
lecteur  qu'il  n'y  a  pas  deux  chimies.  Mais  une  fois  bien  entendu  que  l'étude 
des  composés  du  carbone  n'est  qu'un  chapitre  de  la  chimie  générale,  il 
reste  à  tirer  de  ce  chapitre  si  fécond  les  enseignements  qu'il  comporte  par  la 
grande  variété  et  l'extrême  délicatesse  de  ses  réactions,  et  aussi  par  ses 
applications  pratiques. 

Évidemment  cela  n'entrait  pas  dans  le  dessein  de  l'auteur.  Aussi  son  livre 


(1)  Je  n'accuse  pas  le  traducteur.  Il  faut  au  contraire  le  louer,  en  général,  pour  la  clarté  de 
sa  traduction. 


Sciences  ■  ■  —  115 

doit-il  être  considéré  non  pas  comme  une  initiation  à  la  chimie,  mais 
comme  une  très  courte,  très  nourrie  et  très  intéressante  révision  de  l'en- 
semble des  faits  chimiques.  A.  Job. 

Dr  Fr.  Heckel.  —   Grandes  et  petites  obésités.  —   Paris,  Masson, 
191 1,  in-4,  554  p.,  12  francs. 

L'obésité  évoque,  pour  le  commun  des  hommes,  l'idée  d'un  envahis- 
sement énorme  de  graisse.  C'est  une  erreur.  D'après  la  règle  de  Quételet, 
l'homme  normal  doit  peser  autant  de  kilos  qu'il  a  de  centimètres  au-dessus 
du  mètre.  Pour  le  Dr  Heckel,  cet  homme  serait  déjà  un  obèse,  s'il  n'a  la 
puissance  musculaire  d'un  athlète.  Au  delà,  c'est  l'infiltration  graisseuse  et 
avec  elle  tous  les  troubles  qui  accompagnent  un  ralentissement  sensible  de 
la  circulation  du  sang  et  de  la  nutrition.  L'auteur  va  même  plus  loin  :  selon 
lui  ce  sont  les  troubles  nutritifs  et  circulatoires  qui  précèdent  l'engraissement 
et  constituent  le  fond  même  de  l'obésité.  On  peut  donc  être  un  obèse  avant 
la  lettre,  un  candidat  à  l'obésité,  ce  qu'on  reconnaît  à  l'instabilité  du  poids 
qui  est  le  premier  symptôme  ;  on  peut  être  aussi  un  obèse  amaigri, 
lorsqu'après  un  traitement  contre  l'obésité,  les  troubles  qui  accompagnaient 
celle-ci  subsistent  encore. 

Si  l'on  remonte  aux  causes  de  l'obésité,  on  voit  qu'elles  sont  variées  : 
hérédité,  profession,  vie  sédentaire,  suralimentation,  maladies  diverses, 
alcoolisme,  voire  même  surmenage,  fatigue  ou  émotions  tristes.  Aussi  le 
Dr  Heckel  conçoit-il,  non  pas  une  obésité,  mais  des  obésités  variées  qu'il 
ramène  à  deux  grandes  classes  :  i°  les  obésités  nerveuses,  avec  répercussion 
sur  la  nutrition,  qui  se  manifestent  par  les  migraines,  les  troubles  intes- 
tinaux, puis  la  gravelle,  le  diabète  ou  l'albuminurie,  s'accompagnent  d'émo- 
tivité,  de  dépression  nerveuse  et  produisent  un  affaiblissement  intellectuel 
très  marqué  ;  2°  les  obésités  vasculaires,  qui  se  révèlent  par  l'oppression, 
l'essoufflement,  l'artério-sclérose,  l'angine  de  poitrine  expliquant  tant  de 
morts  subites  chez  «  des  obèses  florides  »  qui  avaient  toutes  les  apparences  de 
la  bonne  santé. 

Le  lecteur  puisera  dans  ce  livre  des  renseignements  précieux  et  détaillés 
sur  les  diverses  formes  morbides  que  peut  prendre  son  obésité  présente  ou 
future  (car  c'est  un  préjugé  dangereux  de  croire  qu'il  est  naturel  d'engraisser 
avec  l'âge)  ;  il  trouvera  là  d'utiles  conseils  d'hygiène  générale  qui  peuvent 
se  ramener  à  trois  :  réduction  des  aliments  féculents  et  sucrés,  gymnastique 
appropriée  à  chaque  tempérament,  vie  calme  et  régulière.  On  désirerait  une 
indication  plus  complète  sur  les  régimes  à  suivre  dans  les  différents  cas  et 
sur  les  méthodes  variées  de  réfection  musculaire  par  la  gymnastique  ;  mais 
l'auteur  s'est  peut-être  montré  plus  prudent  en  laissant  au  doigté  du 
médecin  l'application  des  traitements  spéciaux.  Un  défaut  moins  excusable 
dajis  un  livre  écrit  en  partie  pour  le  grand  public  —  c'est  l'abus  qu  il  tait  du 
jargon  médical.  M.  Francis  Heckel  fait  preuve  d'une  science  étendue,  d'une 
longue  expérience,  d'un  tact,  d'une  pénétration,  d'un  esprit  d'observation 
remarquables,  mais  que  je  plains  donc  ses  pauvres  lecteurs  obèses  s'ils  se 
voient  tomber  de  l'euphorie  dans  l'asthénie  et  la  tachyphagie,  de  la  tachy- 
phagie  dans  la  polysarcie,  de  la  polysarcie  dans  la  méïopragic,  de  la  méïo- 
pragie  dans  la  glycosurie,  la  lithiase,  les  djftcrasies,  de  celles-ci  dans  la 
narcolepsie,  et  de  la  narcolcpsie  dans  le  com4  et  la  mort.     M"10  G.  Rudliïk. 


116  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

LIVRES  ANNONCÉS  SOMMAIREMENT. 

LITTÉRATURE. 

Rabelais  pour  la  jeunesse.  Texte  adapté  par  M.  Butts,  illustrations  en  noir  et  en 
couleurs  de  F.  Fau.  —  Paris,  Larousse,  1910,  in-12;  3  vol.  :  Gargantua, 
I  vol.  ;  Pantagruel,  2  vol.  10  fr.  —  Il  y  a  dans  toute  littérature  des  œuvres 
admirables,  mais  inaccessibles  à  la  jeunesse.  Maints  professeurs,  maints  parents, 
après  en  avoir  pris  leur  part,  regrettent  de  ne  pouvoir  les  faire  connaître  à  leurs 
élèves  ou  à  leurs  enfants.  Les  morceaux  choisis  ne  sont  qu'un  pis-aller  :  forcé- 
ment limités,  ils  ne  donnent  d'un  livre  qu'une  idée  tronquée  ;  parfois  ils  ne 
donnent  même  pas  aux  jeunes  lecteurs  le  désir  ni  le  goût  de  recourir  à  l'œuvre 
complète.  Il  est  d'ailleurs  beaucoup  d' œuvres  qu'on  n'aimerait  pas  leur  laisser 
aborder  dans  l'ensemble.  —  Il  y  avait  une  solution  intermédiaire,  qui  était 
d'adapter  hardiment  un  texte  à  l'âge  des  lecteurs.  C'est  ce  qu'a  tenté  Melle  Butts 
pour  Rabelais,  et,  comme  la  fortune  est  aux  audacieux,  elle  a  réussi.  Dans  cette  forêt, 
elle  a  procédé  à  des  élaguages  nécessaires,  mais  qui  ne  donnent  nullement  aux  lec- 
teurs non  familiers  avec  le  vrai  texte  l'impression  qu'il  y  a  coupure.  Il  reste  une 
suite  de  fort  amusants  et  attachants  récits,  en  une  langue  assez  modernisée  pour 
être  comprise  sans  peine,  et  qui,  cependant,  acheminerait  doucement  les  jeunes 
gens  vers  la  lecture  des  anciens  textes.  L.  Sudre. 

E.  Baumann.  La  Fosse  aux  lions.  —  Paris,  Bernard  Grasset,  191 1,  in-18, 
3  fr.  50.  —  Œuvre  d'un  vigoureux  talent,  pénétré  de  pensée  catholique  et  tradi- 
tionaliste. Le  contraste  y  est  violent  entre  les  âmes  délaissées  et  celles  que  la 
grâce  assiste  ;  on  y  sent  une  odeur  de  Satan,  presque  aussi  forte  que  chez 
Huysmans,  et  quelquefois,  l'étude  d'un  double  cas  de  possession  diabolique  frise 
le  mélodrame.  Tandis  que  le  père,  artisan  de  catastrophes  et  de  crimes,  meurt 
dans  la  boue  du  péché,  le  fils  entreprend  joyeusement  et  poursuit  dans  la  dou- 
leur, une  vie  héroïque  et  rédemptrice.  Croyant,  il  fera  rayonner  sur  son  pays,  son 
fief,  sa  foi  patriarcale  ;  il  créera  un  foyer  de  reconstitution  nationale. 
M.  Baumann  rend  avec  puissance  et  suavité  les  élans  et  les  effusions  d'une 
nature  admirablement  saine  et  énergique.  La  conquête  de  l'épouse,  les  joies 
nuptiales,  l'allégresse  de  la  nature  familière  et  du  labeur  harmonieux,  la  noblesse 
souveraine  conférée  à  ceux  qui  détiennent  héréditairement  la  vocation  du  com- 
mandement, et  dont  le  destin  n'a  pas  trahi  la  vocation,  tout  cela  est  senti  par 
M.  Baumann  avec  profondeur.  Quelques-uns  lui  reprocheront  peut-être  des 
partis  pris,  mais  on  reconnaîtra  ses  beaux  dons  de  poète  et  d'artiste,  que  féconde 
une  foi  réfléchie.  J.  Merlant. 

H.  Lapaire.  Les  Demi-Paons.  —  Paris,  Eug.  Figuière,  191 1,  in-16,  3  fr.  50.  — 
Demi-paons,  ces  hobereaux  de  province,  qui  se  sont  octroyé  un  titre  de 
noblesse  en  ajoutant  à  leur  nom  celui  de  leurs  terres,  et  dont  la  vanité,  quand 
elle  veut  faire  la  roue,  ne  réussit  qu'à  déployer  un  éventail  en  plumes  de  geai. 
Tel  est  Paul  Herbin,  le  triste  héros  du  livre,  homme  sans  mœurs,  sans  dignité, 
d'un  caractère  mou,  lâche  et  vil.  Ruiné  par  des  folies  de  jeunesse,  il  rétablit  son 
patrimoine  en  épousant  une  innocente,  qui  lui  apporte  60.000  livres  de  rente  et 
un  cœur  affectueusement  soumis.  Il  la  rend  si  malheureuse  qu'elle  en  devient 
folle,  ce  qui  prouve  que,  chez  ces  demi-paons,  la  sottise  est  parfois  féroce.  Livre 
agréable,  d'une  élégance  aisée  et  un  peu  molle,  où  l'observation  a  plus  d'exac- 
titude que  de  vigueur.  M.  Morel. 

M.  Revon.  Anthologie  de  la  Littérature  japonaise,  des  origines  au  XXe  siècle.  — 
Paris,  Delagrave,  1910,  in-16,  5  fr.  50.  (Collection  Pallas).  —  L'anthologie  est 
un  genre  quelque  peu   artificiel  :  choisir  dans  la  production  littéraire  d'un  siècle 


Livres  annoncés  sommairement  ■  117 

les  morceaux  qui  semblent  le  plus  dignes  d'intérêt  est  une  entreprise  délicate,  et 
ce  serait  une  tâche  plus  qu'inutile  si  cette  sélection,  toujours  hasardeuse,  devait 
détourner  le  commun  des  lecteurs  de  la  connaissance  intégrale  des  chefs- 
d'œuvre  et  les  érudits  de  l'étude  minutieuse  des  auteurs  de  second  ordre.  Mais 
quand  il  s'agit  de  toute  une  littérature  et  d'une  littérature  exotique,  dont 
nous  n'avions  pu  nous  former  jusqu'ici  qu'une  idée  incertaine  à  travers  des 
critiques  contradictoires,  c'est  un  véritable  bienfait  que  de  nous  ouvrir  l'accès  ds 
quelques  textes.  Ce  qui  double  le  prix  du  service  que  nous  rend  M.  Revon,  c'est 
qu'il  a  osé  nous  donner  des  traductions  littérales  :  des  adaptations  auraient  été 
plus  élégantes,  plus  claires  même  ;  mais  c'était  l'étrangeté  de  cette  littérature 
qu'il  fallait  nous  faire  sentir,  et  M.  Revon  a  été  récompensé  d'en  avoir  respecté 
les  obscurités  même  ;  car,  en  les  expliquant,  il  a  été  conduit  à  écrire  une  sorte 
de  manuel  de  la  civilisation  japonaise,  très  vivant,  très  pittoresque  et  très  précis. 
Ce  modeste  recueil  prend  ainsi  l'importance  d'une  série  de  tableaux  de  la  société 
nipponne  à  travers  les  âges  :  la  succession  des  époques  y  apparaît  avec  une 
extrême  netteté,  et  la  réflexion  philosophique  y  trouve  ample  matière  à  s'exer- 
cer. G.  Weulersse. 

HISTOIRE. 

E.  Bertaux.  Études  d'histoire  et  d'art.  —  Paris,  Hachette,  1910,  in-12,  16  planches 
hors  texte,  3  fr.  50.  —  Ces  quatre  études  concernent  :  le  tombeau  d'une 
reine  de  France  (Isabelle  d'Aragon,  femme  de  Philippe  III)  en  Calabre  —  les 
saints  Louis  dans  l'art  italien  — Botticelli  costumier  —  lesBorgia  dans  le  royaume 
de  Valence.  Elles  n'ont  d'autre  lien  que  la  sûreté  de  la  méthode  et  l'ingéniosité 
de  la  présentation  et  touchent,  sous  des  prétextes  particuliers,  quelques  grandes 
questions  générales.  Lecture  agréable  et  profitable.  L.  Naby. 

J.  Churton  Collins.  Voltaire,  Montesquieu  et  Rousseau  en  Angleterre.  Traduit  par 
P.  Descille.  —  Paris,  Hachette,  191 1,  in-16,  3  fr.  50.  —  L'auteur,  professeur  de 
littérature  anglaise  à  l'Université  de  Birmingham,  après  avoir  remanié  des 
articles  qu'il  avait  publiés  dans  diverses  revues  anglaises,  en  a  formé  ce  volume  ; 
mais  il  n'a  pas  réussi  à  en  faire  un  livre.  Malgré  les  soins  qu'il  s'est  donnés  pour 
trouver  du  neuf,  il  n'a  obtenu  que  des  résultats  assez  minces  :  quelques  pages 
inédites,  qui  auraient  pu  le  rester  sans  dommage,  quelques  renseignements  nou- 
veaux ou  peu  connus,  mais  d'un  intérêt  purement  anecdotique.  D'ailleurs,  nul 
souci  de  l'exposition  :  des  notes  mises  bout  à  bout,  sans  ordonnance  générale, 
parfois  même  sans  ordre.  —  Il  est  fâcheux  que  le  traducteur,  en  étudiant 
l'anglais,  ait  désappris  notre  langue.  Les  fautes  de  français  fourmillent  ;  il  met  à 
mal  le  vocabulaire  et  la  syntaxe  (audacité,  p.  55,  cet  épigramme  obscur,  p.  81)  ; 
il  commet  des  impropriétés  cocasses  (le  Toleration  Act  occupe  une  place 
proéminente,  p.  m);  sans  répugnance,  il  écrit  des  phrases  iroquoises  (il  n'y  a 
rien,  quelque  bas  que  ce  soit,  à  quoi  il  ne  s'arrêtera  pas,  p.  41).  Au  moins  eût-il 
pu  corriger  ses  épreuves  avec  soin  ;  il  ne  s'est  pas  donné  cette  peine.  Les 
«  coquilles  »  abondent  (Madame  de  Feniole  pour  de  Ferriol,  Abanzit  p.  Abauzit, 
Madame  de  Vadelin  p.  de  Verdelin,  la  biographie  de  M.  G.  Bengesco  p.  la 
bibliographie,  etc.,  etc.).  M.  P. 

Les  richesses  d'art  de  la  ville  de  Paris  :  A.  Boinet.  Les  édifices  religieux.  Moyen-âge. 
Renaissance.  —  J.  Bayet.  Les  édifices  religieux,  xvue,  XVIIIe  et  xixe  siècles.  — 
Paris,  1910,  in-8,  2  vol.  à  8  fr..  —  Ce  sont  deux  ouvrages  de  vulgarisation, 
écrits  sérieusement  et  accompagnés  de  bonnes  bibliographies.  M.  Boinet  a 
raconté  avec  détails  l'histoire  de  chaque  édifice  ;  il  insiste  sur  les  particularités 
d'architecture,  mais  il  semble  éviter  les  vues  et  les  indications  générales  et  sup- 
pose ses  lecteurs  instruits  par  d'autres  des  caractères  essentiels  des  styles,  de  leur 
évolution,  de  leurs  formes  spéciales  dans  la  région  parisienne.  On  s'étonne  sur- 


118  ■.  ■■■■-■     ■  ■  .  ...:.  .  .    :        ,      -.-  ■  =====  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

tout  qu'il  ait  passé  totalement  sous  silence  ou  mentionné  de  la  façon  la  plus 
sèche  les  œuvres  d'art  que  le  xix°  siècle  a  accumulées  dans  les  églises.  Il  parle 
de  Saint-Merry  sans  citer  la  chapelle  de  Chassériau,  de  Saint-Germain-l'Auxer- 
rois  sans  nommer  Amaury  Duval  ni  Maréchal  de  Metz  ;  il  ne  signale  pas,  à 
Sâint-Gervais,  le  Christ  de  Préault.  Son  livre  ne  saurait  dispenser  de  recourir  au 
Joanne  ou  au  Baedeker.  M.  J.  Bayet  a  adopté  un  plan  beaucoup  plus  compréhen- 
sif,  présenté  des  vues  d'ensemble,  souligné  les  traits  d'évolution,  expliqué  l'intérêt 
des  styles  aujourd'hui  dédaignés  ;  il  a  accordé  aux  oeuvres  de  peinture  et  de 
sculpture  l'intérêt  qui  convient.  Il  aurait  pu  en  dater  un  plus  grand  nombre 
et  les  caractériser  avec  plus  de  vigueur.  Les  bas-reliefs  de  Triquetti  à  la  Made- 
leine sont  sculptés  d'une  façon  très  hardie,  mais  non  pas  «  avec  beaucoup  de 
finesse,  »  L.  Rosenthal. 

M.  Sokolnicki.  Les  Origines  de  l'émigration  polonaise  en  France  (1831-1832).  — 
Paris,  Alcan,  1910,  in-8,  sans  indication  de  prix.  —  Le  volume  de  M.  Sokol- 
nicki est  le  premier  d'une  série  annoncée  qui  doit  nous  fournir  l'histoire  de 
l'émigration  polonaise  et  de  la  continuation  de  la  Pologne  transformée  dans  un 
milieu  étranger.  Nous  avons  ici  le  début  de  l'étude  promise,  c'est-à-dire  le  récit 
de  l'émigration  depuis  la  chute  de  Varsovie  (sept.  183 1)  jusqu'aux  débuts  de  la 
Société  démocratique  polonaise  en  mars  1832.  Ce  travail,  qui  est  appuyé  sur  le 
dépouillement  de  diverses  archives,  est  intéressant.  Pourtant,  l'idée  ne  s'y  dégage 
pas  toujours  avec  netteté.  Ce  sont,  d'une  part,  de  menus  faits  qui  se  suivent  et, 
d'autre  part,  des  considérations  générales  qui  commentent  ces  faits.  La  situa- 
tion poignante  de  l'armée  consignée  près  de  la  frontière  russe  sous  prétexte 
de  choléra,  et  tiraillée  entre  l'espoir  de  la  liberté  avec  l'exil  et  le  désir  de 
retrouver  ses  foyers,  toute  cette  préface  angoissante  de  l'émigration,  est  restée 
dans  les  demi-tons.  Il  en  est  ainsi  du  reste.  Mais,  cette  critique  mise  à  part,  il 
faut  souligner  la  conscience  et  la  documentation  de  ce  travail.         J.  Legras. 

P.  Vulliatjd.  La  Crise  organique  de  l'Eglise  en  France.  —  Paris,  Bernard  Gras- 
set, 1910,  1  vol.  in-16,  2  fr.  —  Un  catholique,  laïque  et  sans  doute  fort  jeune, 
recherche  les  causes  de  la  «  crise  du  catholicisme  »  en  France.  Il  en  découvre 
deux,  et  propose  deux  remèdes  :  i°  L'Église  n'a  pas  de  véritable  enseignement 
supérieur.  Au  lieu  de  cultiver,  dans  les  instituts  catholiques,  les  sciences  de  la 
nature  et  les  sciences  historiques,  on  aurait  dû  s'adonner  à  la  vraie  «  science 
sacrée  »,  qui  est  la  théologie  spéculative,  à  la  «  philosophie  de  la  révélation». 
Aucun  art  n'est  plus  sublime.  »  Dans  les  séminaires  qu'on  lise  la  Somme,  et 
saint  Bonaventure,  et  Duns  Scot,  «  penseur  exigé  par  le  siècle  »,  et  même  Ros- 
mini  ;  mais  qu'on  n'étudie  ces  maîtres  que  pour  les  dépasser.  «  Notre  philosophie 
catholique  se  meurt  de  l'abus  de  l'autorité.  »  Elle  a  besoin  de  liberté.  «  Nous 
voulons  évidemment  dire  la  liberté  dans  le  vrai.  »  —  2°  (Ceci  est  plus  sérieux). 
L'Eglise  devrait  étudier  le  droit  canon,  et  surtout  remettre  en  vigueur,  à  l'égard 
des  curés,  la  législation  canonique,  trop  oubliée  depuis  le  Concordat.  Qu'on 
mette  fin  à  l'omnipotence  de  l'évêque  dans  son  diocèse,  et  qu'on  accorde  aux 
prêtres  :  l'inamovibilité  des  curés  ;  —  la  nomination  aux  cures  par  le  concours  ;  — 
le  rétablissement  des  tribunaux  et  de  la  procédure  canoniques.  Il  y  a  dans  cette 
seconde  partie  deux  ou  trois  faits  et  quelques  citations  de  canonistes  modernes 
qui  ont  leur  intérêt.  La  première  est  un  paradoxe  où  l'auteur  cherche  surtout  à 
faire  valoir  ses  connaissances  en  philosophie  scolastique.  —  En  fait  de  crise,  si  on 
lisait  beaucoup  de  livres  écrits  comme  celui-ci,  on  finirait  par  croire  à  la  crise  du 
français.  P.  14  :  «  Notre  intention  s'est  refusée  à  l'écriture  d'une  apologie  ou 
d'un  pamphlet,  —  il  y  en  a  tant  !  —  d'une  critique  capable  de  nous  apporter 
quelque  mésestime  ».  —  P.  37  :  «  Cette  critique  est  revêtue  de  banalité  ».  Etc. 
Voilà  qui  est  revêtu  de  barbarie.  E.-Ch.  Babut. 


Livres  annoncés  sommairement  =====================================  1 1 9 

SOCIOLOGIE. 

Mrae  Kergomard  et  Mlle  Brès.  L'Enfant  de  2  à  6  ans.  —  Paris,  Nathan,  1910,  in-12, 
2  fr.  75.  —  Ce  livre  complète  la  série  d'ouvrages,  de  conférences,  d'articles  faits 
ces  deux  dernières  années  en  faveur  d'une  éducation  plus  vivante,  plus  réaliste, 
mieux  adaptée  à  la  nature  de  l'enfant.  Mmes  Kergomard  et  Brès  inspectent 
depuis  plus  de  30  ans  les  écoles  maternelles  de  France  ;  elles  ont  étudié  à 
l'étrange:  les  diverses  méthodes  d'éducation;  elles  connaissent  les  enfants  de 
toutes  les  régions,  les  besoins,  les 'goûts  et  le  caractère  des  tout  petits.  Le  livre 
lui-même  est  le  résultat  d'une  vaste  collaboration,  car  les  auteurs  ont  «  pillé  lar- 
gement »  toutes  les  éducatrices  qui  avaient  donné,  dans  diverses  revues,  des  idées 
nouvelles  et  ingénieuses.  Mraes  Kergomard  et  Brès  n'ont  donc  négligé,  dans  ce 
volume  de  250  pages,  aucune  matière  intéressant  la  culture  de  l'enfant  :  coopé- 
ration de  la  famille  et  de  l'école,  soins  d'entretien,  alimentation,  vêtements, 
propreté,  prophylaxie,  développement  moral  et  intellectuel  ;  elles  donnent,  sur 
les  jeux  enfantins  avec  ou  sans  jouets,  jeux  de  plein  air  ou  jeux  d'intérieur, 
chant,  dessin,  lecture,  écriture,  calcul,  des  indications  familières  déjà  aux  institu- 
trices, mais  dont  toutes  les  mères  pourront  tirer  parti.  Mm*  G.  Rudler. 

E.  La  visse.  Nouveaux  Discours  à  des  Enfants.  —  Paris,  A.  Colin,  1910,  1  fr.  —  Chaque 
année  M.  Lavisse,  à  la  distribution  des  prix  de  l'école  du  Nouvion-en-Thiérache, 
son  village  natal,  prononce  un  petit  discours,  qui  fait  le  tour  de  la  presse.  On  le 
cite,  on  le  loue  à  l'envi.  Mais  il  mérite  de  survivre  à  cette  célébrité  d'un  jour. 
Après  un  premier  recueil  de  ces  allocutions  (1903-1906),  en  voici  un  autre 
(1907-1910).  Comme  le  Bouchor  des  saynètes  populaires,  M.  Lavisse  y  incline, 
efficacement  sans  doute,  vers  un  auditoire  d'enfants,  des  pensées,  un  langage  — 
et  j'oserai  dire  :  une  rhétorique  —  de  haute  qualité,  et  qui  n'y  perdent  rien,  au 
contraire.  Aussi  tout  le  monde  trouvera-t-il  charme  et  profit  à  l'entendre  tirer, 
en  tableaux  familiers,  en  formules  et  images  frappantes,  la  leçon  de  son  retour 
annuel  au  pays  —  à  ce  Nouvion  transformé  par  un  indiscutable  progrès,  où 
l'école  ne  ressemble  plus  à  celle  du  magister  de  son  enfance,  où  les  vieux 
ouvriers  ne  mendient  plus  aux  portes,  où  le  «  marchand  d'hommes  »  n'exerce 
plus  son  industrie.  Dans  ce  Nouvion  pourtant,  couvent  encore  des  haines  poli- 
tiques et  religieuses  :  l'orateur  en  prend  texte  pour  enseigner  la  tolérance  de 
simple  et  forte  manière.  Et  certes,  il  faut  être  de  mauvaise  foi  pour  nier,  en 
l'écoutant,  qu'il  puisse  y  avoir  une  morale  laïque,  celle  du  futur  citoyen  d'une 
patrie  moderne.  Et  ceux  qui  ont  à  faire  vivre  cette  morale,  dans  leurs  enfants  ou 
leurs  élèves,  peuvent  apprendre  ici  leur  métier.  Signalons  le  plus  important  de 
ces  quatre  morceaux  :  la  Conquête  des  Ailes  (1909),  brillante  philosophie  de  la 
grande  invention  de  notre  âge  et  de  ses  conséquences.  L'esprit  de  tous  ces  pro- 
pos est  un  optimisme  robuste,  mais  à  base  de  réalité  et  de  pessimisme  salubre. 
«  Les  aéronefs  seront  d'abord  des  machines  de  guerre.  —  Vous  n'êtes  pas  de 
bonnes  âmes,  mes  chers  petits.  —  L'école  est  encore  lort  au-dessous  de  sa  tâche. 
—  La  science  se  trompe  parfois  dans  ses  recherches.  »  C'est  de  telles  constata- 
tions que  part  M.  Lavisse  pour  former  en  ses  jeunes  camarades  un  esprit  d'où 
peut  sortir,  d'où  sortira  une  ère  de  liberté,  de  justice  et  de  paix.  J.  Bury. 

GÉOGRAPHIE  ET  VOYAGES. 

G.  de  Beauregard,  L.  et  C.  DE  Fouchikr.  L'Italie  méridionale.  —  Paris, 
Hachette,  191 1,  in-12,  4  fr.  —  Récits  de  voyage  sans  prétention,  écrits  avec 
entrain  et  convenablement  illustrés,  dans  les  parties  les  plus  connues  et  les  plus 
sauvages  de  l'Italie  méridionale  :  Campanie  et  Calabre.  Le  chapitre  fin^l,  sur 
la   Sila,  de  Cosenza  à  Cotrone,  est  un  des  plus  intéressants.  P.  D. 

H.  Asselin.  Paysages  d'Asie.  —  Paris,  Hachette,  1911,  in-12,  3  fr.  50.  —  L'auteur, 
qui  est  «  quelque  peu  dans  les  consulats  »  (p.  99),  a  été  envoyé  à  Tchentou,  en 


120  ============  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

Chine.  Il  s'y  est  rendu  par  Moscou,  Vladivostock,  Nagasaki,  Shangaï  et  la  vallée 
du  Yang-Tsé.  Ce  voyage,  qui  n'a  rien  d'extraordinaire,  est  ici  assez  agréablement 
raconté  ;  mais  les  illustrations  photographiques,  qui  sont  d'habitude  l'excuse 
des  opuscules  de  ce  genre,  font  défaut.  P.  D. 

L.  Albertini.  L'Argentine,  sans  blujf  ni  chantage,  tome  Ier.  —  Paris,  au  bureau 
des  Annales  Franco-Américaines,  in-16,  3  fr.  50.  —  Nous  sommes  inondés  de 
travaux  sur  l'Argentine.  Il  ne  faudrait  pas  s'en  plaindre,  s'ils  étaient  bons,  car  le 
pays  vaut  la  peine  d'être  connu  ;  malheureusement,  ce  n'est  pas  souvent  le  cas. 
Celui-ci  qui  se  présente  sous  ce  titre  plein  de  franchise  a  au  moins  le  mérite  de 
tenir  ce  qu'il  annonce  :  on  essaie  d'y  être  impartial  et  de  présenter  la  situation 
de  l'Argentine  sans  entonner  les  louanges  excessives  qu'elle  provoque  d'ordinaire. 
Mais  qu'on  y  apprend  peu  de  chose  !  Comme  la  plupart  de  ses  pareils,  ce  livre 
n'est  qu'une  suite  d'impressions  de  voyage  ou  de  séjour,  parfois  amusantes,  mais 
allant  rarement  au  fond  des  choses.  Il  faut  faire  exception  pour  les  chapitres 
concernant  les  produits  du  sous-sol  et  du  sol,  nourris  d'informations  exactes, 
mais  où  les  idées  intéressantes  ne  sont  pour  la  plupart  qu'ébauchées.  En 
revanche,  il  faut  signaler  le  désordre  du  livre,  où  les  embellissements  de 
Buenos-Aires  précèdent  l'étude  des  moyens  de  transport  ;  les  chapitres  se 
suivent  en  quelque  sorte  au  hasard.  Le  style  est  extraordinairement  négligé  ; 
l'auteur  paraît  se  vanter  d'avoir  écrit  entièrement  ce  volume  en  30  jours  :  cela  se 
voit  trop.  «  J'ai  lu  et  observé  énormément  »,  dit  M.  Albertini.  Convenons  que 
les  intentions  valent  mieux  que  l'exécution.  R.  Blanchard. 

PHILOSOPHIE  ET  SCIENCES. 

J.  M.  Baldwin.  Le  Daruùnisme  dans  les  sciences  morales,  traduction  de  la  2e  édi- 
tion anglaise  par  G.-L.  Duprat.  —  Paris,  Alcan,  191 1,  in-16,  2  fr.  50.  —  Exposé 
sommaire  de  l'influence  de  Darwin  sur  les  sciences  psychologiques  et  morales 
que  Baldwin  résume  ainsi  :  «  La  loi  de  sélection  naturelle  est  en  principe  la  règle 
universelle  de  l'organisation  progressive  dans  la  nature  humaine  aussi  bien  que  phy- 
sique. »  Six  chapitres  intitulés  :  le  Darwinisme  et  la  Psychologie  ;  le  Darwinisme 
et  les  Sciences  sociales  ;  le  Darwinisme  et  l'Éthique  ;  le  Darwinisme  et  la  Logique; 
le  Darwinisme  et  la  Philosophie  ;  Darwinisme  et  Religion,  complétés  par  deux 
appendices  dont  un  est  consacré  à  l'étude  de  la  puissance  du  jugement  chez 
Darwin.  A  noter  la  part  faite  à  M.  A.  R.  Wallace  dans  le  succès  de  la  doctrine 
darwinienne.  L.  Blaringhem. 

G.  E.  Petit  et  L.  Bouthillon.  T.  S.  F.  La  Télégraphie  sans  fil.  La  Téléphonie  sans 
fil.  Applications  diverses.  —  Paris,  Ch.  Delagrave,  1910,  in-8,  5  fr.  —  Les 
principes  généraux  sont  exposés  avec  clarté  et  concision  en  utilisant,  comme  il 
convient,  les  comparaisons  mécaniques.  Les  problèmes  pratiques  sont  étudiés  en 
détail.  Beaucoup  de  schémas  et  d'intéressantes  reproductions  de  photographies, 
relatifs  notamment  à  la  constitution  des  postes  les  plus  puissants  de  radiotélé- 
graphie. G.  Sagnac. 

J.  des  Airelles.  Les  ruses  du  gibier .  —  Paris,  Nourry,  191 1,  in-16,  3  fr.  50.  —  L'au- 
teur, constatant  après  bien  d'autres,  qu'on  est  las  parfois  de  regarder  et  d'analyser 
le  visage  des  hommes,  a  cherché  un  instant  à  s'évader  de  la  société  humaine  en 
nous  retraçant  la  vie  des  bêtes  qu'il  a  poursuivies  dans  les  champs  et  les  bois  et 
dont  il  connaît  très  bien  les  mœurs,  les  instincts  et  les  ruses.  Comment  les 
animaux  traqués  cachent  leurs  gîtes,  se  servent  de  leurs  sens,  placent  des  sen- 
tinelles, s'immobilisent,  simulent  la  mort,  utilisent  les  chemins,  l'eau,  la  forme 
du  terrain,  les  arbres,  donnent  le  change,  tels  sont  les  principaux  sujets  passés  en 
revue  dans  ce  livre  très  vivant,  plein  d'observations  intéressantes  faites  soit  par 
l'auteur  lui-même,  soi-t  par  les  chasseurs  et  les  philosophes  qui  ont  écrit  sur  la 
vie  des  bêtes.  Ed.  Griffon. 

Imp.  F.  Paillart,  Abbeville.  Le  Gérant  :  Éd.  Cornélt. 


REVUE     CRITIQUE 

des 

Livres    Nouveaux 


VI"  Année,   n*  7.  (deuxième  série)  )5  Juillet   1911 


HISTOIRE  DE  LA  LANGUE  FRANÇAISE  AU  XVII'  SIÈCLE. 

F.  Brunot.  —  Histoire  de  la  langue  française,  des  origines  à  1900. 
Tome  III  :  La  formation  de  la  langue  classique  (1600-1660),  en  deux 
volumes.  —  Paris,  A.  Colin,  1910,  in-8,  450  et  336  p.,  12  fr.  50  et 
8fr.  50. 

J'ai  déjà  rendu  compte  dans  le  Bulletin  des  Bibliothèques  populaires  (jan- 
vier 1908,  p.  6)  des  deux  premiers  volume  de  cette  œuvre  imposante.  Dans 
le  troisième,  M.  Brunot  reprend  l'histoire  de  la  langue  au  xvue  siècle. 

Les  grammairiens  du  xvie  siècle  avaient  pressenti  une  discipline  ;  des 
écrivains  comme  Desporîes  et  Bertaut  semblent  en  avoir  reconnu  eux-mêmes 
la  nécessité  en  renonçant  aux  audaces  voulues  et  aux  hardiesses  systéma- 
tiques des  Ronsard  et  des  d'Aubigné.  Mais  elle  fut  l'œuvre  propre  du  xvne 
siècle.  M.  Brunot  peut  reprendre  les  idées  qu'il  avait  exposées,  tout  jeune, 
dans  sa  thèse  de  doctorat  «  La  Doctrine  de  Malherbe  d'après  son  commen- 
taire sur  Desportes  ».  Il  montre  l'œuvre  de  ce  réformateur  dans  le  nettoie- 
ment du  vocabulaire  et  la  réglementation  de  la  langue,  le  peu  de  succès  des 
protestations  de  Régnier,  de  Théophile,  de  Hardy  et  de  Mademoiselle  de 
Gournay,  qui  elle-même  faiblit  dans  la  lutte  et  semble,  devenue  vieille, 
avoir  conscience  de  la  vanité  de  ses  efforts.  Non  seulement  on  rajeunit  les 
anciens  textes,  mais  les  auteurs  se  corrigent  eux-mêmes  ;  ils  se  disent  désor- 
mais puristes.  «  On  se  passionne  pour  les  mots  ou.  les  tours  de  phrase, 
comme  à  d'autres  époques  pour  les  idées  philosophiques  ou  les  doctrines 
littéraires.  Tout  un  travail  grammatical  s'accomplit  dans  le  monde,  auquel 
la  cour  et  la  ville,  les  hommes  et  les  femmes,  les  écrivains  et  les  gentil- 
hommes,  Richelieu  et  Faret  collaborent...  On  ne  saurait  trop  marquer 
l'importance  de  cette  collaboration  des  grammairiens  et  des  gens  du  monde. 
Elle  est  si  grande  qu'il  est  tout  à  fait  impossible  de  séparer  ce  qu'ont  fourni 
d'une  part  la  masse  anonyme  des  gens  de  cour,  de  l'autre  les  écrivains  et  les 
théoriciens  proprement  dits,  à  la  langue  nouvelle  qu'ils  élaboraient.  » 

Quelle  devait  être  cette  langue  ?  Comment  devait-on  désormais  parler  et 
écrire  ?Non  plus  comme  les  pédants,  devenus  de  plus  en  plus  un  objet  de  ridi- 
cule ;  non  plus  comme  au  Palais,  dont  le  parler  s'était  figé  dans  des  formules 
vieillottes  ;  non  plus  même  comme  à  la  ville.  Car,  ainsi  que  le  fait  observer 
M.  Brunot,  «  le  caractère  même  de  la  société  et  de  la  littérature  du  temps 
ne  permettait  pas  seulement  d'y  penser.  Le  bon  langage  ne  pouvait  être  que 
celui  d'une  aristocratie,  quelle  qu'elle  fût.  »  Qui  pouvait  être  cette  aristo- 
cratie, sinon  la  Cour  ? 


122  ■  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

C'est  l'Académie  Française  qui  devait  consacrer  officiellement  cette 
langue  de  la  Cour  et  faire  triompher  les  idées  de  Malherbe.  Mais,  détail 
piquant  que  M.  Brunot  a  mis  le  premier  en  lumière,  c'est  par  révolte  contre 
une  réglementation  excessive  qu'on  a  réclamé  l'institution  de  ce  corps,  et  il 
cite  un  texte  qui  en  appelle,  dès  1625,  aux  États-Généraux  pour  régler  le 
langage  et  tempérer  l'arrogante  tyrannie  de  ces  esprits  amoureux  de  la 
nouveauté.  Ceci  rectifie  une  erreur  de  Pellisson  qui  donne  la  date  de  1629 
comme  celle  où  apparaît  la  nécessité  d'une  Académie  officielle. 

Mais  plus  féconde  que  l'œuvre  de  l'Académie  fut  celle  de  Vaugelas. 
Malgré  la  médiocrité  de  son  plan  et  les  graves  imperfections  de  sa  méthode, 
si  précisément  relevées  par  M.  Brunot,  et  malgré  l'opposition  énergique 
et  souvent  très  intelligente  et  sagace  de  La  Mothe  le  Vayer,  et  celle  de  Scipion 
Dupleix,  il  distingua  définitivement  le  bon  du  mauvais  usage,  fixa  pour  un 
temps  la  doctrine  grammaticale  et.  fournit  la  règle  à  tout  écrivain  qui  se  res- 
pectait. La  soumission  entière  de  tous  à  ses  Remarques  nous  fait  comprendre 
pourquoi  M.  Brunot  n'a  pas  exposé  en  un  seul  volume  l'histoire  de  la  langue 
au  xvne  siècle,  et  a  cru  nécessaire  d'en  présenter  une  première  période  jus- 
qu'en 1660  :  «  Les  écrivains  de  la  première  période  du  xvne  siècle  ont  alors 
à  peu  près  terminé  leur  œuvre.  Ceux  de  la  seconde  moitié  commencent  seu- 
lement la  leur.  Vaugelas  est  mort  et  consacré,  ses  remarques  sont  entrées  dans 
les  livres  et  dans  l'usage.  Corneille  se  révise  pour  se  mettre  au  goût  du  jour. 
Il  y  a  désormais  une  langue  littéraire,  que  d'autres  essaieront  de  corriger  ou 
de  «  fixer  »,  mais  dont  la  physionomie  ne  changera  plus  de  longtemps.  » 

Après  deux  courts  et  suggestifs  chapitres,  l'un  sur  la  préciosité  qu'il  fait 
remonter  à  la  fin  du  xvie  siècle,  bien  avant  l'application  du  mot  à  la  chose, 
l'autre  sur  le  burlesque  dont  il  détaille  les  procédés  et  les  caractères  artificiels, 
M.  Brunot  arrive  à  l'étude  du  matériel  de  cette  nouvelle  langue  littéraire. 
Cette  étude  est  divisée  en  deux  parties  aussi  neuves  l'une  que  l'autre  :  le 
lexique  et  la  grammaire.  On  trouvera  dans  la  première  l'histoire  de  la 
lexicologie  du  temps  ;  celle  du  bannissement  des  mots  vieux,  des  mots  déshon- 
nêtes,  des  mots  bas,  des  mots  dialectaux,  des  mots  de  métier,  et  des  listes 
précieuses  de  ces  différentes  catégories  ;  puis  un  riche  catalogue  de  mots 
nouveaux,  créés  malgré  l'omnipotence  des  grammairiens  puristes,  et  enfin 
un  exposé  sur  le  travail  sémantique  et  les  expressions  figurées,  qui  deviendra 
certainement  le  point  de  départ  d'une  foule  de  mémoires  particuliers.  La 
deuxième  partie  est  la  grammaire  complète  du  xvne  siècle.  Jusqu'alors  on  ne 
possédait  guère,  en  fait  de  manuel  général  de  nos  auteurs  classiques,  que  la 
Syntaxe  du  xvne  siècle  de  Haase,  ouvrage  estimable,  mais  incomplet  et  parfois 
défectueux.  L'exposé  de  M.  Brunot,  outre  qu'il  comprend  l'analyse  détaillée 
des  tormes,  enferme  une  étude  pénétrante  de  tous  les  faits  syntaxiques  :  en 
particulier,  celle  de  la  structure  de  la  phrase  est  de  tout  premier  ordre. 

J'ai  essayé  d'indiquer  ce  qui  dans  l'œuvre  de  M.  Brunot  est  absolument 
hors  ligne.  Je  ne  voudrais  pas  que  ces  comptes  rendus,  forcément  fragmen- 
taires, fissent  illusion  sur  l'admiration  que  m'inspire  l'ouvrage  entier, 
admiration  que  partageront  tous  ceux  qui  le  liront  ou  auront  à  le  con- 
sulter. Ils  ne  sauront  en  vérité  ce  qu'il  faut  admirer  le  plus,  de  la  colos- 
sale faculté  de  travail  de  l'auteur  ou  de  sa  belle,  saine  et  utile  érudition. 
Mais  tous  resteront  d'accord  que  ce  monument  manquait  à  l'étude,  à  l'hon- 
neur de  notre  langue,  et  qu'il  est  d'un  bon  et  savant  Français  de  l'avoir 
élevé.  L.  Sudre. 


Littérature  =============================^^  123 

COMPTES  RENDUS 


Ch.  Péguy.  —  Œuvres  choisies,  1900-19 10.  —Paris,  B.  Grasset, 
in-12,  414  p.,  3  fr.  50. 

Ce  volume  de  morceaux  choisis  a  été  compose  pour  révéler  au  grand 
public  un  écrivain  connu  seulement,  jusqu'à  présent,  de  quelques  fidèles. 
C'est,  en  quelque  sorte,  un  prospectus. 

Il  y  a,  en  frontispice,  un  portrait  de  l'auteur  par  Pierre  Laurens.  Je  ne 
sais  s'il  est  ressemblant.  Mais  il  se  dégage  du  recueil,  formé  par  l'intéressé 
lui-même,  une  physionomie  assez  précise.  La  voici,  telle  qu'elle  apparaît  à 
un  simple  lecteur  comme  moi,  qui  n'a  par  ailleurs  aucun  moyen,  et  ne  se 
soucie  pas  autrement,  de  vérifier  si  elle  est  exacte. 

L'auteur  qui  se  présente  ici  au  public  est  un  homme  du  peuple,  avec  de 
la  sève,  une  sorte  de  ferveur  violente  dans  l'habitude  de  sa  pensée,  une 
certaine  verdeur  d'expression,  assez  d'humour,  peu  de  goût,  pas  du  tout  d'es- 
prit (çà  et  là,  des  plaisanteries  d'une  incroyable  lourdeur).  Rien  de  vulgaire  ; 
mais  quelque  chose  de  très  âpre  (1)  et,  en  même  temps,  de  geignard;  et 
aussi,  à  l'occasion,  de  roublard.  Bref,  un  type  dans  le  genre  de  Michelet, 
proportions  gardées. 

Ajoutons  :  un  orgueil  frémissant  et  sans  bornes,  qui  ne  paraît  pas 
toujours  pur  de  tout  alliage  d'envie —  ce  qui  est  très  «  peuple  »  aussi.  Cet 
orgueil  s'affirme  de  la  façon  la  plus  naïve.  Les  Œuvres  choisies  de  Péguy 
commencent  par  des  «  portraits  d'hommes  »  ;  et  ces  hommes  sont  :  Zola, 
Jaurès,  Clemenceau,  Renan,  Bernard-Lazare,  Péguy.  Elles  donnent  forte- 
ment l'impression,  d'un  bout  à  l'autre,  que,  pour  Péguy,  ce  que  dit  Péguv 
n'est  pas  rien. 

Il  s'exprime  d'une  étrange  manière,  qui  dénonce  tout  de  suite  en  lui 
l'écrivain  que  la  longanimité  bienveillante  d'un  public  restreint,  spéciale- 
ment recruté  et  choisi,  a  gâté  (au  sens  où  l'on  emploie  ce  mot  en  parlant 
des  enfants).  Il  semble  qu'il  avait,  dès  l'origine,  des  tendances  à  surveiller  : 
de  la  propension  aux  exposés  discursifs,  sans  queue  ni  tête  ;  je  ne  sais  quelles 
entraves  dans  le  mécanisme  de  la  pensée  ;  du  goût  pour  l'allitération  et  la 
litanie,  avec  des  symptômes  d'écholalie,  et  pour  des  puérilités  typogra- 
phiques bien  connues  des  psychiatres.  Ces  infirmités  sont  de  celles  qui 
peuvent  s'atténuer  quand  on  les  reconnaît  pour  ce  qu'elles  sont  et  qu'on 
s'impose  à  cet  effet  une  discipline  exacte.  Mais  il  a  été  permis  à  l'éditeur 
des  Cahiers  de  la  Quinzaine,  par  l'indulgence  d'un  petit  cercle  admiratif, 
intimidé  ou  apitoyé,  de  se  laisser  aller  sans  contrôle,  et  même  de  prendre 
ses  défauts  pour  des  qualités  et  ses  manies  pour  des  dons.  Il  les  a,  en 
conséquence,  cultivés  comme  son  originalité  propre.  Le  résultat  ne  se  voit 
nulle  part  plus  au  clair  que  dans  l'extravagante  «  Épître  votive  »  à  Ernest 
Psichari  (n.  35).  Cependant  «  il  faut  essayer  »,  comme  dit  plus  loin  l'auteur 
(p.  297),  «  de  nous  remettre  un  peu  à  parler  français.  »  C'est  aussi  mon  avis. 
Disons  donc  nettement,  en  français,  que  cette  Epître  et  plusieurs  des  mor- 
ceaux qui  la  précèdent  et  qui  la  suivent  sont  du  bafouillage  tout  pur. 


(1)  Dont  il  a  conscience  :  «  Cette...  âpreté  paysanne...  »  (p.  59). 


124  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

Passons  sur  la  forme.  Car  l'auteur  se  considère  surtout,  sans  doute, 
comme  un  philosophe,  un  moraliste  et  un  penseur.  Il  a  été  jadis  dreyfusiste 
avec  une  ardeur  profonde,  ainsi,  du  reste,  que  beaucoup  de  ses  contem- 
porains, jeunes  ou  vieux,  qui,  quoiqu'ils  aient  aussi  plus  ou  moins  souffert 
pour  cette  cause  (quelques-uns  au  point  d'en  mourir),  n'en  ont  pas  fait, 
depuis,  tant  d'embarras.  Il  a  été  dreyfusiste  ;  mais  il  ne  saurait  se  consoler 
que  l'affaire  Dreyfus  n'ait  pas  amené  le  règne  de  la  Propreté  sur  la  terre,  et, 
subsidiairement,  la  glorification  personnelle  de  ses  meilleurs  combattants. 
Quoi,  nous  avons  été  soulevés  par  une  telle  vague  d'enthousiasme,  nous 
avons  été  si  «  grands  »,  nous  valions,  «  je  le  dis  comme  c'est,  les  hommes  de 
la  Révolution  et  de  l'Empire  »  (i),  nous  valions  des  «  hommes  qui  ont  eu 
les  plus  hautes  fortunes  »  (p.  205)  ;  et  voilà  ce  qui  s'en  est  suivi  :  l'igno- 
minie des  jours  présents  et  l'obscurité  pour  le  juste.  L'auteur  est,  à  l'égard  du 
Dreyfusisme  triomphant,  dans  l'état  d'esprit  d'un  chrétien  des  âges  aposto- 
liques qui  aurait  vu  s'accomplir  en  quelques  années,  sans  s'y  associer, 
l'évolution  que  l'Église  a  parcourue  en  plusieurs  siècles  :  de  la  lutte  pour 
l'Idéal  à  l'adaptation  aux  iniquités  de  ce  monde  et  au  dédain  de  l'idéalisme 
obstiné.  —  Voilà,  si  je  ne  me  trompe,  le  fond  de  la  philosophie  de 
M.  Péguy.  Car  il  parle  souvent  de  «  travailler  »  à  autre  chose  ;  mais  il  en 
revient  toujours  là. 

Un  chrétien  des  premiers  âges,  qui  aurait  vu  Constantin  et  la  suite,  se 
serait  sans  doute  réfugié  dans  une  métaphysique  hautaine,  la  défense  des 
classiques  grecs  et  le  culte  des  anciens  héros.  Il  est  donc  naturel  qu'un  drey- 
fusiste intransigeant,  amer  et  désappointé,  se  retire  de  même  dans  les  icmpla 
screna  d'un  bergsonisme  inaccessible  au  commun  des  «  démocrates  »,  rompe 
des  lances  en  l'honneur  des  humanités  traditionnelles  contre  les  barbares  du 
jour,  et  célèbre  Jeanne  d'Arc  sous  l'œil  bienveillant  de  M.  Maurice  Barrés. 
D'autant  plus  que,  en  agissant  de  la  sorte,  on  est  sûr  de  ne  pas  rester  isolé  : 
on  a  pour  soi,  d'avance,  l'applaudissement,  l'appui  moral  et,  au  besoin, 
«  temporel  »,  du  parti,  toujours  considérable,  qui  est  irréductiblement 
opposé,  pour  les  mêmes  raisons  que  soi,  et  pour  d'autres,  à  celui  qui 
parait  au  pinacle.  —  Voilà,  il  me  semble,  comment  il  se  fait  que  M.  Péguy, 
qui  est,  au  fond,  si  primaire  (par  sa  préoccupation  persistante  des  choses 
d'école,  saroideur,et  sa- demi-culture,  verbale  et  sans  substance),  ait  adopté 
d'instinct  l'attitude  qu'on  lui  voit  ;  et  que  cette  attitude  commence  à  lui 
valoir,  avec  la  curiosité,  les  sympathies  a  priori  du  beau  monde,  si  gros- 
sièrement méprisant,  d'ordinaire,  pour  ceux  de  sa  race.  Le  beau  monde, 
c'est-à-dire  les  gens  qui,  s'ils  avaient  pu,  il  y  a  dix  ans,  soupçonner  son 
existence,  n'auraient  pas  été  éloignés,  avec  leur  brutalité  sans  nuances  pour 
tout  ce  qui  dépasse  l'alignement,  de  le  tenir  pour  un  fou. 

J'en  ai  dit  assez,  je  crois,  pour  inviter  à  lire  ce  livre.  C'était  mon 
dessein.  L'auteur  n'est  guère  entré  en  contact  pendant  longtemps  qu'avec  des 
fidèles  qui  lui  passaient  tout,  et  qui  s'attachaient  davantage  à  mesure  qu'il  les 
rudoyait  avec  plus  de  sans  gêne  (naguère,  aux  États-Unis,  le  «  prophète  » 
Dowie  —  prophète  quêteur,  mystique,  homme  d'affaires,  guérisseur  d'âmes, 
«  persécuté  »  et  volontiers  persécuteur  —  en  usait  de  même  avec  ses  dévots). 
Si  Jeanne  d'Arc,  qui  a  déjà  fait  de  nos  jours,  d'une  tout  autre  manière,  la 


(1)  II  y  a  bien  :  «  et  de  l'Empire  ». 


Littérature.  125 

fortune  do  M.  Thalamas,  le  met  à  la  mode,  il  aura  désormais  un  public  qui 
l'approuvera  sans  le  lire.  Il  est  temps  qu'il  ait  enfin  —  car  il  le  mérite 
malgré  tout  —  un  public  qui  le  lise  sans  l'approuver,  ou  plutôt  en  le  jugeant. 
Qu'il  soit  donc  signalé  aux  amateurs  de  personnalités  d'exception.  Dans  le 
champ  où  elles  poussent,  il  y  a  des  individus  de  toutes  sortes,  plus  ou 
moins  agréables  ou  déplaisants.  On  y  a  découvert  notamment,  depuis  quinze 
ans,  la  grâce  exquise  de  Charles-Louis  Philippe  et  l'étincelante  fantaisie  de 
Bernard  Shaw.  N'y  passez  pas,  s'il  vous  plaît,  sans  jeter  un  coup  d'oeil  sur 
les  essais  incohérents  de  Péguy.  Pons  Daumelas. 


J.  Bojer.  —  Sous  le  Ciel  vide.  Roman  traduit  du  norwégien  par 
P.  G.  La  Chesnais.  —  Paris,  Calmann-Lévy,  191 1,  in-12,  346  p., 
3  fr.  50. 

Erik  Evje  a  trahi  deux  fois  son  idéal  socialiste  :  c'est  lorsqu'il  a  séduit 
puis  abandonné  la  fille  du  journalier  qui  travaillait  sur  les  terres  de  son  père  ; 
c'est  aussi  lorsqu'il  a,  par  négligence  et  égoïsme,  acculé  son  meilleur  ami  à 
la  misère  et  au  déshonneur.  Mais  Erik  Evje,  s'il  est  doué  d'une  pauvre  et 
flasque  volonté,  possède  en  revanche  une  imagination  terrible.  Le  bien  ne 
lui  apparaît  jamais  qu'après  coup,  mais  il  le  hante  sous  les  espèces  venge- 
resses du  remords  et  de  la  honte.  Erik  se  fuit  lui-même,  boit  de  î'eau-de-vie, 
rentre  enfin  au  foyer  maternel  comme  un  enfant  prodigue,  et  lorsqu'il  songe  à 
se  relever  à  ses  propres  yeux  en  fondant  sur  ses  terres  en  friches  une  colonie 
agricole  pour  les  pauvres,  on  ne  sait  plus  bien  si  c'est  par  idéalisme,  par 
orgueil  ou  par  contrition.  Hélas  !  les  terres  sur  lesquelles  il  a  installé  déjà 
cinq  familles  sont  des  terres  glissantes,  minées  par  des  courants  souterrains. 
Un  jour,  toute  la  colonie  est  précipitée  dans  le  fjord,  enlisée,  anéantie  ;  et 
Erik  qui  avait  été  prévenu  du  danger  par  l'ingénieur  et  n'a  pas  eu  le  cou- 
rage d'empêcher  la  catastrophe,  profitant  du  doute  pour  ne  pas  renoncer  à 
son  rêve,  Erik  aura  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours  de  quoi  alimenter  son  repentir 
et  son  désespoir. 

Un  tel  sujet  comporte  des  développements  philosophiques  prévus  :  la 
providence  est  absente,  le  ciel  vide,  et  nous  ne  pouvons  que  gémir  de  notre 
impuissance  ou  sacrifier  des  âmes  humaines  à  un  idéal  factice  ;  il  comporte 
aussi,  comme  il  convient  à  une  œuvre  norvégienne,  de  nombreux  symboles. 
Erik  ne  nous  semble  pas  un  homme,  ce  n'est  pas  un  homme  non  plus,  c'est 
le  symbole  de  l'humanité  pensante  et  souffrante,  qui  veut  le  bien,  la  justice, 
la  bonté  et  ne  peut  les  réaliser  dans  ce  monde  livré  aux  lois  brutales, 
aveugles  ou  hostiles  de  la  nature.  Ce  symbole  en  enveloppe  beaucoup 
d'autres,  plus  encore  que  je  ne  saurais  en  découvrir  :  symbole  sur  la  femme, 
sur  le  bonheur,  sur  le  mariage,  sur  l'amour,  sur  bien  des  choses  que  nos 
cerveaux  occidentaux  réduiraient  plutôt  en  formules.  Le  stvle,  quand  même, 
est  clair,  familier,  humble  mémo,  d'une  simplicité  voulue  et  savante,  où  les 
menus  détails  prennent  du  relief  et  de  la  vie  et  il  s'en  dégage  malgré  tout,  en 
certaines  pages,  une  poésie  large  et  profonde,  une  vision  intense  de  nature, 
de  beauté  et  de  rêve.  J.  Lancret. 


126  ■  ■    ■       —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 


T.  Combe.  —  Enfant  de  commune,  roman.  —  Paris,  Perrin,  191 1, 
in- 16,  332  pages,  3  fr.  50. 

Donat  Brunel  est  moins  qu'un  orphelin,  moins  qu'un  enfant  abandonné  ; 
c'est  un  malheureux  «  hospotat  »  élevé  par  la  commune  pendant  que  son 
père  passe  en  prison  le  meilleur  de  son  temps.  Mais  chez  ce  paria,  ce  sau- 
vage maigrichon,  s'est  développée,  sous  l'hostilité  continuelle  du  milieu,  une 
énergie  âpre,  farouche,  puissante.  «  A  six  ans  il  lutta  pour  sa  petite  existence, 
et  ce  qu'il  3^  avait  de  mou  et  d'enfantin,  de  tendre,  de  sensible,  se  durcit, 
se  tendit  prématurément».  Battu,  privé  de  nourriture  et  de  sommeil,  il 
échappe,  par  un  usage  méthodique  et  tenace  de  sa  volonté,  à  cette  vie  dépri- 
mante. Il  veut  vivre  et  il  vit,  il  veut  s'instruire  et  devenir  instituteur,  il  le 
devient.  Mais  la  destinée  malfaisante  condamne  Donat  à  subir  un  père  trop 
paternel,  qui  tient  à  se  faire  héberger  par  son  fils  dès  qu'il  est  hors  du  péni- 
tencier. La  belle  emplette  pour  une  commune  tranquille  que  celle  d'un 
instituteur  doublé  d'un  père  vagabond  qui  braconne,  vole  et  fait  de  la  contre- 
bande autour  de  la  classe  !  Donat  Brunel,  chassé  d'école  en  école,  sans 
amis,  sans  soutien,  dédaigné  même  de  la  femme  qu'il  aime,  connaît  toutes 
les  amertumes,  toutes  les  déceptions,  tous  les  mépris.  Il  remplit  jusqu'au 
bout  son  devoir  filial,  sèchement  d'abord,  puis  peu  à  peu  avec  une  tendresse 
fière  qui  le  console  lui-même.  Est-ce  la  vue  de  son  fanfaron  de  père  qui, 
comme  tout  bon  pochard  devenu  malade,  s'attendrit  et  s'humilie  devant  son 
calme  ?  est-ce  le  contact  des  orphelins,  plus  malheureux  encore  qu'il  n'a  été, 
dans  ce  bagne  d'enfants  qu'il  surveille  ?  Il  sent  monter  dans  son  âme  dessé- 
chée une  tendresse,  un  besoin  de  dévouement,  une  soif  d'espérance  qui  le 
renouvellent  et  élargissent  son  horizon  moral.  Donat  Brunel  est  bien  un 
enfant  de  ce  pays  jurassien  qui  s'étend  des  deux  côtés  de  la  frontière  fran- 
çaise et  suisse,  race  vaillante,  forte,  méthodique  et  équilibrée,  mais  fière  et 
ombrageuse  à  l'excès.  L'auteur,  par  une  évocation  familière  de  ce  pays 
industrieux  et  patriarcal  enlève  aux  types  d'exploiteurs  de  l'enfance  qui 
gravitent  autour  de  Donat  Brunel,  toute  l'atrocité  qu'ils  auraient  ailleurs.  Ce 
roman  très  joliment  écrit  est  un  curieux  mélange  de  bonne  humeur  tran- 
quille et  de  tristesse  narquoise,  d'humour  même  ;  c'est,  si  l'on  veut,  et  tout  à 
la  fois,  du  Dickens  serein,  du  Zola  épuré  et  du  Daudet  optimiste. 

J.  Lancret. 


E.  Maynial.  —  Casanova  et  son  temps.  —  Paris,  Mercure  de 
France,  1910,  in-16,  296  p.,  3  fr.  50. 

Le  dessein  et  l'exécution  de  cet  ouvrage  sont  également  dignes  d'éloge. 
Il  fallait  un  certain  courage  pour  aborder  résolument  un  sujet  réputé  sca- 
breux, pour  le  traiter  scientifiquement,  sans  rechercher  le  scandale,  mais 
sans  se  croire  obligé  à  d'insupportables  sous-entendus  pudibonds.  Il  en 
fallait  plus  encore  peut-être  pour  publier,  dès  qu'elles  étaient  au  point,  une 
série  d'études  partielles,  sans  attendre  la  date,  incertaine  ou  même  impro- 
bable, où  serait  possible  une  synthèse  complète. 

M.  Maynial  n'a  donc  pas  prétendu  nous  fournir,  en  300  pages,  une  bio- 
graphie totale  de  son  énigmatique  et  attirant  héros.  Mais  il  a  posé  sous  leur 


Histoire  ==========================================  127 

vrai  jour  un  certain  nombre  de  problèmes  le  concernant  ;  il  en  a  résolu 
plusieurs  avec  une  prudence,  une  sagacité  et  une  sûreté  de  méthode  dont  on 
ne  saurait  trop  le  louer.  La  forme  est  aussi  agréable  que  le  fond  est  solide  ; 
le  livre  est  soigneusement  disposé  de  façon  à  satisfaire  l'érudit  et  à  retenir 
aussi  l'homme  du  monde. 

Le  dernier  chapitre  (le  Texte  des  Mémoires)  auquel  courront  tout  d'abord 
les  bibliographes,  expose  avec  une  lumineuse  netteté  l'histoire  des  éditions 
différentes  —  et  également  défectueuses  • —  offertes  jusqu'ici  au  public  et 
prépare  les  voies  à  la  publication  d'un  texte  établi  sur  des  bases  sérieuses. 
Dans  les  autres  sont  étudiés  successivement  différents  aspects  du  célèbre 
aventurier  et  dans  ces  récits,  attachants  comme  le  roman  le  plus  habilement 
machiné,  M.  May  niai  excelle  à  démêler  le  vrai  du  problématique  ou  du  con- 
trouvé  :  les  relations  de  Casanova  avec  le  comte  de  Saint-Germain,  avec 
Voltaire,  les  mystifications,  à  la  fois  impayables  et  criminelles,  qu'il  étaye 
sur  sa  connaissance  des  sciences  occultes  et  sur  l'éternelle  crédulité 
humaine,  ses  démêlés  avec  ses  collaborateurs  et  complices,  son  étrange 
aventure  avec  la  Charpillon,  où  M.  Pierre  Louys  semble  bien  avoir  puisé  le 
sujet  et  la  trame  de  la  Femme  et  le  Pantin,  forment  autant  de  chapitres  à  la 
fois  savoureux  et  substantiels,  que  liront  avec  plaisir  et  profit  l'érudit,  l'his- 
torien et  le  simple  curieux  que  ne  laisse  pas  indifférents  cette  fin  du 
xvme  siècle  si  vivante,  si  mouvementée,  si  crédule  et  si  sceptique,  plus  près 
de  nous  par  bien  des  côtés,  en  dépit  de  la  chronologie,  que  l'Empire  ou  la 
Monarchie  de  Juillet.  F.  Gaiffe. 


R.  Canat.  —  La  Renaissance  de  la  Grèce  antique  (1820-18J0).  — 
Paris,  Hachette,  191 1,  in-i6,  vn-291  p.,  3  fr.  50. 

Le  livre  de  M.  Canat  est  comme  une  préface  à  l'ouvrage  qu'il  prépare 
sur  l'Hellénisme  chez  les  Romantiques.  Il  a  voulu  étudier  le  milieu  avant 
d'étudier  les  œuvres.  Qu'a-t-on  su  et  pensé,  dans  le  monde  intellectuel 
français,  de  1820  a  1850,  de  la  Grèce,  la  moderne  et  surtout  l'antique,  de 
sa  littérature  et  de  son  art  ?  Comment  le  public  cultivé  s'est-il  élevé  à  la 
connaissance  scientifique  de  l'hellénisme,  qui  devait  supplanter  peu  à  peu 
la  notion  humaniste  qu'en  avaient  laissée  nos  deux  siècles  classiques  ? 
M.  Canat  a  poursuivi  cette  enquête  à  travers  les  récits  de  voyage,  les  publica- 
tions archéologiques,  les  revues  d'art  et  de  littérature,  les  journaux  savants 
et  mondains  ;  il  a  noté  un  grand  nombre  de  faits  et  d'idées  ;  son  livre  nous 
les  présente,  rassemblés  comme  ils  ne  l'avaient  pas  encore  été  aussi  complè- 
tement, en  un  tableau  agréable  et  vivant  ;  on  le  lira  avec  plaisir  et  profit. 
Il  m'a  semblé  qu'il  retenait  quelque  chose  du  défaut  que  M.  Canat  lui-même 
trouve  aux  chapitres  du  livre  d'Egger  qui  traitent  le  même  sujet  ;  qu'il  était 
un  peu  bourré  de  faits  dont  l'importance  respective  n'apparaît  pas  toujours 
très  clairement,  et  que  l'impression  que  laissent  des  chapitres  un  peu  nom- 
breux aux  subdivisions  un  peu  nombreuses  n'est  pas  toujours  très  nette, 
suivie  et  d'un  trait  ;  le  défaut,  s'il  y  a,  tient  à  la  matière  même.  —  On 
lira  avec  un  particulier  intérêt  les  derniers  chapitres  du  livre,  où  l'auteur 
marque  les  divers  aspects  du  génie  grec  qu'on  s'est  plu  successivement,  au 
cours  de  la  période  qu'il  étudie,  à  mettre  en  lumière  et  à  prôner  :  énergie 
«  dorienne  »,   grâce  «  ionienne   »,  juste  milieu   «    attique  ».   Le  système 


128  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

d'après  lequel  la  combinaison  des  deux  premiers  éléments  par  l'esprit 
d'Athènes  a  fait  la  réussite  unique  du  «  miracle  »  grec  remonte,  comme 
l'indique  fort  bien  M.  Canat,  aux  archéologues-esthéticiens  de_j850  ;  ajou- 
tons qu'aux  dires  d'aucuns  le  dogme  serait  à  réviser.  J'en  finirai  avec  le 
livre  de  M.  Canat  et  le  bien  qu'il  en  faut  penser  en  remarquant  que  dans 
un  ouvrage  où  il  est  tant  question  d'antiquité,  littérature  et  art,  et  qui  n'est 
point,  que  je  sache,  d'un  spécialiste  en  la  matière,  on  ne  relèvera  point 
d'inexactitudes,  d'erreurs  de  faits  ou  de  noms.  E.  Cahen. 


F.  Hémon.  —  Bersot  et  ses  amis.  —  Paris,  Hachette,  191 1,  in-16, 
356  p.,  3  fr.  50. 

«  Cette  vie,  c'est  l'histoire  même  de  l'Université  depuis  quarante  ans,  de 
l'Université  dans  ses  grandeurs  et  dans  ses  épreuves.  »  En  rappelant  ces 
paroles  prononcées  par  J.  Ferry  sur  la  tombe  de  Bersot,  M.  Hémon  ajoute  : 
«  Ce  n'est  même  pas  assez  dire,  car  Bersot  fut  homme  politique  aussi,  et 
c'est  bien  l'histoire  morale  de  la  France  pendant  un  demi-siècle  que  nous 
venons  de  retracer.  »  Ce  que  M.  Hémon  a  voulu  faire  en  effet  en  écrivant 
cet  ouvrage,  c'est,  comme  il  le  dit,  une  «  étude  d'histoire  morale  collec- 
tive »  ;  et  il  a  pleinement  rempli  son  dessein. 

Les  livres  qui  s'intitulent  «  X***  et  son  temps  »  ont  presque  toujours  le 
tort  de  grouper  les  faits  de  façon  arbitraire,  de  modifier  la  taille  des  person- 
nages, de  les  tirer  hors  de  leur  plan,  de  façon  que  le  tableau  s'équilibre  et 
que  la  lumière  s'y  distribue  suivant  les  convenances  de  l'auteur.  Avec 
M.  Hémon,  l'on  n'a  pas  à  craindre  d'artifices  de  ce  genre.  Outre  que  son 
goût  de  la  vérité  l'en  a  défendu,  il  faut  remarquer  que,  par  lui-même,  son 
sujet  l'en  a  presque  dispensé.  Qui  furent  en  effet  les  amis  de  Bersot?  des 
hommes  d'État  illustres,  des  ministres  de  haut  mérite  :  Cousin,  Jules  Simon, 
Rémusat,  Thiers,  Duruy,  Jules  Ferry  ;  des  administrateurs  éminents  :  Gréard, 
Zévort,  Albert  Dumont  ;  les  maîtres  de  la  critique  :  Renan,  Scherer,  Sainte- 
Beuve,  et  les  maîtres  de  l'histoire  :  Michelet,  Fustel  de  Coulanges  ;  sans 
parler  d'écrivains  d'une  rare  distinction  :  Montalembert,  Prévost-Paradol, 
Ernest  Havet,  etc.  Et  que  fut  Bersot  lui-même  ?  sociable  et  tolérant  au  plus 
haut  degré,  il  est  capable  de  vivre  dans  tous  les  milieux,  de  faire  même  des 
amitiés  dans  tous  les  partis,  mais  sans  rien  abdiquer  de  sa  personnalité,  sans 
rien  sacrifier  de  ses  idées  ;  avec  des  formes  gracieuses,  il  a  une  conscience 
de  diamant,  que  rien  ne  saurait  entamer  ;  et,  parla,  moins  il  est  autoritaire, 
plus  il  prend  d'autorité  ;  désintéressé  et  modeste,  il  ne  songe  pas  à  jouer  un 
rôle  ;  mais,  par  son  mérite  discret  et  sûr,  il  exerce  une  action.  Quelque 
rang  que  ses  amis  occupent  dans  la  politique  ou  dans  les  lettres,  son  approba- 
tion n'est  jamais  pour  eux  chose  indifférente.  Voilà  comment  M.  Hémon  n'a 
eu  besoin  de  diminuer  ni  de  grandir  personne. 

Disposant  de  quantité  de  lettres  et  de  papiers  inédits,  il  s'est  défendu  de 
les  interpréter  ;  il  a  mieux  aimé  les  produire.  «  Ce  qui  importe,  dit-il,  ce 
n'est  pas  la  façon  dont  l'auteur  voit  et  dit  les  choses,  c'est  que  les  choses 
frappent  les  yeux  et  parlent  par  elles-mêmes.  On  citera  donc  plus  qu'on  ne 
dissertera,  et,  si  l'on  conclut,  on  mettra  le  lecteur  en  mesure  de  conclure 
autrement.  »  —  «  Transition  incertaine  d'une  Restauration  à  l'autre,  hostilité 
croissante  entre  l'Université  et  le  Clergé  ;  conflit  de  la  philosophie  officielle 


Histoire  ■  129 

et  du  dogme  ;  trouble  profond  qui  précède  et  suit  le  coup  d'Etat  du 
2  décembre  ;  lente  renaissance  de  l'esprit  libéral  ;  rechute  profonde  et 
renouveau  de  vaillance  sortant  de  la  catastrophe  même,  mise  au  premier 
plan  des  grands  problèmes  d'éducation  »,  telles  sont  les  situations  principales 
que  présente  ce  volume  ;  et  ce  sont  autant  de  pages  d'histoire  vivante  et 
vraie. 

Ainsi,  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'histoire  d'hier  et  d'avant-hier,  — 
celle  que  l'on  sait  le  moins  en  général,  —  trouveront  un  singulier  profit  à 
lire  M.  Hémon.  Mais  il  est  des  lecteurs  qui  lui  auront  une  obligation  plus 
prochaine,  pour  ainsi  dire.  Sans  avoir  voulu  faire  un  portrait  individuel,  il 
a  su  pourtant  évoquer  la  figure  si  aimable,  si  attachante  et  si  haute  de 
Bersot.  Ceux  qui  le  connurent  et  qui,  l'ayant  connu,  lui  conservent  une 
vénération  tendre,  auront  à  M.  Hémon  un  gré  infini  d'avoir  fait  revivre  avec 
tant  de  justesse  cet  homme  qui  eut  un  esprit  charmant,  une  âme  exquise, 
et  dont  le  caractère,  toujours  supérieur,  s'éleva  jusqu'à  l'héroïsme'  devant 
la  souffrance  et  la  mort.  M.  Pellisson. 


L.  Cazamian.  —  L 'Angleterre  moderne.  Son  évolution.  —  Paris, 
Flammarion  (Bibliothèque  de  philosophie  scientifique),  191 1,  in-12, 
329  p.,  3  fr.  50. 

Le  duel  industriel,  commercial  et  maritime  de  l'Angleterre  et  de  l'Alle- 
magne est  l'un  des  faits  graves  de  l'heure  présente. Or  comment  l'Angleterre, 
terre  classique  (si  nous  n'existions  pas)  de  la  tradition  et  de  la  routine, 
résistera-t-elle  à  la  montée  d'un  ennemi  plus  jeune  et  plus  méthodique? 
Quelles  sont  ses  méthodes  de  défense  ?  Dans  quel  sens  et  jusqu'à  quel 
point  son  tempérament,  ses  habitudes  séculaires,  en  un  mot  son  passé 
conditionne-t-il  son  présent  et  son  avenir  ?  Que  lui  laissent-ils  de  souplesse? 
quelle  force  de  renouvellement  ?  Tel  est  le  problème  qu'étudie  M.  Cazamian, 
avec  une  grande  vigueur  d'intelligence. 

Il  observe  que  la  vie  est  avant  tout  une  adaptation,  et  que  l'adaptation 
revêt  deux  formes  souvent  associées  ou  mêlées  dans  la  pratique,  mais 
théoriquement  opposées  :  l'adaptation  instinctive  et  l'adaptation  réfléchie, 
l'empirisme  et  le  rationalisme,  l'intuition  et  la  science.  Et  de  ce  point  de 
vue  nouveau  et  fécond,  il  étudie  l'histoire  de  l'Angleterre  depuis  cent  ans 
environ. 

L'Angleterre  est,  par  définition,  le  pays  de  l'adaptation  instinctive  ; 
mais  elle  n'a  pas  pour  cela  éliminé  la  raison  de  la  conduite  de  ses  affaires. 
M.  Cazamian  distingue  dans  le  dernier  siècle  non  pas  précisément  trois 
coups  de  pendule,  mais  trois  moments,  trois  grandes  vagues,  d'abord 
distinctes,  bientôt  mêlées  mais  toujours  reconnaissables,  qui  ont  remué  et 
soulevé  le  peuple  anglais. 

L'Angleterre  moderne,  industrielle  et  démocratique,  se  fonde  entre 
181 5  et  1840  contre  l'Angleterre  antérieure,  par  une  poussée  de  volonté 
consciente.  Mais  presqu'aussitôt  l'instinct  national  réagit,  travaille  sur  les 
données  nouvelles,  les  modifie  et  les  enrichit  ;  et  les  deux  tendances  pour- 
suivent leur  développement  parallèle  jusque  vers  1830.  Autour  de  l'un,  et  de 
l'autre,  M.  Cazamian  groupe,  en  six  substantiels  chapitres,  les  Faits  —  les 
Doctrines,   — 1  les  Lois   et   les   Mœurs,    qui  ressentissent  à   chacune.  Par 


130  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

exemple,  le  rationalisme,  la  philosophie  utilitaire,  l'économie  individualiste 
et  le  mouvement  libre-échangiste,  le  darwinisme,  le  rationalisme  religieux 
d'une  part;  d'autre  part,  la  philosophie  de  Carlyle,  le  réveil  religieux  (mouve- 
ment d'Oxford,  ritualisme,  renaissance  catholique),  l'esthétisme  de  Darwin, 
seront  les  «  Doctrines  »,  qui  dérivées  des  Faits,  agissant  à  leur  tour  sur  les 
Lois  et  les  Mœurs,  témoignent  soit  de  l'intellectualisme  anglais,  soit  de  la 
«  revanche  des  instincts  ».  Ainsi,  dans  cette  construction  claire  et  forte, 
toutes  les  principales  manifestations  politiques,  économiques,  sociales, 
morales,  religieuses  et  littéraires,  se  trouvent  fermement  reliées  à  la  nuance 
profonde  du  vouloir-vivre  qu'elles  traduisent,  et  par  là  même  hiérarchisées 
dans  l'ensemble  de  la  conscience  nationale. 

Vers  1880,  l'Angleterre,  à  l'apogée  de  sa  grandeur,  peut  se  croire 
exactement  "adaptée  aux  conditions  de  vie  du  moment,  et  regarde  l'avenir 
avec  confiance.  Brusquement,  elle  oscille  sur  sa  base,  par  l'effet  de  concur- 
rences et  de  méthodes  nouvelles  dont  les  progrès  se  démasquent.  Elle  se 
trouve  devant  des  problèmes  nouveaux  —  économique,  social,  politique, 
impérial,  intellectuel  —  qu'expose  M.  Cazamian  en  autant  de  chapitres.  Les 
résoudra-t-elle  ?  Elle  conçoit  la  nécessité  de  s'adapter,  de  s'adapter  vite  ;  elle 
incline  donc  de  nouveau,  et  plus  nettement,  à  l'adaptation  réfléchie.  Que 
sortira-t-il  de  ce  sursaut  de  raison  et  de  volonté  ?  La  décadence  ?  une  évolu- 
tion qui  la  rétablira  dans  son  ancienne  splendeur  ou  du  moins  la  maintiendra 
au  premier  rang  des  puissances  ?  C'est  sur  ce  point  d'interrogation  que 
conclut,  sans  imprudente  prophétie,  M.  Cazamian. 

Il  a  essayé,  et  réussi,  la  synthèse  de  l'âme  et  de  l'histoire  anglaises 
depuis  cent  ans.  Non  plus  l'une  de  ces  synthèses  psychologiques  à  la 
manière  de  Taine  et  de  son  école,  qui  ne  sont  que  des  portraits  classiques 
agrandis  à  la  taille  des  peuples,  mais  une  synthèse  historique,  dans  laquelle 
une  connaissance  étendue  des  faits  en  soutient  et  en  nourrit  l'interprétation. 
Il  a  évité  les  principaux  écueils  de  sa  conception.  Sous  le  schéma  philoso- 
phique il  est  aisé  même  à  des  lecteurs  moyennement  au  fait  des  choses 
anglaises,  de  replacer  le  drame,  avec  ses  angoisses.  Mais  le  schéma  lui-même 
ne  crée  point  de  rigidité.  L'auteur  ne  fige  pas  la  vie  dans  des  constructions 
systématiques.  Partout  il  donne  à  entendre  qu'il  n'existe  point  de  tendances 
pures,  sans  mélange  des  tendances  contraires,  et  qu'un  peuple  ne  peut  pas^ 
se  jeter  tout  entier  du  côté  de  l'une  ou  de  l'autre  adaptation.  Grâce  à  la 
variété  nuancée  et  heureuse  de  ses  formules,  il  a  dégagé  les  dominantes, 
mais  respecté  la  complexité  profonde  des  choses.  Aussi,  quand  on  discuterait 
avec  lui  sur  ses  dosages  de  réflexion  et  de  raison,  ou  même  sur  le  rattache- 
ment de  telle  ou  telle  tendance  à  l'une  ou  à  l'autre  des  adaptations,  on 
n'ébranlerait  ni  l'ensemble  de  sa  construction  ni  son  idée  générale, 
parfaitement  légitime  quoiqu'appliquée  rétrospectivement  au  siècle  passé. 

L'intérêt  de  son  livre  ne  se  borne  évidemment  pas  aux  choses  anglaises. 
La  crise  qu'il  étudie  est  générale.  Elle  existe  même  en  Suisse,  comme  on 
s'en  convaincra  par  un  livre  récent  (La  Suisse  en  sept  conférences,  Genève, 
Atar,  in-12).  Elle  existe  en  France  plus  aigùe  et  plus  grave  que  partout 
ailleurs  ;  car  si  les  tendances  anglaises  travaillent  concurremment  au  plus 
grand  bien  de  la  patrie,  les  tendances  françaises  se  déchirent  et  luttent  pour 
la  prédominance  à  l'intérieur.  Ce  livre  sur  l'Angleterre  éveillera  bien  des 
méditations  et  des  examens  de  conscience  chez  les  lecteurs  français. 

G.  RUDLER. 


Histoire  ■  131 


L.  Hourticq..  —  Histoire  générale  de  l'art.  France.  Série  Ars  Una 
(t.  III).  —  Paris,  Hachette,  191 1,  in-16,  xvi-476  p.,  avec  943  gra- 
vures dans  le  texte  et  4  hors-texte  en  couleurs,  7  fr.  50. 

Cette  première  histoire  générale  de  l'art  français  —  car  il  n'en  existait 
encore  dans  aucune  langue  —  est  un  bon  livre,  et  le  meilleur  de  la  série  à 
laquelle  il  appartient.  L'auteur  n'est  pas  seulement  bien  informé  ;  il  sait 
composer  et  écrire.  Parfois,  sans  doute,  on  voudrait  qu'il  s'exprimât  d'une 
façon  plus  simple  ;  mais  il  ne  tombe  jamais  dans  le  galimatias  sentimental  que 
la  critique  d'art  des  quotidiens  a  mis  à  la  mode.  J'ajoute  que  ses  biblio- 
graphies sont  très  bonnes  et  que  le  choix  de  l'illustration  témoigne  d'une 
connaissance  remarquable  de  toutes  les  parties  d'un  si  vaste  sujet. 

Après  un  bref  chapitre  sur  les  origines  romaines,  barbares  et  chrétiennes, 
M.  Hourticq  aborde  l'étude  de  l'art  monastique  ou  roman  ;  il  a  eu  parfaite- 
ment raison  d'insister  sur  le  caractère  religieux  de  cet  art,  inintelligible  sans 
l'inspiration  cléricale  qui  le  soutient.  Mais  il  s'est  bien  gardé  d'y  opposer 
l'art  gothique  comme  une  réaction  laïque  ;  il  s'est  contenté,  très  judicieuse- 
ment encore,  de  l'appeler  l'art  communal.  «  Ce  sont  des  ouvriers  laïques  qui 
travaillent,  mais  c'est  encore  la  foi  qui  les  dirige.  »  (p.  43).  La  part  faite  à  la 
sculpture  et  à  la  décoration  est  suffisante  ;  les  idées  nouvelles  mises  en  circu- 
lation par  M.  Mâle  ont  été  bien  présentées.  Le  chapitre  IV  traite  de  l'art 
féodal  et  de  l'art  bourgeois  à  la  fin  du  moyen  âge  et  termine  la  première 
partie  de  l'ouvrage,  où  l'on  voit  ainsi  succéder,  à  l'art  romain  et  à  l'art 
germanique,  l'art  monastique,  l'art  communal  et  l'art  bourgeois  ;  ce  sont  là 
de  très  heureuses  divisions  et  qui  font  utilement  réfléchir. 

La  seconde  partie  comprend  cinq  chapitres  :  le  passage  du  style 
gothique  à  l'art  classique  ;  la  formation  de  l'art  classique  (Louis  XIII);  l'art 
romantique  sous  Louis  XIV  ;  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV  et  la  Régence  ; 
l'art  parisien  sous  Louis  XV  et  Louis  XVI.  Ici  encore,  il  faut  louer  sans 
réserve  les  divisions.  L'art  du  siècle  de  Louis  XIV  ne  doit  pas  être  traité 
en  bloc  ;  celui  du  siècle  de  Louis  XV  ne  sort  pas  de  terre  sans  transition  ; 
enfin,  il  y  a  quelque  chose  de  très  judicieux  à  signaler  le  caractère  éminem- 
ment parisien  de  l'art  du  xvme  siècle  à  son  apogée.  La  troisième  et  dernière 
partie  est  consacrée  à  l'art  moderne  :  le  nouveau  classicisme  pendant  la  Révo- 
lution et  l'Empire,  le  romantisme,  le  naturalisme  (avec  les  tendances  tout 
à  fait  récentes  comme  l'impressionisme  et  la  réaction  qu'il  a  provoquée). 

Quantité  d'idés  fausses,  qui  sont  monnaie  courante,  ont  été  rectifiées  en 
passant  par  M.  Hourticq  ;  je  recommande  particulièrement  la  lecture  de  son 
chapitre  V,  où  la  persistance  des  traditions  classiques  au  xvme  siècle  est 
très  nettement  marquée.  Combien  il  est  vrai  de  dire  (p.  292)  :  «  Le 
xvme  siècle  a  vu  se  propager,  en  province  et  dans  l'architecture  privée,  le 
style  dont  Cl.  Perrault  et  Mansart  avaient  fixé  la  syntaxe...  C'est  aussi  durant 
le  long  règne  de  Louis  XV  que  les  villes  de  France  ont  le  plus  fait  pour 
s'accommoder  au  confort  moderne  et  au  style  classique.  »  Ce  siècle  a  vrai- 
ment assez  innové  et  assez  détruit  pour  qu'on  n'exagère  pas  à  plaisir,  comme 
on  le  fait  souvent,  son  goût  de  la  nouveauté  et  son  dédain  de  la  règle. 
Mais  je  n'en  finirais  pas  si  je  voulais  signaler,  dans  ce  volume,  tout  ce  qui 
témoigne  de  compétence  et  d'équité  dans  l'appréciation.  Quelques  menues 
erreurs  seront  aisément  rectifiées  dans  les  éditions  subséquentes  ;   le  plus 


132  ,    ,        ,  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

grave  défaut,  qui  est  la  distribution  égale  des  images,  souvent  un  peu  loin 
du  texte  qui  les  concerne,  est  né  d'un  scrupule  d'esthétique  dont  la 
responsabilité,  si  responsabilité  il  y  a,  n'incombe  certainement  pas  à 
l'auteur.  S.  Reinach. 


J.  Caillaux.  —  L impôt  sur  le  revenu.  —  Paris,  191 1,  Berger- 
Levrault,  in-ié,  vin-539  p.,  3  fr.  50. 

Ce  n'est  point  une  étude  méthodique  de  la  question  :  c'est  un  recueil 
des  principaux  discours  que  M.  Joseph  Caillaux  a  prononcés  sur  ce  sujet  à  la 
Chambre  des  députés  en  qualité  de  ministre  des  finances.  Ils  ne  sont  pas, 
d'ailleurs,  groupés  au  hasard  ;  ils  sont  choisis  de  façon  à  éclairer  tour  à  tour 
les  différentes  faces  du  problème  fiscal.  L'orateur  s'attache  à  démontrer  com- 
ment son  projet  avec  déclaration  du  revenu  global  et  progressivité  de  l'impôt 
dit  complémentaire  dégrèvera  les  petites  et  moyennes  fortunes  au  détriment 
des  grandes,  comment  il  ne  nuira  ni  à  l'industrie  ni  au  commerce  ni  à  l'agri- 
culture, comment  il  fournira  aux  réformes  sociales  nécessaires  les  ressources 
qui  leur  sont  indispensables.  L'orateur  doit  maintes  fois  répondre  à  des 
critiques  et  à  des  interruptions  passionnées  ;  il  le  fait  avec  un  courage  indé- 
niable et  la  discussion  laisse  l'impression  que  les  opposants  sont  surtout 
dirigés  par  des  intérêts  égoïstes  de  classe,  par  la  crainte  de  voir  reporté  sur 
les  riches  le  fardeau  trop  lourd  qui  pèse  sur  les  pauvres. 

Le  projet  a  été  voté  par  la  Chambre  ;  mais  on  peut  prévoir  au  Sénat  un 
retour  offensif  des  assaillants.  Il  importe  donc  que  l'opinion  publique,  dont 
l'influence  est  prépondérante,  empêche  une  réforme  promise  depuis  si  long- 
temps au  peuple  d'être  encore  ajournée  ou  «  sabotée  »,  comme  tant  d'autres, 
par  des  dispositions  qui  la  rendraient  illusoire.  Ce  livre  arrive  ainsi  à  son 
heure  :  nous  en  recommandons  la  lecture  à  tous  ceux  qui  n'ont  pas  d'avance 
un  parti  pris  d'hostilité  :  il  est  de  nature  à  faire  réfléchir  les  esprits  droits  et 
les  cœurs  généreux  ;  car  il  met  en  pleine  lumière  l'injustice  et  le  danger  du 
privilège  que  notre  vieux  système  de  contributions  perpétue  en  faveur  d'une 
minorité  opulente.  G.  Renard. 


L.  Jeudon.  —  La  Morale  de  VHonneur.  —  Paris,  F.  Alcan,  191 1, 
in-8,  246  p.,  5  francs. 

Après  un  historique  des  opinions  des  philosophes  anciens  et  modernes 
sur  l'honneur  considéré  comme  principe  de  moralité,  M.  Jeudon  fait  une 
sorte  de  panégyrique  de  la  morale  de  l'honneur.  La  science  moderne  a  relié 
l'homme  au  reste  de  la  nature  ;  elle  ne  laisse  plus  de  place  à  un  principe 
transcendant,  loi  divine  ou  loi  morale  ;  il  nous  faut  donc  une  morale 
«  naturelle  ».  En  fait  la  fierté  est  un  principe  d'action  très  efficace  ;  elle  est 
le  ressort  véritable  de  la  moralité  dans  des  sociétés,  des  classes,  des  individus 
qui  semblent  et  croient  se  conduire  d'après  une  tout  autre  règle,  et  professent 
même  la  morale  de  l'humilité.  Cette  morale  de  l'honneur,  nous  l'avons  trop 
oubliée  et  nous  devons  la  réapprendre. 

M.  Jeudon  ne  nous  dit  pas  si,  pour  lui,  la  morale  tout  entière  se  ramène 
à  la  morale  de  l'honneur.  Il  va  rechercher  l'origine  du  sentiment  de  Thon- 


Sciences  =  *«** 

neur  jusque  dans  la  nature  animale,  et  avec  Darwin,  il  la  trouve  dans  l'ins- 
tinct sexuel  du  mâle.  Chemin  faisant,  il  indique  que  l'amour  maternel  paraît 
être  l'origine  animale  de  la  morale  de  la  charité.  Il  y  aurait  donc  au  moins 
deux  principes  moraux,  l'honneur  et  la  charité,  tous  deux  d'origine  sexuelle, 
mais  l'un  masculin  et  l'autre  féminin,  tous  d'eux  d'ailleurs  transmis  par 
hérédité  d'un  sexe  à  l'autre. 

Cette  origine  sexuelle  du  sentiment  de  l'honneur  ne  me  paraît  pas  très 
bien  établie.  Ce  sentiment,  d'après  M.  Jeudon,  la  vie  grégaire  le  transforme 
et  le  développe,  à  cause  des  compétitions  qu'excite  le  pouvoir  ;  à  un  stade  plus 
élevé,  il  devient  collectif  :  l'individu  fait  sien  l'honneur  du  groupe  (famille, 
clan,  tribu,  classe)  auquel  il  appartient.  Mais  où  est  la  preuve  que  ce  sont  là 
des  transformations  d'un  sentiment  préexistant,  dont  l'unique  et  véritable 
origine  serait  dans  la  concurrence  sexuelle  ?  Il  semble  naître  bien  plutôt  de 
la  concurrence  que  de  la  sexualité  ;  partant  la  concurrence  politique,  ou  ambi- 
tion, peut  aussi  en  être  l'origine.  D'après  la  théorie  de  M.  Jeudon,  la  fierté 
que  montre  la  vache  conductrice  du  troupeau  dans  les  pâturages  alpestres, 
serait  duc  à  une  transmission  héréditaire,  d'un  sexe  à  l'autre,  de  la  fierté  du 
taureau  vainqueur  de  son  rival.  Hypothèse  compliquée,  invérifiable,  et, 
somme  toute,  peu  utile,  car  la  valeur  que  M.  Jeudon  attribue  à  la  morale  de 
l'honneur  requiert  peut-être  l'origine  naturelle  de  ce  sentiment,  mais  non 
pas  son  origine  exclusivement  sexuelle.  E.  Goblot. 


L.  Houllevigue.  —  Le  Ciel  et  l'Atmosphère.  —  Paris,  A.  Colin, 
191 1,  in-16,  xn-304  p.,  3  fr.  50. 

A  mesure  que  la  Physique  se  développe  dans  le  travail  du  laboratoire  et 
que  ses  résultats  prennent  une  signification  de  plus  en  plus  générale,  elle 
revient  de  plus  en  plus  avec  succès  à  l'étude  si  complexe  des  phénomènes 
naturels.  C'est  sous  ce  point  de  vue  que  M.  Houllevigue  nous  fait  envisager 
les  progrès  de  la  Physique  dans  un  livre  de  haute  vulgarisation  aussi  louable 
de  forme  que  de  fond. 

Il  nous  conduit  donc  hors  du  laboratoire.  Avec  lui  nous  visitons  l'atmos- 
phère de  la  Terre,  d'abord  les  couches  inférieures  où  se  forment  la  pluie,  la 
neige,  les  cyclones,  où  volent  les  oiseaux  et  les  aviateurs  ;  nous  nous  élevons 
ensuite  dans  les  régions  les  plus  raréfiées  de  l'air,  qu'illuminent  les  aurores 
boréales  et  les  étoiles  filantes. 

M.  Houllevigue  nous  montre  plus  loin  comment  l'étude  des  radiations 
lumineuses  qui  nous  viennent  des  astres,  a,  depuis  la  découverte  de  l'analyse 
spectrale,  élargi  nos  connaissances,  spécialement  en  ce  qui  concerne  l'ultra- 
violet, comment  l'étude  des  radiations  hertziennes  a  permis  l'application 
grandiose  de  la  télégraphie  sans  fil,  comment  les  particules  électriques  (élec- 
trons) émises  par  les  astres  ont  manifesté  un  nouveau  lien  entre  les  mondes. 

Le  livre  de  M.  Houllevigue  est  formé  de  plusieurs  études  qui  peuvent 
se  lire  isolément  mais  qui  ont  cependant  d'autres  liens  que  le  titre  de  l'ou- 
vrage. En  choisissant  un  nombre  assez  limité  de  sujets  définis,  d'ailleurs  très 
importants,  M.  Houllevigue  a  pu  exposer  les  questions  assez  complètement 
et  mettre  le  lecteur  au  courant  de  leur  état  actuel. 

En  s'adressant  au  grand  public,  l'auteur  a  évité  de  déformer  les  questions. 
11  les  a  exposées  sous  leur  vrai  jour,  sans  cacher   les  difficultés  des  solutions 


134  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

que  les  physiciens  donnent  actuellement  aux  problèmes  que  soulève  l'étude 
des  phénomènes  naturels. 

L'exposé  est  précis  sans  formules  ni  figures  (sauf  quelques  cartes 
météorologiques).  Une  certaine  catégorie  de  lecteurs  aurait  peut-être  aimé 
quelques  schémas  géométriques.  , 

M.  Houllevigue  expose  avec  une  clarté  qui,  jointe  à  l'intérêt  général 
des  questions  traitées,  entraîne  le  lecteur  à  le  suivre  jusqu'au  bout.  Son  livre 
donnera  peut-être  l'illusion  de  tout  comprendre  à  ceux  qui  ignorent  trop 
complètement  les  questions  nouvelles.  Il  les  apprendra  à  beaucoup.  Ceux 
même  qui  savent  déjà  le  liront  volontiers  ;  il  est  toujours  fort  agréable, 
et  malheureusement  assez  rare,  de  lire  un  exposé  exact  de  découvertes 
modernes  dans  un  style  d'une  forme  vraiment  littéraire.  G.  Sagnac. 


P.  Janet.  —  L'état  mental  des  hystériques.  —  Paris,  Alcan,  191 1, 
Tiii-708  p.,  18  francs. 

Cet  important  volume  est  indispensable  à  tous  ceux  qui  veulent  appro- 
fondir l'étude  de  l'hystérie.  Trois  parties  composent  l'ouvrage  :  la  première 
est  la  reproduction  d'une  ancienne  publication  de  l'auteur  sur  l'état  mental 
et  les  accidents  mentaux  des  hystériques  ;  on  y  trouvera  un  exposé  méthodique 
des  anesthésies,  amnésies,  aboulies,  des  troubles  du  mouvement  et  des  modi- 
fications du  caractère,  une  étude  particulièrement  fouillée  des  actes  subcons- 
cients et  des  idées  fixes,  des  attaques,  des  délires  et  du  somnambulisme. 
Dans  la  seconde  partie,  l'auteur  a  groupé  un  certain  nombre  de  mémoires 
épars  ;  nous  y  avons  retrouvé  avec  intérêt  des  études  sur  l'hystérie  unilaté- 
rale et  certains  troubles  de  la  vision.  Enfin,  dans  une  dernière  partie,  la 
thérapeutique  de  l'hystérie  est  longuement  détaillée  ;  signalons  notamment 
l'importance  des  chapitres  concernant  le  traitement  de  la  faiblesse  mentale 
et  des  idées  fixes,  le  rôle  de  l'isolement,  de  la  suggestion,  l'importance  de  la 
direction  morale  chez  les  malades. 

Il  était  utile  de  grouper  ces  travaux  :  lorsque  parurent  vers  1895  les  prin- 
cipaux d'entre  eux,  le  dogme  de  l'hystérie  se  constituait,  et  les  chercheurs 
pourront  toujours  se  reporter  à  l'ouvrage  étudié  pour  comprendre  pleinement 
la  conception  classique.  Quelle  que  soit  d'ailleurs  l'opinion  personnelle  du 
lecteur  concernant  l'hystérie,  les  observations  minutieuses  recueillies  par 
Janet,  les  analyses  psychologiques  si  fines  dont  elles  sont  accompagnées, 
feront  de  ces  études  un  dossier  précieux  entre  tous  dans  l'étude  de  la  patho- 
logie mentale.  Dr  F.  Moutier. 


LIVRES  ANNONCÉS  SOMMAIREMENT. 


LITTERATURE. 


Hermant.  Le  Premier  pas.  — Paris,  Éditions  de  la  Vie  parisienne,  in-12,  3  fr.  50. 
—  C'est  le  premier  pas,  ou  le  premier  faux-pas,  ou  encore  les  faux  premiers 
faux-pas  dans  l'amour.  Jeunes  doctrinaires  de  vingt-cinq  ans,  jeunes  sportsmen 
et  clubmen,  bleus  frais  sortis  de  collèges  ecclésiastiques,  rois  en  rupture  de  lit 


Livres  annoncés  sommairement  ,  135 

conjugal,  employés  âgés  et  dignes,  jeunes  époux  du  grand  et  des  autres 
mondes,  quadragénaires  (ou  plus)  des  deux  sexes,  jeunes  filles  de  plusieurs 
nuances,  etc.,  etc.  :  les  types  sur  lesquels  M.  Abel  Hermant  exerce  depuis  long- 
temps sa  verve  et  son  ironie,  défilent  ici  avec  une  finesse  de  relief  et  une  fraîcheur 
de  touche  toujours  neuves.  L'auteur  a  manié  prestement  une  donnée  scabreuse. 
Il  s'est  ingénié  à  tromper  l'attente  émoustillée  du  lecteur  et  à  inventer  l'obstacle 
imprévu  qui  empêche  le  pas  de  se  franchir.  Il  a  prêté  à  ses  personnages  des  scru- 
pules, des  détours  de  sentiment,  des  façons  d'honneur  cocasses,  mélancoliques, 
.  touchants,  impayables.  Son  Premier  pas  compte  parmi  ses  livres  les  plus  amu- 
sants :  mais  la  fantaisie,  chez  lui  comme  chez  nos  conteurs  moralistes  du 
xvine  siècle  dont  il  a  repris  la  tradition,  a  toujours  du  sérieux.         J.  Lasale. 

P.  Harel.  Hobereaux  et  villageois.  —  Paris,  Jouve,  191 1,  in-18,  3  fr.  —  Voici  un 
charmant  livre,  reposant,  satirique  sans  méchanceté,  édifiant  sans  fadeur  :  idylle 
campagnarde  qui  fait  songer  à  G.  Sand.  Les  méchants  se  convertissent,  et  les 
bons,  après  avoir  bien  failli  être  victimes,  se  sauvent  et  deviennent  heureux. 
Finalement,  il  n'y  a  plus  que  de  braves  gens  enchantés  de  vivre,  et  spirituels 
dans  le  bonheur.  C'est  un  conte  de  fées,  plein  d'un  réalisme  d'excellent  aloi,  par- 
fumé d'une  bonne  odeur  de  terroir.  Rusticité,  chansons  de  vénerie,  intérieurs 
villageois,  originaux  de  bon  lignage,  —  il  y  a  de  quoi  s'attendrir,  s'amuser,  sans 
jamais  s'indigner.  Quelques  rapides  nouvelles,  d'une  malice  bon  enfant,  ter- 
minent le  livre  ;  l'une  pourrait  s'appeler  «  les  bienfaits  de  la  Séparation  ».  La 
note  régionaliste  y  est  discrète.  Rien  d'une  agression,  ni  d'un  manifeste.  C'est 
un  livre  de  réconciliation.  Signe  remarquable  :  on  peut  le  lire  à  tout  âge. 

J.  Merlant. 

J.  M.  Barrie.  Piter  Pan  dans  les  Jardins  de  Kensington,  illustré  par  A.  Rackham.  — 
Paris,  Hachette,  191 1,  in-16,  6  fr.  —  Féerie  étrange  à  laquelle  il  est  bien 
difficile  d'attacher  un  sens  quelconque  et  qu'il  faut  prendre  pour  ce  qu'elle  est  : 
une  suite  de  visions  et  de  rêves  élaborés  par  un  cerveau  d'homme-enfant  ingé- 
nieux, mais  compliqué.  Çà  et  là,  de  jolis  ou  d'amusants  détails  ;  mais,  à  la 
longue,  la  fiction  a  quelque  chose  de  laborieux,  l'ironie  paraît  contrainte  ou  fac- 
tice ;  l'ensemble  est  alourdi  par  des  partis-pris  trop  visibles  ou  par  de  fâcheuses 
insistances.  Le  meilleur  de  l'ouvrage  réside  peut-être  dans  les  illustrations,  qui 
sont  charmantes  :  elles  ont  les  grâces  originales  de  l'invention,  la  finesse  du  trait, 
de  rares  délicatesses  de  coloris  ;  et  elles  trouvent  sans  effort  l'esprit  et  la  poésie 
que  l'auteur  cherche  péniblement  dans  son  texte.  M.  Morel. 

HISTOIRE. 

Baguenault  de  Puchesse.  Condillac,  sa  vie,  sa  philosophie,  son  influence.  —  Paris, 
Plon-Nourrit,  1910,  in-12,  3  fr.  50.  —  «  J'ai  pu  recueillir  sur  mon  grand-oncle, 
écrit  l'auteur,  des  traditions  orales,  des  pièces  autographes,  des  portraits,  des  actes 
authentiques  et  nombre  de  livres  lui  ayant  appartenu  ».  De  tout  cela,  hormis 
quatre  lettres  inédites  dont  deux  seulement  sont  de  Condillac,  on  ne  voit  guère 
ce  qui  a  passé  dans  l'ouvrage,  esquisse  correcte,  modérée  dans  l'éloge,  mesurée 
dans  la  critique,  et  peu  assurée  dans  l'une  comme  dans  l'autre.  M.  Baguenault  de 
Puchesse  est  spiritualiste  ;  il  termine  en  citant  Bergson  et  Boutroux,  et  en  sépa- 
rant la  science  de  la  religion.  N.  Ménegay. 

G.  Dodu.  Le  parlementarisme  et  les  parlementaires  sous  la  Révolution  (1 789-1 799).  Ori- 
gines du  régime  représentatif  en  France.  —  Paris,  Pion,  191 1,  in-8,  7  fr.  50.  — 
M.  Dodu  s'est  attelé  à  une  tâche  énorme,  mais  qui  valait  d'être  traitée, 
c'est  d'étudier  le  jeu  du  régime  parlementaire  sous  la  Révolution.  A  vrai  dire,  un 
des  éléments  de  ce  régime  fait  défaut  à  l'époque  révolutionnaire,  qui  est  la  res- 
ponsabilité ministérielle  ;  d'autre  part,  M.  Dodu  ne  s'est  pas  attache  à  déterminer 


136  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

la  psychologie  et  les  manifestations  d'opinion  du  corps  électoral  aux  divers 
moments  des  consultations  nationales.  Mais,  dans  les  limites  qu'il  a  assignées  à 
ses  recherches,  il  nous  renseigne  avec  précision  sur  le  personnel  des  assemblées, 
sur  l'organisation  du  travail  parlementaire,  —  tribune,  bureau,  commissions  et 
comités,  —  sur  les  rapports  du  personnel  parlementaire  avec  l'extérieur,  — l'exté- 
rieur politique  et  mondain,  —  sur  le  mode  de  vie  moyen  des  députés.  Cette 
précision  est  faite  d'une  documentation  abondante,  généralement  bien  choisie, 
où  l'on  regrette  pourtant,  pour  la  Convention,  l'emploi  de  sources  postérieures  et 
de  quelques  sources  suspectes.  Sur  certains  points,  M.  Dodu  a  trop  légèrement 
passé,  et  son  étude  du  «  gouvernement  révolutionnaire  »  reste  insuffisante,  ren- 
dant ainsi  précaire  une  bonne  partie  de  son  développement  sur  la  Convention. 
Mais  une  des  qualités  du  livre  est  qu'il  est  assez  vivant,  bien  qu'il  traite  d'une 
matière  quasi-juridique,  où  l'abstraction  était  l'écueil,  qu'il  fait  assez  bien  com- 
prendre l'existence  des  groupes  et  des  individus  et  révolution  politique  du  système 
tout  entier  ;  les  jugements  d'ordre  éthique  y  sont  encore  trop  nombreux  sans 
doute,  mais  on  y  trouve  des  précisions  numériques,  et  c'est  avec  elles  qu'on  peut 
démontrer  l'inconsistance  de  la  thèse  chère  à  Taine  touchant  l'incompétence  des 
législateurs  révolutionnaires,  et  la  responsabilité  réelle  des  partis  à  l'égard  des 
grandes  mesures  votées  par  les  assemblées  de  la  Révolution.  G.  B. 

H.  d'Alméras.  La  Vie  parisienne  sous  la  Restauration.  —  Paris,  Albin  Michel,  s.  d., 
in-8,  5  fr.  —  Sur  la  rue,  les  petits  spectacles,  les  promenades  et  jardins  d'été,  les 
cafés,  restaurants,  maisons  de  jeu,  bals  et  concerts,  les  fiacres,  cabriolets,  cou- 
cous et  omnibus,  vélocipèdes,  les  théâtres,  la  cour,  le  monde,  les  femmes,  les 
modes,  la  politique  et  la  police,  sur  Hernani  enfin,  M.  d'Alméras  a  réuni  un  cer- 
tain nombre  de  renseignements  utiles  et  d'anecdotes  piquantes.  Le  caractère  des 
livres  de  ce  genre  est  d'être  instructifs  et  amusants,  mais  incomplets  et  arbi- 
traires. L'illustration  ne  se  rapporte  pas  toujours  au  texte  ;  elle  fait  comme  un 
livre  dans  le  livre  ;  elle  est  intéressante,  mais  trop  rare.  J.  Lasale. 

L.  Séché.  La 'Jeunesse  dorée •  sous  Louis-Philippe.  —  Paris,  Mercure  de  France,  1910, 
in-12,  3  fr.  50.  —  L'ouvrage  est  fait  de  51  lettres,  vivement  et  finement  écrites, 
adressées  par  Alfred  Tattet,  grand  chasseur  d'amour,  enleveur  de  femmes  et 
amateur  de  littérature,  à  ses  amis  Guttinguer  et  Arvers.  M.  Séché,  avec  la  curio- 
sité de  savoir  et  l'agrément  qu'on  lui  connaît,  y  a  joint  une  notice  biographique, 
une  trentaine  de  notes  sur  les  personnes  et  les  sujets  qui  se  rencontrent  (Corme- 
nin,  Nodier,  Hugo,  de  petits  Romantiques,  les  maisons  de  jeu,  les  cafés  et  res- 
taurants des  boulevards,  les  viveurs  et  les  femmes  de  la  Restauration,  etc.),  enfin 
un  certain  nombre  de  pièces  inédites  en  vers  et  en  prose,  de  Musset  notamment. 
Ainsi  la  littérature,  l'histoire  littéraire,  l'histoire  de  la  vie  élégante  et  amoureuse 
entre  1830  et  1848  s'enrichissent  par  ce  volume,  qui  est  neuf  et  piquant. 

N.  MÉNEGAY. 

E.  Daudet.  Une  vie  d'ambassadrice  au  siècle  dernier.  La  princesse  de  Lieven.  —  Paris, 
Pion,  in-8,  3  fr.  50.  —  De  la  correspondance  de  la  princesse  de  Lieven  avec 
le  comte  de  Beckendorff,  son  frère,  et  avec  Guizot,  son  ami,  M.  Daudet  a 
tiré,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  la  matière  d'un  livre  :  il  aurait  suffi,  à  notre  avis, 
d'un  article,  ou  il  aurait  fallu  publier  toutes  les  lettres,  le  choix  restant  toujours 
sujet  à  caution.  La  vie  politique  de  la  princesse  n'a  commencé  qu'en  1818,  lors 
du  Congrès  d'Aix-la-Chapelle  et  des  relations  avec  Metternich,  si  curieusement 
dévoilées  par  un  livre  récent.  Dès  lors,  elle  devient  un  personnage  considérable 
du  monde  diplomatique.  L'ambassadrice  à  Londres  fournit  sur  la  société 
anglaise,  la  cour  britannique,  les  grandes  questions  internationales  des  informa- 
tions précises  et  étroites.  Sa  carrière  officielle  cesse  en  1835,  lors  de  sa  rupture 
avec  son  mari,  qui,  après  la  mort  d'un  de  leurs  fils,  lui  a  ordonné  de  rentrer  en 
Russie.  Dès  lors,  elle  vit  surtout  à  Paris,  et  c'est  à  partir  de    1837   la  fameuse 


Livres  annoncés  sommairement  .    .  137 

«  amitié  amoureuse  »  avec  Guizot  :  elle  exerce  sur  Guizot  une  étonnante 
influence  politique  et  morale,  publique  et  privée  qui  dure  jusqu'à  sa  mort, 
en  1857.  Les  lettres  de  Guizot  publiées  dans  ce  volume  intéressent  surtout  l'af- 
faire du  retour  des  cendres  de  Napoléon  1er,  la  question  d'Orient,  le  voyage  de 
la  reine  Victoria  en  France.  B.  G. 

P.  M.  Masson.  Lamartine.  —  Paris,  Hachette,  191 1,  in-12,  2  fr.  —  Une  dispute  est 
ouverte  sur  le  «  vrai  Lamartine  ».  Est-ce  l'élégiaque  des  Méditations,  est-ce  le 
poète  religieux  ou  social  des  Harmonies  ou  des  Recueillements  (lesquels,  dit 
M.  Masson,  seraient  mieux  nommés  Expansions)  ?  En  un  langage  d'une  belle 
tenue,  plein  de  goût  et  de  chaleur,  qui  traduit  une  connaissance  solide  et  minu- 
tieuse de  l'œuvre  et  de  ses  exégètes,  M.  Masson  a  pris  parti  pour  le  second.  Et 
il  a  enlevé  (de  haute  lutte,  dit-on)  le  prix  d'éloquence  au  concours  académique 
de  19 10.  Sa  brochure  trace  d'abord  la  courbe  de  l'inspiration  lamartinienne  ;  puis 
il  affirme  et  définit  1'  «  art  lamartinien  »  qu'il  montre  gagnant  sans  cesse,  non 
seulement  en  richesse,  en  puissance,  mais  en  précision  objective  et  plastique  ; 
enfin  il  insiste,  contre  ce  qui  peut  rester  d'une  légende  douceâtre,  sur  la  force  et 
l'inépuisable  virilité  du  tempérament  de  Lamartine,  poète  et  héros.  Et  tout  cela 
n'est  peut-être  pas  aussi  neuf  que  parfois  M.  Masson  semble  le  croire.  Et  sans 
ignorer  ni  méconnaître  les  «  poèmes  aux  fortes  pensées  »  mais  d'expression  si 
inégale,  qu'il  déclare  «  inconnus  aujourd'hui  »,  on  peut  opposer  préférence  à  pré- 
férence et,  par  amour  du  français,  revenir  plutôt  aux  soupirs,  si  simples,  mais  si 
purs  et  si  profonds,  du  poète  quand  il  n'était  encore  que  poète.  En  tout  cas,  il  faut 
convenir  que  rien  ne  manque  dans  cet  opuscule  que  la  critique  des  défauts,  qui 
peut-être  n'y  avait  pas  de  place,  et  que  Lamartine  tout  entier  y  est  loué  et  même 
expliqué  dignement.  J.  Bury. 

Elsie  et  Emile  Masson.  Lettres  d'amour  de  Jane  IVelsh  et  de  7 hantas  Carlyh,  traduites 
des  textes  originaux.  —  Paris,  Mercure  de  France,  19 10,  2  vol.  in-12,  3  fr.  50 
chacun.  —  Il  est  peu  de  lectures  plus  attachantes,  plus  enrichissantes  que 
ces  lettres.  Un  roman  vécu,  sincère,  aux  mille  péripéties  menues  ou  sérieuses  ; 
le  progrès  de  deux  sentiments  très  inégaux  à  l'origine  vers  une  pleine  et  forte 
harmonie  ;  l'éducation  d'un  esprit  et  d'un  cœur  féminin  par  le  plus  passionné,  le 
plus  génial  des  maîtres  :  voilà  de  quoi  nous  intéresser  et  nous  instruire.  Mais  en 
outre  une  grande  injustice  est  ici  corrigée,  qui  pèse  encore  et  malgré  tout  sur  la 
mémoire  de  Carlyle  ;  la  véritable  nature  de  sa  spirituelle  et  romanesque  fiancée, 
les  germes  d'inquiétude  et  de  déception  que  contenait  en  abondance  son  carac- 
tère ;  la  tendresse  généreuse  et  libérale  de  l'homme  que  l'on  devait  appeler  un 
bourreau  domestique,  protestent  avec  l'éloquence  des  faits  et  des  textes  reconsti- 
tués contre  les  falsifications  de  Froude.  Les  traducteurs  ont  voulu  prendre  parti 
dans  cette  querelle  ;  ces  lettres  récemment  livrées  au  public  leur  en  donnaient  le 
droit.  Ils  se  sont  acquittés  avec  conscience  et  scrupule  de  leur  longue  tâche  ;  ils 
n'ont  pu  éviter  les  erreurs  légères,  les  inexactitudes  dont  on  ne  s'affranchit  que- 
par  une  minutieuse  attention  au  détail,  et  une  connaissance  très  sûre  des  deux 
langues.  L.  Cazamiaw 

E.  Galabert.  Souvenirs  sur  Emile  Pouvillon.  —  Toulouse,  Ed.  Privât  et  Paris,  Plon- 
Nourrit,  1910,  in-16,  sans  indication  de  prix.  —  M.  Galabert  a  su  trier  sévère- 
ment les  souvenirs  qu'il  avait  gardés  de  sa  longue  intimité  avec  Pouvillon.  11 
s'est  interdit  tout  ce  qui  n'aurait  eu  qu'un  intérêt  sentimental  ou  anecdotique  et, 
malgré  son  affection  profonde  pour  le  disparu,  il  a  su  garder,  au  cours  de  son 
récit,  le  ton  sobre  et  objectif  qui  convient  à  l'historien.  Tous  ceux  qui  aiment 
Pouvillon  trouveront  dans  ces  Souvenirs  de  nouvelles  raisons  d'admirer  ses 
œuvres.  Grâce  à  M.  Galabert,  ils  pourront  pénétrer  les  secrets  de  son  art  délicat. 
Ils  apprendront,  par  surcroît,  à  aimer,  au-delà  de  ses  livres,  l'homme  lui-même 
et  ils  auront  une  idée  de  ce  que  fut  cette  existence  provinciale,  belle  de  son  efla- 


138  ■ Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

cernent  volontaire.  Ce  petit  livre  n'est  pas  seulement  une  excellente  introduction 
à  l'œuvre  d'un  romancier  qui  n'est  pas  encore  apprécié  à  sa  juste  valeur  ;  il  est 
intéressant  en  lui-même,  comme  l'est  tout  document  sincère  sur  l'âme  et  la  vie 
d'un  homme  supérieur.  L.  Delaruelle. 

C.  Enlart.  Le  Musée  de  sculpture  comparée  du  Trocadèro.  —  Paris,  H.  Laurens, 
191 1,  in-8,  5  fr.  50.  —  Ce  volume  fait  partie  de  la  Collection  illustrée  «  Les 
grandes  institutions  de  France  »,  où  des  monographies  ont  déjà  paru  sur  la  Mon- 
naie, l'Institut,  le  Musée  du  Louvre,  etc.  C'est  un  catalogue  sommaire,  suivant 
l'ordre  chronologique,  des  principaux  monuments  qui  figurent  au  Trocadèro. 
Espérons  qu'il  rendra  plus  de  services,  en  son  genre,  que  le  scandaleux  opuscule 
qui  se  vend  dans  l'établissement  sous  le  titre  de  Catalogue  des  moulages  mis  en 
vente...  Cette  brochure  a  été  rédigée  avec  un  mépris  souverain,  et  vraiment 
administratif,  du  public  qui  cherche  à  user  des  ressources  de  la  maison.     P.  D. 

A.  Albert-Petit.  Histoire  de  Normandie.  —  Paris,  Boivin,  s.  d.  [191 1],  in-12,  3  fr.  — 
Ce  petit  livre,  simplement,  mais  convenablement  illustré  (par  des  photographies 
de  monuments),  est  sans  doute  un  ouvrage  de  circonstance,  rédigé  à  l'occasion 
du  «  Millénaire  »  de  la  Normandie,  qui  a  été  célébré  cette  année.  Mais  il  est 
clair,  sans  prétention  et  sensé.  On  aurait  pu  faire  beaucoup  moins  bien. 

Ch.-V.  L. 

VOYAGES. 

Duc  d'ÛRLÉANS.  Chasses  et  chasseurs  arctiques,  avec  25  gravures.  —  Paris,  Pion, 
191 1,  in-12,  3  fr.  50.  —  «  Madame,  il  fait  grand  froid  et  j'ai  tué  »  des  ours 
blancs,  des  rennes,  des  morses,  des  phoques  et  beaucoup  d'autres  bêtes.  «  J'ai 
eu  »,  dit  l'auteur  (p.  xxm),  «  la  grande  consolation  de  sentir  que  je  servais  mon 
pays  et  le  bon  renom  de  la  France  en  employant  dans  ces  voyages  lointains  ce 
que  j'ai  de  force  et  d'activité  ».  De  tels  exercices  ont,  d'ailleurs,  l'avantage  de 
préparer  au  métier  de  roi.  Ils  ont,  ce.s  exercices,  «  formé  et  mûri  l'homme  que  je 
voudrais  être  pour  me  trouver  à  la  hauteur  de  la  lourde  tâche  qui  m'attend,  s'il 
plaît  à  Dieu...  »  P.  Dubois. 

G.  Clemenceau.  Notes  de  voyages  dans  l'Amérique  du  Sud.  —  Paris,  Hachette,  191 1, 
in-12,  3  fr.  50.  —  M.  Clemenceau  raconte  dans  cet  ouvrage,  écrit  pour  Y  Illus- 
tration, mais  qui  ne  comporte  pas,  pourtant,  d'illustrations,  ce  qu'il  a  vu  pendant 
sa  tournée  de  conférences  en  Argentine,  Uruguay  et  Brésil,  où  il  fut  reçu  en 
triomphe.  C'est  intéressant,  comme  presque  tout  ce  qu'écrit  l'auteur  :  un  peu 
de  rhétorique  surannée,  beaucoup  de  belle  humeur,  d'intelligence  et  de  vie. 
Notes  d'homme  politique,  de  poète,  de  chasseur.  M.  Clemenceau  a  trouvé 
moyen,  dans  la  pampa  où  le  gibier  surabonde,  de  chasser  «  à  la  casquette  » 
(p.  164),  comme  il  faisait  jadis,  dans  sa  circonscription  provençale,  avec  Tar- 
tarin  ;  mais,  ici,  le  jet  de  la  casquette  sert  à  faire  lever  le  perdreau  qui  piète,  et 
non  à  le  remplacer.  Nogaret. 

L.  Bertrand.  Le  Livre  de  la  Méditerranée.  —  Paris,  B.  Grasset,  191 1,  in-12,  3  fr.  50.  — 
L.  Bertrand  est,  comme  on  sait,  une  sorte  de  Montenard  qui  a  la  spécialité  de 
peindre  des  paysages  méditerranéens  et  les  hommes  qui  les  habitent  :  Algérie,  Grèce, 
Palestine,  Catalogne,  etc.,  tous  les  pays  des  Teurs.ll  ne  fait  guère  que  cela,  sous 
forme  de  romans  ou  de  «  livres  de  voyage  ».  Et  sa  verve  un  peu  vulgaire,  encore 
que  prétentieuse,  n'est  pas  toujours  déplaisante  (1).  —  Il  a  cru  le  moment 
venu  de  publier  un  florilège  de  ses  œuvres.   En  ce  temps  où  la  mode   des 


(1)  Voir  ce  qui  a  été  dit,  ici-même,  de  l'uu  de  ses  meilleurs  ouvrages  (Bulletin,  IV,  p.  60). 


Livres  annoncés  sommairement  ============  139 

«  morceaux  choisis  »  sévit  plus  que  jamais,  on  commence  à  ne  plus  attendre 
que  les  gens  soient  morts  pour  composer  des  bouquets  avec  leurs  «  plus  belles 
pages  ».  M.  L.  Bertrand,  jugeant  donc,  comme  Ch.  Péguy,  plus  sûr  de  se  servir 
lui-même,  a  extrait  de  ses  propres  mains  ce  qu'il  y  a  de  mieux,  à  son  avis,  dans 
ses  livres  antérieurs  pour  en  former  celui-ci.  «  J'ai  pensé  »,  dit-il  non  sans 
fatuité,  «  que  le  lecteur  prendrait  sans  doute  quelque  plaisir  à  faire,  avec  moi, 
le  tour  du  grand  lac  méditerranéen  »...  Deux  morceaux  inédits,  l'un  sur  la 
Catalogne  espagnole,  l'autre  sur  la  Mer  Morte  (i),  complètent  le  volume;  ce  ne 
sont  pas  les  meilleurs.  M.  Pol. 

SOCIOLOGIE. 

G.  Ransson.  Essai  sur  l'art  de  juger.  —  Paris,  Pédone,  191 1,  in-12,  3  fr.  50.  — 
«  Ces  notes  jetées  sans  prétentions,  dit  l'auteur  (p.  21),  observations  recueillies  au 
cours  d'un  quart  de  siècle  de  vie  judiciaire,  ne  doivent  laisser  derrière  elles 
aucune  impression  d'austérité.  »  Sous  une  forme  qui,  en  effet,  n'a  rien  de  morose 
ni  de  pédantesque,  l'auteur  donne  d'excellents  conseils  de  moralité  et  de  conve- 
nance professionnelles  aux  jeunes  gens  qui  abordent  la  carrière  de  la  magistra- 
ture. En  appendice,  un  rapport  très  intéressant  sur  la  réforme  du  code  de  procé- 
dure civile,  rapport  qui  fut  adopté  à  l'unanimité  par  l'assemblée  générale  du  tri- 
bunal de  la  Seine,  le  6  déc.  1907.  E.  Goblot. 

P.  Baudin.  La  dispute  française.  —  Paris,  Fasquelle,  19 10,  in-16,  3  fr.  50.  —  La 
dispute  française,  c'est  la  dispute  politique  qui  se  poursuit  en  France,  «  le 
pays  de  la  dispute  »,  dans  les  milieux  les  plus  divers  ;  plus  particulièrement, 
c'est  ici  la  dispute  politique  qui  s'est  livrée  pendant  la  législature  1906-1910.  Car 
ce  livre  est  essentiellement  celui  d'un  homme  politique,  qui  en  a  conçu  et  formé 
les  éléments  dans  le  cadre  de  la  vie  parlementaire.  Les  articles  dont  il  est  composé 
ont  été  répartis  sous  cinq  chefs  :  la  crise  du  parlementarisme,  le  parti  radical,  le 
syndicalisme  (ouvriers  et  fonctionnaires),  le  ministère  Briand,  rétrogradations. 
Les  idées  qui  y  sont  exposées,  malgré  les  déclarations  de  l'auteur  en  faveur  des 
méthodes  réalistes  et  positives,  relèvent  moins  de  la  science  que  de  la  polémique  ; 
les  positions  sont  celles  que  M.  Baudin  a  prises  dans  la  vie  politique,  celles  d'un 
radicalisme  gouvernemental,  féru  d'indépendance  dans  la  doctrine  et  dans 
l'action,  solidement  conservateur  et  disciplinaire,  soucieux  de  progrès  matériels  et 
de  tout  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui,  en  politique,  les  «  réalisations  ».     H.  B. 

Ch.  Brouilhet.  Revue  des  faits  économiques  de  l'année  1910.  —  Lyon,  Georg,  191 1, 
in-8,  2  fr.  —  Cette  Revue,  adressée  et  exposée  à  la  Société  d'économie  poli- 
tique de  Lyon,  dans  sa  séance  du  16  décembre  1910,  répartit  en  trois  sections 
d'utiles  renseignements  et  une  matière  assez  confuse  et  disparate  :  principaux 
faits  de  politique  extérieure  (pourquoi  mentionnés  ici  ?)  et  conflits  sociaux,  — 
les  hommes  et  la  terre,  les  marchandises,  les  capitaux,  —  pays  à  évolution 
économique  complète,  pays  à  évolution  incomplète,  colonies.  H.  B. 

PHILOSOPHIE  ET  SCIENCES. 

A.  Mênard.  Analyse  et  critique  des  principes  de  la  psychologie  de  IV.  James.  —  Paris, 
F.  Alcan,  191 1 ,  in-8,  7  fr.  50.  —  Si  grand  que  soit  l'intérêt  d'une  doctrine  phi- 
losophique, celui  qui  s'attache  à  la  genèse  de  cette  doctrine  est  plus  grand 
encore.  M.  Ménard  remonte  aux  origines  psychologiques  de  la  philosophie  de 
James,  ou  plutôt  expose  la  psychologie  qui  sert  de  base  à  cette  philosophie  et 
qui  se   suffirait   à  elle-même,  ce  couronnement  métaphysique  ôté.    Il  en  fait 


(1)  Comparer  ce  dernier  morceau  au  livre  Ju  P.  F.-M.  Abel  (Une  croisière  autour  de  la  Met- 
Morte.  Paris,  Gabalda,  191 1),  qui,  dans  sa  simplicité,  laisse  une  impression  bien  plus  forte. 


140  Revue  critique  dès  Livres  nouveaux 

ressortir  l'originalité  profonde  :  l'originalité  de  la  méthode  d'abord,  qui  est 
«  l'empirisme  radical  »,  l'originalité  des  thèses  ensuite  (critique  de  l'atomisme 
psychologique,  de  l'associationisme,  de  la  psycho-physique,  théorie  du  flot  cons- 
cient), qui  semblent  entraîner  la  négation  de  la  psychologie  comme  science  et 
aboutir  au  scepticisme,  mais  renouvellent  simplement  la  notion  de  science  psy- 
chologique. Il  poursuit  dans  le  détail  l'examen  de  ces  thèses  et  s'applique  à  les 
distinguer  surtout  de  celles  de  M.  Bergson.  M.  Ménard  traite  James  comme  un 
classique  :  il  le  suit,  le  commente,  l'éclairé,  il  est  jaloux  de  sa  gloire  et  de  son 
originalité  plus  que  ne  semble  l'avoir  été  James  lui-même.  C'est  là  un  souci  de 
précision  et  de  rigueur  dont  il  convient  au  reste  de  lui  savoir  gré.      L.  Dugas. 

Hospitalier  et  G.  Roux.  Formulaire  de  l'Electricien  et  du  mécanicien.  —  Paris, 
Masson,  191 1,  in-8,  10  fr.  —  Signalons  la  25e  édition  de  l'ouvrage  clas- 
sique de  M.  Hospitalier,  tenu  au  courant  des  derniers  progrès  scientifiques  par  la 
substitution  aux  anciens  tableaux  de  données  expérimentales  plus  précises. 

R.-M.  L. 

R.  et  C.  Kearton.  La  Vie  des  oiseaux  et  des  insectes  surprise  par  la  photographie.  — 
Paris,  P.  Roger,  s.  d.  [1911],  avec  160  photographies  instantanées,  4  fr.  —  La 
partie  du  livre  la  plus  importante  est  celle  qui  traite  des  appareils  employés  pour 
prendre  sur  le  vif  les  êtres  sauvages  dans  leurs  attitudes  caractéristiques  :  jumelle 
pour  guetter  les  oiseaux,  tronc  d'arbre  artificiel,  tas  d'herbes  ou  rocher  factice, 
bœuf  ou  mouton  empaillé  pouvant  contenir  le  photographe  et  son  appareil,  tente- 
abri  recouverte  de  bruvère,  masque  taillé  dans  une  souche.  Les  auteurs,  en 
appliquant  leurs  ingénieux  procédés  ont  pu  observer  quantité  d'oiseaux  et 
d'insectes  dans  les  campagnes  d'Ecosse  et  d'Angleterre  et  en  donner  de  curieux 
instantanés.  En  accumulant  beaucoup  de  documents  analogues  par  cette  méthode 
précise,  les  naturalistes  auraient  les  éléments  d'une  vaste  histoire  des  êtres  vivants 
qui  compléterait  celle  des  laboratoires  et  des  muséums.  M.  R. 

Brocq-Rousseu  et  E.  Gain.  Les  ennemis' de  l'Avoine.  —  Paris,  Asselin  et  Houzeau, 
1910,  24  pi.  de  M.  Gonnet,  5  fr.  —  Ce  livre,  rédigé  en  vue  de  la  conservation 
de  l'Avoine,  constitue  en  réalité  une  excellente  étude  de  la  conservation 
des  grains  en  général.  Les  ennemis  de  l'Avoine  comprennent  les  parasites  ani- 
maux et  végétaux  et  quelques  maladies  microbiennes  examinés  successivement 
en  ce  qu'ils  nuisent  à  la  plante  entière  ou  au  grain  dans  les  greniers.  La  détermi- 
nation technique  des  Charbons,  des  Rouilles  et  autres  Champignons  parasites  qui 
attaquent  l'Avoine  est  facilitée  par  une  analyse  rapide  de  leurs  principaux  carac- 
tères et  par  des  dessins  nombreux  et  clairs  ;  après  chaque  exposé,  les  auteurs 
donnent  les  méthodes  de  traitements  curatifs  ou  préventifs.  Le  chapitre  relatif  aux 
animaux  parasites  est  traité  sur  le  même  plan.  La  dernière  partie  renferme  une 
étude  détaillée  des  moisissures  des  grains  d'autant  plus  intéressante  que  l'un  des 
auteurs,  M.  Brocq-Rousseu,  a,  en  1907,  soutenu  devant  la  Faculté  des  Sciences 
de  Paris  une  thèse  de  doctorat  sur  ce  sujet  (Recherches  sur  les  Altérations  des 
grains  des  céréales  et  des  fourrages).  L.  Blaringhem. 


Imp.  F.  Paillart,  Abbeville.  Le  Gérant  :  Éd.  Cornily. 


REVUE     CRITIQUE 

des 

Livres    Nouveaux 


VIe  Année,   n'  8.  (deuxième  série)  i5  Octobre   1911 


DEUX  ÉTUDES  RECENTES  SUR  LA  PREMIÈRE  COMMUNE 
RÉVOLUTIONNAIRE. 


F.  Braesch.  —  La  Commune  du  Dix  Août  1792.  Étude  sur  l'his- 
toire de  Paris  du  20  juin  au  2  décembre  1792.  —  Paris,  Hachette  et 
C'e,  191 1,  in-8,  xvm-1236  p.,  25  fr. 

P.  Lacombe.  —  La  Première  Commune  révolutionnaire  de  Paiis  et 
les  Assemblées  Nationales.  —  Paris,  Hachette  et  O,  191 1,  in-8,  xm- 
389  P-,  7  fr-  50- 

A  la  simple  lecture  des  titres,  on  comprend  pourquoi  nous  rapprochons 
ces  deux  ouvrages,  qui  traitent  l'un  et  l'autre  de  la  même  période  capitale  de 
l'histoire  de  la  Révolution. 

Le  livre  de  M.  Braesch  a  été  présenté  comme  thèse  de  doctorat  ès-lettres 
à  l'Université  de  Paris.  Un  des  juges  l'a  publiquement  appelé  «  un  monu- 
ment d'érudition  ».  En  effet,  une  documentation  luxuriante  le  caractérise. 
L'auteur  paraît  avoir  dépouillé  à  peu  près  toutes  les  sources  contemporaines 
aujourd'hui  accessibles  ;  il  a  intégré  dans  son  texte  ou  donné  en  notes  une 
énorme  quantité  de  citations,  parfois  longues,  et  de  références.  Par  ces  résul- 
tats précieux  d'un  labeur  vaste  et  méritoire,  il  a  rendu  un  incontestable  service 
à  la  science. 

D'autres  qualités  recommandent  le  livre  :  exacte  analyse  et  critique 
intelligente  des  documents,  effort  heureux  d'impartialité  ;  celle-ci  encore, 
qui  est  particulièrement  notable  :  l'auteur  se  meut  avec  aisance  dans  une 
masse  de  faits  complexes  et  touffus  ;  il  ne  fait  grâce  d'aucun  détail,  mais  la 
clarté  du  récit  n'y  perd  rien.  Un  style  simple,  net,  sans  emphase,  facilite 
aussi  la  tâche  du  lecteur. 

Ce  livre,  qui,  à  cause  de  ses  vastes  dimensions  et  des  multiples  faits  de 
caractère  varié  qu'il  rapporte,  échappe  à  l'analyse,  n'est  que  la  première  par- 
tie d'une  histoire  politique  de  la  Commune  de  Paris  pendant  la  Teneur,  que 
M.  Braesch  prépare  et  annonce  ;  il  n'embrasse  que  les  quatre  mois  d'août  à 
décembre  1792.  Comme  la  Commune  joue  un  rôle  prépondérant,  l'auteur 
entend,  à  juste  titre,  en  faisant  le  tableau  de  l'histoire  parisienne,  écrire  une 
page  de  l'histoire  générale  de  la  France  :  celle  de  l'avènement  de  la  démo- 
cratie. Pour  la  première  fois,  l'action  des  sections  parisiennes  est  l'objet 
d'une  investigation  méthodique.  M.  Braesch  déclare  s'occuper  principale- 
ment de  l'histoire  politique,  mais  se  garde  d'omettre  les  faits  d'un  autre 
caractère  qui  ont  eu  de  l'influence  sur  les  événements  et   les  éclairent.   C'est 


142  ===^=======  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

pourquoi  les  facteurs  économiques  et  religieux  sont  étudiés  par  lui  avec  soin. 
Il  prend  sur  le  vif  de  l'existence  quotidienne  la  petite  bourgeoisie  commer- 
çante et  les  politiciens  de  quartier,  qui  furent  alors  les  artisans  de  l'histoire, 
inspirèrent  la  conduite  de  la  Commune  antimonarchique,  anticléricale,  anti- 
féodale, antifinancière,  et,  par  la  Commune,  firent  la  loi  à  l'Assemblée  natio- 
nale, indirectement  soumise  à  la  domination  violente,  parfois  sanglante,  d'une 
audacieuse  minorité  populaire. 

Malgré  la  très  grande  analogie  de  l'objet,  le  livre  de  M.  Paul  Lacombe  dif- 
fère de  celui  de  M.  Braesch  par  le  sujet,  par  le  but  et  la  méthode  de  l'auteur, 
par  les  résultats  atteints.  M.  Lacombe  n'étudie  pas  les  événements  qui  sont 
la  trame  de  l'histoire  de  la  première  Commune  révolutionnaire  ;  il  ne  s'inté- 
resse qu'aux  rapports  de  la  Commune  avec  la  Législative  et  la  Convention. 
Cette  délimitation  très  restrictive  est  parfaitement  légitime.  Avec  une  crânerie 
qu'il  faut  souligner,  l'auteur  cherche  à  montrer  comment  les  acteurs  du  drame 
de  1792  ont  généralement  méconnu  les  règles  de  la  morale  et  du  droit  ;  il 
entend  censurer  leur  conduite.  Là  est  l'originalité  qu'il  ambitionne  :  «  L'his- 
toire de  cette  période,  dit-il,  a  été  souvent  écrite  avec  une  indifférence  pour 
la  légalité,  pour  la  probité  politique,  et  une  insensibilité  pour  le  crime,  dont 
on  a  droit  de  s'étonner.  D'autant  plus  que  les  historiens  auxquels  je  pense 
[tels  Louis  Blanc,  Michelet,  Hamel]  faisaient  profession  d'être  à  l'avant-garde 
de  la  démocratie,  alors  qu'ils  méconnaissaient  une  vérité  évidente,  à  savoir 
que  la  légalité  est  tout  à  la  fois  la  même  chose  que  la  probité  en  politique, 
et  la  même  chose  que  la  démocratie,  depuis  que  la  loi  n'est  plus  le  fait  d'un 
individu,  ni  d'une  classe,  mais  le  fait  du  peuple  ;  depuis  que  la  lex  vient  du 
démos  ».  Ce  but  étant  posé,  qu'il  s'agit  de  juger  l'attitude  morale  des  hommes, 
il  s'ensuit  que  leurs  actes  ne  suffisent  pas  sans  les  mobiles.  Quels  sentiments 
inspirèrent  ces  actes,  voilà  le  véritable  objet  de  recherche  pour  l'historien. 
C'est  en  psychologie  humaine  que  doivent  se  traduire  pour  lui  les  événe- 
ments. «  Les  faits  établis  dans  leur  succession,  dans  leurs  rapports  de  cause  à 
effet,  d'effet  à  cause,  ne  sont  pas,  écrit  M.  Lacombe,  le  dernier  terme,  le 
dernier  effort  d'un  historien  qui  connaît  toute  l'étendue  de  sa  tâche.  La  vérité 
ultime  de  l'histoire  consiste  dans  la  découverte  des  mobiles  véritables  de 
chacun  des  acteurs  qui  concourent  à  faire  tel  drame  ou  telle  comédie  histo- 
rique ;  et  c'est  là  une  découverte  qui  présente  plus  de  difficulté  qu'il  ne 
semble  peut-être  à  beaucoup  d'esprits,  par  ce  phénomène  très  fréquent 
qu'une  action,  la  même  extérieurement,  peut,  dans  les  agents  concourants, 
procéder  de  motifs  très  divers,  parfois  opposés.  L'acte  considéré  seul,  isolé- 
ment, est  donc  un  renseignement  ambigu.  Il  ne  dit  pas  d'une  manière  indu- 
bitable le  mobile  de  l'agent.  L'acte  est  dans  une  certaine  mesure  comme  un 
muet  qui  gesticule.  »  Ces  passages  de  la  préface  font  comprendre  le  caractère 
et  la  tendance  de  ce  nouveau  livre  d'un  écrivain,  dont  nous  avons  toujours 
aimé  l'esprit  vigoureux,  original,  ingénieux  et  pittoresque. 

Le  point  de  vue  de  M.  Lacombe,  —  sur  lequel  il  serait  possible  de  faire  des 
réserves  et  de  discuter,  —  commande  sa  méthode.  Où  chercher  les  mobiles 
de  ces  politiciens  de  1792,  dont  la  tribune  est  le  principal  centre  d'action, 
sinon  surtout  dans  leurs  discours  ?  Le  livre  est  un  résumé  des  débats  de  la 
Législative  et  de  la  Convention,  des  séances  de  la  Commune  ;  les  paroles  de 
chaque  orateur  sont  passées  au  crible  par  un  moraliste  et  un  juriste  ému, 
indigné,  devant  qui  aucun  personnage  ne  trouve  finalement  grâce  :  il  n'y  a 
plus,  dit-il,  un  homme  digne  de  son  entière  admiration,  plus  personne  qui 


Deux  études  sur  la  première  commune  révolutionnaire      ■    ■  143 

soit  son  héros.  C'est  donc  ainsi  à  une  revision  des  opinions  traditionnelles, 
et  des  jugements  qu'il  avait  adoptés  sans  examen,  que  M.  Lacombe  aboutit, 
et  qu'il  nous  convie,  en  remettant  sous  nos  yeux  la  physionomie  des  séances, 
en  accompagnant  les  discours  reproduits  de  réflexions  et  d'observations  quasi 
juxtalinéaires.  En  des  développements  étendus,  ou  en  une  phrase,  ou  même 
par  une  exclamation,  il  souligne  et  dénonce  chez  les  orateurs  les  vices  de 
l'intelligence,  du  cœur  et  du  caractère.  Ainsi,  au  moyen  d'une  sorte  d'exé- 
gèse morale  et  juridique,  il  recueille  les  traits  du  tableau  atroce  et  sanglant 
qui  est  celui  de  la  domination  de  la  Commune  révolutionnaire. 

On  ne  contestera  pas  la  réalité  des  couleurs  de  ce  tableau,  ni  les  déplo- 
rables effets  de  la  mauvaise  foi,  de  la  suspicion,  de  la  peur  et  de  la  cruauté. 
On  se  demandera  seulement  quelle  doit  être  au  juste  la  place  du  livre  dans  la 
littérature  du  sujet.  Ce  n'est  pas  méconnaître  les  intentions  de  M.  Lacombe, 
que  de  juger  cette  place  exceptionnelle,  presque  paradoxale.  Nous  avons  ici 
les  impressions  d'un  honnête  homme  très  intelligent,  plein  de  reconnais- 
sance pour  la  Révolution,  de  sympathie  pour  l'esprit  moderne  qui  en  est  issu  ; 
impressions  au  jour  le  jour,  comme  de  quelqu'un  qui  aurait  assisté  aux 
séances  qu'il  raconte,  et  entendu  les  discours  qu'il  commente.  Voilà  donc  un 
morceau  d'histoire  délibérément  subjective.  Impartiale  tout  de  même,  parce 
que  l'auteur  s'abstient  de  «  parti-pris  religieux  ou  politique  »  ;  il  n'a  qu'un 
parti-pris  moral,  si  l'on  peut  dire,  et  il  écrit  à  cœur  ouvert,  s'abandonne  à 
sa  «  sensibilité  ».  Aussi  son  explication  des  événements  et  des  actes  entend- 
elle  se  passer  des  raisons  ordinairement  alléguées  :  le  danger  de  la  patrie,  le 
salut  public,  la  crise  économique  ;  ce  ne  sont,  suivant  M.  Lacombe,  que  les 
prétextes  des  aigrefins  et  des  maniaques  de  la  démagogie  parisienne  ;  il  faut 
voir,  dit-il,  «  les  vraies  causes  »  dans  «  les  mobiles  intéressés,  égoïstes, 
odieux  »,  qui  ont  inspiré  les  crimes  de  la  Commune,  assemblée  illégale 
s'érigeant  scandaleusement  contre  les  pouvoirs  légaux.  Et  ces  mobiles  sont 
uniquement  ceux  que  révèlent  les  discours  :  les  mémoires,  les  correspon- 
dances sont,  comme  éléments  moins  sûrs  d'information,  systématiquement 
exclus  de  la  documentation  de  l'auteur,  du  moins  à  titre  provisoire. 

Si  nous  avons  réussi  à  noter  exactement  le  caractère  des  ouvrages  de 
MM.  Braesch  et  Lacombe,  nous  recommanderons  le  premier  comme  un 
tableau  d'histoire  à  la  fois  large  et  minutieux  et  un  précieux  instrument  de 
travail  ;  —  le  second  comme  le  curieux  réquisitoire  d'un  républicain  probe 
contre  les  violences  et  les  illégalités  des  premiers  terroristes. 

C.  Bloch. 


COMPTES  RENDUS 


J.  Boissière.  —  Propos  d'un  intoxiqué.   —  Paris,  Louis-Michaud, 
s.  d.  [191 1],  320  pp.,  in-16,  3  fr.  50. 

J.  Boissière,  né  à  Clermont-l'Hérault  en  1863,  est  mort  à  Hanoï,  vice- 
résident  de  France,  en  1897.  H  a  laissé  des  vers  français  et  provençaux  de  sa 
prime  jeunesse  qui  sont  très  bien,  et  un  livre,  Fumeurs  d'opium,  d'abord  tiré  à 


144  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

petit  nombre,  dont  il  a  été  rendu  compte  ici  (i)  lorsqu'il  en  fut  donné  récem- 
ment une  réédition  pour  le  public. 

J.  Boissière,  rédacteur  parlementaire  à  la  Justice  de  Clemenceau,  partit 
brusquement,  en  1886,  pour  le  Tonkin,  avec  Paul  Bert.  Il  y  fit  son  service 
militaire,  puis  resta  là-bas  comme  administrateur. 

C'était  un  homme  très  intelligent  et  un  artiste.  Il  apprit  la  langue  du  pays, 
regarda  et  écouta  autour  de  lui,  essaya  de  comprendre,  nota  des  types  et  des 
paysages.  Il  apprit  aussi  à  fumer  l'opium  et  s'intoxiqua.  On  croit  volontiers 
qu'il  est  mort  à  temps. 

Il  n'a  publié,  de  son  vivant,  sur  les  hommes  et  les  choses  de  l'Indo- 
Chine,  que  quelques  plaquettes  (dont  l'une  est  précisément  intitulée  Propos 
d'un  intoxiqué)  et  Fumeurs  d'opium,  qui  est  un  recueil  de  nouvelles.  Mais  sa 
veuve,  née  Térèse  Roumanille,  et  ses  amis  ont  trouvé  dans  ses  papiers 
l'ébauche  d'un  grand  roman  —  sorte  de  roman  de  la  Conquête  —  qui  devait 
s'appeler  Terre  de  fièvre,  et  des  carnets  de  route.  Ils  ont  résolu  de  publier,  en 
même  temps  que  les  plaquettes  précitées,  ces  «  Inédits  »,  en  deux  tomes 
dont  celui  que  voici  est  le  premier.  Ils  l'ont  fait  avec  piété,  avec  tact  —  et 
non  sans  hésitation,  car  «  il  ne  s'agit  point  ici  d'une  opération  de 
librairie  trop  fréquente  où  l'on  vide  des  tiroirs  pour  exploiter  le  der- 
nier filon  d'un  auteur  en  vogue  dont  les  héritiers  et  l'éditeur  conti- 
nuent le  commerce  après  décès  ».  —  Le  volume  est  précédé  d'une  excellente 
préface  de  M.  Jean  Ajalbert. 

Il  y  a  de  très  belles  choses  dans  ce  prtmier  volume,  que  je  prends  la 
liberté  de  considérer,  contrairement  à  l'avis  exprimé  par  M.  Ajalbert,  comme 
plutôt  supérieur  à  Fumeurs  d'opium.  J.  Boissière  était  un  littérateur  très  expert  ; 
il  s'ensuit  qu'il  y  a  un  peu  trop  de  littérature  dans  ses  Fumeurs,  qui  sont  un 
ouvrage  achevé.  Nous  avons  ici,  en  plusieurs  endroits,  des  notations  plus 
parfaitement  sincères,  l'impression  directe,  le  premier  jet.  —  M.  Ajal- 
bert a,  d'ailleurs,  tout  à  fait  raison  de  dire  que  le  talent  de  J.  Boissière  ne  doit 
rien,  ou  presque  rien,  à  l'opium.  Il  en  avait  avant  de  fumer  ;  c'est  malgré  le 
poison  qu'il  en  a  eu  jusqu'à  la  fin.  Voir  pourtant  le  récit  de  la  vision  que 
l'auteur  eut  square  Paul  Bert,  à  Hanoï,  l'année  qui  précéda  sa  mort  (p.  313- 
316);  ce  chef-d'œuvre  en  trois  pages  a  l'odeur  vireuse  de  la  toute-puissante 
drogue.  P.  Dubois. 


Comtesse  de  Pardo  Bazan.  —  Le  Château  de  Ulloa.  Traduit  de 
l'Espagnol  par  A.  Fortin.  —  Mère  Nature.  Traduit  de  l'Espagnol  par 
J.  Demarès  de  Hill.  —  Paris,  Hachette,  1910  et  191 1,  in-16,  304  et 
300  p.,  3  fr.  50. 

Mme  Pardo  Bazan  n'est  pas,  chez  nous,  une  inconnue  :  elle  a  parlé 
jadis  devant  le  public  parisien,  elle  a  collaboré  à  diverses  revues  françaises, 
plusieurs  de  ses  ouvrages  ont  été  traduits  en  notre  langue.  Mais  ces  confé- 
rences, articles  et  traductions  mêmes  ne  nous  avaient  point  présenté  dans 
toute  sa  plénitude  le  beau  talent  de  l'auteur,  qui,  parmi  les  romanciers  de 
l'Espagne  contemporaine,  occupe  une  place  éminente. 


(1)  Revue,  1910,  p.  36. 


Littérature  ============================^^  145 

Entouré  d'un  majordome,  Primitivo,  qui  est  la  scélératesse  incarnée,  et 
d'une  servante  robuste,  Sabel,  — la  propre  fille  de  Primitivo,  —  dont  il  a  fait 
sa  maîtresse  et  dont  il  a  eu  un  fils,  Perucho,  Don  Pedro  Moscoso,  marquis 
de  Ulloa,  grand  chasseur,  grand  buveur,  violent,  rustre  à  souhait,  insouciant 
à  l'extrême,  mène  une  vie  presque  animale  dans  son  château  délabré  de 
Galice.  Un  beau  jour  lui  arrive  un  nouveau  chapelain,  frais  émoulu  du  sémi- 
naire, à  la  fois  naïf  et  tenace,  de  cette  ténacité  particulière  des  timides.  Pressé 
par  ce  chapelain  et  sentant  le  gentilhomme  se  réveiller  en  lui,  le  marquis  de 
Ulloa  se  rend  à  Saint-Jacques  de  Compostelle,  où  il  ne  tarde  pas  à  épouser 
une  de  ses  cousines,  créature  frêle  et  sensible.  Les  premiers  temps  de 
l'union  sont  délicieusement  doux,  en  dépit  de  l'hostilité  et  des  menées 
sourdes  de  Primitivo  et  de  Sabel.  Mais  bientôt  la  marquise  met  au  monde 
une  fille,  et  non  pas  le  fils  tant  désiré  qui  aurait  continué  la  lignée  des 
Moscoso  et  fait  oublier  le  bâtard  Perucho  ;  de  plus,  après  l'accouchement,  la 
santé  de  la  jeune  mère  est  à  jamais  compromise.  Le  marquis  reprend  alors  sa 
vie  d'autrefois,  et  revient  à  sa  servante,  à  son  intendant,  à  ses  chiens  et  à  ses 
chasses  ;  la  marquise  meurt  dans  un  isolement  tragique  après  avoir  connu 
les  soupçons,  les  injures,  les  sévices,  et  toutes  les  tortures  d'un  long  martyre 
moral.  Tel  est,  en  gros,  le  sujet  du  Château  de  Ulloa. 

Manuela,  fille  de  la  marquise,  et  Perucho,  fils  de  la  servante,  ont  grandi 
côte  à  côte  :  Manuela  est  indifférente  à  son  père  ;  Perucho,  le  bâtard,  a  toute 
la  tendresse  du  marquis,  dont  il  est  le  vivant  portrait.  Dès  leurs  plus  jeunes 
années,  les  deux  enfants  ont  éprouvé  l'un  pour  l'autre  une  affection  infinie  ; 
aux  heures  troubles  de  l'adolescence,  cette  affection  devient,  comme  il  est 
naturel,  de  l'amour.  Or,  un  oncle  maternel  de  Manuela  se  rend  au  château 
de  Ulloa  avec  le  ferme  propos  de  sauver  sa  nièce  qu'il  croit  abandonnée  de  tous, 
de  l'arracher  au  milieu  où  elle  vit  et  où  il  la  croit  désemparée,  bref  de  lui 
faire  connaître  le  bonheur  et  cela,  —  solution  inattendue,  —  en  l'épousant. 
Mais  cet  oncle,  si  bien  intentionné,  et  si  maladroit,  cet  homme  qui  n'est 
qu'un  rêveur,  qu'un  utopiste,  provoque  un  drame  :  Perucho,  apprenant,  au 
cours  de  scènes  violentes,  qu'il  est  le  propre  frère  de  Manuela,  s'enfuit 
éperdu  à  Madrid  ;  anéantie  par  le  départ  de  Perucho,  dont  elle  ignore  le  vrai 
motif,  Manuela  entre  au  couvent,  non  sans  avoir  fait  jurer  à  son  oncle  de 
renvoyer  au  château  de  Ulloa  ce  Perucho  qu'elle  a  si  ardemment  aimé,  qu'elle 
aime  encore  de  toute  la  force  de  son  âme,  et  dont  l'absence  prolongée  cau- 
serait, à  court  terme,  la  mort  du  marquis.  Ainsi  se  termine  Mère  Nature. 

Le  Château  de  Ulloa  remonte  à  1886;  Mère  Nature  à  1887:  c'est  dire 
que  ces  deux  romans  ont  quelques  rides.  A  cette  époque,  Mme  Pardo  Bazan 
subissait,  de  façon  plus  ou  moins  directe,  l'influence  de  l'école  naturaliste 
française  ;  et  il  serait  facile  de  trouver  ici  des  traces  de  cette  influence  ; 
mais  passons,  car  école  naturaliste,  école  réaliste,  au  sens  étroit  des  mots,  cela 
est  déjà  loin,  bien  loin  de  nous.  N'insistons  pas  davantage  sur  le  caractère 
tumultueux  de  ces  deux  livres,  du  premier  surtout,  où  se  heurtent  tant  d'épi- 
sodes, où  s'agitent  tant  de  personnages,  où  l'on  rencontre,  entremêlés,  con- 
fondus, de  la  brutalité  et  de  la  vigueur  vraie,  des  longueurs  et  de  la  sobriété, 
des  truculences  ut  des  demi-teintes,  du  mauvais  goût  et  des  traits  d'une 
exquise  délicatesse.  Notons  en  revanche  ce  qui  fait  l'intérêt  durable  et  le 
charme  de  ces  romans,  à  savoir  qu'ils  nous  offrent  un  tableau  très  coloré, 
très  vivant,  très  pittoresque  des  mœurs  seigneuriales,  bourgeoises  et 
paysannes  d'une  province  espagnole  à  la  fin  du  XIXe  siècle  :  les  types  sociaux 


146  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

les  plus  divers,  depuis  le  noble  jusqu'au  rustre,  en  passant  par  le  curé,  le 
médecin,  le  cacique  et  le  rebouteux  ;  les  passions  locales,  toujours  prêtes  à  se 
déchaîner,  la  politique  de  clocher  batailleuse,  implacable  et  parfois  sangui- 
naire, voilà  ce  qui  est  pris  sur  le  vif  et  décrit  avec  une  précision,  une  exac- 
titude de  touche  singulièrement  instructives.  Puis,  Mme  Pardo  Bazan,  qui 
a  voué  un  culte  à  la  Galice,  sa  terre  natale,  a  su  trouver,  pour  en  évoquer 
le  merveilleux  décor,  des  termes  d'une  rare  poésie  ;  et  ce  n'est  pas  là 
un  des  moindres  mérites  de  ces  romans,  considérés  à  juste  titre  comme 
les  chefs  d'œuvre  de  l'auteur. 

On  ne  parlera  guère  des  traductions,  parce  qu'il  y  aurait  trop  à  en  dire 
(surtout  de  celle  qui  est  signée  A.  Fortin).  Un  jour  viendra  peut-être  où 
le  commun  des  traducteurs  n'éprouvera  plus  le  besoin  impérieux  d'employer 
un  jargon  franco-espagnol  ;  alors,  sans  doute,  nous  ne  verrons  plus  défiler 
sous  nos  yeux  agacés  des  locutions  telles  que  «  le  senor  marquis  », 
«  votre  senor  papa  »,  «  le  senor  abbé  »,  etc.,  etc.  En  attendant,  prenons 
patience,  mais  songeons,  non  sans  tristesse,  aux  innombrables  méfaits  com- 
mis au  nom  de  la  «  couleur  locale  ».  L.  Barrau-Dihigo. 


P.  Acker.  — Les  Exilés.  —  Paris,  Pion,  s.  d.  [191 1],  in-16, 
293  p.,  3  fr.  50. 

A.  Lichtenberger.  —  Juste  Lobel,  Alsacien.  —  Paris,  Pion,  s.  d. 
[191 1],  in-16,  600  p.,  3  fr.  50. 

Par  son  sujet  et  par  son  esprit,  le  premier  de  ces  romans  rentre  dans  la 
série  qu'inaugurèrent  «  les  Oberlé  »,  et  qui  sans  doute  n'est  pas  close.  —  Il  y 
a  quinze  ans  que  Claude  Héring,  fils  de  Colmariens  émigrés,  n'a  revu  son 
pays  natal,  quand  le  hasard  d'une  excursion  l'y  ramène.  Hasard  bienfaisant, 
d'où  résulte  une  crise  décisive.  L'homme  fait  s'imprègne  de  sensations  qui 
avaient  glissé  sur  l'âme  de  l'enfant.  Tandis  que  son  cœur  se  prend  au  charme 
des  souvenirs  et  des  traditions,  son  esprit  perçoit  avec  netteté  les  raisons 
qui  l'obligent  à  leur  rester  fidèle.  Et  le  spectacle  de  l'Alsace  maintenant  avec 
une  fière  énergie  sa  personnalité  morale  achève,  pour  le  reconquérir, 
l'œuvre  des  influences  ataviques. 

Toutes  les  parties  du  livre  ne  sont  pas  d'égale  qualité.  Claude  visite 
l'Alsace  en  automobile,  et  il  y  paraît  quelque  peu.  On  le  soupçonne  d'ailleurs 
distrait  de  la  contemplation  des  paysages  par  celle  de  la  jolie  femme  qu'il 
initie  à  leur  grave  douceur.  Plus  intéressantes  sont  les  pages  où  s'exprime 
son  patriotisme  alsacien  (une  émotion  de  bon  aloi  anime  le  récit  de  la  mémo- 
rable cérémonie  de  Wissembourg)  et  celles  où  l'on  voit  aux  prises  les  deux 
tendances  qui  se  disputent  l'âme  alsacienne  :  ici  le  respect  de  la  force  alle- 
mande, l'orgueil  de  faire  partie  d'un  puissant  empire,  là  un  attachement 
invincible  aux  manières  de  sentir  et  de  penser  qui  procèdent  d'une  culture 
française.  Je  ne  ferai  à  M.  Acker  qu'une  petite  querelle.  Il  est  très  frappé  de 
ce  que  le  français  reste,  dans  la  Haute-Alsace,  la  langue  dominante.  Il  a 
raison  ;  mais  l'insistance  qu'il  met  à  le  répéter  pourrait  faire  croire  que  c'est 
là  pour  lui  la  condition  nécessaire  d'une  mentalité  française.  On  doit  reven- 
diquer pareillement  le  titre  de  tributaires  du  génie  français  pour  les  popula- 
tions de  la  Basse-Alsace,  en  dépit  de  leur  inélégant  dialecte. 

Comme  son  compatriote  Claude  Héring,  mais  de  plus  loin  encore,  des 


Histoire  147 

régions  idéales  du  Pacifisme  où  l'entraîna  le  charme  équivoque  d'une  éner- 
gumène  Scandinave,  Juste  Lobel  est  rappelé  à  la  claire  notion  de  sa  nature 
et  de  son  devoir  en  reprenant  contact  avec  le  sol  natal  et  avec  l'esprit  de  sa 
race.  Une  visite  émouvante  aux  champs  de  bataille  et  aux  places  fortes  de  la 
frontière,  des  souvenirs  d'enfance  retrouvés  au  foyer  d'une  vieille  nourrice, 
un  déserteur  qu'emmènent  les  gendarmes  et  en  faveur  duquel  il  ne  peut 
obtenir  l'appui  d'un  pacifiste  allemand  —  l'aident  et  aident  l'auteur  à  con- 
clure :  i°  que  les  pacifistes  se  trompent  quand  ils  «  prétendent  dénouer  les 
liens  légitimes  du  sang  et  de  l'espèce  »  ;  2°  qu'il  est  naïf  et  dangereux  de 
prêcher  le  désarmement  d'un  côté  de  la  frontière,  tandis  que  de  l'autre  on 
arme  à  outrance. 

Livre  sobre,  parfois  austère,  comme  il  sied  en  un  tel  sujet,  mais  qui 
échappe  à  la  sécheresse  où  tombent  souvent  les  romans  à  thèse  par  le  soin 
que  l'auteur  a  pris  d'y  faire  mouvoir  d'amusantes  silhouettes,  et  surtout 
par  l'émotion  discrète,  contenue,  mais  toujours  présente,  qui  sous  l'auteur 
fait  deviner  l'homme.  M.  Lange. 


J.  Labourt  et  P.  Batiffol.  —  Les  Odes  de  Salomon.  Traduc- 
tion française  et  introduction  historique.  —  Paris,  V.  Lecoffre,  191 1, 
in-8,  123  p.,  4  francs. 

Un  savant  anglais,  M.  Rendel  Harris,  s'est  rendu  acquéreur  d'un 
manuscrit  syriaque  du  xvie  siècle,  contenant  deux  recueils  apocryphes  attri- 
bués au  roi  Salomon  :  les  Psaumes  et  les  Odes.  Les  Psaumes  étaient  déjà 
connus  ;  il  est  démontré  que  c'est  un  apocryphe  juif  du  demi-siècle  qui 
précéda  l'ère  chrétienne.  Des  Odes  on  ne  savait  que  peu  de  chose,  sinon  que 
l'Église  les  avait  bannies  du  canon  de  l'Ancien  Testament  et  que  Lactance  en 
avait  cité  un  passage,  cru  par  lui  prophétique,  où  il  est  question  de  la  naissance 
miraculeuse.  Lactance  n't  pas  découvert  ce  passage  tout  seul  ;  il  a  dû  l'em- 
prunter à  saint  Cyprien  (vers  250).  L'auteur  de  la  Pisfis  Sopbia,  au  début  du 
111e  siècle,  connaît  aussi  et  cite  longuement  les  Odes,  au  même  titre  que  le 
Psautier  dit  de  David. 

La  publication  du  texte  syriaque  des  Odes  et  de  la  traduction  anglaise  de 
M.  R.  Harris,  bientôt  suivie  d'une  traduction  allemande  de  M.  Fleming  et 
d'un  long  commentaire  de  M.  Harnack,  a  mis  aux  prises  un  grand  nombre 
d'exégètes.  Pour  M.  Harris  et  surtout  pour  M.  Harnack,  les  Odes  sont  juives, 
mais  fortement  interpolées  par  un  chrétien  ;  pour  d'autres,  elles  sont  d'une 
seule  venue,  chrétiennes,  mais  l'accord  cesse  dès  qu'il  s'agit  de  déterminer  le 
but  et  les  idées  de  l'auteur,  successivement  qualifié  de  montaniste,  de  valen- 
tinien,  de  gnostique,  etc.  M.  Batiffol  veut  qu'il  soit  docète,  adhérent  de  la 
doctrine  fort  ancienne  qui  faisait  du  Christ  une  simple  apparence,  et  qu'il  ait 
écrit  entre  l'an  100  et  l'an  120  après  notre  ère,  sous  le  nom  de  Salomon, 
usurpé  comme  celui  de  la  Sibylle  et  bien  d'autres.  La  question  est  d'autant 
plus  difficile  que  le  texte  syriaque,  traduit  du  grec,  est  souvent  corrompu  et 
inintelligible.  La  traduction  de  M.  Labourt  est  l'œuvre  d'un  savant  d'une 
compétence  reconnue  ;  elle  est  accompagnée  de  notes  copieuses  ;  on  peut  y 
recourir  avec  confiance  pour  se  faire  une  idée  d'un  problème  complexe  qui 
ne  cesse  pas  d'occuper  les  théologiens.  S.  Reinach. 


148  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 


Fra  Angelico  da  Fiesole.  —  L'œuvre  du  Maître  en  327  repro- 
ductions. —  Paris,  Hachette,  191 1,  petit  in-4,  254  p.,  12  fr.  (Nouvelle 
Collection  des  Classiques  de  l'Art). 

Nouvelle  collection,  en  effet.  Ces  327  reproductions,  qui  nous 
mettent  entre  les  mains  toute  une  vie  de  travail  et  de  prière,  n'ont  plus  la 
sécheresse  des  «  zincs  »  tirés  sur  papier  plâtré,  et  dont  pouvait  encore  s'ac- 
commoder Mantegna,  dont  les  panneaux  métalliques  et  les  gravures  avaient 
précédé,  dans  cette  série,  les  délicieuses  miniatures  a  tempera  et  les  grandes 
fresques  religieuses  de  Fra  Giovanni.  Un  procédé  qui  reste  mystérieux  pour 
moi,  et,  je  pense,  pour  d'autres,  a  laissé  aux  claires  visions  leur  douceur  pro- 
fonde, en  donnant  au  simple  «  simili  »,  tiré  sur  un  papier  mat,  le  velouté 
de  l'héliogravure.  C'est  une  révolution,  pour  tous  ceux  qui  s'occupent  de 
l'enseignement  de  l'art,  c'est-à-dire  de  l'enseignement  par  l'image.  Il  faut 
savoir  gré  à  la  maison  Hachette  d'avoir  importé  en  France  ce  procédé,  qui 
est,  je  crois,  allemand.  Le  volume  qui  vient  de  paraître  à  Paris  a  été  publié 
presque  en  même  temps  par  la  Deutsche  Verlags-Anstalt.  C'est  la  maison 
allemande  qui  a  fourni  le  texte,  en  même  temps  que  les  clichés.  Il  ne  faut 
pas  le  regretter  :  introduction  et  reproductions  sont  également  louables.  La 
série  des  gravures  comprend  l'une  des  plus  récentes  acquisitions  du  Louvre  : 
le  petit  livre  de  la  collection  Victor  Gay.  Le  texte  est  au  courant  des  der- 
nières études  publiées  en  Allemagne  ;  les  charmants  dessins  de  Fra  Ange- 
lico qui  accompagnent  l'introduction  sont  bien  ceux  que  M.  Berenson  attri- 
bue au  maître  lui-même  dans  son  admirable  et  monumental  catalogue  des 
Dessins  de  peintres  florentins.  L'auteur  montre  fort  bien  comment  «le  mys- 
ticisme de  l'Angelico  a  fini  par  se  rencontrer  avec  le  réalisme  de  son  temps  »  ; 
il  .parle  justement  du  «  franciscanisme  »  du  peintre  dominicain.  Cet  auteur, 
qui  se  révèle  comme  un  écrivain  d'art  de  premier  rang,  n'est  pas  nommé 
dans  la  publication  française.  Pourquoi  nous  avoir  caché  que  c'est  une  assis- 
tante du  Musée  de  Berlin,  Mademoiselle  Frida  Schottmuller  ?  Et  pourquoi, 
en  même  temps,  n'avoir  pas  effacé  des  légendes  les  taches  d'une  traduction 
hâtive,  qu'il  ne  serait  que  trop  facile  de  relever  ?  «  Pièce  d'autel  »,  pour 
tableau  d'autel,  c'est  de  l'allemand  que  l'on  dirait  traduit  en  français  d'après 
une  traduction  anglaise  (altar  pièce).  E.  Bertaux. 


C.  Photiadès.  —  George  Meredith.  —  Paris,  A.  Colin,  191 1, 
294  p.,  in-16,  3  fr.  50. 

Ce  livre  a  le  mérite  d'être  le  premier  en  France  sur  un  admirable  écrivain 
qui  domine  en  Angleterre  la  fin  du  dernier  siècle.  L'auteur  rappelle  les  rai- 
sons pour  lesquelles  le  génie  de  Meredith  n'est  point  apprécié  de  la  foule 
dans  son  propre  pays.  Les  esprits  français  seraient  peut-être  mieux  faits  pour 
le  comprendre,  si  ses  romans  et  ses  poèmes  n'étaient  presque  intraduisibles  ; 
du  moins  l'élite  qui  pense,  et  tous  ceux  qui  connaissent  la  langue  anglaise, 
devraient-ils  posséder  quelque  notion  de  son  œuvre.  M.  Photiadès  réunit  en 
volume  ses  articles  de  la  Revue  de  Paris,  écrits  peu  après  la  mort  récente  de 
Meredith.  Son  étude  porte  les  marques  de  l'actualité  qui  l'a  suggérée  ;  elle 
est  rapide,  et  ne  saurait  être  évidemment  que  provisoire.  Elle  se  propose  seu- 


Histoire  —~-  149 

lement,  il  est  vrai,  de  préparer  les  voies  aux  travaux  plus  sérieux.  Elle  réalise 
honorablement  cette  ambition.  Une  esquisse  biographique  apporte  sur  la 
personne  de  l'écrivain,  si  originale,  sa  vie  si  mal  connue,  des  renseignements 
utiles.  Suit  l'analyse  bien  longue  d'un  roman,  Harry  Richtnond,  destinée  à 
illustrer  l'imagination  de  Meredith.  Les  deux  derniers  chapitres,  consacrés  à 
l'art  et  à  la  doctrine  du  maître,  sont  au  contraire  de  simples  esquisses  ;  mais 
suggestives,  et  heureusement  inspirées  de  livres  plus  approfondis,  comme 
celui  de  G.  M.  Trevelyan.  Une  sincère  admiration,  une  chaleur  généreuse 
d'accent,  des  notations  fines,  donnent  un  caractère  personnel  à  l'ensemble. 
Au  total,  quiconque  ignore  Meredith  pourra  lire  cette  étude  avec  agrément 
et  profit.  L.  Cazamian. 


A.  Pougin.  —  Marie  Malibran,  histoire  d'une  cantatrice.  — 
Paris,  Pion,  191  r,  in-12,  284  p.,  3  fr.  50. 

Assurément  la  Malibran  valait  un  livre.  Nous  lui  devons  une  pièce  de 
Musset  qui  est  illustre  et  qui  est  belle.  «  Maria  Felicia  »  est  un  document 
notoire  pour  discuter  le  Paradoxe  sur  le  Comédien  ;  elle  fut  de  celles  qui  se 
livrent  et  se  consument,  de  celles  qui  entraînent  les  âmes  non  par  l'apparence 
d'un  jeu  savamment  calculé,  mais  par  l'emportement  de  passion  qui  confond 
pour  elles  la  fiction  scénique  et  l'illusion  de  la  vie  ;  M.  Pougin  ajoute  aux 
exaltations  de  Musset  des  anecdotes  qui  en  font  foi.  Elle  eut  une  destinée 
éblouissante  et  mélancolique  ;  elle  fait  figure  de  muse,  d'idole  et  de  martyre  ; 
elle  enchaîna  les  cœurs  sensibles.  Elle  est  enfin  un  signe  des  temps.  Elle 
traverse  la  période  aiguë  du  romantique  ;  elle  en  exprime,  par  sa  vie  et  par 
son  art,  par  ce  qui  s'y  mêle  d'énergies,  de  fièvres,  de  caprices,  de  surprises, 
d'inquiétudes  et  de  mélancolies,  toute  l'âme  incertaine  et  acharnée. 

Le  livre  de  M.  Pougin  est  bien  fait  ;  il  est  solide  et  il  est  pittoresque  ;  il 
choisit  et  il  encadre  des  anecdotes  agréables  et  singulières.  Il  est  clair  et  il 
est  discret  ;  de  la  vie  intime  de  la  Malibran  il  n'a  rien  voulu  dire  que  les  con- 
séquences extérieures  et  certaines  ;  c'est  une  dignité  qui  est  rare  et  qui  est 
louable.  Il  ne  manque  peut-être  à  l'ouvrage  qu'un  cadre  plus  large.  On  com- 
prendrait mieux  la  cantatrice  si  M.  Pougin  avait  animé  autour  d'elle  un  peu 
de  l'âme  des  contemporains.  De  1832  à  1840,  on  vit  dans  la  passion  et  l'extase 
et  dans  l'angoisse  du  néant.  Les  épidémies  de  choléra  sont  constantes  ;  en 
1836  le  peintre  Robert  se  suicide  à  trente  ans  ;  Carrel  est  tué  par  de  Girardin, 
etc.  Il  y  a  tout  cela,  comme  la  mort  de  la  Malibran,  dans  le  lyrisme  éperdu 
de  Musset. 

Dans  la  Bibliographie  il  faudrait  noter  les  articles  de  Castil-Blaze  dans  la 
Revue  de  Paris,  en  1836  ;  ce  sont  eux  pour  une  part  qui  ont  inspiré  Musset. 

D.  Mornet. 


P.  F.  Simon.  —  A.  Thiers,  chef  du  pouvoir  exécutif  et  Président  de- 
là République.  —  Paris,  Cornély,  191 1,  in-8,  358  p.,  10  francs. 

Ce  livre,  couronné  par  la  Faculté  de  Droit  de  Paris,  se  présente,  avant 
tout,  comme  une  étude  juridique.  Le  problème  qui  intéresse  principalement 
l'auteur  est  celui  des  relations  entre  le  pouvoir  législatif  et  le  pouvoir  exécutif 


150  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

dans  une  démocratie.  Le  second  ne  doit-il  être  qu'une  émanation  du  pre- 
mier ?  Oui,  avait  soutenu  Grévy  dans  son  fameux  amendement  de  1848; 
oui,  décide  encore  l'Assemblée  nationale  par  sa  Déclaration  du  17  février  1871. 
Il  semble  que  ce  soit  le  moyen  de  rendre  toute  dictature  personnelle  impos- 
sible ;  et  cependant  c'est  un  véritable  pouvoir  dictatorial  que  Thiers  a  exercé 
jusqu'au  24  mai  1873,  pendant  plus  de  deux  ans.  Cette  anomalie  apparente 
s'explique  par  deux  raisons.  D'abord  une  raison  d'ordre  juridique  :  en  même 
temps  que  celles  de  chef  du  pouvoir  exécutif,  Thiers  remplissait  les  fonctions 
de  président  du  Conseil,  et  à  ce  dernier  titre  il  était  responsable  devant 
l'Assemblée  ;  or,  c'est  un  des  paradoxes  classiques  du  droit  politique  que 
la  responsabilité  d'une  autorité  en  fait  la  force.  Tout  de  même,  s'il  n'est 
pas  d'arme  plus  efficace  entre  les  mains  d'un  gouvernement  constitutionnel 
que  la  faculté  d'offrir  sa  démission,  encore  faut-il  que  la  situation  parlemen- 
taire ou  nationale  ne  rende  pas  l'acceptation  de  cette  démission  trop  facile  ; 
l'explication  profonde  de  la  dictature  de  Thiers  est  d'ordre  historique  : 
Thiers  gouverna  presque  souverainement  pendant  deux  ans  parce  qu'il  était 
l'homme  nécessaire  pour  achever  les  négociations  avec  l'Allemagne.  N'eût-il 
pas  même  accentué  son  évolution  vers  la  République,  et  la  majorité  de  l'As- 
semblée eût-elle  été  moins  décidée  à  tenter  un  essai  de  restauration  monar- 
chique, —  à  partir  du  mois  de  mars  1873,  quand  la  libération  du  territoire 
fut  complète,  la  dictature  présidentielle  ne  pouvait  se  prolonger  :  Mac- 
Mahon,  jouissant  en  principe  des  mêmes  prérogatives  que  Thiers,  fut  tout 
le  contraire  d'un  dictateur.  C'est  donc  que  les  effets  d'une  constitution 
dépendent  beaucoup  moins  des  intentions  des  hommes  qui  l'ont  votée  et  des 
principes  qui  s'y  trouvent  appliqués  que  des  circonstances  au  milieu  des- 
quelles elle  est  mise  en  pratique.  Notre  auteur,  pourtant,  qui  est  plus  juriste 
qu'historien,  ne  s'attarde  pas  à  développer  cette  leçon  de  relativisme  juri- 
dique, qui  ne  présente  peut-être  à  ses  yeux  que  l'intérêt  un  peu  décevant 
d'une  solution  négative.  Poursuivant  l'examen  des  faits,  il  se  demande  ce 
qui  s'est  produit  au  lendemain  de  la  chute  de  Thiers  :  la  dictature  du  Prési- 
dent, inévitable  la  veille,  s'évanouit  comme  par  enchantement  ;  mais  c'est  la 
dictature  de  l'Assemblée  qui  s'établit.  Il  semble,  par  conséquent,  que  le  sys- 
tème qui  consiste  à  subordonner  étroitement  le  pouvoir  exécutif  au  pouvoir 
législatif  aboutisse,  d'une  manière  ou  d'une  autre,  à  la  dictature,  soit  person- 
nelle, soit  collective.  Une  vérité  importante  se  dégagerait  ainsi  des  expériences 
politiques  instituées  dans -notre  pays  depuis  plus  d'un  siècle  :  savoir,  qu'un 
certain  équilibre  des  pouvoirs  représentatifs  est  indispensable  pour  assurer 
•  l'exercice  effectif  et  régulier  de  la  souveraineté  populaire. 

Le  livre  de  M.  Simon  est  écrit  avec  facilité,  composé  avec  clarté  ;  la  dia- 
lectique y  est  toujours  appuyée  sur  une  documentation  abondante  et  précise. 
Cette  étude  historique  de  droit  constitutionnel,  dont  les  spécialistes  ont  déjà 
reconnu  les  mérites,  apporte  en  même  temps  une  intéressante  contribution  à 
l'histoire  générale  des  origines  de  notre  République.         G.  Weulersse. 


H.  Bourgin.  —  Le  Socialisme  et  la  Concentration  industrielle.  — 
Paris,  191 1,  Marcel  Rivière  et  Cie,  in-18,  88  p.,  o  fr.  75. 

M.    Hubert  Bourgin,   avantageusement   connu   déjà  par    des  travaux 
savants  et  rigoureux  sur  l'évolution  économique,  ne  s'est  pas  proposé  dans 


Voyages  -  151 

ce  petit  volume  de  traiter  à  fond  le  problème  si  complexe  de  la  concentra- 
tion industrielle.  On  sait  aujourd'hui  que  le  phénomène  ne  se  produit  pas 
avec  la  régularité,  l'universalité  ni  surtout  avec  la  rapidité  que  lui  ont  prê- 
tées Marx  et  d'autres  théoriciens.  La  question  a  besoin  d'être  reprise  en  sous- 
œuvre.  C'est  pourquoi  l'auteur  s'attache  à  donner,  pour  ainsi  dire,  une  leçon 
de  méthode  à  ceux  qui  veulent  l'étudier. 

11  montre  qu'il  faut  distinguer  soigneusement  différents  aspects  sous 
lesquels  peut  se  présenter  cette  concentration.  Elle  se  révèle  tantôt  dans 
l'augmentation  des  capitaux  engagés,  tantôt  dans  la  dimension  croissante 
des  usines  ou  des  machines,  ici  dans  la  fusion  ou  la  multiplication  des  grands 
établissements,  ailleurs  dans  une  structure  qui  coordonne  et  subordonne  les 
diverses  parties  d'une  entreprise  pour  en  faire  un  vaste  organisme.  Des  cas 
curieux  et  contradictoires  en  apparence  méritent  l'attention  ;  il  arrive  d'or- 
dinaire que  le  personnel  ouvrier  augmente  avec  la  puissance  de  la  fabrique  ; 
mais  il  peut  arriver  aussi  qu'il  diminue  dans  une  circonstance  analogue,  par 
exemple  quand  l'électricité  se  substitue  à  la  vapeur  comme  force  motrice. 
Des  concentrations  locales  se  sont  opérées  autour  des  mines  de  houille  ou 
de  fer  ;  au  contraire,  le  transport  à  distance  de  l'énergie  fournie  par  les 
chutes  d'eau  permet  une  dé-concentration. 

M.  Bourgin  illustre  son  sujet  par  des  chiffres  précis  empruntés  aux  sta- 
tistiques allemandes.  Sa  conclusion  provisoire  (car  cette  brochure  n'est 
qu'une  bonne  introduction  aune  étude  plus  complète)  est  que,  dans  certains 
ordres  d'industries  et  non  dans  tous,  sous  les  réserves  indiquées,  le  phéno- 
mène est  général,  d'une  ampleur  considérable  et  presque  identique  à  lui- 
même  dans  les  différents  pays.  G.  Renard. 


F.  Sartiaux.  —  Filles  mortes  d'Asie  Mineure.  Pergame,  Éphèse, 
Priène,  Milct,  le  Didymeion,  Hiérapolis.  —  Paris,  Hachette,  191 1, 
in-8,  233  p.,  40  vues  photographiques  et  8  cartes,  4  fr. 

Ce  livre  sera  très  utile  aux  touristes  qui,  de  plus  en  plus  nombreux, 
se  sentent  attirés  par  la  renommée  des  sites  d'Asie  Mineure.  La  Grèce, 
l'Egypte,  la  Tunisie  et  l'Algérie  deviennent  des  croisières  presque  banales. 
On  connaît  moins  l'Orient  asiatique  et  c'est  un  charme  que  d'y  aller  à  la  décou- 
verte de  paysages  en  quelque  sorte  inédits.  Déjà  Gaston  Deschamps  nous 
avait  révélé  avec  un  livre  bien  vite  populaire,  Sur  les  routes  d'Asie  Mineure,  la 
beauté  originale  de  ces  contrées  où  ne  pénétraient  que  de  rares  voyageurs. 
La  relation  de  M.  Sartiaux  a  des  visées  moins  ambitieuses  et  elle  se  borne  à 
offrir  aux  amateurs  des  explorations  faciles  et  des  escales  commodes,  où  tout 
le  monde  peut  jouir  aisément  d'une  belle  tournée  à  faire.  Mais  elle  est  écrite  par 
un  homme  qui  sait  voir  et  qui  est  bien  informé  sur  les  parties  scientifiques 
du  sujet.  Il  a  lu  et  il  s'est  assimilé  avec  aisance  les  ouvrages  d'histoire  et 
d'archéologie  qui  constituaient  la  préparation  nécessaire  de  son  voyage  ;  il 
expose  sans  pédanterie  et  sans  longueurs  les  faits  essentiels.  Son  goût  natu- 
rel lui  inspire  en  présence  de  la  nature  des  descriptions  qui  sont  sobres, 
mais  colorées.  Son  éducation  générale  lui  suggère  des  réflexions  où  l'on  sent 

O  DO 

un  cerveau  qui  sait  réfléchir  par  lui-même  et  qui  ne  se  contente  pas  des  im- 


152  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

pressions  d'autrui.  Ecrits  pour  des  conférences  faites  à  un  public  d'amis, 
tous  ces  chapitres  réunis  forment  un  volume  très  agréable  à  lire.  Ceux  qui 
connaissent  déjà  le  pays  y  retrouvent  des  visions  plaisantes  à  évoquer  ;  ceux 
qui  ne  le  connaissent  pas  auront  le  désir  d'y  aller.  E.  Pottier. 


W.  Ostwald.  —  Esquisse  d'une  Philosophie  des  Sciences,  traduit  de 
l'allemand  par  Dorolle.  —  Paris,  Alcan,  1911,  in-16,  182  p.,  2  fr.  50. 

Il  est  question  dans  cet  opuscule  de  laformation  des  concepts,  du  principe 
de  causalité,  de  l'induction,  de  la  déduction,  du  déterminisme,  du  libre  arbitre, 
de  la  théorie  logique  des  classes,  des  principes  de  l'arithmétique  et  de  l'al- 
gèbre, des  principes  de  la  linguistique,  de  l'idée  de  continuité,  de  la  méca- 
nique et  du  mécanisme,  de  la  loi  de  conservation  de  l'énergie,  du  principe 
de  Carnot,  de  la  nature  de  la  vie,  de  la  nature  de  l'âme,  de  la  société,  du 
commerce  et  de  la  civilisation.  Cette  course  à  travers  les  idées  générales 
paraît  devoir  être  également  inutile  aux  philosophes  et  aux  savants  :  car  l'au- 
teur ignore  visiblement  la  plupart  des  problèmes  philosophiques  qui  ont  été 
soulevés  à  propos  des  idées  dont  il  traite  avec  tant  de  précipitation  ;  et, 
d'autre  part,  il  ne  distingue  jamais,  dans  les  généralités  qu'il  expose,  ce  qui 
représente  un  résultat  scientifique  établi  et  ce  qui  constitue  seulement  une 
opinion  personnelle.  On  sait  que  M.  Ostwald  a  acquis  une  certaine  réputa- 
tion scientifique  comme  fabricant  de  manuels  et  comme  vulgarisateur,  en 
Allemagne,  des  découvertes  et  des  théories  du  Suédois  Arrhenius,  du  Hol- 
landais Vant'hoff  et  de  l'Américain  Gibbs  ;  par  ces  travaux  de  vulgarisation 
et  de  polémique  et  par  quelques  expériences  personnelles  dont  il  les  a  accom- 
pagnés, M.  Ostwald  a  rendu  autrefois  des  services.  Mais  ces  travaux  ne  lui 
assuraient  aucune  compétence  spéciale  pour  les  exercices  auxquels  il  s'adonne 
maintenant.  Et  il  faut  regretter  qu'on  ait  pris  la  peine  de  traduire  en  français 
ce  petit  volume.  Ph.  A. 

E.  Gautier.  —  L'année  scientifique  et  industrielle.  —  Paris,  Hachette 
et  Cie,  1910,  in-16,  394  p.,  3  fr.  50. 

Depuis  cinquante  quatre  ans,  cette  revue  annuelle  des  progrès  scientifiques 
et  industriels  continue  sa  publication  avec  régularité.  Le  plan  général  de 
l'ouvrage  reste  immuable,  et  la  qualité  varie  peu.  On  serait  étonné  si,  dans 
un  livre  qui  exige  une  compétence  aussi  universelle,  quelques  légères  erreurs 
ne  se  glissaient  pas.  Ainsi,  on  lit  (p.  118)  que  «  l'état  colloïdal  est  l'état  de 
la  matière  quand  elle  a  été  soumise  aune  division  infinie  »,  et  (p.  359),  à 
propos  des  propriétés  pyrophoriques  du  ferro-cérium,  que  ce  tous  les  métaux 
radio-actifs  pourraient  aussi  bien  tenir  l'emploi.  On  pourrait  même  avoir  des 
briquets  au  radium,  si  le  radium  ne  coûtait  pas  si  cher.  »  De  telles  proposi- 
tions ne  sont  pas  défendables  ;  en  particulier,  c'est  faire  de  mauvaise  vulgari- 
sation que  d'en  appeler  aux  propriétés  des  corps  radioactifs  pour  interpré- 
ter un  phénomène  dont  les  lois  les  mieux  connues  de  la  science  nous  don- 
nent l'explication  immédiate. 

Mais  ces  légères  taches  changent  peu  la  qualité  générale  de  l'ouvrage  ;et 
il  faut  reconnaître  que   M.   Emile  Gautier,  astreint  par  la  tradition  et  par  les 


Sciences  =  153 

goûts  de  ses  lecteurs  à  se  limiter  aux  faits  divers  de  la  science,  sait  chaque 
année  soutenir  l'intérêt  de  son  livre  par  la  richesse  de  sa  documentation, 
par  l'habile  choix  des  sujets  et  par  l'aisance  du  style. 

La  revue  d'astronomie,  qui  forme  la  première  partie  de  ce  recueil,  en  est 
aussi  la  meilleure.  Il  y  a  en  particulier  une  monographie  consacrée  à  la  créa- 
tion de  l'observatoire  du  Mont  Wilson,  qui  renferme  une  admirable  leçon 
d'énergie  donnée  par  les  savants  américains  a  leurs  confrères  du  vieux  con- 
tinent ;  c'est  aussi  une  leçon  de  générosité  donnée  par  les  Mécènes  des  Etats- 
Unis  et  que  l'Europe  ferait  bien  d'imiter,  si  elle  ne  veut  pas  laisser  au  nou- 
veau continent  le  monopole  des  découvertes  en  astrophysique. 

Les  autres  sciences  paraissent,  dans  le  livre  de  M.  Gautier,  assez  injus- 
tement sacrifiées  ;  même  en  s'en  tenant  à  l'anecdote,  au  petit  détail  topique 
ou  amusant,  on  ne  voit  pas  l'impossibilité  de  glaner  quelques  épis  dans  les 
admirables  travaux  de  Perrin,  qui  ont  transformé  la  théorie  cinétique  en  une 
réalité  vivante,  ou  encore  dans  les  belles  expériences  de  Rubens  qui  vien- 
nent d'accroître  le  domaine  des  radiations  infra-rouges  actuellement  con- 
nues ;  il  paraît  même  que  l'éclairage  électrique  par  le  néon  et  les  autres  gaz 
raréfiés  a  fait,  depuis  un  an,  des  progrès  qui  méritent  une  courte  mention. 
Ainsi,  au  cœur  même  de  la  science,  on  peut  trouver,  en  cherchant  bien,  des 
questions  capables  d'intéresser  d'autres  gens  que  de  vieux  savants  à  lunettes. 
J'estime  que  M.  Gautier,  en  faisant  une  part  raisonnable  à  ces  travaux  qui 
comptent  et  qui  restent  dans  la  science,  accroîtrait  sensiblement  la  valeur 
de  son  ouvrage  ;  d'ailleurs,  il  n'est  point  de  question  qu'il  ne  sache  rendre 
intéressante  par  son  exposition  claire  et  colorée.  Puisse-t-il  nous  réserver, 
pour  l'année  prochaine,  une  agréable  surprise  !  L.  Houllevigue. 


J.  Andrade. —  Le  Mouvement,  mesures  de  l'étendue  et  mesures  du 
temps.  —  Paris,  Félix  Alcan,  191 1,  1  vol.  in-8,  328  p.,  6  fr. 

M.  Andrade,  qui  est  le  fondateur  de  l'enseignement  horloger  à  l'Univer- 
sité de  Besançon,  est  aussi  un  mathématicien  très  compétent  dans  les  ques- 
tions les 'plus  générales  de  la  Géométrie  et  de  la  Mécanique.  Cette  double 
qualité  se  retrouve  dans  l'élégante  et  originale  synthèse  qu'il  publie  aujour- 
d'hui et  qui  fait  partie  de  la  Bibliothèque  scientifique  internationale. 

La  première  partie  est  une  philosophie  de  la  Géométrie  où  l'auteur,  par 
des  méthodes  personnelles,  dégage  et  relie  les  notions  fondamentales  de  la 
manière  la  plus  intuitive.  On  y  retrouve,  encore  simplifié  sur  certains 
points,  l'exposé  que  l'auteur  a  donné  ailleurs  de  la  Géométrie  qualitative  (voir 
en  particulier  :  Le  Premier  livre  de  la  Géométrie  naturelle,  Paris,  Cornély).  Les 
propriétés  métriques  exposées  d'abord  dans  la  géométrie  d'Euclide  sous  une 
forme  très  simple,  en  partant  de  la  notion  de  figures  semblables  différant 
seulement  par  l'échelle,  sont  étudiées  ensuite  dans  les  deux  autres  géomé- 
tries,  en  partant  des  notions  de  rotation  et  de  composition  des  mouvements. 
La  deuxième  partie  est  une  philosophie  de  la  Mécanique.  L'auteur  a  déjà 
publié  d'originales  Leçons  de  Mécanique  Physique  (Société  d'éditions  scienti- 
fiques, Paris,  1897).  Ici,  il  nous  fait  d'abord  assister  à  la  genèse  des  concepts 
mécaniques  en  suivant  le  développement  des  idées  des  fondateurs  de  l'Astro- 
nomie et  de  la  Mécanique,  d'Hipparque  à  Newton.  Il  expose  d'une  manière 
très  personnelle  les  lois  de  l'équilibre  par  la  considération  ingénieuse  et  très 


154  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

inductive  de  fils  et  de  poulies  ;  citons  encore  l'exposé  géométrique  si  intui- 
tif des  lois  des  mouvements  oscillatoires.  Le  philosophe  trouvera  dans  cette 
seconde  partie  des  aperçus  tout  nouveaux  sur  les  absolus  de  la  Mécanique. 

La  troisième  partie  est  relative  à  la  mesure  des  étendues  :  géodésie, 
d'après  les  exposés  du  colonel  Bourgeois  ;  métrologie,  d'après  les  travaux  de 
M.  Ch.  Guillaume.  La  quatrième  partie  est  relative  à  la  mesure  mécanique 
du  temps,  au  sujet  de  laquelle  l'auteur  a  déjà  publié  un  livre  (Cbronomchic, 
Paris,  Doin,  1908)  ;  on  y  trouve  les  résultats  personnels  que  M.  Andrade  a 
établis  à  la  suite  des  découvertes  de  M.  Caspari,  de  Phillipps. 

En  unissant  dans  son  livre  de  la  manière  la  plus  heureuse  la  préoccupa- 
tion philosophique  et  la  préoccupation  technique,  M.  Andrade  montre 
qu'une  éducation  géométrique  inductive  pourra  assurer  aux  écoles  tech- 
niques et  professionnelles  l'assimilation  d'une  culture  scientifique  à  la  fois 
simple  et  solide.  G.  Sagnac. 


J.  Dejerine  et  E.  Gauckler.  —  Les  manifestations  fonctionnelles 
des  psychonévroses,  leur  traitement  par  la  psychothérapie.  —  Paris, 
Masson  et  Cie,  191 1,  1  vol.  gr.  in-8°  de  ix-561  p.,  avec  1  planche 
hors  texte,  8  fr. 

Dans  cet  important  ouvrage  les  auteurs  mettent  en' lumière  l'existence 
des  troubles  fonctionnels  qui. ont  pour  origine  une  modification  psychique 
ou  morale  antécédente,  troubles  dont  la  symptomatologie  est  tout  entière 
réalisée  par  une  altération  primitive  de  l'état  mental  et  par  une  série  de 
désordres  organiques  secondaires.  La  neurasthénie  et  l'hystérie  sont  étudiées 
en  tant  que  syndromes  valables,  nettement  isolés,  et  leur  diagnostic  est 
soigneusement  établi.  Ce  sont  là  des  affections  autonomes,  la  neurasthénie 
étant  caractérisée  par  la  préoccupation  émotive  envahissante  avec  perte  du 
contrôle  intellectuel,  l'hystérie,  par  l'action  dissociante  des  émotions,  action 
qui  peut  aller  jusqu'à  soustraire  un  organe  ou  un  groupement  fonctionnel  à 
la  volonté,  jusqu'à  oublier  ceux-ci  en  un  mot.  Le  neurasthénique  est  un 
obsédé,  l'hystérique  un  incooraonné.  Cette  étude  de  l'hystérie  et  de  la  neu- 
rasthénie (deuxième  partie  de  l'ouvrage)  nous  a  paru,  à  une  époque  où  tant 
de  médecins  cessent  de  croire  à  l'autonomie  de  ces  syndromes,  particu- 
lièrement originale  et  digne  d'intérêt. 

Dans  une  première  partie,  les  auteurs  passent  en  une  revue  détaillée  les 
différents  troubles  afférents  à  chaque  organe  ou  à  chaque  fonction,  et  en 
exposent  le  mécanisme  psychologique.  La  dernière  partie  de  l'ouvrage  est 
consacrée  au  traitement  des  psychonévroses.  Les  auteurs,  qui  tiennent  tous 
le-s  symptômes  de  ces  maladies  pour  accidents  émotionnels,  n'admettent 
qu'une  psychothérapie  légitime,  la  psychothérapie  par  persuasion.  Il  convient 
de  gagner  la  confiance  du  malade,  d'éveiller  entre  le  thérapeute  et  lui  une 
communauté  de  sentiment,  plutôt  que  de  chercher  à  étourdir  son  jugement 
par  des  démonstrations  en  appelant  uniquement  à  ses  facultés  logiques. 

Dr  François  Moutier. 


Livres  annoncés  sommairement  -  155 

LIVRES  ANNONCÉS  SOMMAIREMENT. 

LITTÉRATURE. 

U.  Gohier.  Un  peu  $ idéal.  —  Paris,  A.  Messcin,  191 1,  3  fr.  50.  —  Il  y  a  deux 
hommes  en  M.  Urbain  Gohier  :  un  pamphlétaire  précis  et  foudroyant,  qui 
n'a  pas  d'égal  ;  et  un  littérateur  qui  s'amuse  quelquefois  à  brocher  des  saynètes 
et  des  romans.  Ceux  qui,  comme  moi,  ont  la  plus  vive  admiration  pour  le  polé- 
miste, n'ont  jamais  pu  s'expliquer  l'insignifiance,  en  comparaison,  du  littérateur, 
que  nous  connaissions  surtout,  jusqu'à  présent,  par  le  recueil  intitulé  Plaisir  des 
Dieux.  Voici  un  nouveau  recueil  du  même  genre,  et  derechef  assez  peu  digne 
d'un  si  vigoureux  artiste.  Cependant  le  polémiste  y  transparaît  ça  et  là,  et  cela 
suffit  à  faire  passer  sur  le  reste,  qui  est  un  peu  fade  •  (Les  neveux  d'Agathe,  etc.) 
ou  frénétique  (Le  bruit,  La  paix  aux  champs).  Voir  surtout  les  articles  sur  Cons- 
tantinople  et  la  Guyane,  où  l'auteur  a  été,  et  sur  le  Boulevard  :  «  Nulle  attraction 
de  farce  ou  de  mélodrame  ne  vaut  les  heures  passées  à  la  terrasse  d'un  café,  sur 
le  Boulevard,  à  scruter  les  milliers  d'inconnus  qui  défilent...  Quelle  faune  incom- 
parable apparaît  dans  les  profils  de  passants  :  profils  de  loups,  profils  de  renards, 
profils  de  chats-huants,  profils  de  moutons  ou  de  chèvres,  profils  de  poules,  de 
bull-dogs,  de  singes,  de  grenouilles,  profils  de  fouines,  profils  de  porcs  !  »    P.  D. 

P.  Jaudon.  Dieudonné  Tète.  —  Paris,  Figuière,  in- 16,  3  fr.  50.  —  Il  nous  est  né  un 
humouriste,  un  humouriste  philosophe.  Américain  par  dessus  tout,  naturelle- 
ment, et  frotté  de  Schopenhauer,  Nietzsche  et  autres  pessimistes  influents.  Le 
tout  fait  une  mixture  personnelle.  D'intrigue,  point.  Choqué  de  la  cacophonie 
sociale,  M.  Jaudon  promène  son  docteur  Dieudonné  Tête  dans  ce  monde 
aberrant,  et  «  donne  le  coup  de  balai  à  la  civilisation  ».  Sans  amertume.  Il  tra- 
verse le  chaos  sans  s'en  affliger,  il  y  patauge  à  plaisir  ;  c'est  gaîment,  avec  une 
abondance  inusable,  une  trépidation  effarante  qu'il  jette  en  rébus  un  flux  de 
fantaisies  grotesques.  L'humour  est  encore  trop  dans  le  mot  et  dans  la  phrase. 
C'est  une  ivresse  de  mots  cherchés  et  boursouflés,  une  enflure  du  verbe  dans 
le  ricanement  du  ton,  une  cascade  de  coq-à-1'âne  et  de  pirouettes.  La  pensée  ne 
va  pas  toujours  assez  son  chemin  dans  tout  cela.  Heureusement  les  notes, 
moins  ivres,  la  ramassent,  zigzaguante,  sérieuse  tout  de  même.        A.  Beau. 

La  pensée  d'Ed.  Rod.  Morceaux  choisis,  publiés  avec  une  Préface  par  J.  de  Mestral 
Combremont.  Portrait  et  autographe.  —  Perrin,  191 1,  in-18,  3  fr.  30.  —  Une 
préface  pieuse,  qui  apprend  sur  l'enfance  d'Éd.  Rod  quelques  détails  précieux,  — 
sur  ses  débuts  dans  la  littérature,  des  renseignements  justement  mesurés  pour  éveiller 
de  nouvelles  curiosités,  —  sur  son  caractère, sur  «  le  don  merveilleux  de  sympathie  » 
qu'il  possédait,  quelques  pages  attendries  où  de  l'inédit  se  mêle  à  des  fragments 
de  Faguet  ou  de  Doumic  ;  puis  des  extraits  ingénieusement  classés,  sur  la  Morale 
et  la  religion,  l'Homme  et  la  vie,  la  Femme  et  l'amour,  la  Société,  l'Art  et  la  littéra- 
ture. Tout  cela  fait  un  ensemble  de  valeur.  On  a  vraiment  là  l'Esprit  d'Éd.  Rod. 
Quelques  fragments  font  double  emploi,  —  mais  pouvait-il  en  être  autrement  ? 
il  y  a  des  pensées  qu'on  aime  à  retrouver,  quand  elles  donnent  assistance  et 
réconfort,  et  l'œuvre  de  Rod  est  pleine  de  celles-là.  J.  Merlaxt. 

A.  Berthet.  Les  Expériences  d'Asthénéia  au  Jardin  de  la  Connaissance.  —  Paris, 
G.Serge,  191 1,  in-12,  2  fr.  —  Éprise  de  beauté,  de  justice  et  de  bonheur, 
anxieuse  aussi  de  connaître  le  secret  du  grand  mystère,  la  jeune  Asthénéia  entre 
dans  le  jardin  merveilleux  où  les  artistes  et  les  sages  donneront  satisfaction, 
pense-t-elle,  aux  exigences  de  sa  naïve  et  audacieuse  curiosité.  Hélas  !  elle  va  de 
déceptions  en  déceptions  :  les  sages  et  les  artistes  n'ont  à  lui  offrir  que  des 
réponses  incomplètes  ou  vaines,   et  son  angoisse  intellectuelle  redouble  avec 


156  —  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

l'effort  qu'elle  fait  pour  poursuivre  son  douloureux  voyage.  Elle  l'achève  enfin, 
et,  sortie  du  jardin  décevant,  elle  trouve  la  paix  et  la  joie  intérieure  dans  une 
résignation  consciente,  qui  la  soumet  aux  lois  de  la  vie.  Tel  est  le  dessein  de  ce 
petit  livre  :  il  se  recommande  par  une  grande  pureté  de  lignes,  par  une  sincérité 
étudiée,  et  par  l'effort  que  fait  l'auteur  pour  prêter  à  la  nudité  abstraite  de  ses 
pensées  les  formes  et  les  couleurs  d'un  beau  rêve.  M.  Morel. 

F.  Mauriac.  L'Adieu  à  V adolescence,  poème.  —  Paris,  Stock,  191 1,  in-12,  3  fr.  50.  — 
M.  Barrés,  parrain  de  ce  jeune  poète,  ne  compte  pas  sur  lui,  j'imagine,  pour 
ranimer  l'énergie  nationale.  Encore  un  visage  d'adolescent  noyé  de  molles 
larmes,  un  grêle  recueil  où  gémit,  entre  les  blancs  multipliés,  au  lieu  du  désir,  la 
peur  de  vivre.  Comme  un  vieillard  «  tombé  de  lassitude  au  bout  de  tous  ses 
vœux  »,  cet  adolescent,  sans  histoire  encore,  se  retourne  vers  son  enfance,  où  du 
moins  il  n'a  pas  vécu,  qui  s'est  passée  sage  et  pieuse,  en  jeux,  en  prières,  en  rêves 
innocents  d'amitié  et  de  pieuses  et  sages  fiançailles,  dans  un  vieux  salon  de 
famille  et  dans  la  chapelle  d'un  collège  ecclésiastique.  La  plainte  exhalée  de  ce 
vouloir  débile  est  irritante  et  significative,  monotone  —  et  intéressante.  La  lan- 
gueur de  la  forme  aussi,  mi-traditionnelle,  mi-jammiste,  avec  le  charme  de  quel- 
ques images  menues  et  précises,  nettement  évocatrices  du  milieu,  curieusement 
candides,  à  la  manière  du  maître  d'Orthez.  J.  B. 

HISTOIRE. 

F.  W.  MAEIASSY.  Aperçus  de  philologie  française.  —  Paris,  Reinwald,  in-12,  sans 
indication  de  prix.  —  En  319  pages,  M.  F.  W.  Mariassy  fournit  au  lecteur  une 
histoire  du  français  depuis  l'indo-européen  jusqu'à  nos  jours  (90  pages),  une 
grammaire  historique  du  français  (60  pages),  une  analyse  de  la  langue  moderne, 
alphabet,  orthographe,  prononciation,  grammaire,  syntaxe,  vocabulaire,  poétique 
(90  pages);  il  v  a  ajouté  quelques  vues  d'ensemble  sur  la  linguistique,  sur  la  com- 
paraison du  sanscrit,  du  grec,  du  latin,  de  l'allemand,  de  l'anglais  et  du  français, 
•  et  sur  l'étude  des  langues  comme  moyen  de  culture  générale.  Son  livre  ne  peut 
donc  être  qu'un  chapelet  d'aperçus  très  sommaires  et  sans  originalité  ;  aussi  bien 
s'adresse-t-il  à  ceux  qui  ignorent  tout  de  la  linguistique  et  de  la  philologie.  Il 
pourra  leur  donner  l'idée  et  peut-être  le  goût  de  ces  études.  Il  eût  été  bon  d'in- 
diquer aux  futurs  néophytes  les  quelques  livres  où  ils  pourraient  poursuivre  leur 
initiation.  Il  y  a  deci  delà  quelques  inexactitudes  sur  les  e  muets,  sur  l'article  et 
aussi  sur  l'orthographe  ;  une  erreur  plus  grave  est  de  croire  que  les  langues  sont 
des  organismes  qui  se  développent  et  vivent  par  elles-mêmes  ;  il  serait  plus 
exact  de  penser  que  les  langues  sont  des  produits  humains  de  la  vie  en  société. 
La  meilleure  paitie  et  la  plus  originale  est  sans  doute  le  chapitre  sur  le  langage 
.  poétique  et  la  poésie,  où  il  y  a  d'excellentes  observations  sur  la  rime,  la  prosodie, 
le  sentiment  poétique.  M.  Mariassy  n'est-il  pas  poète  et  n'a-t-il  pas  voulu  avoir  des 
idées  précises  sur  la  langue  qu'il  emploie?  On  peut  supposer  qu'il  a  désiré  ensuite 
faire  profiter  de  ses  connaissances  linguistiques  le  public  qui  ne  lit  pas  les  lin- 
guistes. Un  tel  souci  n'est  pas  commun  et  témoigne  d'une  bonne  volonté  méri- 
toire. Th.  Rosset. 

F.  A.  Hedgcock.  David  Garrick  et  ses  amis  français.  —  Paris,  Hachette,  191 1, 
in-12,  3  fr.  50.  —  Intéressante  contribution  à  l'histoire  des  relations  littéraires 
entre  l'Angleterre  et  la  France,  présentée  comme  thèse  complémentaire  pour  le 
doctorat  es  lettres  à  l'Université  de  Paris.  Les  recherches  sont  diligeutes  et  mé- 
thodiques, la  composition  nette,  avec  quelques  tendances  à  la  dispersion  et  une 
crainte  exagérée  de  répéter  les  devanciers,  qui  nous  prive  de  quelques  vues  d'en- 
semble essentielles,  sur  la  psychologie  de  Garrick  par  exemple  et  sur  l'état  de  la 
question  Shakespeare  au  moment  où  le  grand  acteur  anglais  arrive  sur  le  con- 
tinent. L'ouvrage  est  agréable  à  lire  et  ne  décèle  que  par  quelques  rares  angli- 


Livres  annoncés  sommairement  ■  157 

cismes  l'origine  de  l'auteur.  M.  Hedgcock  a  exécuté  un  véritable  tour  de  force 
en  écrivant  dans  une  autre  langue  que  la  sienne  un  livre  que  beaucoup  de  Fran- 
çais, même  lettrés  et  érudits,  seraient  très  heureux  de  signer  et  assez  embarrassés 
de  composer.  Une  typographie  élégante  et  d'excellentes  illustrations  documen- 
taires ajoutent  encore  à  l'intérêt  de  cet  ouvrage  très  distingué.       F.  Gaiffe. 

P.-L.  Hervier.  Charles  Dickens. —  Paris,  Michaud,  191 1,  2  fr.  25.  —  Ce  petit  volume 
est  le  dernier  paru  de  la  collection  :  «  La  vie  anecdotique  et  pittoresque  des  grands 
écrivains  »,  qui  comprend  déjà  Verlaine,  Baudelaire,  Byron,  Tolstoï,  et  quelques 
autres.  Les  auteurs  s'y  interdisent  toute  appréciation  littéraire.  —  Les  rensei- 
gnements groupés  par  M.  Hervier  sur  le  grand  écrivain  anglais  qui  «  s'éleva  lui- 
même  »  et  mourut  épuisé  par  le  travail,  sont  souvent  pittoresques.  L'illustration 
est  fort  bonne,  comme  dans  tous  les  volumes  de  la  collection,  dont  c'est  un  des 
principaux  mérites.  R.  L. 

L'année  artistique.  En  France  par  Rager  Miles  ;  en  Angleterre  par  Cecil  Howard 
Turner  ;  en  Allemagne  par  Pascal  Forthuny  ;  en  Italie  par  Gabriel  Mourey.  — 
Figaro  illustré,  novembre  1910,  3  fr.  —  Accompagnées  de  reproductions  bien 
venues  en  général,  mais  choisies  presqu'au  hasard,  ces  études  répondent  fort 
mal  à  l'objet  qu'elles  se  sont  proposé  et,  sauf  celle  de  M.  Forthuny  qui  est 
vivante  et  suggestive,  ne  méritent  pas  de  retenir  l'attention.      L.  Rosenthal. 

Dorbec.  Théodore  Rousseau  (Collection  des  grands  artistes).  —  Paris,  Laurens,  191 1, 
1  vol.  in-8,  3  fr.  50.  —  Théodore  Rousseau  (1812-1867)  a  été  un  paysagiste  de 
génie,  un  novateur  puissant,  un  admirable  caractère.  L'étude  très  solide  et  très 
précise  que  lui  consacre  M.  Dorbec  aidera  à  l'intelligence  d'oeuvres  qui  dérou- 
tèrent d'abord  le  public  et  qui  demandent  toujours  une  attention  intense  parce 
que  l'artiste  a  cherché  à  y  inscrire  un  monde  de  sensations  et  de  pensées.  Cette 
étude  montre  aussi  à  quel  point  le  paysage  contemporain  est  redevable  à  un 
maître  dont  la  vie  se  passa  en  perpétuelles  trouvailles  et  en  perpétuelles  recher- 
ches et  qui,  jamais,  ne  parvint  à  se  satisfaire.  Une  note  bibliographique,  des  illus- 
trations typiques,  choisies  avec  le  soin  le  plus  heureux,  complètent  ce  travail  dont 
la  lecture  attachante  serait  plus  facile  si  le  style  en  était  moins  dense  et  touffu. 

L.  R. 

Histoire  des  partis  socialistes  en  France,  publiée  sous  la  direction  d'Alexandre  Zévaès. 
I  et  IL  —  Paris,  Rivière,  191 1,  in-18,  o  fr.  75  chaque.  —  Cette  histoire  com- 
prendra 12  fascicules.  Deux  viennent  de  paraître;  l'un,  de  M.  Chaboseau,  traite 
De  Babeuf  à  la  Commune,  l'autre,  de  M.  A.  Zévaès,  De  la  Semaine  sanglante  au 
Congrès  de  Marseille.  La  besogne  de  M.  Chaboseau,  consistant  à  faire  tenir  en  si 
peu  de  pages  le  développement  des  idées  et  des  partis  socialistes  en  France  de 
1789  a  1871  était  ardue  :  on  peut  dire  qu'il  n'y  est  pas  entièrement  parvenu  ; 
le  chapitre  III,  en  particulier,  est  horriblement  confus,  il  n'y  a  rien  sur  les  com- 
munistes et  trop  peu  sur  l'Internationale  ;  en  revanche,  quelques  textes  sont 
insérés,  qui  seront  utiles.  —  M.  Zévaès  au  contraire  raconte  avec  des  détails  et  des 
précisions  bibliographiques  les  procès  contre  les  Internationaux,  l'amnistie,  le 
procès  contre  les  socialistes  révolutionnaires,  les  débuts  de  la  grande  propagande 
aboutissant  au  congrès  de  Marseille  ;  mais  il  ne  dégage  pas  suffisamment  l'his- 
toire du  socialisme  de  l'histoire  du  mouvement  ouvrier.  G.  Bourgin. 

E.  Picard.  iSjo.  La  Guerre  eu  Lorraine.  —  Paris,  Pion,  191 1,  2  vol.  in-16.  10  fr. — 
Après  avoir  exposé  les  événements  militaires  qui  aboutirent  à  «  la  perte  de  l'Al- 
sace »  (Paris,  Pion,  1907),  le  colonel  Picard  retrace,  avec  la  précision  que  com- 
porte un  récit  d'opérations  stratégiques,  les  différentes  phases  de  la  lutte  qui  se 
déroula  en  Lorraine  du  15  au  18  août  1870  :  Forbach,  la  retraite  sur  Met/. 
Borny,  Rczonville,  Saiut-Privat.  Ses  conclusions  sont  très  nettes  :  si  le  haut  com- 


158  ■ Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

mandement  allemand  —  qui  d'ailleurs  commit  des  fautes  graves  —  dut  la  vic- 
toire en  partie  à  l'unité  de  ses  vues,  à  une  préparation  méthodique  de  la  guerre 
d'armées,  à  l'énergie,  à  l'initiative,  à  l'esprit  de  solidarité  dont  firent  preuve  les 
chefs  en  sous-ordre,  —  il  n'eut  pas  de  meilleurs  auxiliaires  que  les  généraux  fran- 
çais :  Bazaine,  incapable  et  inerte,  purs,  pour  commander  nos  29,  3e,  4e  et 
6e  corps,  des  «  Africains  »,  des  «  Mexicains  »,  braves,  mais  pour  la  plupart  trop 
âgés,  fuyant  les  responsabilités,  ne  sachant  pas  marcher  au  canon,  superstitieu- 
sement convaincus  de  la  supériorité  de  la  défensive  sur  l'offensive,  bref,  profon- 
dément ignorants  des  règles  de  la  guerre  moderne  en  Europe.         M.  Lange. 

A.  Beaunier.  Visages  d'hier  et  d'aujourd'hui.  —  Paris,  Pion,  191 1,  in-12,  3  fr.  50.  — 
Ce  sont  24  silhouettes  de  personnages  presque  tous  intéressants  ;  parmi  les  plus 
réussies  :  Albert  Vandal,  Albert  Samain,  Jules  Renard,  Charles-Louis  Philippe, 
Jean  Moréas,  Henri  Poincaré,  Gabriel  Fauré,  Jules  Lemaître,  Mgr  Duchesne, 
etc..  —  L'auteur,  très  généralement  bienveillant,  est  le  plus  souvent,  d'expres- 
sion comme  de  pensée,  assez  subtil,  mais  délicat,  ce  qui  est  agréable.  —  Il  faut 
ajouter  qu'il  y  a,  derrière  les  silhouettes,  un  aperçu  plus  ou  moins  poussé  des  doc- 
trines ou  des  idées  en  vogue.  Rien  d'ailleurs  de  systématique  ou  de  dogmatique: 
«  Je  ne  t'offre  pas  un  miroir,  dit  André  Beaunier  à  son  ami  Francis  Chevassu,  en 
lui  dédiant  son  livre,  mais  seulement  quelques  morceaux  d'un  miroir  brisé.  » 

A.  Cassagne. 

C.  L.  Dake.  Jo^ef  Isracls.  —  Paris,  Librairie  artistique  internationale,  s.  d.,  in-4, 
sans  indication  de  prix.  —  Jozef  Israël,  qui  vient  de  mourir  presque  nonagé- 
naire, a  été  depuis  plus  de  cinquante  ans  tenu  pour  un  maître  peintre,  non  seu- 
lement en  Hollande,  sa  patrie,  mais  dans  tous  les  pays  civilisés.  M.  Dake,  qui 
fut  son  élève  et  a  gravé  plusieurs  de  ses  tableaux,  lui  consacre  une  étude,  toute 
pleine  d'admiration  pieuse,  mais  qui  ne  tourne  pas  pourtant  à  l'apothéose.  C'est 
lui  aussi  sans  doute  qui  a  choisi  les  nombreuses  et  belles  reproductions,  grâce 
auxquelles  on  peut  se  faire  une  idée  de  l'œuvre  de  l'artiste,  œuvre  d'un 
'  réalisme  vigoureux  et  franc,  mais  pénétrée  en  même  temps  de  tendresse  et  de 
poésie.  J.  Monthizon. 

SOCIOLOGIE. 

J.  Guesde.  En  garde  !  —  Paris,  Jules  Rouff  et  Cie,  [191 1],  in-16,  3  fr.  50.  —  Ce 
volume  est  un  recueil  d'articles,  dont  beaucoup  sont  anciens.  Mais  en  un  sens, 
comme  dit  la  préface  de  M.  Bracke,  les  articles  de  Jules  Guesde  «  ne  vieillissent 
pas  »,  car  sa  pensée  est  peu  muable.  —  Trois  séries  :  i°  Contrefaçons  et  mirages  : 
ï'anarchisme,  le  manuélisme,  l'antisémitisme,  le  communalisme,  le  coopéra- 
tisme,  le  syndicalisme,  le  pacifisme,  etc.  2°  La  fausse  monnaie  des  reformes  : 
l'enseignement  primaire,  la  participation  aux  bénéfices,  les  retraites  ouvrières, 
etc.  3°  Polémiques  :  MM.  Louis  Blanc,  Littré,  Fernand  Faure,  Spuller,  Ranc, 
Jules  Simon,  Yves  Guyot,  Edmond  Demolins,  Georges  Leygues,  Joseph  Rei- 
nach,  etc.  H.  B. 

Edm.  Théry.  L'Europe  économique.  2e  éd.  —  Paris,  191 1,  in-18.  — Ce  volume, 
comme  ouvrage,  n'a  guère  de  valeur  ;  comme  mémento,  il  peut  rendre  des 
services.  Il  contient  les  données  essentielles  sur  l'organisation  économique  de 
l'Europe  depuis  50  ans,  en  particulier  sur  les  finances  publiques,  sur  les  banques 
et  sur  la  circulation  métallique.  H.  B. 

Paul  Louis.  Histoire  du  mouvement  syndical  en  France  (1 789-1 910).  2e  éd.  —  Paris, 
Alcan,  in-16,  vni-282  p.,  3  fr.  50.  —  Cette  seconde  édition  du  volume  paru  en 
1906  met  au  courant  l'historique  et  les  données  statistiques  utilisées  par  l'auteur. 
Rappelons  que  M.  Paul  Louis  s'est  proposé,   non  d'écrire  une  véritable  histoire, 


Livres  annoncés  sommairement  ==================================  159 

mais  de  «  présenter  un  aperçu  succinct  du  mouvement  syndical  ».  Après  trois 
chapitres  d'ordre  général,  il  suit  le  développement  historique  de  ce  mouvement 
jusqu'à  la  doctrine  actuelle  du  syndicalisme.  Syndicaliste  lui-même,  il  indique 
souvent  ses  propres  idées  au  cours  de  son  exposition.  H.  B. 

GÉOGRAPHIE. 

E.  Garzon.  L'Amérique  latine.  La  République  Argentine,  son  histoire,  sa  vie  écono- 
mique, ses  finances.  2e  éd.  —  Paris,  Conard,  191 1,  in- 12,  3  fr.  50.  —  Nous 
considérons  les  affaires  de  l'Amérique  du  Sud  avec  «  un  regard  d'ancêtre,  trop 
calme  ».  Le  point  de  vue  américain  n'en  doit  pas  être  négligé  :  il  est  intéressant 
en  ce  que  les  événements  y  prennent  une  importance  plus  vaste,  plus  mondiale. 
Nous  ne  donnons  pas  à  des  faits  que  nous  connaissons  mal  toute  leur  portée 
historique.  Parlant  de  la  fondation,  du  développement  et  de  l'avenir  des  répu- 
bliques sud-américaines,  M.  Eugenio  Garzon  remet  en  partie  les  choses  au 
point.  Son  ouvrage  pourtant  est  inégal  et  manque  d'homogénéité.  Il  étudie 
d'abord,  dans  un  style  trop  abondant  et  trop  mêlé  d'expressions  du  jargon  philo- 
sophique, les  causes  et  les  premiers  événements  qui  présidèrent  à  la  naissance  de 
ces  républiques  —  colonisation  espagnole  faible  et  maladive  —  exemples  de 
l'émancipation  des  États-Unis  et  de  la  Révolution  française,  etc.  Il  consacre,  avec 
enthousiasme,  toute  la  seconde  partie  de  son  ouvrage  au  passage  des  Andes  par 
le  général  libérateur  San  Martin,  et  arrête  ainsi  en  1817  une  étude  historique 
qu'il  eût  été  précieux  de  voir  poursuivre  plus  avant.  Enfin,  il  s'attache  par- 
ticulièrement à  la  République  Argentine  ;  il  en  donne  une  description  politique, 
économique  et  financière,  claire  et  riche  en  renseignements  de  toute  sorte. 

J.-E.  Martin. 

PHILOSOPHIE,  TECHNOLOGIE  ET  SCIENCES. 

H.  Berr.  La  Synthèse  en  histoire.  —  Paris,  Alcan,  191 1,  5  fr.  —  Le  public  qui 
s'intéresse  à  la  théorie  de  l'histoire  lira  cet  ouvrage  avec  empressement  ;  il  y 
verra  «  comment  les  problèmes  se  posent  dans  cette  partie  de  la  logique  des 
sciences  »,  ce  qu'est  (selon  M.  Berr)  «  la  synthèse  proprement  scientifique  », 
comment  «  elle  embrasse  et  dépasse  la  sociologie  »  et  «  quelles  semblent  devoir 
être  les  formes  futures  du  travail  historique  ».  L'auteur,  directeur  de  la  Revue 
de  Synthèse  historique,  qu'il  a  fondée  et  qui  a  rendu,  depuis  dix  ans,  des  services 
notoires  aux  études,  était  parfaitement  qualifié  pour  écrire  un  pareil  ouvrage.  Il 
l'a  fait  avec  la  conscience,  l'honnêteté  et  l'information  étendues  qu'on  lui  connaît. 
Il  prépare  un  second  volume  sur  l'histoire  des  «  systèmes  »  historiques  et  notam- 
ment sur  le  mouvement  relatif  à  cet  ordre  de  problèmes  qui  s'est  produit  depuis 
vingt  ans  en  Allemagne.  Ch.-V.  L. 

R.  W.  Emerson.  Société  et  solitude,  trad.  de  M.  Dugard.  —  Paris,  A.  Colin,  191 1, 
in-12,  3  fr.  50.  —  Ce  livre  mérite  le  magnifique  éloge,  justement  reproduit  dans 
l'avant-propos,  dont  Cariyle  en  salua  l'apparition.  Il  est  la  preuve  éclatante  que 
les  lieux  communs  de  la  sagesse  humaine  n'ont  point  épuisé  leur  vertu,  peuvent 
redevenir  actuels  et  vivants,  faire  encore  l'objet  de  réflexions  personnelles,  neuves 
et  profondes.  Qu'il  traite  de  «  la  Société  et  de  la  Solitude,  —  de  l'Art,  de  la 
Civilisation  —  des  Travaux  et  des  Jours,  —  des  Clubs,  — de  la  Vieillesse,  etc.», 
Emerson  étonne  et  ravit  ses  lecteurs  par  la  notation  pénétrante  et  aiguë  des  faits, 
par  le  tour  pittoresque  et  humoristique  de  ses  impressions,  la  sincérité,  la  droi- 
ture et  la  sûreté  de  ses  jugements,  l'élévation  morale  de  ses  vues.  Le  calme 
regard  du  philosophe  démêle,  à  travers  l'agitation  des  hommes,  le  sens  profond 
des  harmonies  sociales,  l'éternel  intérêt  des  passions  éphémères  et  des  événe- 
ments du  jour.  Un  grand  souffle  moral,  le  souffle  «  épique  »  (Cariyle)  ou  philo- 
sophique, anime  la  forte  analyse,  la  large  et  puissante  esquisse  des  sentiments, 
des  idées  et  des  mœurs.  L.  Dugas. 


160  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

C.  Patissié.  Initiation  à  la  Composition  décorative.  —  Paris,  Nathan,  191 1,  in-8, 
2  fr.  75.  —  Cet  ouvrage  a  pour  objet  de  développer,  dans  l'esprit  des  enfants  et 
des  personnes  curieuses  d'être  initiées  à  la  composition  décorative,  le  goût  de 
l'invention  personnelle,  qui  leur  permettra  de  découvrir  par  eux-mêmes,  et  comme 
en  se  jouant,  des  formes  de  décoration  très  simples,  mais  déjà  intéressantes.  La  pre- 
mière partie  porte  sur  des  motifs  empruntés  à  des  éléments  géométriques,  le  rectangle, 
le  carré,  etc..  Dans  la  seconde,  on  a  eu  en  vue  la  copie  des  éléments  naturels  et 
leur  emploi  décoratif.  Le  livre  se  recommande  par  la  clarté  d'une  exposition 
qui  sait  se  mettre  à  la  portée  de  tous,  et  par  l'excellence  de  la  méthode  qui,  de 
page  en  page,  suggère  les  idées  sans  les  imposer,  et  paraît  fort  propre  à  exciter  et 
à  développer  la  recherche  individuelle.  M.  Morel. 

G.  Eisenmenger.  La  Géologie.  Ses  phénomènes.  —  Paris,  Pierre  Roger,  191 1,  in-12, 
4  fr.  —  Ce  livre  est  écrit  avec  élan.  Sans  doute  les  erreurs  de  détail  n'y  sont 
point  rares  ;  et  l'on  s'étonnera,  par  exemple,  d'entendre  parler  (p.  40)  du  quartz 
non  cristallisé  des  filons,  ou  bien  encore  de  voir  (p.  126)  la  nationalité  anglaise 
attribuée  au  célèbre  géographe  américain  M.  W.  M.  Davis.  Mais  ce  sont  là 
vétilles  légères.  Et,  pour  le  reste,  il  faut  savoir  gré  à  l'auteur  de  donner  sur  l'en- 
semble des  phénomènes  géologiques  un  aperçu  rapide,  enthousiaste  et  intéres- 
sant. —  L'ouvrage  obéit  même  à  un  louable  désir  d'actualité.  Les  questions 
volcaniques  empruntent  une  large  part  aux  travaux  de  M.  A.  Lacroix  sur  la 
Montagne  Pelée  et  la  dernière  éruption  du  Vésuve.  Les  tremblements  de  terre 
sont  traités  d'après  la  théorie  géologique  si  féconde  de  M.  de  Montessus  de 
Ballore.  Relativement  aux  dislocations  de  l'écorce  terrestre,  M.  Eisenmenger 
.  expose  succinctement,  suivant  les  limites  du  cadre  qu'il  s'est  tracé, l'essentiel  de  la 
synthèse  récente  des  chaînes  alpines.  —  Au  total,  le  nouvel  ouvrage  de  vulgari- 
sation, qui  fait  l'objet  de  cette  analyse,  pourrait  assez  bien  répondre  au  désir  si 
souvent  exprimé  par  le  public  non  informé,  d'avoir  le  titre  d'un  livre  de  géolo- 
gie très  élémentaire,  facile  à  lire  et  au  courant  des  questions  contemporaines. 

Ch.  Jacob. 

Dr  H.  Dufour.  Manuel  de  Pathologie  à  l'usage  des  sages-femmes  et  des  mères.  -  Paris, 
Alcan,  in-8,  53  gravures  dans  le  texte  et  14  planches  en  couleurs,  6  fr.  —  Ce 
livre  est  destiné  aux  personnes  qui  auront  à  soigner  des  femmes  enceintes  et  des 
enfants.  Dans  une  forme  claire  et  précise  l'auteur  expose  successivement 
les  différentes  questions  relatives  à  l'alimentation,  au  développement  et 
aux  principales  maladies  des  enfants.  Les  maladies  qui  peuvent  amener 
des  complications  dans  l'état  d'une  femme  enceinte  ou  récemment  accouchée, 
sont  étudiées  de  ce  point  de  vue  particulier.  Un  bref  et  utile  exposé  sur  les 
microbes,  en  général,  ouvre  ce  manuel.  —  L'ouvrage,  qui  est  un  recueil  de 
conférences  faites  à  des  élèves  de  la  Maternité,  paraît  plus  spécialement  destiné 
aux  sages-femmes.  Une  femme,  non  préparée  par  une  éducation  scientifique 
préalable,  y  cherchera  peut-être  plus  de  sujets  d'inquiétude  que  de  conseils  utiles. 
L'auteur  pourrait  envisager  la  possibilité  d'une  nouvelle  édition  en  deux  volumes  : 
l'un  réservé  aux  sages-femmes,  l'autre  destiné  à  toutes  les  mères. 

D>"  M.  Herer. 


Imp.  F.  Paillart,  Abbeville.  Le  Gérant  :  Éd.  Cornély. 


REVUE     CRITIQUE 

des 

Livres    Nouveaux 


VI"  Année,   n"  9.  (deuxième  série)  i5   Novembre    1911 


UN  LIVRE  SUR  LE  CULTURKAMPF. 


G.  Goyau.  —  Bismarck  et  l'Église.  Le  Culturkampf  (1870-1878). 
—  Paris,  Perrin,  1911,  2  vol.  in-16,  xxxiv-487  et  435  p.,  8  fr.  les 
deux  volumes. 

On  sait  les  qualités  et  les  défauts  ordinaires  des  livres  de  M.  Georges 
Goyau.  On  sait  sa  facilité  de  travail,  la  connaissance  qu'il  a  des  choses 
d'Allemagne,  sa  mise  en  œuvre  adroite,  sa  rhétorique  d'improvisateur 
verveux  qui  contraste  agréablement  avec  la  prose  de  la  plupart  des  autres 
collaborateurs  de  la  Revue  des  Deux  Mondes.  Ces  deux  volumes-ci  ne  sont, 
comme  les  précédents,  qu'un  recueil  d'articles  élégants,  un  peu  rapides,  et, 
tels  quels,  très  adaptés  aux  goûts,  aux  susceptibilités  et  à  la  courte  patience 
des  lecteurs  pour  lesquels  ils  sont  écrits.  Le  mérite  principal  du  livre  est 
l'abondance  de  sa  documentation  nouvelle.  Par  là  il  innove  très  utilement 
sur  le  livre  analogue  publié  en  Allemagne  par  Mgr  Briick  et  continué  par 
J.-B.  Kissling  (1900  à  1905).  Ces  deux  écrivains  avaient  déjà  pu  se  servir 
des  grandes  monographies  existantes  sur  Pierre  et  Auguste  Reichensperger, 
sur  Kettelcr,  et  des  livres  plus  modestes  consacrés  à  Mallinckrodt,  àWindt- 
horst  ou  à  Stamm,  tous  protagonistes  importants  du  Culturkampf.  M.  Goyau 
a  pu  dépouiller  beaucoup  d'autres  biographies,  des  mémoires,  des  recueils  de 
discours  plus  récents  (sur  Reinkens,  Melchers,  de  Schorlemer-Alst,  le 
cardinal  Rauscher,  Ledochowski,  l'évêque  Greith,  Linhofî",  Alfred  von 
Recemonte,  Wick,  etc).  Il  ne  néglige  pas  les  adversaires  vieux  catholiques.  Ce 
qu'on  sait  à  présent  sur  Doellinger  et  sur  Huber  est  utilisé  à  merveille.  Les 
théologiens,  les  hommes  de  loi  et  les  hommes  politiques  du  parti  adverse, 
Falk,  Hohenlohe,  Koegel,  Forckenbeck,  Bennigscn  ;  les  alliés  occasionnels 
des  catholiques,  Gerlach,  ou  le  bourgmestre  de  Bonn,  Kaufmann,  ou  Stoecker, 
sont  connus  d'après  les  sources  les  plus  récentes  et  les  meilleures.  Les  notes 
réunies  en  appendice  aux  deux  volumes  forment  à  cet  égard  une  véritable 
bibliographie  éparse,  mais  utile,  et  où  les  plus  exercés  trouvent  encore  à 
apprendre. 

On  n'attendra  pas  de  M.  Goyau  un  livre  impartial.  Le  desideratum  qu'on 
exprimerait  de  lui  voir  une  impartialité  plus  réelle  paraîtrait  suspect  à  s.i  foi 
militante.  «  Devrait-on,  parce  qu'on  écrit  l'histoire,  cesser  d'être  d'une 
religion  ?  11  y  a  des  partis  pris  d'abstraction  qui  ne  sont  ni  possibles  ni 
même  souhaitables.  »  (I,  p.  XXXIII.)  Il  faut  nous  tenir  pour  avertis.  Ce  livre 
est  écrit  pour  îles  catholiques  ;  et  il  juge  Bismarck  avec  la  mansuétude  calme 


162  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

et  un  peu  dédaigneuse  d'un  prince  de  l'Église,  initié  à  la  marche  éternelle  des. 
choses.  «  C'est  une  force  immense  que  de  pouvoir  parler  pour  toujours,  »  et 
M.  Goyau  en  use.  «  Le  Calvaire  domine  le  monde  ;  mais  il  n'y  a  pas  à  la  base 
du  Calvaire  un  gradin  réservé  dont  le  «  surhomme  »  puisse  se  faire  un  marche- 
pied pour  maîtriser  l'humanité.  »  (I,  26.)  Bismarck  s'est-il  cru  un  «  sur- 
homme »  ?  a-t-il  voulu  maîtriser  «  l'humanité  »  ?  L'historien  est  surpris  de 
l'entendre  dire.  Mais  dans  le  livre  de  M.  Goyau,  il  n'y  a  pas  que  de  l'histoire. 
Il  procède  du  genre  homilétique  et  tire  des  événements  des  consolations  et 
des  leçons  pour  la  foi. 

La  teneur  du  livre  appelle  des  remarques  de  fond.  M.  Goyau  se  défend 
de  donner  une  définition  du  grand  événement  qu'il  décrit  :  «  et  les  mots 
mêmes  de  combat  pour  Inculture,  si  suggestifs  soient-ils,  n'étreignent  ni  ne 
résument,  à  son  avis,  tout  le  Culturkampf.  »  (I,  xvi.)  Mais  le  titre,  qu'il  a 
choisi  pour  son  livre  et  qui  met  en  présence  Bismarck  et  l'Église,  est  implicite- 
ment une  définition,  et  par  surcroît  une  définition  contestable.  Bismarck  a 
peut-être  déchaîné  le  Culturkampf  et  il  y  a  sûrement  mis  un  ternie.  Mais  il  ne 
l'a  pas  conduit  seul  ni  tout  entier  ;  et  ce  mouvement  d'esprit,  qu'il  a  laissé 
grandir  et  dont  il  s'est  servi,  a  subsisté  en  dehors  de  lui.  La  législation  du 
Culturkampf  n'est  pas  une  œuvre  bismarckienne,  bien  qu'il  l'ait  encouragée, 
tolérée,  puis  réduite.  La  définition  implicite  que  renferme  le  titre  du  livre  a 
induit  M.  Goyau  à  la  faute  où  étaient  précédemment  tombés  Majunke  ou  Brùck; 
il  a  présenté  surtout  l'histoire  parlementaire  du  Culturkampf.  Les  grands 
orateurs  sont  au  premier  plan.  Au  fond,  dans  les  entr' actes  des  tournois 
oratoires,  les  prêtres  et  les  évêques  prennent  des  poses  nobles  ou  persécutées. 
La  multitude  s'agenouille,  ou  manifeste  sa  foi  par  des  cortèges  et  des  accla- 
mations. Tout  semble  se  passer  en  paroles,  en  gestes,  en  objurgations,  en 
menaces,  en  insolences.  C'est  un  échange  de  discours,  d'articles  de  journaux, 
de  pamphlets.  Les  négociations  diplomatiques  elles-mêmes  entre  Pie  IX  et 
les  ambassadeurs  bismarckiens  semblent  de  pures  chicanes  verbales.  «  La 
guerre  à  laquelle  nous  pensions  est  la  guerre  parlementaire,  »  a  dit  un  jour 
naïvement  Schorlemer-Alst.  Est-ce  là  tout  le  Culturkampf?  Dans  cette 
comédie  parlementaire  «l'on  rit  beaucoup.  »  (I,  286.)  Les  chansonnettes  de 
théâtre  ne  sont  pas  oubliées  (I,  299.)  N'y  a-t-il  que  cela  ?  Pour  M.  Goyau  il 
y  a  aussi  «  la  guerre  civile  ».  Elle  est  représentée  par  quelques  camouflets  à 
des  prêtres,  quelques  suspensions  de  traitement,  quelques  incarcérations. 
Quelle  tristesse  de  penser  qu'aux  fêtes  de  Marienbourg  «  la  franc-maçonnerie 
parada  »,  tandis  que  l'Église  fut  exclue  !  (I,  321).  Personne  ne  sera  assez 
puéril  pour  approuver  le  pouvoir  d'avoir  mis  des  gendarmes  balourds  aux 
trousses  des  prêtres  agiles  dans  les  couloirs  des  évêchés  ou  de  les  avoir  fait 
arrêter  aux  pieds  des  autels,  en  sorte  que  les  policiers  furent  parfois  sur  le 
point  d'arracher  le  ciboire  des  mains  de  l'officiant.  Ces  scènes  furent  ridicules 
ou  inconvenantes.  Mais  il  est  de  mauvais  goût  d'enfler  la  voix  à  ce  propos. 
Ces  vexations  de  police  ne  constituent  pas  une  persécution  dioclétienne.  La 
narration  de  ces  anecdotes  peut  distraire  ou  émouvoir  des  lecteurs  mondains. 
Elle  ne  contribue  pas  à  faire  comprendre  réellement  le  Culturkampf. 

Le  procédé  anecdotique,  littéraire  et  éloquent  de  M.  Goyau  obscurcit 
parfois  l'intelligence  du  phénomène,  qui  serait  mieux  assurée  par  un  exposé 
moins  papillotant,  moins  discursif,  et  plus  directement  attaché  aux  faits 
fondamentaux.  M.  Goyau  en  a  quelquefois  le  sentiment  :  «  Ne  craignons  pas 
de  le  dire  :  les  origines  du  Culturkampf  s'embrouillent  davantage,  à  mesure 


Un  livre  sur  le  Culturkampf  ========================  163 

que  le  regard  est  plus  patient  à  les  scruter.  »  (I,  xvi.)  Ce  ne  sont  pas  les 
origines  seulement  du  Culturkampf  qui  pour  M.  Goyau  s'embrouillent  ;  c'en 
est  l'essence.  Et  la  parole  d'un  grand  historien  reste  vraie  ici,  comme  ailleurs  : 
«  La  maîtrise  consiste  à  réduire  les  problèmes  et  non  pas  à  les  compliquer. 
Celui  qui  les  complique  a  abdiqué  toute  prétention  à  la  maîtrise.  »  L'attitude 
de  Bismarck  est  commandée  par  des  circonstances  diverses  et  complexes. 
Elle  n'a  jamais  varié  en  elle-même.  C'est  ne  pas  le  comprendre  que  de 
parler  ici  de  «  contradiction  entre  des  attitudes  successives  ».  Bismarck  est  un 
serviteur  de  l'Etat,  personne  ne  l'a  dit  plus  explicitement  que  M.  Goyau. 
Il  suit  de  là  diverses  conséquences  vérifiables  à  travers  tout  le  Culturkampf. 
i°  Bismarck  ne  met  l'État  à  la  remorque  d'aucune  Église.  Il  refusera  de 
rétablir  militairement  le  pouvoir  temporel  du  pape,  comme  le  lui  deman- 
daient, avec  un  touchant  accord,  le  cardinal  français  de  Bonnechose  et 
l'archevêque  prussien  Ledochowski.  Aux  insultes  dont  il  est  aussitôt  couvert 
dans  la  presse  ultramontaine,  il  oppose,  bien  entendu,  les  répliques  de  sa 
propre  presse.  —  2°  Il  n'admet  pas  l'idée  de  «  l'indépendance  des  Églises  »  dans 
l'État.  Cette  formule,  insérée  dans  la  Constitution  prussienne  de  1850,  lui 
paraissait  un  contre-sens.  Lui  demander  d'étendre  à  la  Constitution  du  nouvel 
Empire  cette  formule  vieillie,  comme  le  voulaient  Ketteler  et  les  chefs  du 
Centre,  c'était  lui  chercher  une  querelle,  qui  devait  le  trouver  intraitable 
pour  toujours.  —  30  Bismarck  n'admet  pas  que  les  autorités  des  Églises 
changent  de  leur  propre  gré  les  contrats,  tacites  ou  explicites,  et  tout 
l'équilibre  des  forces  entre  les  Églises  et  l'État.  De  là  son  attitude  envers  le 
dogme  nouveau  de  «  l'infaillibilité  »  pontificale.  Il  ne  peut  donc  pas  tolérer 
que  les  communautés  dites  «  vieilles-catholiques  »  et  qui  vivent  sur  une 
ancienne  foi  jusque  là  respectueuse  et  respectée  de  l'utat,  soient  molestées  et 
privées  de  sacrements,  tandis  que  leurs  prêtres  sont  punis,  destitués  ou  incar- 
cérés. Aux  vexations  de  cet  ordre,  commencées  par  l'Église  ultramontaine,  il 
prescrira  de  répondre  par  des  vexations  analogues.  Ses  mesures  seront  calquées 
sur  celles  de  l'église  catholique.  M.  Goyau  a  laissé  prudemment  ignorer  ce 
début  des  hostilités,  imputable  aux  autorités  ultramontaines.  — 40  Mais  on  n'a 
pas  le  droit  de  laisser  entendre  qu'il  ait  jamais  pu  être  question,  dans  les  con- 
seils du  gouvernement  allemand,  de  «  détruire  l'église  catholique  »,  d'  «  ex- 
pulser les  catholiques  »,  ou  de  «  fonder  une  Église  nationale  unique  ».  Les 
dires  de  quelques  folliculaires  n'ont  pas  d'importance.  Il  n'a  même  jamais  pu 
être  question  de  séparer  les  Eglises  et  l'utat  en  Prusse.  Quelques  pamphlets  de 
juristes  ne  doivent  pas  nous  faire  illusion  à  cet  égard.  M.  Goyau  le  sait  bien. 
Il  essaie  d'insinuer  que  la  séparation  des  Églises  et  de  l'État,  souhaitée 
peut-être  par  les  libres-penseurs  allemands,  était  impraticable  parce  que 
l'hglise  protestante,  «  depuis  longtemps  encadrée  dans  l'htat,  risquait  de 
péricliter,  si  elle  était  détachée  de  son  cadre.  »  (II,  102.)  Il  lui  plaît  à  dire. 
Aucune  religion  n'a  enfanté  plus  d'  «  fcglises  libres  »  durablement  orga- 
nisées que  la  protestante.  Le  pouvoir  bismarckien  a  toujours  su  estimer 
dans  l'Église  catholique  une  puissance  conservatrice  comme  lui-même.  Il 
ménageait  l'Église  comme  une  alliée  nécessaire  dans  le  conflit  prochain 
contre  la  démocratie  socialiste.  Il  n'a  jamais  pu  entrer  dans  sa  pensée 
de  séparer  l'utat  de  l'hglise.  Il  a  projeté  toujours  de  rattacher  plus 
fortement  l'hglise  à  l'État,  et  de  l'y  intégrer  par  un  contrat  juridique  mieux 
défini.  Toutes  ses  mesures  sur  l'inspection  scolaire,  sur  les  études  ecclésias- 
tiques, sur  le  mariage  civil,  sur  les  associations  cultuelles  s'expliquent  par  là. 


164  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

M.  Goyau  effleure  à  peine  et  tait  parfois  complètement  cette  œuvre 
législative  considérable,  qui  fut  l'enjeu  substantiel  du  Cuiturkampf,  et  qui  en 
est  l'acquis  définitif.  Il  s'ensuit  que,  chez  M.  Goyau,  à  travers  les  criailleries 
d'uglise  recueillies  par  lui  sans  distinction,  on  ne  distingue  le  sens  ni  de 
l'offensive  ni  de  la  défensive  bismarckienne.  A  le  lire,  on  pourrait  croire 
que  le  Cuiturkampf  allemand  ressemble  à  la  lutte  de  la  République  française 
contre  le  cléricalisme.  Les  deux  mouvements  en  réalité  vont  en  sens  con- 
traire, puisqu'ils  aboutissent,  l'un  à  un  contrat  plus  serré  entre  l'Église  et 
l'htat,  et  l'autre  à  la  séparation.  M.  Goyau  s'est  contenté  là  encore,  selon 
les  méthodes  de  l'éloquence  de  la  chaire,  de  formules  vides,  qui  donnent 
à  sa  rancune  catholique  une  satisfaction  d'amour-propre.  A  l'entendre, 
deux  forces  «  mystérieusement  vivaces  »  et  que  Bismarck  avait  ignorées 
jusque-là,  se  seraient  «  révélées  »  à  lui  par  son  contact  avec  l'Église  catho- 
lique :  «  la  souveraineté  spirituelle,  toute  puissante  sous  les  dehors  de  la 
faiblesse,  et  la  liberté  de  l'homme  intérieur.  »  (II,  368.)  La  vérité  est  que 
Bismarck  a  retiré  les  lois  de  combat,  qu'il  n'a  pas  faites,  mais  qu'il  a  laissé 
faire  assez  maladroitement,  quand  il  a  eu  la  certitude  que  ses  lois  organiques 
étaient  acceptées  par  l'Église. 

Il  y  a  pourtant  un  point  d'histoire  que  M.  Goyau  a  mis  en  lumière  avec  une 
clarté  qu'on  n'avait  jamais  atteinte  :  c'est  l'usage  que  fit  Bismarck  du 
Cuiturkampf  dans  sa  politique  extérieure.  Une  intervention  fameuse  de 
Challemel-Lacour  au  Sénat,  en  décembre  1874,  ouvrait  à  M.  Goyau  l'intel- 
ligence de  cette  intrigue.  Les  mémoires  de  Gontaut-Biron,  de  Lefebvre  de 
Béhaine,  de  Hohenlohe  lui  permettaient  d'en  saisir  mieux  le  fil.  L'affaire 
avait  besoin  d'être  menée  à  grand  renfort  de  polémiques  de  presse. 
En  sorte  que  la  méthode  de  M.  Goyau  qui  consiste  à  collectionner  les 
manifestations  oratoires,  les  insultes  impressionnantes  et  les  ripostes  incisives, 
a  pu  ici  le  servir.  M.  Goyau  a  donc  établi  mieux  qu'on  ne  l'avait  fait 
jusqu'ici  que  le  Cuiturkampf  est,  avant  tout,  une  manœuvre  contre  la 
France.  Bismarck  après  1870  avait  besoin,  provisoirement,  de  passer  pour 
l'ennemi  du  catholicisme,  pour  que  la  France,  par  haine  de  Bismarck,  se 
jetât  plus  complètement  dans  les  bras  du  parti  ultramontain.  Après  quoi  il 
nouait  la  coalition  européenne  contre  la  France  ultramontaine.  L'Italie, 
menacée  la  première  par  les  visées  qu'on  prêtait  à  la  France  de  rétablir  le 
pouvoir  temporel,  se  rapprochait  de  l'Allemagne.  Et  si  une  nouvelle  guerre 
franco-allemande  redevenait  nécessaire,  comme  on  le  crut  dès  1875, 
l'Allemagne  aurait  pour  elle  la  force  croissante  du  sentiment  libéral  et 
démocratique  de  l'Europe.  Les  primaires  héroïques  de  l'émancipation 
européenne,  Garibaldi  et  Bjœrnstierne  Bjœrnson,  furent  dupes  de  la 
manœuvre  et  leurs  manifestations  anti-françaises  d'alors  ne  sont  pas  pour 
accroître  le  crédit  de  leur  intelligence  politique. 

Tout  historien  impartial  aurait  compris,  comme  Challemel-Lacour,  que  le 
peuple  français,  en  donnant  la  victoire  au  parti  républicain  lors  des  élections 
au  Sénat  et  à  la  Chambre  en  187e  et  1877,  prit  littéralement  une  mesure  de 
défense  nationale.  La  guerre  était  ajournée,  sinon  évitée;  et,  si  elle  éclatait, 
ce  ne  pouvait  plus  être  pour  les  mêmes  prétextes.  La  France  retrouvait  la  tra- 
dition de  la  guerre  défensive  révolutionnaire,  et  elle  avait  pour  elle  les  sym- 
pathies de  l'Europe  libérale.  Pour  M.  Goyau,  la  tradition  française  unique  est 
la  tradition  ultramontaine  :  il  ne  s'aperçoit  pas  que,  plaidant  pour  elle,  il 
justifierait,  après  coup,  la  coalition  bismarckienne  qu'il  dénonce.  Il  réédite, 


Littérature  =====================^========^^  165 

sans  les  contredire,  les  dires  de  Windthorst  :  «  M.  Gambetta  est  le  fils 
adoptif  de  la  presse  officieuse  (allemande)  »  (II,  361)  ;  et  la  parole  de 
Spuller  :  «  L'anticléricalisme,  prenez-y  garde,  il  est  prussien.  »  (II,  362.)  La 
rencontre  projetée  de  Gambetta  et  de  Bismarck  paraît,  à  ce  compte,  une 
offre  que  Gambetta  eût  apportée  «  du  concours  de  la  France  pour  une 
politique  commune  de  l'Allemagne  et  de  la  France  contre  Rome.  »  (II,  363.) 
Des  politiciens  amateurs,  tels  que  Henckel  von  Donnersmarck,  et  des  jour- 
nalistes sans  mandat,  ont  pu  sans  doute  penser  de  la  sorte.  Mais  les  faits 
parlent  plus  haut  que  l'interprétation  des  journalistes.  Il  n'est  pas  possible 
de  se  méprendre  plus  complètement  que  n'a  fait  ici  M.  Goyau  sur  le  sens  des 
faits  qu'il  avait  mis  lui-même  en  évidence.  Ch.  Andi.f.r. 


COMPTES  RENDUS 


E.  Dagen.  —  Le  Père  ~Billon  dans  sa  ferme.  —  Paris,  B.  Grasset, 
191 1,  in-12,  305  p.,  3  fr.  50. 

Contes  de  terroir,  scènes  rustiques,  romans  ruraux  même  vont  foison- 
nant. Moissonner  ou  glaner  dans  ce  champ  serait-il  donc  facile  ?  Je  ne  sais, 
mais  le  genre  est  naturellement  inépuisable  quand  on  y  entre  avec  des  yeux 
sincères,  une  mémoire  vierge  ou  résolument  rafraîchie,  un  art  probe,  sans 
affectation  ni  de  poésie,  ni  de  crudité,  ni  de  stylisme.  C'est  le  mérite  de  ce 
volume,  qui  nous  fait  bonne  mesure  d'anecdotes  de  la  terre  dans  une  ferme 
et  un  bourg  du  Roannais  :  cinq  douzaines  de  courtes  scènes,  parfois  simples 
propos  ou  simples  gestes,  historiettes  parfois,  groupées  avec  aisance  en  une 
sorte  de  biographie.  Le  tout  fleure  bon  la  vérité,  l'observation  directe,  à 
travers  la  netteté  sobre,  la  verdeur  saine  et  sans  pruderie  de  la  forme.  Une 
pointe  d'humour,  mais  pas  d'ironie  ;  de  la  bonté,  mais  pas  d'apitoiement  ; 
quelques  idées  sur  les  rapports  des  champs  et  de  la  ville,  sur  les  vertus  et  les 
vices  des  paysans,  mais  pas  de  théories,  pas  même  d'explications.  Livre  de 
bonne  foi  et  livre  charmant. 

Dans  l'ensemble,  la  manière,  avec  quelque  chose  de  plus  uni,  de  moins 
voulu,  et  toutes  proportions  gardées,  fait  penser  au  maître  Jules  Renard  , 
mais  pas  un  trait  en  particulier  n'évoque,  je  pense,  un  trait  déjà  lu.  Tout  au 
plus  font  tache  quelques  expressions  justes  qui  ont  trop  servi  :  «  coqs  ver- 
nissés »,  «  joues  rouges  comme  des  pommes  d'api  »,  ou  encore  un  lieu 
commun  sur  le  brouillard  et  le  mysticisme  lyonnais  :  c'est  très  peu  de  chose. 

J.  BURY. 

F.  Ramuz.  —  Aimé  Pache,  peintre  vaudois.  Roman.  —  Paris, 
Fayard,  s.  d.,  in-12,  350  p.,  3  ir.  50. 

Rien  de  plus  banal,  et  volontairement  banal,  que  l'intrigue  de  ce  roman. 
Aimé  Pache  est  le  jeune  «  sujet  »  venu  à  Paris  pour  y  apprendre  son  art,  s'y 
éprenant  d'une  femme,  revenant  au  pays  à  la  suite  d'une  rupture  cruelle,  et 
y  retrouvant,  après  le  temps  normal  des  regrets,  le  goût  de  la  vie  saine  et 
rustique.  Ajoutons  encore  que,  dans  ce  roman  d'un  peintre,  il  n'est  presque 


166  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

pas  question  de  peinture.  On  y  chercherait  en  vain  la  trace  des  aspirations 
et  des  théories  esthétiques  d'une  époque  telles  que  nous  les  révèlent 
cTL'œuvre  »  de  Zola  ou  «  Le  chef-d'œuvre  inconnu  »  de  Balzac  ;  la  psycho- 
logie même  de  l'artiste  tient  en  trois  pages,  et  encore  paraît-elle  tirée  de  la 
correspondance  de  Fromentin.  C'est  que  Ramuz  préfère  la  nature  à  l'art,  la  vie 
fruste,  lente,  végétative,  aux  combinaisons  factices  de  la  pensée.  Il  n'a  pour- 
tant rien  d'un  Rousseau,  il  ne  ressemble  à  personne  ;  tout  au  plus  compa- 
rerait-on sa  technique  à  celle  de  Ch. -Louis  Philippe.  Son  roman  est  une 
suite  de  descriptions  exactes,  minutieuses,  des  menus  gestes,  des  attitudes 
familières  des  hommes,  ou  bien  encore  des  apparences,  des  reflets,  du  miroi- 
tement des  choses.  Ramuz  nous  force  à  regarder  vivre  ses  personnages  len- 
tement, au  jour  le  jour,  à  les  suivre  dans  leurs  plus  puériles  occupations. 
Telle  Marianne  tricotant  dans  la  vieille  maison  :  «  Il  y  avait  ainsi  un  sou- 
venir et  un  regret  dans  le  fil  qui  serpente  et  fait  rouler  le  peloton  au  fond  de 
la  corbeille,  un  souvenir  dans  le  tintement  des  aiguilles,  qu'à  peine  on  entend, 
mais  on  l'entend  quand  même,  —  comme  on  entend  aussi  le  grésillement  de 
la  lampe,  tellement  il  y  a  de  silence  partout  ».  Il  nous  promène  avec  Pache, 
son  héros,  en  interminables  flâneries  par  les  champs  et  les  prés  «  aux  molles 
pentes  bigarrées  »,  devant  la  montagne  «  assise  dans  sa  robe  bleue  à  gros 
plis  cassés  de  rochers  ».  De  cette  accumulation  de  petits  faits,  de  descriptions 
familières,  de  tableaux  intimes,  se  dégage,  par  analogie  avec  notre  façon 
habituelle  de  sentir  et  d'observer,  un  sentiment  intense  et  dramatique  de  la 
vie.  Ramuz  est  un  des  écrivains  originaux  de  notre  époque,  un  romancier 
habile,  mais  d'une  formule  qui  serait  parfois  lassante,  s'il  ne  devait  à  sa  patrie 
vaudoise  des  qualités  littéraires  très  spéciales.  Il  a  eu  comme  son  héros  «  le 
bonheur  de  naître  planté  profond  en  terre  comme  un  arbre  avec  ses  racines  », 
dans  ce  pays  où  les  hommes  cachent  leur  finesse  sous  une  apparence  de 
lourdeur  et  de  lenteur,  et  «  où  l'on  parle  la  chère  langue  un  peu  traînante,  un 
peu  chantante  qui  est  encore  du  latin  ».  Son  style  est  très  savant,  semé 
d'archaïsmes,  de  petites  phrases  vieillottes  ou  enfantines  ;  sa  psychologie 
est  aiguë,  pleine  de  traits  mordants  sous  une  feinte  bonhomie  ;  enfin,  il  tient 
du  milieu  vaudois,  et  il  laisse  percer  dans  toutes  ses  œuvres  cette  ironie 

latente  toute  voilée  de  candeur  qui  a  déconcerté  souvent  la  critique «  Et 

ils  se  moquent  d'en  dessous,  étant  moqueurs,  mais  n'osant  pas  le  laisser 
voir  ».  J.  Lancret. 


H.  G.  Wells.  —  The  New  Machiavelli.  —  Londres,  John  Lane, 
191 1,  528  p.,  in-12,  7  fr.  50. 

Ce  livre  de  Wells  a  fait  sensation  et  scandale.  C'est  un  roman 
puissant,  hardi,  riche  d'idées  ;  mais  inégal,  traînant,  alourdi  par  la  masse  des 
faits,  l'ampleur  des  problèmes  qu'il  soulève.  Comme  œuvre  d'art  ou  étude  de 
mœurs,  le  Nouveau  Machiavel  ne  fera  pas  oublier  Kipps.  Deux  thèmes 
principaux  se  croisent,  et  tissent,  avec  la  trame  du  livre,  la  destinée  du  héros  : 
le  thème  politique  d'abord,  l'analyse  large  et  forte  des  vices  d'organisation 
multiples  qui  font  la  médiocrité  sociale  et  humaine  de  notre  civilisation. 
L'intelligence  ordonnatrice  de  Wells  trouve  partout  en  Angleterre  le  gâchis 
«  muddle  »,  dans  la  croissance  amorphe  des  vastes  cités  industrielles  et  le 
pullulement  des  foules  grossières,  dans  le  jeu  brutal  des  forces  économiques, 


Littérature  •  ■  167 

dans  la  répartition  des  richesses,  dans  les  idées,  les  sentiments  et  les  habitudes 
d'une  société  pharisaïque  et  timorée.  A  ce  chaos  pitoyable,  un  jeune  politicien, 
Remington,  veut  imposer  l'ordre  souple  de  la  science  ;  il  veut  discipliner  les 
forces  déréglées  qui  se  combattent,  et  les  orienter  vers  l'harmonie.  Aban- 
donnant le  libéralisme,  mal  adapté  aux  solutions  positives  que  la  vie  réclame, 
c'est  au  conservatisme  rajeuni,  renouvelé,  imprégné  de  socialisme,  qu'il 
demande  d'affirmer  par  des  initiatives  courageuses  la  doctrine  de  la  «  cons- 
truction »  sociale  ;  entreprise  généreuse  à  la  fois  et  réaliste,  dont  le  terme 
lointain  est  la  production  d'une  race  plus  heureuse,  meilleure  et  plus  saine. 
—  Mais  au  moment  où  il  touche  de  la  main  le  triomphe,  le  coup  soudain 
d'une  fatalité  intérieure  le  précipite  ;  parmi  les  problèmes  du  présent,  il  en 
est  un  dont  il  a  découvert  trop  tard  la  difficulté  cruelle  et  pressante  :  c'est 
celui  des  relations  entre  les  sexes.  Élevé  selon  les  préjugés  régnants,  ignorant 
de  la  femme,  marié  sans  amour,  il  s'éprend  d'une  passion  profonde  pour  une 
compagne  de  son  esprit  comme  de  son  cœur  ;  l'appel  irrésistible  des  affinités 
électives  détruit  son  foyer  ;  et  l'arrêt  de  l'opinion  puritaine  brise  pour  jamais 
sa  carrière  le  jour  où  la  publicité  de  l'adultère  l'oblige  à  la  fuite.  Exilé, 
meurtri,  il  donne  à  son  activité  oisive,  comme  jadis  Machiavel,  l'aliment  du 
souvenir  et  des  libres  imaginations  théoriques  ;  et  c'est  sur  la  figure  sévère  de 
cette  destinée  douloureuse  que  Wells  comme  à  dessein  semble  arrêter  nos 
yeux. 

Mais  quelle  est  au  juste  sa  pensée  ?  La  note  pessimiste  qui  paraît  la  domi- 
nante du  livre  en  révèle-t-elle  vraiment  le  timbre  central  et  profond  ?  L'histoire 
de  Remington  est-elle  un  nouvel  exemple  du  conflit  inévitable  entre  les  con- 
traintes anciennes  et  les  libres  inspirations  morales  ;  ou  nous  ramène-t-elle  à 
la  vieille  sagesse  qui  s'attache  aux  devoirs  certains,  et  craint  d'arracher  le 
bonheur  aux  souffrances  d'autrui  ?  La  satire  amère  du  parti  libéral  et  du 
radicalisme  agissant,  les  portraits  féroces,  sous  des  noms  déguisés,  de  Béatrice 
et  Sidney  Webb,  la  critique  de  ce  Fabianisme  auquel  Wells  appartenait 
naguère,  indiquent-ils  la  marche  secrète  de  son  esprit  vers  le  respect  des 
aristocraties  et  des  élites  ?  C'est  peut-être  le  défaut,  peut-être  le  grand  mérite 
du  livre,  que  ces  questions  restent  sans  réponse.  Si  la  thèse  qu'il  soutient 
n'est  point  simple  ni  claire,  la  complexité  de  ses  tendances  en  répond  mieux 
à  celle  des  choses  ;  et  la  sincérité,  la  force  suggestive  de  ce  roman  pesant, 
parfois  gauchement  écrit,  en  font  une  œuvre  d'un  haut  et  prenant  intérêt.  La 
psychologie  des  caractères  n'est  ni  assez  vraisemblable  ni  assez  fine  pour  que 
l'ouvrage  s'égale,  littérairement,  aux  meilleurs  de  son  espèce. 

L.  Cazamian. 


Graça  Aranha.  —  Chanoan.  Traduit  du  portugais  par  Clément 
Gazet.  2e  édition.  —  Paris,  Plon-Nourrit,  191 1,  in-16,  xi-344  p., 
3  fr.  50. 

Ce  livre,  un  des  meilleurs  de  la  jeune  littérature  brésilienne,  est  un 
roman  presque  dépourvu  d'intrigue,  qui  traduit  avec  art  les  impressions  de 
deux  émigrants  allemands,  de  condition  supérieure,  venus  au  Brésil  comme 
en  une  terre  promise,  pour  y  chercher  moins  la  fortune  que  la  paix  morale  à 
laquelle  aspire  leur  âme  endolorie.  C'est,  de  plus,  un  remarquable  tableau  de 
la  vie  des  colons  germaniques,  accaparant  le  commerce  et  l'agriculture,  con- 


168  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

servant  leur  esprit,  leurs  habitudes,  leur  langue,  formant  au  sein  de  la  nation 
une  nation  propre.  C'est,  en  outre,  une  satire  très  mordante  des  mœurs 
administratives  brésiliennes,  notamment  de  la  conduite  odieuse  des  juges  et 
de  leurs  acolytes  qui,  à  la  fois  par  rapacité  et  par  esprit  de  vengeance,  pres- 
surent l'étranger  envahisseur.  Mais  le  livre  de  Graça  Aranha  est,  par 
dessus  tout,  une  sorte  de  poème  en  prose,  où  les  visions  et  les  aperçus  phi- 
losophiques abondent,  où  les  personnes  et  les  choses  ont,  comme  le  titre, 
des  allures  de  symboles,  où  les  principaux  acteurs,  —  immigrés  blonds  et 
roses,  indigènes  blancs,  métis  ou  noirs,  —  sont  moins  des  hommes  que  des 
types  représentatifs  de  systèmes,  de  doctrines,  de  races,  où  enfin  le  problème 
troublant  et  complexe  de  l'avenir  du  Brésil,  transformé  par  les  apports  con- 
tinuels de  l'émigration  allemande,  domine  tous  les  développements,  toutes 
les  digressions.  En  résumé,  œuvre  étrange,  qui  tour  à  tour  déconcerte, 
émeut  et  séduit.  L.  Barrau-Dihigo. 


A.  Moret.  —  Rois  et  Dieux  d'Egypte.  —  Paris,  A.  Colin,  1911, 
in-18,  318  p.,  20  figures,  16  planches  et  1  carte,  4  fr. 

Le  livre  de  M.  Moret  se  lit  avec  plaisir  et  on  y  apprend  beaucoup  de 
choses.  L'auteur  s'est  déjà  fait  connaître  par  plusieurs  articles  de  revues  et 
par  des  conférences  comme  un  excellent  vulgarisateur,  qui  sait  mettre  à  la 
portée  du  public  les  détails  essentiels  de  la  science  égyptologique.  Comme 
son  précédent  volume,  Au  temps  des  Pharaons,  dont  il  a  été  rendu  compte 
(Bull,  des  Bibl.  popul.,  1909,  p.  118),  celui-ci  réunit  des  études  antérieure- 
ment parues.  Elles  sont  écrites  avec  agrément  et  exposent  avec  clarté  des 
sujets  d'érudition  autrefois  réservés  aux  spécialistes,  l'histoire  de  la  Reine 
Hatshopitou,  la  révolution  religieuse  d'Aménophis  iv,  la  Passion  d'Osiris,  les 
Mystères  d'Isis,  etc.  Nul  n'aurait  pensé,  il  y  a  trente  ans,  à  traiter  ces  ques- 
tions dans  un  ouvrage  destiné  au  grand  public.  Mais  l'Egypte  est  devenue, 
comme  l'était  la  Grèce,  le  point  de  mire  des  voyageurs  et  des  collection- 
neurs. La  season  d'hiver  se  fait  au  Caire  ;  tous  les  touristes  des  croisières  ont 
vu  les  Pyramides.  Il  en  résulte  un  mouvement  de  curiosité  qui,  de  plus  en 
plus,  rend  familières  à  tout  homme  instruit  les  antiquités  de  l'Egypte. 

Le  volume  de  M.  Moret  vient  donc  à  point  et  je  ne  doute  pas  qu'il  ne 
prenne  place  dans  la  valise  de  beaucoup  de  ceux  qui,  cet  hiver,  émigreront 
vers  la  vallée  du  Nil.  Les  voyageuses  y  liront  avec  intérêt  la  surprenante  des- 
tinée de  cette  femme  qui  réussit  à  être  un  Pharaon  et  à  porter  tous  les 
insignes  d'un  roi  mâle,  lointaine  ancêtre  des  Catherine  de  Russie  et  des  Elisa- 
beth d'Angleterre.  Les  gens  curieux  des  idées  religieuses  apprendront  que 
dans  l'immuable  et  dévote  Egypte  il  y  eut  des  révolutions  sacerdotales,  des 
hérésies  et  des  guerres  acharnées  entre  cultes  différents  ;  ils  liront  aussi  une 
des  plus  belles  pages  que  nous  ait  laissées  la  littérature  orientale,  l'hymne  au 
Soleil  du  roi  Aménophis.  Enfin  ils  comprendront  tout  ce  que  la  Passion 
d'Osiris  contient  déjà,  en  germe,  d'idées  chrétiennes  et  modernes.  Je  recom- 
mande aussi  aux  archéologues  le  chapitre  sur  Homère  et  l'Egypte  ;  il  est  cer- 
tain que  M.  Moret  ne  redoute  pas  ce  qu'on  a  appelé  «  le  mirage  oriental  »  ; 
il  s'y  plonge  et  y  vit  avec  allégresse.  Je  n'ose  pas  dire  qu'il  ait  tort,  car  il  a 
réuni  là  des  faits  et  des  rapprochements  tout  à  fait  curieux  et  dignes  d'atten- 
tion. E.  Pottier. 


Histoire  ==  169 


E.  Rigal.  —  De  Jodelle  à  Molière,  tragédie,  comédie,  tragi- 
comédie.  —  Paris,  Hachette,  191 1,  in-16,  302  p.,  3  fr.  50. 

Il  ne  faut  pas  s'attendre  à  trouver  ici,  —  et  le  sous-titre  en  avertit  claire- 
ment le  lecteur,  —  une  histoire  de  notre  théâtre  comique  au  xvie  et  au 
xvne  siècle.  Les  deux  noms  que  rapproche  M.  Rigal  marquent  seulement  les 
dates  extrêmes  entre  lesquelles  il  a  choisi  les  sujets  de  ses  études  ;  et,  des 
huit  articles  qui  le  composent,  le  premier  et  le  dernier  sont  consacrés  à 
Molière,  mais,  dans  les  plus  nombreux  et  les  plus  importants,  c'est  de  la  tra- 
gédie qu'il  est  question.  M.  Rigal  reprend  par  un  autre  biais  la  question  con- 
troversée des  représentations  tragiques  au  xvie  siècle  :  par  un  examen  minu- 
tieux des  indications  scéniques  que  fournit  le  texte  des  principaux  auteurs, 
il  s'efforce  de  prouver  que,  jouées  ou  non,  leurs  pièces  n'avaient  pas  été  faites 
pour  l'être.  Il  précise  le  rôle  de  Corneille  dans  l'évolution  de  notre  tragédie  ; 
il  l'estime,  comme  de  juste,  considérable  ;  mais  il  montre  finement  ce  qu'il 
V  a  eu  de  flottant  dans  la  conception  du  poète,  et  dans  quelle  mesure  il  a 
obéi  aux  circonstances.  Cette  tragédie  idéaliste,  dont  le  Cid  est  le  brillant 
essai  et  Polycu.de  le  type  achevé,  doit  son  existence  aux  théories  étroites  du 
xvie  siècle  sur  la  vraisemblance  dramatique,  et,  si  Corneille  a  eu  l'honneur 
de  la  réaliser,  son  goût,  conforme  à  celui  de  son  temps,  le  portait  de  préfé- 
rence vers  la  tragi-comédie,  à  laquelle  il  est  bientôt  revenu,  mais  en  y  por- 
tant cet  air  de  grandeur  dont  il  avait  pris  l'habitude  dans  la  tragédie  pure. 
La  méthode  historique,  que  M.  Rigal  applique  depuis  longtemps  aux  études 
littéraires  avec  autant  de  tact  que  de  savoir,  éclaire  d'un  jour  plus  sûr 
l'œuvre  de  nos  grands  écrivains,  mais  elle  ne  diminue  pas  leur  génie  :  en 
reliant  plus  étroitement  Corneille  ou  Molière  à  leurs  devanciers  et  à  leurs 
contemporains,  le  critique  ne  fait  que  mieux  éclater  la  supériorité  indivi- 
duelle, force  d'imagination  ou  sens  profond  de  la  vie,  grâce  à  laquelle,  en 
définitive,  ils  ont  été  ce  qu'ils  sont.  E.  Estève. 


E.  Bourgeois.  —  La  diplomatie  secrète  au  xvme  siècle,  ses  débuts  : 
I.  Le  Secret  du  Régent  et  la  politique  de  l'abbé  Dubois  (triple  et  quadruple 
alliances)  (1716-1718)  ;  II.  Le  Secret  des  Farnèse  ;  Philippe  V  et  la  poli- 
tique d'Alberoni;  III.  Le  Secret  de  Dubois,  cardinal  et  premier  ministre. 
—  Paris,  A.  Colin,  [1909-19 10],  3  vol.  in-8,  xxxvi-384,  iv-398, 
448  p.,  30  fr. 

La  diplomatie  secrète,  celle  dont  l'action  s'exerce  en  dehors  et  à  l'insu 
de  la  diplomatie  officielle,  quelquefois  contre  elle,  apparaît  en  Europe 
bien  avant  Louis  XV  et  le  «  Secret  du  Roi  »  dont  le  duc  de  Broglie  a  fait 
connaître  l'histoire  (1878).  Il  faut,  pour  en  trouver  le  point  de  départ,  remon- 
ter jusqu'aux  traités  d'Utrecht  ;qui,  par  la  proclamation  du  principe  d'équi- 
libre, l'enregistrement  solennel  de  la  renonciation  de  Philippe  V  au  trône  de 
France  et  de  la  reconnaissance  de  la  succession  protestante  en  Angleterre, 
apportent  à  l'Europe  un  droit  public  nouveau.  Les  intérêts  dynastiques  sont 
subordonnés  aux  aspirations  et  à  la  volonté  des  peuples,  et  ceux  qui  veulent 
les  servir  doivent  suivre  les  voies  secrètes  de  la  corruption  et  de  l'intrigue. 

Déjà  M.  Bourgeois  avait  esquissé  à  grands  traits  cette  histoire  dans  son 


170  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

Manuel  historique  de  politique  étrangère  (tome  I,  ch.  xiv)  aujourd'hui  clas- 
sique. Une  étude  approfondie  de  la  politique  étrangère  de  l'abbé  Dubois, 
entreprise  en  1887  sur  l'invitation  de  l'Académie  des  Sciences  morales,  et 
qui  a  valu  à  M.  Bourgeois,  sur  un  rapport  fortement  motivé  et  très  élo- 
gieux  d'Albert  Sorel,  le  prix  du  Budget,  lui  a  permis  de  nous  donner  le 
tableau  complet  des  combinaisons  politiques  dans  les  premières  années  du 
xvine  siècle. 

Ses  recherches  méthodiques  dans  les  Archives  des  Affaires  étrangères,  où 
il  n'a  négligé  aucun  fonds,  dans  les  Archives  de  Naples  et  de  Vienne,  lui  ont 
livré  le  mot  de  tous  les  secrets  qui  agissent  alors  sur  la  politique  européenne. 
C'est  d'abord  le  «  Secret  du  Régent  »  (tome  Ier)  qui  veut  obtenir  de  l'Eu- 
rope, contre  Philippe  V  représentant  du  droit  divin,  la  confirmation  de  ses 
droits  au  trône  de  France  occupé  par  un  enfant  débile  dont  on  peut  escomp- 
ter la  succession.  La  mission  secrète  de  Dubois  à  la  Haye  et  à  Hanovre,  son 
début  dans  la  diplomatie  après  son  voyage  en  quelque  sorte  d'apprentissage 
à  Londres  avec  Tallard,  obtient  le  résultat  cherché  et  amène  la  signature  des 
traités  de  Hanovre,  de  la  Haye  et  de  Londres.  Mais,  auprès  de  Philippe  V, 
les  tentatives  du  Régent  pour  l'amener  à  son  point  de  vue  échouent  ;  et  les 
ambitions  secrètes  des  Farnèse  (tome  II),  qui  veulent  s'affranchir  du  joug 
impérial,  plus  encore  que  les  prétentions  du  roi  d'Espagne  (les  recherches 
de  M.  Bourgeois  réduisent  la  conspiration  de  Cellamare  à  ses  justes  propor- 
tions) entraînent  le  gouvernement  espagnol  dans  une  guerre  contre  la  Qua- 
druple Alliance  qui,  presqu'au  lendemain  de  la  coalition  de  1701,  dresse 
armés  les  uns  contre  les  autres  les  anciens  compagnons  d'armes  d'Almanza. 
Il  faut  toute  la  vivacité  et  la  souplesse  d'esprit  de  Dubois,  devenu  secrétaire 
d'État  aux  Affaires  étrangères  (t.  III),  son  inlassable  activité  pour  effacer  dans 
l'opinion  les  mauvais  effets  de  cette  guerre  et  amener,  sans  exciter  les  suscep- 
tibilités de  ses  alliés,  le  rapprochement  avec  l'Espagne  dont  le  traité  de 
Madrid  et  les  mariages  espagnols  sont  l'éclatante  manifestation.  Les  droits  du 
Régent  à  la  succession  au  trône  de  France  sont  reconnus  par  le  prince  même 
qui  aurait  pu  avec  quelque  fondement  les  contester.  C'est  le  triomphe  de  la 
politique  inspirée  par  Dubois.  Quel  en  a  été  le  prix  ?  Les  contemporains  ont 
pu  sur  ce  point  être  trompés.  Mais  M.  Bourgeois  a  vu  toutes  les  pièces  du 
procès  et  c'est  en  toute  assurance  qu'il  peut  conclure  :  le  succès  du  Régent  et 
de  Dubois  a  été  obtenu  par  l'abandon  de  la  politique  maritime  et  coloniale 
du  pays  ;  c'est  la  France  qui  l'a  payé  de  son  effacement  dans  le  monde  nou- 
veau. Si  les  études  de  Chéruel,  d'Aubertin,  de  Wiesener  ont  lavé  la  figure 
du  fameux  abbé  des  marques  sanglantes  qu'y  avait  imprimées  la  passion 
de  Saint-Simon,  celles  de  M.  Bourgeois  laissent  peser  sur  sa  mémoire  la 
lourde  faute  d'avoir  rabaissé  au  rôle  de  sénateur  du  duc  d'Orléans  la 
dignité  de  ministre  du  pays.  M.-R.  Bernard. 


E.  Faguet.  —  Vie  de  Rousseau.  —  Paris,  Société  française  d'impri- 
merie et  de  librairie,  s.  d.,  in-12,  417  p.,  3  fr.  50. 

C'est  un  beau  livre,  et  dont  les  beautés  ont  le  rare  mérite  d'être  opportunes. 
Nous  avons  de  Rousseau  bien  des  biographies  ;  mais  elles  datent  déjà  et 
ignorent  les  recherches  récentes  ;  la  polémique  ou  les  discussions  s'y  mêlent 
et  par  elles  les  faits  se  masquent  derrière  les  doctrines.    M.  Faguet  s'est 


Histoire  =   *  '  ' 

soigneusement  informé  ;  tout  ce  qu'il  y  a  d'important  et  de   sûr   dans  les 
diligences  des  «  Rousseauistes  »  a  été  lu,  pesé,  ajusté. 

Surtout  tout  a  été  mis  dans  une  lumière  qui  a  l'allégresse  d'un  beau  jour. 
La  vie  de  Rousseau  n'est  pas  simple  ;  ses  passions  de  persécuté  ont  enchaîné 
à  d'obscures  «  affaires  »  des  polémiques  inextricables.  Les  allégations,  récu- 
sations, justifications,  documents  sincères  ou  truqués  ont  mêlé  tout  autour 
de  ses  aventures  le  plus  déconcertant  écheveau  qui  puisse  désespérer  les 
critiques.  Heureusement,  M.  Faguet  est  la  clarté  même.  Son  récit  est  un 
prestige.  Dans  ces  paysages  où  s'attardaient  des  eaux  troubles,  c'est  une  eau 
limpide  qui  coule  où  ne  se  reflètent  que  des  choses  claires  et  des  lignes 
précises. 

Cette  limpidité  est  celle  même  de  la  justice.  M.  Faguet  a  voué  sa  vie  au 
plaisir  de  lire  et  de  discuter  ;  la  célébrité  l'a  payé  en  monnaie  trébuchante  ; 
mais  il  y  a  conquis  des  joies  plus  hautes.  A  vivre  les  vies  changeantes, 
misérables  ou  glorieuses,  de  ceux  qui  confièrent  aux  Lettres  quelque  chose 
de  leur  âme,  on  apprend  sans  doute  les  sérénités  qui  sont  indulgentes  parce 
qu'elles  savent  les  poids  inégaux  des  destins.  M.  Faguet  a  su  parler  de  Jean- 
Jacques  avec  une  justice  clairvoyante  et  pitoyable.  Il  a  dit  ses  erreurs,  ses 
crimes  et  sa  folie  ;  il  a  dit  aussi  ses  remords,  ses  ardeurs  sincères  et  la  lente 
ascension  de  cette  vie  qui  a  lutté  contre  elle-même  et  qui  expia. 

Ce  n'est  pas  dire  que  le  livre  impose  toujours  l'assentiment.  M.  Faguet 
raconte  et  il  juge  ;  il  se  propose  aussi  d'expliquer  ;  ces  aventures  qui  semblent 
renier  toute  logique  et  toute  raison  ont  pourtant  dans  le  tempérament  même 
de  Rousseau  et  dans  la  logique  mystérieuse  des  passions  leurs  raisons 
profondes.  M.  Faguet  les  a  poursuivies  avec  la  pénétration  et  le  lucide  bon 
sens  qu'on  lui  connaît.  Nul  doute  qu'il  ait  touché  juste  le  plus  souvent  et 
qu'il  ait  dénoué  avec  aisance  ce  que  les  polémiques  avaient  fait  mystérieux. 
Il  nous  a  persuadé  presque  toujours,  comme  il  séduira.  Mais  il  convient 
qu'on  discute  :  c'est  la  marque  que  le  livre  est  profond  ;  il  fait  penser. 

D.  MORNET. 

R.  Schneider.  —  Quatremère  de  Quincy  et  son  intervention  dans  les 
arts  (1788-1830).  —  Paris,  Hachette,  191 1,  in-8,  xvi-442  p.,  10  fr. 

Quatremère  de  Quincy  a  laissé  une  réputation  si  rébarbative  et  si  antipa- 
thique qu'il  fallait  un  véritable  courage  pour  entreprendre  l'étude  de  sa  vie, 
et  M.  Schneider  a  eu  d'autant  plus  de  mérite  à  le  faire  que  les  deux  livres 
délicats  sur  VOmbrie  et  sur  Rome,  par  lesquels  il  s'était  fait  connaître, 
témoignaient  plus  d'ingéniosité  et  de  sensibilité  que  de  goût  pour  l'érudition. 
Il  a,  d'ailleurs,  été  récompensé  de  son  effort  ;  car  il  a  fait  un  livre  solide, 
intéressant  et  utile.  Il  n'a  pas  cherché  à  atténuer  les  répugnances  provoquées 
par  son  héros.  Quatremère  de  Quincy  s'est  donné,  toute  sa  vie,  la  mission 
de  régenter  l'art;  il  a  été  tyrannique  toutes  les  fois  qu'il  l'a  pu,  et  il  amis 
son  autorité  au  service  des  doctrines  les  plus  étroites,  féru  d'une  esthétique 
idéalo-antiquc  en  dehors  de  laquelle  il  n'admettait  rien.  Mais  ce  doctrinaire 
étroit  était  un  érudit  original  ;  il  a  été  mêlé  par  sa  longue  existence  à  la 
Révolution,  à  l'Empire,  à  la  Restauration  et  à  la  monarchie  de  Juillet  ;  et  sa 
biographie,  mouvementée  surtout  pendant  la  période  révolutionnaire,  les 
entreprises  auxquelles  il  a  participé,  les  travaux  qu'il  a  dirigés,  son  interven- 


172      ■  ■        .  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

tion  dans  les  luttes  d'idées  et  auprès  des  artistes,  amènent  M.  Schneider  à 
aborder  toute  une  série  de  questions  du  plus  haut  intérêt.  Ceux  qu'occupe 
l'histoire  de  Paris  apprendront  que  Quatremère  de  Quincy  fut,  par  quelques 
côtés,  le  précurseur  d'Haussmann  et  verront  la  part  importante  qu'il  prit  à 
la  conservation  et  au  transfert  de  la  fontaine  des  Innocents,  à  l'achèvement 
du  Panthéon,  au  dégagement  des  Thermes  de  Julien.  Quatremère  a  été 
l'adversaire  acharné  d'Alexandre  Lenoir,  et  a  contribué  plus  que  personne  à 
la  dispersion  du  Musée  des  monuments  français  ;  mais  il  a  coloré  sa  haine 
du  moyen  âge  de  considérations  fort  remarquables  sur  la  destinée  des  œuvres 
d'art.  Après  avoir  travaillé  avec  David  à  la  destruction  de  l'ancienne 
Académie  de  Peinture,  il  a,  à  partir  de  la  Restauration,  défendu  avec  âpreté 
les  privilèges  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  dont  il  était  le  secrétaire  perpétuel 
et  essayé  de  maintenir  la  discipline  dans  les  Salons,  à  l'École  des  Beaux- 
Arts  et  à  l'Ecole  de  Rome.  Mais  son  autorité  et  ses  colères  ont  été  vaines 
contre  le  Romantisme  et  l'on  ne  voit  pas  qu'il  ait  retardé  la  décadence  des 
formules  à  la  fortune  desquelles  il  s'était  associé.  Dans  une  dernière  partie 
de  son  livre,  M.  Schneider  a  essayé  de  reconstituer  les  rapports  individuels 
de  Quatremère  avec  les  artistes,  ses  contemporains.  Ces  rapports  sont  tels 
qu'on  les  pouvait  imaginer  :  par  la  nature  tranchante  de  son  caractère, 
Quatremère  n'a  eu  d'amitié  que  pour  les  artistes  qui  partageaient  ses 
doctrines.  En  somme,  Quatremère  de  Quincy,  théoricien  de  la  réaction 
antique  contre  le  dix-huitième  siècle,  a  contribué  au  triomphe  intolérant  de 
l'art  qu'illustrèrent  David,  Canova,  Percier  et  Fontaine,  mais  cet  art  se  serait 
certainement  développé  sans  lui,  et  il  n'a  pu  en  prolonger  la  vitalité. 
Accompagné  d'une  bonne  bibliographie,  appuyé  sur  une  documentation 
copieuse,  parfois  même  surabondante,  l'ouvrage  de  M.  Schneider  est, 
désormais,  indispensable  à  tous  ceux  qui  étudient  l'histoire  des  idées 
esthétiques  et  de  l'art,  à  l'aurore  de  la  période  contemporaine. 

L.  ROSENTHAL. 


G.  de  Greef.  —  Introduction  à  la  Sociologie.  —  Paris,  Marcel 
Rivière,  191 1,  2  vol.  in-8,  231  et  445  p.,  12  fr. 

La  réimpression  de  cet  ouvrage  considérable,  paru  il  y  a  vingt-cinq  ans, 
ne  contient  rien  de  nouveau  que  la  préface  de  cette  seconde  édition. 
L'auteur  y  détermine  avec  précision  et  loyauté  en  quoi  il  se  rapproche,  en 
quoi  il  diffère  des  trois  hommes  qu'il  proclame  et  salue  comme  ses  maîtres, 
Quételet,  Auguste  Comte  et  Herbert  Spencer.  Il  définit  ainsi  sa  propre  place 
dans  l'école  sociologique. 

Il  n'est  peut-être  pas  inutile  de  rappeler  ici  les  traits  essentiels  de  sa 
doctrine. 

Avant  tout,  c'est  un  acte  de  foi  dans  l'existence  d'une  science  sociale  et  la 
démonstration  qu'elle  se  fait  lentement.  Elle  part  de  ce  principe  que  toutes 
nos  connaissances  sont  relatives  et  de  ce  fait  primordial  que  tout,  autour  de 
nous  et  en  nous,  est  mouvement.  Elle  considère  les  phénomènes  sociaux 
comme  étant  à  la  fois  matériels,  biologiques  et  psychologiques,  et  réconcilie 
ainsi  les  théoriciens  qui  ne  leur  ont  reconnu  qu'un  seul  de  ces  caractères. 
Puis  elle  aboutit  à  une  classification  de  ces  phénomènes,  qui  est  une  des 
parties  capitales  de  l'œuvre. 


Philosophie  —  173 

Ils  sont  ainsi  rangés  (t.  I,  p.  211)  en  sept  groupes  par  ordre  de  généra- 
lité décroissante,  de  complexité  et  de  spécialité  croissantes  :  phénomènes 
économiques,  génésiques  (famille,  mariage,  etc.),  artistiques,  relatifs  aux 
croyances,  moraux,  juridiques,  politiques. 

Ces  groupes  se  subdivisent  eux-mêmes  en  sous-groupes  naturels.  Je  prends 
un  seul  exemple  ;  je  choisis  ceux  qui  sont  historiquement  et  logiquement 
antérieurs  aux  autres  et  qui  par  conséquent  peuvent  exister  sans  eux,  tandis 
que  les  autres  les  contiennent  et  en  dépendent  dans  une  large  mesure  :  les 
phénomènes  économiques. 

Ils  comprennent  la  circulation,  la  consommation,  la  production.  La 
première  nommée  précède  dans  le  temps  les  deux  autres  et  les  domine  :  ici 
M.  de  Greef  se  sépare  de  Karl  Marx  qui  a  mis  en  première  ligne  la  production. 

La  production  à  son  tour  peut  être  industrielle  ou  agricole.  Suivant 
M.  de  Greef,  l'industrie,  contrairement  à  une  opinion  qui  fut  longtemps 
régnante,  se  développe  avant  l'agriculture,  qui  exige  plus  de  connaissances 
chimiques  et  physiologiques. 

Cette  classification,  dont  ce  que  je  viens  de  dire  suffit  à  donner  une  idée, 
entraine  des  conséquences  graves  qui  sont  indiquées  dans  le  second  volume, 
où  il  est  traité  de  la  structure  et  du  fonctionnement  des  sociétés  humaines. 
Elle  peut  et  doit  conduire,  dans  l'enseignement,  à  une  hiérarchie,  à  une 
sériation  rationnelle  des  branches  de  connaissances  qui,  par  leur  réunion, 
composent  la  science  sociale.  Elle  doit,  dans  la  politique,  substituer  à 
l'empirisme  une  méthode  positive  ;  elle  avertit,  par  exemple,  que  toute 
modification  dans  le  système  de  la  circulation  se  répercute,  non  seulement 
sur  la  production,  mais  sur  les  croyances,  la  morale,  le  droit  ;  elle  invite 
donc  à  agir  d'abord  sur  ce  système.  Non  seulement  elle  apprend  que  la 
transformation  du  régime  économique  doit  s'accomplir  avant  celle  du  régime 
juridique  ;  mais  elle  explique  pourquoi  l'agriculture  a  fait  moins  de  progrès 
que  l'industrie,  pourquoi  aussi  elle  est  plus  près  d'une  métamorphose  dans 
les  pays  industriels  que  dans  les  autres. 

Il  faudrait  beaucoup  d'espace  pour  discuter  ou  simplement  pour  exposer 
toutes  les  conclusions  auxquelles  M.  de  Greef  est  parvenu  par  une  patiente  et 
sagace  observation  des  réalités.  Nous  ne  pouvons  ici  qu'en  indiquer  l'esprit 
général,  en  rendant  hommage  à  la  belle  ténacité  des  recherches  auxquelles  le 
penseur  belge  a  consacré  sa  vie  et  à  la  haute  valeur  des  résultats  qu'il  a 
obtenus.  G.  Renard. 


J.  Segond.  —  La  Prière.  —  Paris,  Alcan,  191 1,  in-8,  364  p., 
7  fr-  50 

L'étude  si  consciencieuse,  solide  et  circonspecte  de  M.  Segond  trouvera 
sa  place  naturelle  «à  côté  de  celles  que  la  psychologie  religieuse  a  déjà  ins- 
pirées, dans  ces  dernières  années,  à  W.  James  et  à  M.  Delacroix  :  elle  pro- 
cède de  la  même  méthode,  très  exactement  définie  dans  une  introduction 
qui  est,  à  notre  goût,  la  partie  la  plus  intéressante  du  livre.  11  ne  s'agit  pour 
M.  Segond  d'expliquer  les  états  d'âme  religieux  ni  par  leurs  conditions  phy- 
siologiques, ni  par  leurs  conditions  sociales  ;  pas  davantage  par  la  réalité- 
transcendante  de  leurs  objets  ;  à  vrai  dire  même,  il  ne  s'agit  d'explication 
d'aucune  sorte  :   mais,  les  prenant  tels  qu'ils  se  présentent  à  ceux  qui  les 


174  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

éprouvent,  empruntant  aux  sujets  eux-mêmes  leurs  expressions  et  leurs 
témoignages,  mettant  bout  à  bout  les  formules  de  Sainte  Thérèse,  ou  de 
Mme  Guyon,  ou  de  la  bienheureuse  Marguerite-Marie,  ou  encore  de  Pascal, 
de  Maine  de  Biran,  d'Amiel,  voire  de  Marc-Aurèle,  il  s'agit  d'en  composer 
une  sorte  de  «  description  »  de  la  prière,  description  aussi  impersonnelle 
qu'il  se  peut  d'états  les  plus  personnels  qui  soient  :  par  ce  biais,  l'étude  reste 
exclusivement  psychologique,  tout  objective  par  sa  méthode,  essentiellement 
subjective  par  sa  matière. 

Nous  n'objecterons  pas  à  M.  Segond,  comme  on  l'a  beaucoup  fait,  de  négli- 
ger ainsi  les  formes  les  plus  simples,  les  plus  communes  de  la  prière,  celles  des 
sauvages  ou  des  humbles,  et  spécialement  la  prière  de  demande  :  on  est  tou- 
jours libre  de  délimiter  son  sujet  comme  on  l'entend,  et  ce  n'est  que  de  la 
«  prière  mystique  »  que  l'auteur  a  entendu  traiter,  bien  qu'évidemment,  il  eût 
mieux  fait  de  le  dire  dans  son  titre  même.  Mais  par  là  même,  se  mettant  de 
prime  abord  en  présence  des  formes  les  plus  hautes  et  les  plus  complexes  de 
la  prière,  il  se  privait  de  toutes  les  lumières  qu'eût  pu  lui  fournir  peut-être 
une  méthode  génétique.  Aussi  bien,  sans  contester  le  moins  du  monde  la  légi- 
timité du  point  de  vue  spécifiquement  psychologique  où  M.  Segond  a  voulu 
se  tenir,  on  peut  se  demander  s'il  ne  le  définit  pas  avec  trop  de  réserve  et  de 
timidité.  Car,  considérer  la  psychologie  comme  une  discipline  autonome  et 
irréductible  à  toute  autre,  ce  n'est  peut-être  pas  nécessairement  lui  refuser 
tout  droit  à  analyser  et  à  critiquer,  la  condamner  à  accepter  tels  quels  tous 
les  témoignages  qu'elle  recueille.  Nul  ne  niera,  j'imagine,  que  rien  n'est  plus 
difficile  que  de  réaliser  une  «  expérience  directe  »,  dégagée  de  toute  «  inter- 
prétation ».  Si  les  reconstructions  de  l'ancien  atomisme  associationiste 
étaient  arbitraires,  la  psychologie  n'a-t-elle  d'autre  moyen  de  les  éviter  que 
de 'ne  plus  rien  expliquer  du  tout?  Ce  n'est  qu'au  terme  d'une  laborieuse 
décomposition  de  notions  que  M.  Bergson  croit  trouver  au  fond  de  son 
creuset  les  «  données  immédiates  ».  Or,  la  méthode  de  nos  modernes  psy- 
chologues aboutit  à  reproduire  exactement,  sans  aller  au  delà  sur  aucun  point, 
les  descriptions  des  états  mystiques  qu'ils  trouvent  chez  leurs  «  témoins  »,  si 
bien  que  leurs  études  n'ajoutent  rien  d'essentiel  à  l'idée  que  n'importe  quel 
lecteur  aurait  pu  se  faire  de  ees  états  avant  même  de  les  lire  :  par  exemple, 
ici,  que  la  prière  suppose  d'abord  silence  et  recueillement,  puis  impression 
de  dénuement  individuel  et  aspiration  ;  puis  sentiment  d'une  présence  et 
abandon  confiant  à  cette  présence  ;  soliloque  et  colloque  mystiques  ;  fusion 
de  celui  qui  demande  et  de  celui  qui  accorde  ;  identification  mystique  de 
l'être  qui  prie,  de  ceux  pour  qui  l'on  prie,  de  celui  que  l'on  prie  ;  et  enfin 
non  pas  tant  croyance  à  l'efficacité  matérielle  et  extérieure  de  la  prière, 
qu'expérience  directe  de  son  efficacité  intime,  en  tant  qu'elle  réalise  cette 
identification  même.  —  A  chacun  de  ces  éléments  de  la  prière,  M.  Segond 
consacre  un  chapitre  ;  mais  chacun  de  ces  chapitres  ne  nous  apprend  guère 
plus  que  ce  que  le  titre  en  énonçait  à  l'avance  :  à  moins  qu'il  ne  s'agisse  seule- 
ment d'établir,  à  force  de  témoignages,  la  réalité  même  des  états  étudiés  : 
réalité  que  nul  aujourd'hui  ne  conteste,  je  crois.  Nous  n'avons  donc  aucune 
objection  de  principe  à  opposer  au  livre  de  M.  Segond,  si  sérieux  et  si  sûr 
d'ailleurs,  pas  plus  qu'à  la  méthode  de  notre  psychologie  religieuse  en 
général,  —  sinon  la  maigreur  de  ses  résultats  :  une  science  qui  n'est  ni  réduc- 
trice, ni  constructive,  ni  explicative,  est-elle  encore  une  science  ?  Et,  ne 
voulût-elle  que  préparer  des  matériaux  à  un  dogmatisme  apologétique  futur, 


Sciences  ■  175 

encore  faudrait-il  qu'elle  eût  au  moins  établi  négativement,  en  l'essayant, 
l'impossibilité  de  réduire  les  états  qu'elle  accepte  comme  immédiats  et  indé- 
composables. D.  Parodi. 


E.  de  Cyon.  —  L  Oreille,  organe  d'orientation  dans  le  temps  et 
dans  l'espace  (Bibl.  scient,  internat.).  —  Paris,  F.  Alcan,  191 1,  in-8, 
298  p.,  45  fig.  et  3  pi.,  6  fr. 

Cet  ouvrage  est  dédié  à  P.  Flourens,  le  physiologiste  français  qui  fit  le 
premier  vers  le  milieu  du  xixe  siècle  de  Y  expérimental  ion  directe  sur  le  rôle 
des  canaux  semi-circulaires  du  labyrinthe  de  l'oreille  :  «  la  section  des  canaux 
semi-circulaires  provoque  des  mouvements  forcés  des  animaux  dans  la  direction 
correspondant  au  plan  de  chaque  canal  opéré.  »  Les  trois  canaux,  ajoute 
M.  E.  de  Cyon,  étant  situés  dans  trois  plans  perpendiculaires  l'un  à  l'autre, 
les  mouvements  des  animaux,  dominés  par  eux,  s'accomplissent  forcément 
dans  les  trois  directions  cardinales  de  l'espace  ! 

M.  de  Cyon  a  fait  des  recherches  personnelles  et  des  expériences  variées 
sur  le  sujet  avec  des  pigeons  et  des  grenouilles  ;  sur  ces  bases  expérimen- 
tales, il  a  édifié  la  théorie  du  sens  de  l'espace  dont  l'exposé  est  assez  con- 
densé (p.  1-42)  ;  complétée  par  des  expériences  de  rotation  sur  l'homme  et 
différents  animaux,  l'explication  ingénieuse  de  Purkinge  sur  le  vertige  prend 
corps  ;  et  pour  M.  de  Cyon,  il  est  inutile,  comme  le  veulent  tant  de  philo- 
sophes et  de  physiologistes,  d'imaginer  un  sens  spécial  pour  les  sensations 
de  rotation  ou  pour  la  production  du  vertige  (p.  43-81). 

Ces  préliminaires  préparent  l'exposé  de  la  théorie  du  sens  de  l'espace 
que  soutient  l'auteur.  Il  existerait  dans  le  labyrinthe  de  l'oreille  deux  organes 
des  sens  bien  déterminés  :  «  le  sens  géométrique  et  le  sens  arithmétique  ; 
deux  sens  auxquels  nous  devons,  d'une  part,  la  faculté  de  nous  orienter  dans 
l'espace  et  le  temps,  et,  d'autre  part,  l'origine  de  nos  concepts  de  l'espace, 
du  temps  et  du  nombre.  »  Sur  la  question  physiologique  se  greffe  donc  une 
question  fondamentale  pour  la  philosophie  et  les  mathématiques,  l'expli- 
cation de  l'origine  de  nos  connaissances  géométriques  et  arithmétiques. 
Flourens,  M.  de  Cyon  et  la  plupart  des  physiologistes  s'accordent  pour 
attribuer  aux  canaux  semi-circulaires  un  rôle  dominant  dans  les  actes  d'orien- 
tation ;  mais  le  point  de  vue  philosophique  est  plus  discutable  et  plus  discuté. 

L'ouvrage  de  M.  de  Cyon,  où  l'on  trouve  la  description  de  nombreuses 
expériences  bien  faites,  des  observations  ingénieuses  ou  peu  connues,  n'est 
pas  un  ouvrage  de  pure  physiologie,  et  on  peut  le  regretter,  car,  limité  à  cet 
objet,  il  serait  clair,  facile  à  lire,  et  d'un  intérêt  constant.  On  est  aussi  un  peu 
surpris  de  trouver  à  chaque  chapitre  (au  nombre  de  cinq)  une  introduction, 
mais  rarement  une  conclusion  précise,  à  moins  de  donner  comme  telle  la 
suivante,  qui  sera  au  moins  discutée  :  «  Nous  sommes  autorisés  à  localiser 
un  des  deux  facteurs  qui  interviennent  dans  la  formation  de  notre  concept 
du  temps,  notamment  la  direction  (avant  et  derrière),  dans  le  canal  sagittal,  et  le 
deuxième,  le  nombre  (lorsqu'il  s'agit  de  la  durée  et  du  rythme  de  durée),  dans  le 
limaçon.  Les  hauteurs  des  sons  nous  fournissent  la  notion  des  nombres.  »  (Ch.  IV, 
p.  185).  L.  Blaringhem. 


176  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 


E.  Lambling.  —  Précis  de  ^biochimie.  —  Paris,  Masson,  191 1, 
in- 12,  xxm-600  pages,  8  fr. 

L'ouvrage  de  M.  Lambling  fait  partie  d'une  «  collection  de  précis  médi- 
caux »  qui  comprend  déjà  une  vingtaine  de  volumes.  Si  la  biochimie  com- 
porte l'étude  de  toutes  les  réactions  qui  accompagnent  la  vie,  il  est  naturel 
qu'un  livre  médical  s'intéresse  presque  exclusivement  à  la  chimie  humaine  ; 
de  tous  les  actes  de  la  vie,  le  plus  amplement  étudié,  dans  le  précis  de 
M.  Lambling,  est  la  nutrition:  étude  et  classification  des  aliments,  étude  des 
agents,  diastases,  sucs  digestifs,  microorganismes,  qui  agissent  chimiquement 
sur  ces  aliments  ;  transformations  successives  subies  par  l'aliment  au  cours 
de  sa  traversée  du  corps  humain  :  tous  les  côtés  du  sujet  sont  étudiés  avec 
une  abondance  de  détails  qui  ne  nuit  en  rien  à  la  clarté  de  l'ensemble  et  avec 
une  sûreté  de  critique  qui  maintient  l'esprit  du  lecteur  dans  les  voies  droites 
de  la  vraie  science. 

M.  Lambling  ne  se  contente  pas  d'étudier  la  série  des  transformations 
chimiques  qui  accompagnent  la  vie  ;  il  complète  très  justement  son  pro- 
gramme en  établissant  le  bilan  des  énergies  ;  ce  complément  biophysique  de 
l'ouvrage  est  essentiel  et  infiniment  instructif  ;  la  précision  acquise  derniè- 
rement dans  la  calorimétrie  de  l'être  vivant  a  permis  de  suivre  de  très-près 
les  transformations  d'énergie  qui  accompagnent  les  principaux  actes  vitaux. 
Dans  un  livre  destiné  aux  étudiants  en  médecine,  l'étude  de  l'individu 
normal  et  sain  doit  être  complétée  par  celle  du  malade  ;  ainsi  chaque  maladie 
doit  être  caractérisée  par  son  processus  biochimique.  Mais  si  la  biochimie 
est  une  science  difficile  et  encore  peu  avancée  en  ce  qui  concerne  l'état  de 
santé,  elle  est  à  l'état  embryonnaire  pour  l'étude  des  maladies.  Il  est  possible 
cependant  d'indiquer  comment  la  chimie  vitale  se  modifie  dans  certains  états 
pathologiques,  comme  l'albuminurie,  le  diabète,  l'état  goutteux,  la  tuber- 
culose. Toutes  ces  questions,  et  bien  d'autres,  sont  traitées  dans  ce  livre 
avec  une  compétence  et  une  maîtrise  que  les  étudiants  apprécieront  ;  je  parle 
de  l'élite  des  étudiants  laborieux  qui  ne  cherchent  pas  à  obtenir,  avec  le 
minimum  d'effort,  un  métier  et  un  gagne-pain,  mais  qui  veulent  raisonner 
tout  ce  qui  peut  l'être  en  médecine,  et  qui  aspirent  à  devenir  des  maîtres  à 
leur  tour.  L.  Houllevigue. 


LIVRES  ANNONCES  SOMMAIREMENT. 

LITTÉRATURE. 

Duclos.  Histoire  de  Madame  de  Selve.  —  Paris,  Bernard  Grasset,  191 1,  in- 18,  2  fr. 
—  Y  avait-il  un  intérêt  à  détacher  des  galantes  Confessions  du  comte  de  ***  la  ver- 
tueuse et  sentimentale  Histoire  de  Madame  de  Selve  ?  Nous  ne  le  croyons  pas.  A  sa 
place,  elle  sert  à  illustrer  cette  idée  que  Duclos  a  exprimée  plus  tard  dans  ses 
Mémoires  sur  les  mœurs  :  «  Le  siècle  ne  deviendra  pas  meilleur...  mais  il  chan- 
gera du  moins,  ne  fût-ce  que  par  l'ennui  et  le  dégoût  de  l'indécence...  On  récla- 
mera la  vertu  jusqu'à  un  certain  point  pour  l'intérêt  du  plaisir.  »  C'était  ainsi 
comme  une  contribution  à  l'histoire  amoureuse  du  xvme  siècle.  Isolée,  l'aven- 
ture de  Madame  de  Selve  perd  de  sa  signification  et  de  sa  portée.  N'importe,  cela 
se  laisse  et  même  se  fait  lire,  car  Duclos,  homme  d'esprit,  observateur  sagace, 


Livres  annoncés  sommairement  .     .  -  „  .      .  177 

n'est  pas  un  écrivain  sans  talent.  Dans  la  Notice  que  M.  Emile  Henriot  a  mise  en 
tête  de  cette  réimpression,  il  montre  un  goût  très  vif  pour  son  auteur  et  fait  voir 
qu'il  l'a  bien  lu.  M.  P. 

Edgar  Poe.  Les  Lunettes,  et  plusieurs  autres  contes,  traduits  pour  la  première  fois  par 
Georges  Clerbois.  —  Paris,  Sansot,  191 1,  in-16,  3  fr.  —  Cinq  contes:  Les 
Lunettes;  Le  Rendez-vous  ;  Le  Sphinx;  Trois  Dimanches  dans  une  semaine  ; 
La  Caisse  oblongue.  Il  est  certain  qu'on  a  bien  fait  de  mettre  à  la  disposition  du 
public  français  ces  contes  peu  connus  d'Edgar  Poe,  afin- de  compléter  la  collec- 
tion. Mais  il  ne  faut  pas  se  dissimuler  qu'ils  sont  tout  à  fait  de  second  ordre.  11 
est  douteux  qu'ils  puissent  changer  quoi  que  ce  soit  à  l'opinion  de  quiconque  sur 
le  grand  poète  américain.  Quant  à  l'intérêt  qu'ils  présentent  en  eux-mêmes,  il 
est  assez  mince.  A.  Cassagxe. 

J.  Weyssenhof.  Vie  et  opinions  de  Sigismond  Podfilipski.  (Traduit  du  polonais  par 
Paul  Cazin).  —  Paris,  Pion,  s.  d.,  in-12,  3  fr.  50.  —  C'est  un  livre  curieux,  que 
cette  biographie  anecdotique  d'un  arriviste  typique.  M.  Weyssenhof  suppose  que 
son  héros  est  sorti  d'une  classe  plutôt  modeste  de  la  société  polonaise,  et  que,  par 
son  savoir  faire  et  son  intelligence,  que  ne  troublent  pas  des  scrupules  exagérés, 
il  s'est  élevé  peu  à  peu  jusqu'à  la  grande  richesse  et  à  la  considération.  —  Ce  qui 
n'intéresse  pas  moins  que  les  aventures  du  personnage  principal,  ce  son*  quelques 
types  masculins  et  féminins  rencontrés  chemin  faisant,  et  qui  peignent  à  mer- 
veille certains  côtés  de  la  société  polonaise  :  le  monde  des  affaires  surtout  et  celui 
du  plaisir.  On  trouve  également  un  fin  tableau  du  «  monde  »  de  Varsovie,  avec 
son  amour  des  histoires  vraies  ou  fausses  colportées  de  salon  en  salon.  Certes, 
ce  n'est  pas  là  toute  la  société  de  Varsovie  ;  mais  on  n'en  lira  pas  moins  avec 
intérêt  les  histoires  si  instructives  de  M.  Sigismond.  J.  Legras. 

M.  Botjchor.  La  Maison  du  Peuple,  scène  dramatique.  —  Paris,  librairie  de  l'Huma- 
nité, 191 1,  in-12,  o  fr.  75.  —  La  foi  généreuse  de  Maurice  Bouchor  continue  à 
faire  l'éducation  du  peuple  par  l'art  lyrique  et  dramatique,  un  art  d'allure  noble 
et  familière,  qu'il  peut  comprendre  et  qui  l'élève  en  lui  parlant  de  lui,  de  son 
passé,  de  ses  espoirs.  Cette  fois  ce  n'est  rien  de  moins  qu'une  vue  générale  de 
l'histoire  des  classes  populaires,  une  conférence,  si  l'on  veut,  mais  dramatisée, 
touchante,  éloquente  sans  emphase.  —  Les  pupilles  d'une  Maison  du  Peuple, 
garçons  et  filles,  enfermés  par  mégarde  sur  la  scène,  après  une  répétition,  s'y 
installent  pour  passer  la  nuit.  Devant  les  dormeurs  se  présentent  successivement 
quatre  apparitions,  quatre  adolescents  d'autrefois  :  un  esclave  antique,  un  serf, 
un  volontaire  de  la  Révolution,  un  fédéré  victime  des  Versaillais,  «  tous  enfants 
de  la  même  douleur  »,  qui  de  loin  ont  aspiré  à  l'affranchissement  futur  du  peuple. 
Eux  disparus,  un  chant  d'espoir  et  de  promesse,  sorte  d' Internationale  moins  âpre, 
est  exécuté  par  les  pupilles  :  la  Cathédrale  des  Temps  Nouveaux.  Tout  cela,  fan- 
tastique, éducatif,  familier,  est-ce  du  «  vrai  théâtre  »  ?  C'est  vibrant,  c'est  beau, 
c'est  bien  approprié  à  sa  destination  :  la  représentation  par  et  pour  des  groupes 
populaires,  en  vue  de  laquelle  Bouchor  multiplie,  avec  une  bonne  grâce  char- 
mante, de  minutieuses  et  précieuses  indications.  J.  Bury. 

F.  Maury.  Sonnets  à  la  Femme.  —  Paris,  B.  Grasset,  191 1,  in-12,  3  fr.  50.  — 
Douze  livres,  428  pages  de  sonnets  et  toute  la  Femme  :  les  vieilles  strophes  de 
Vigny  à  Éva,  les  vers  de  Hugo  sur  la  petite  enfant  qui  sera  une  mère,  et  parfois 
le  souffle  et  l'émotion  chaude  d'Angellier,  sans  parler  de  Beaudelaire,  c'est  beau- 
coup et  c'est  un  éloge  que  l'auteur  nous  fasse  penser  à  tous  ceux-là.  Malheureu- 
sement trop  nombreuses  sont  les  défaillances  de  la  forme,  les  obscurités,  les 
longueurs  qui  bourrent  le  sonnet,  bâti  sur  le  mode  parnassien.  Mais  il  y  a  de 
belles  images  sobres,  des  vers  bien  frappés,  de  la  franchise  malgré  parfois  quelques 
mièvreries.  On  lira  avec  intérêt,  je  crois,  certains  sonnets  rudes  et  presque 
brutaux  sur  l'épouse  et  la  mère  ;  ailleurs,  on  déplorera  parfois  des  banalités  mal 
renouvelées.  J.  M. 


178  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

HISTOIRE. 

G.  Hanotaux.  La  fleur  des  histoires  françaises.  —  Paris,  Hachette,  191 1,  3  fr.  50.  — 
Avez-vous  vu,  à  la  devanture  de  certaines  confiseries  populaires,  ces  appareils  qui 
étirent  la  pâte  de  guimauve  à  grands  coups  de  bielle  onctueux  ?  On  y  pense 
après  avoir  lu  cette  philosophie  de  l'histoire  de  France,  où  l'auteur  a  malaxé  de 
son  mieux,  avec  les  grâces  dont  il  dispose,  banalités  et  fadeurs,  «  pour  les  enfants 
du  peuple  français,  sur  le  point  de  devenir  des  citoyens  ».  On  pense  aussi  que 
J.  Michelet,  dont  les  œuvres  ont  servi  naguère  à  fabriquer  des  produits  ana- 
logues, était  tout  de  même  un  autre  homme.  L'excuse  de  M.  Hanotaux  est 
apparemment  le  goût  du  public  pour  les  sucreries  :  un  autre  membre  de 
l'Académie  française,  M.  Bazin,  a  publié  avec  succès  Douce  France...;  celui-ci 
nous  offre  «  une  promenade  nonchalante  aux  jardins  fleuris  de  notre  France  tant 
jolie (1)  ».  Il  serait  sans  doute  difficile  de  faire  comprendre  à  ceux  qu'enchantent 
de  si  belles  choses  que  ce  n'est  pas  sur  ce  ton-là  qu'il  faut  parler  de  la  France  et 
de  son  rôle  dans  le  monde.  M.  Pol. 

Titien.  L'œuvre  du  Maître  en  284  reproductions.  (Nouvelle  collection  des  classiques  de 
l'art).  —  Paris,  Hachette,  191 1,  in-8,  12  fr.  —  Ce  très  beau  livre,  qui  nous 
offre  l'œuvre  presque  entière  du  Titien,  comprend  :  i°  ane  biographie  histo- 
rique et  artistique  (non  signée)  du  Titien  ;  on  y  pourra  joindre  pour  plus  de  ren- 
seignements le  récent  Titien  de  M.  Lafenestre  (Hachette,  1910,  in-12,  3  fr.  50); 
2°  l'œuvre,  divisée  en  deux  parties  :  les  œuvres  authentiques  (p.  1-203),  ^es 
œuvres  douteuses  ou  apocryphes  et  œuvres  d'atelier  (p.  205-243),  et  présentée 
dans  l'ordre  chronologique;  30  des  éclaircissements,  les  tables  de  l'œuvre  par  dates, 
par  collections  et  propriétaires,  par  nature  de  sujets.  On  ne  saurait  trop  louer  la 
sûre  méthode  qui  a  dicté  le  plan  de  l'ouvrage,  et  qui  en  fait  un  instrument  éga- 
lement recommandable  de  travail  et  de  plaisir.  Les  reproductions  sont  admirable- 
ment venues,  avec  une  netteté  et  une  douceur  de  tons  rares  ;  l'ouvrage  appartient 
à  la  même  collection  que  le  Fra  Angelico  récemment  signalé  par  M.   Berteaux. 

H.  Mandeure. 

A.  Chuqtjet.  Lettres  de  1792.  Lettres  de  IJ93.  Lettres  de  181}.  Lettres  de  181  j.  — 
Paris,  H.  Champion,  4  vol.  in-8,  à  3  fr.  50.  —  Ces  4  vol.  font  partie  d'une 
Collection  intitulée  «  Bibliothèque  inédite  de  la  Révolution  et  de  l'Empire  »  qui 
contiendra  «  surtout  des  lettres  et  de  courts  mémoires  sur  les  événements  et  les 
personnages  de  la  Révolution  et  de  l'Empire  ».  —  L'idée  de  publier,  non  seu- 
lement pour  les  érudits,  mais  pour  le  public  (car  la  Collection  s'annonce  comme 
devant  être  «  aussi  intéressante  qu'instructive  »),  des  lettres  écrites  sous  l'impres- 
sion directe  des  événements,  pour  les  principales  années  de  la  Révolution  et  de 
l'Empire,  n'est  pas  mauvaise.  On  se  figure  volontiers  qu'il  doit  s'être  conservé, 
de  ce  temps  là,  dans  les  familles,  beaucoup  de  lettres  privées,  de  personnages 
obscurs,  dont  les  plus  savoureuses  mériteraient,  maintenant,  d'être  publiées.  Mais 
les  volumes  compilés  jusqu'ici  par  M.  Chuquet  sont  loin  d'être  ce  que  l'on  pouvait 
espérer  a  priori  qu'ils  fussent.  Peu  de  pièces  vraiment  «  intéressantes  »  ;  beau- 
coup de  documents  fades  ou  insignifiants,  dont  plusieurs  ne  sont  même  pas  des 
«  lettres  ».  Les  notices  qui  les  précèdent  ont  été  rédigées  très  vite  ;  l'indication 
des  sources  est  insuffisante  au  point  de  rendre  impossible  le  contrôle  des  trans- 
criptions de  l'éditeur.  Il  y  a  des  traces  de  hâte  et  de  quoi  justifier  le  soupçon  de 
remplissage.  M.  Pol. 

Ch.  Sainte-Foi.  Souvenirs  de  Jeunesse  (1828- 183 5).  Lamennais  et  son  école.  Le 
mouvement  catholique  en  France  et  en  Allemagne,  après  la  révolution  de  1830. 
Introduction  et  notes  par  C.  Latreille.  —  Perrin,  191 1,  in-8,  5  fr.  —  Le  fait 
que  ces  souvenirs  d'Éloi  Jourdain,   connu  sous  le  pseudonyme  de  Sainte-Foi, 


(1)  Les  trois  mots  soulignés  par  l'auteur  sont  l'épigraphe  du  volume. 


Livres  annoncés  sommairement  -  179 

aient  été  présentés  par  M.  Latreille,  est  déjà  une  garantie.  C'est  un  livre  précieux 
pour  les  Mennaisiens  ;  et  par  conséquent,  pour  tous  les  esprits  qu'intéresse  le 
mouvement  des  idées  dans  la  première  moitié  du  xixe  siècle,  c'est  un  document 
d'une  très  grande  importance.  Lamennais  n'y  est  ni  flatté,  ni  dénigré.  Les  pages 
sur  la  vie  à  La  Chesnaie  sont  des  plus  intéressantes,  et  ce  qu'on  savait  déjà  de 
ce  Port-Roval  breton  ne  dispense  pas  de  les  lire.  La  vie  de  l'école  Mennaisienne 
est  décrite  ici  du  dedans  ;  sur  l'abbé  Gerbet,  l'abbé  Jean  de  Lamennais,  Eugène 
et  Léon  Bore.  Elie  de  Kertanguy,  sur  les  maîtres  de  Malestroit  et  la  congrégation 
de  Saint-Pierre,  le  livre  abonde  en  renseignements.  —  D'Allemagne,  où  il  voit 
Schelling,  Humboldt,  Schleiermacher,  etc.,  où  il  étudie  le  clergé  bavarois,  Éloi 
Jourdain  passe  en  Autriche,  et  on  a  la  surprise  d'une  visite  à  Charles  X.  Des 
observations  sur  les  ordres  religieux,  puis  des  anecdotes  sur  la  vie  populaire  à 
Vienne.  Tout  cela  un  peu  engoncé,  mais  rempli  de  choses.  C'est  tout  à  fait  un 
livre  à  lire.  J.  Merlant. 

A.  Gayot.  Une  ancienne  muscadine  :  Fortunée  Hamelin.  Lettres  inédites  (1839-185 1).  — 
Paris,  E.  Paul,  191 1,  in-8,  5  fr.  — ■  Les  lettres  que  publie  M.  Gayot  ont  été 
adressées  par  Mme  Hamelin  à  un  jeune  ami  diplomate  qui  n'est  pas  nommé.  Ces 
lettres  sont  amusantes,  «  le  premier  polisson  de  France  »  qu'était  Mme  Hamelin 
n'étant  point  encore  tombée  dans  la  dévotion.  Mme  Hamelin  s'y  révèle  fidèle  au 
bonapartisme,  très  dure  pour  les  Orléans,  pour  Thiers,  ce  «  lâche  Pasquin  », 
pour  bien  d'autres  encore  qu'elle  égratigne  d'une  patte  agile,  bonne  aussi,  en 
particulier  à  l'égard  de  ce  Montrond,  son  ancien  amant,  agent  comme  elle  de  la 
police  impériale,  que  Talleyrand  appelait  «  l'Enfant  Jésus  de  l'Enfer  »,  et  qui 
mourut  chez  elle  en  1843.  ^  était  fatal  <3ue  M.  Faguet  mit  une  préface  à  ce 
volume  :  la  préface  est  d'ailleurs  vide  ;  l'introduction  de  M.  Gayot  précise 
les  principales  circonstances  de  la  vie  de  Mme  Hamelin.  G.  Bourgix. 

SOCIOLOGIE. 

L.  Ripault.  Par  delà  les  Frontières  (Libres  propos).  —  Paris,  H.  Jouve,  s.  d.,  in-12,  3  fr. 
—  L'auteur  pense  que  le  peuple  français  reste  trop  étranger  à  sa  politique  étrangère. 
Il  parait,  lui,  l'avoir  suivie  d'assez  près.  Je  n'ai  pas  l'impression  qu'il  y  ait  dans 
son  livre  des  révélations  sensationnelles  :  à  leur  défaut,  une  lecture  intelligente 
de  notre  presse,  et  faite  dans  un  esprit  d'extrême  modération,  sans  chauvinisme 
ni  «  internationalisme  ».  Ce  livre  fait  partie  d'une  «  Collection  du  Foyer  »  :  il 
est  écrit,  semble-t-il,  pour  un  public  qui  lit  peu  de  journaux  et  pas  de  revues. 
Une  étude  sur  l'arbitrage  international  en  forme  le  dernier  chapitre.  Il  m'a 
semblé  intéressant.  J.  Morel. 

V.  Cambon.  La  France  au  travail.  Lyon,  Saint-Étienne,  Grenoble,  Dijon.  —  Paris, 
Pierre  Roger,  191 1,  in-8,  20  phot.,  4  fr.  —  Étude  de  l'activité  économique,  et 
presque  exclusivement  de  l'activité  industrielle  de  la  partie  de  la  France  qu'on 
peut  appeler  la  région  lyonnaise.  Le  livre  a  de  la  verve;  il  en  a  même  çà  et  là  un 
peu  trop  ;  on  peut  en  juger  par  le  sommaire  du  chapitre  XVIII,  ainsi  conçu  : 
«  Services  publics.  Nos  bonnes  routes  françaises.  Le  style  d'un  sous-préfet.  Du 
7  kilomètres  à  l'heure.  Des  poissons  en  révolte  contre  le  règlement  »,  etc.  Les 
pages  sur  la  psychologie  de  M.  Victor  Augagneur,  «  venu  trop  tard  dans  un 
siècle  trop  vieux  «paraissent,  elles  aussi,  un  peu  risquées.  Graves  défauts  :  l'auteur 
ignore  l'activité  agricole  du  Sud-Est,  ou  n'y  fait  que  de  discrètes  allusions  ;  il 
connaît  peu  les  questions  de  trafic,  se  bornant  au  couplet  obligatoire  sur  la  navi- 
gation du  Rhône.  Il  ne  s'occupe  vraiment  que  de  l'industrie  :  encore  devrait-il 
consacrer  plus  de  trois  lignes  à  la  ganterie  grenobloise,  si  importante  pour  la  ville 
et  dont  l'étude  est  particulièrement  attachante.  Ces  réserves  faites,  il  faut  dire  que 
certains  chapitres  sont  utiles,  convenablement  renseignés,  et  qu'on  peut  recom- 
mander leur  lecture  aux  personnes  désireuses  d'avoir  une  idée  des  industries 
lyonnaises  et  stéphanoises,  de  la  métallurgie  en  Saône-et-Loire,  et  du 
développement  actuel  de  la  houille  blanche.  R.  Blanchard. 


180  ===========================  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

GÉOGRAPHIE. 

M.  de  Périgny.  Les  Cinq  Républiques  de  V Amérique  centrale.  —  Paris,  Pierre  Roger 
(Collection  "  les  Pays  modernes  "),  191 1,  in-8,  4  fr.  —  Livre  d'un  homme  qui  a 
vu,  mais  qui  n'est  pas  géographe,  et  qui  par  suite  ne  peut  expliquer  ce  qu'il  a  vu 
qu'en  fonction  des  hommes,  ce  qui  est  insuffisant.  L'ouvrage  débute  par  une 
"  Situation  générale  ",  où  il  est  surtout  question  de  l'abdication  de  la  France 
dans  ces  contrées  ;  sans  transition  on  passe  à  l'histoire  du  pays,  avec  une 
brusquerie  qui  fait  croire  qu'on  a  sauté  des  pages.  Vient  une  étude  minutieuse  de 
la  situation  économique  de  chaque  Etat  ;  c'est  une  enquête  qui  renseigne  avec 
abondance  et  précision  sur  l'aspect  des  villes,  les  services  publics,  les  cultures  et 
industries,  les  moyens  de  communication,  enfin  l'état  des  finances  ;  et  quoique 
rien  ne  soit  envisagé  d'une  façon  géographique,  ces  détails  ne  laisseront  pas 
d'être  fort  utiles  à  une  étude  géographique  du  pays.  A  noter  également  le  ton, 
agréable  par  sa  simplicité  ;  M.  de  Périgny  n'a  pas  la  prétention,  si  fréquente  chez 
les  vovageurs  qui  reviennent  de  loin,  d'avoir  découvert  l'Amérique.  En  résumé, 
utile  recueil  de  renseignements.  R.  Blanchard. 

PHILOSOPHIE  ET  SCIENCES. 

Ed.  Claparède.  Psychologie  de  l'enfant  et  pédagogie  expérimentale.  —  Genève,  Kùndig, 
191 1,  in-18,  sans  indication  de  prix.  —  Ce  livre  trace  le  programme  de  la 
«  pédagogie  nouvelle  »  ;  il  en  marque  l'esprit  et  les  tendances,  en  pose  «  les  pro- 
blèmes »,  en  expose  «  les  méthodes  ».  Il  a  donc  une  portée  générale  ;  il  est  le 
manifeste  d'une  école,  l'expression  d'une  doctrine.  Il  aborde  aussi  et  traite  deux 
questions  spéciales  :  celles  «  du  développement  mental  »  et  «  de  la  fatigue  intel- 
lectuelle »,  dont  la  première  est  particulièrement  propre  à  mettre  en  lumière  le 
point  de  vue  de  l'auteur,  «  la  prise  en  considération  de  la  croissance  (ou  évolu- 
tion) qui  caractérise  »  le  problème  capital  de  l'éducation,  «  le  problème  gcnético- 
fonctionnel  ».  Ainsi  se  trouvent  joints  l'exemple  au  précepte,  l'application  à  la 
théorie.  Un  tel  livre,  par  l'abondance  des  détails  positifs  et  précis,  échappe  à 
l'analyse.  Disons  que  l'auteur  est  peut-être  trop  hostile  aux  vues  générales,  qu'il 
confond  avec  les  notions  vagues.  C'est  une  vue  théorique  pourtant,  voire  même 
une  considération  finaliste,  qui  lui  inspire  le  meilleur  chapitre  de  son  livre  :  «  A 
quoi  sert  l'enfance  ?  »  Il  n'est  que  juste  aussi  de  reconnaître  que  la  pédagogie 
expérimentale,  destinée  à  renouveler  en  détail  toutes  les  questions,  est  encore 
hors  d'état  de  résoudre  toutes  celles  dont  les  nécessités  pratiques  exigent  la  solu- 
tion immédiate,  et  qu'elle  offre  l'image  d'un  atelier  de  construction,  dans  lequel 
on  ne  voit  pas  se  dresser  ni  même  se  dessiner  encore  le  monument  à  venir. 
Mais  M.  Claparède  montre  bien  que  le  chaos  laborieux  et  fécond  de  la  pédagogie 
nouvelle  vaut  mieux  que  l'état  de  stagnation  de  la  pédagogie  ancienne  ou  tradi- 
tionnelle. L.  Dugas. 

Dr  P.  Lassablière.  Annuaire  et  Guide  pratique  d'Hygiène.  —  Paris,  Jouve,  191 1, 
in-8,  2  fr.  50.  —  C'est  un  recueil  de  documents  et  de  renseignements  générale- 
ment bien  choisis  et  où  les  inutilités  sont  rares.  On  y  trouve  la  plupart  des 
lois  et  règlements  d'hygiène  de  ces  dernières  années,  de  longues  listes  d'établis- 
sements de  retraite,  d'assistance  aux  petits  malades,  d'œuvres  de  colonies  sco- 
laires, etc.,  et  il  sera  facile  d'y  corriger  quelques  fautes  d'impression  et  quelques 
inexactitudes  de  détail.  Sans  doute  encore,  ''auteur  ne  semble  pas  très  heureux 
dans  ses  plaidoyers  contre  les  causes  de  la  dépopulation,  parmi  lesquelles  il  oublie 
d'ailleurs  de  compter  l'accroissement  des  charges  budgétaires.  Mais  ce  sont  là  cri- 
tiques de  détail  qui  ne  vont  pas  contre  son  but.  Il  a  voulu  fournir  un  agenda 
pratique  à  ceux  qui  s'occupent  des  questions  d'hygiène  sous  toutes  leurs  formes, 
et  son  livre,  tel  qu'il  nous  l'a  donné,  est  un  bon  répertoire.       Dr  J.  Philippe. 

Imp.  F.  Paillart,  Abbeville.  Le  Gérant  :  Éd.  Cornély. 


REVUE     CRITIQUE 

des 

Livres    Nouveaux 


VI"  Année,   n'   10.  (deuxième  série)  i5   Décembre    1911 


L'AUTOBIOGRAPHIE  DE  STANLEY 


H.  M.  Stanley.  —  Autobiographie.  Publiée  par  sa  femme  Doro- 
thy  Stanley.  Traduite  par  Georges  Feuilloy.  —  Paris,  Plon-Nourrit 
et  C'e,  1911,  2  vol.  in- 16,  xii-302  p.  et  414  p.,  3  portraits  et  une 
carte.  Chaque  volume,  3  fr.  50. 

Stanley  vieilli,  désabusé  de  la  politique  après  une  courte  apparition  à  la 
Chambre  des  Communes,  s'était  mis  à  écrire  l'histoire  de  sa  vie.  Il  n'a  pu 
achever  son  œuvre.  Seul  le  premier  de  ces  deux  volumes  a  été  rédigé  entiè- 
rement par  lui  ;  sa  femme  a  composé  le  deuxième  à  l'aide  de  ses  notes,  de 
ses  lettres,  des  carnets  où  il  notait  au  jour  le  jour  ses  observations  et  ses 
réflexions.  Elle  en  donne  des  extraits  étendus,  rattachés  seulement  par  de 
courtes  notices.  L'édition  française  contient  en  outre  des  souvenirs  inédits  de 
H.  W.  Cook  qui  accompagna  Stanley  en  Asie-Mineure  en  1865.  L'œuvre  est 
tout  à  fait  intéressante. 

On  ne  connaissait  guère  Stanley  que  par  ses  récits  de  voyages.  De  sa 
jeunesse,  de  ses  débuts,  avant  la  grande  notoriété  que  lui  assura  son  premier 
voyage  en  Afrique  à  la  recherche  de  Livingstone,  on  ne  savait  à  peu  près 
rien.  Sa  physionomie  ne  se  dégageait  pas  très  nette  de  ses  récits  d'aven- 
tures. Cette  autobiographie  nous  révèle  des  côtés  ignorés  de  son  caractère, 
un  Stanley  plus  humain  que  celui  de  la  légende,  une  âme  tendre  sous  un 
masque  d'indifférence  ou  de  rudesse.  Son  enfance  fut  lamentable.  Il  ne 
connut  pas  son  père,  mort  peu  de  temps  après  sa  naissance.  Abandonné 
par  sa  mère  qui  n'eut  jamais  pour  lui  la  moindre  affection,  par  des  parents 
à  qui  il  était  à  charge,  il  fut  élevé  dans  un  workhouse  du  pays  de  Galles  où 
la  discipline  était  féroce.  Il  s'en  évada  à  l'âge  de  treize  ans  pour  commencer 
une  vie  d'aventures  parfois  extraordinaires.  Après  un  court  séjour  chez 
des  parents  besogneux  où  il  se  rend  utile  comme  il  peut,  il  part  comme 
mousse  pour  l'Amérique.  Le  capitaine  avait  un  moyen  très  simple  de  com- 
pléter économiquement  son  équipage.  Il  traitait  si  durement  les  nouveaux 
venus  qu'ils  désertaient  à  la  première  escale,  sans  réclamer  leur  solde. 
C'est  ainsi  que  Stanley  débarqua  sans  la  moindre  ressource  à  la  Nouvelle- 
Orléans.  Le  hasard  l'y  mit  en  présence  de  l'excellent  homme  qui  devait 
l'adopter  plus  tard  et  lui  donner  son  nom  de  Stanley.  Il  lui  dut  de  trouver 
un  emploi,  puis  de  compléter  son  éducation.  Mais  son  protecteur  mourut 
en  1861  le  laissant  de  nouveau  désemparé.  La  guerre  de  Sécession  avait 
éclaté.   Comme  tous  les  jeunes  gens  de  l'Arkansas  où  il  se  trouvait  alors, 


182  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

petit  commis  dans  un  comptoir  d'approvisionnements,  Stanley  s'enrôla  dans 
l'armée  du  Sud.  Les  pages  où  il  raconte  sa  vie  au  milieu  des  planteurs  et  la 
campagne  à  laquelle  il  prit  part  sont  parmi  les  plus  saisissantes  du  livre.  Il  y  a 
là  des  tableaux  d'une  sobriété  et  d'une  précision  de  détails  qui  sont  d'un 
maître  écrivain.  Stanley  fut  toute  sa  vie  un  grand  observateur,  et  c'est  ce  qui 
donne  tant  de  saveur  à  ses  récits.  Fait  prisonnier  à  la  bataille  de  Shiloh,  il  est 
emmené  au  camp  de  Douglas,  près  de  Chicago,  où  il  endure  les  pires  souf- 
frances. Il  faillit  mourir  des  fièvres  qu'il  y  contracta  et  fut  longtemps  à  s'en 
remettre.  Là  s'arrête  le  premier  volume  et  la  rédaction  achevée  par  Stanley. 
Mais  l'intérêt  du  second  ne  faiblit  pas. 

Rentré  en  Angleterre,  il  est  accueilli  avec  une  telle  indifférence  par  sa 
mère  et  ses  autres  parents  qu'il  retourne  en  Amérique,  sert  comme  matelot 
dans  la  marine  marchande,  puis  dans  la  marine  de  guerre,  avec  un  emploi 
de  secrétaire.  L'occasion  lui  fut  ainsi  offerte  d'assister  à  l'attaque  du  fort  Fis- 
cher, dans  la  Caroline  du  Nord,  par  les  troupes  fédérales  ;  il  en  adressa  le 
récit  à  un  journal  et  c'est  ainsi  qu'il  devint  correspondant,  occasionnel 
d'abord,  régulier  ensuite.  Sa  vie  dès  lors  est  un  perpétuel  voyage.  Il  va  dans 
l'Ouest,  suivre  les  expéditions  contre  les  Indiens, puis  en  Abvssinie,  pendant 
la  campagne  des  Anglais  contre  Théodoros.  Il  s'}*  révèle  reporter  aussi 
infatigable  qu'ingénieux,  marchant  avec  les  troupes  et  trouvant  le  moyen 
de  faire  parvenir  le  premier  au  New-York  Herald  la  nouvelle  de  la  défaite 
de  Théodoros,  avant  même  que  le  gouvernement  anglais  en  soit  informé. 
Ce  coup  de  maître  assure  sa  fortune.  Après  de  nouvelles  randonnées  en 
Espagne,  pendant  la  guerre  carliste,  puis  en  Egypte,  en  Palestine,  dans 
le  Caucase,  en  Perse,  il  gagne  Zanzibar  et  c'est  alors  qu'il  entreprend,  pour 
le  New-York  Herald,  d'aller  à  la  recherche  de  Livingstone.  Sa  vie  d'explo- 
rateur était  commencée.  Il  en  a  raconté  dans  différents  ouvrages  les  phases 
successives  ;  mais  on  trouvera  plus  d'abandon,  plus  d'émotion  aussi,  dans 
les  extraits  de  son  journal  ou  dans  les  pages  inédites  comme  celles  où 
il  a  voulu  dire  toute  son  admiration  pour  Livingstone.  Il  souffrit  cruelle- 
ment, quand  il  revint,  de  voir  douter  de  sa  véracité.  Il  a  souffert  plus 
cruellement,  plus  tard,  de  l'indifférence  et  de  l'aveuglement  de  ses  conci- 
toyens. Son  rêve  eût  été  de  donner  à  l'Angleterre  ce  bassin  du  Congo  que 
Livingstone  et  lui  avaient  découvert.  Il  n'accepta  que  comme  pis-aller  la 
mission  d'aller  organiser  l'État  indépendant  ;  mais  une  fois  à  l'œuvre,  il  s'y 
dévoua  tout  entier.  Il  fut  dur  pour  les  autres,  comme  il  était  dur  à  lui- 
même.  Il  parlait  et  agissait  en  soldat,  car  ce  fut  un  véritable  type  de  soldat. 
Il  n'hésita  pas,  quand  il  le  fallait,  à  recourir  à  des  moyens  énergiques  ;  il  ne 
fut  jamais  cruel.  Il  s'indignait  qu'on  l'ait  accusé  d'avoir  sacrifié  des  enfants. 
Quand  il  marchait  au  secours  d'Emin-pacha  qui  devait  si  peu  le  payer  de  ses 
peines,  un  jour,  au  sortir  de  la  forêt,  la  colonne  pénétra  dans  un  pays  de 
cannibales.  Quarante  négrillons  étaient  nés  depuis  le  départ  de  l'expédition. 
Les  mères,  affolées,  vinrent  toutes,  la  nuit  tombée,  les  déposer  autour  de 
la  tente  du  grand  chef,  certaines  que  jamais  il  ne  laisserait  manger  leurs 
petits,  et  c'est  ainsi  que  Stanley  se  réveilla  au  milieu  des  vagissements  de 
toute  cette  nursery.  On  pourrait  cueillir  dans  ce  livre  nombre  d'anecdotes 
aussi  amusantes. 

Il  plaça  toujours  très  haut  son  idéal  moral  qu'il  ne  sépara  jamais  de  la 
religion,  d'une  religion  toute  pénétrée  elle-même  de  moralité.  «  La  loi, 
écrit-il  dans  ses  notes,  ne  suffit  pas  par  elle-même  à  l'humanité.  Elle  a  pour 


L'autobiographie  de  Stanley  —  183 

but  de  protéger  les  citoyens  des  attaques  et  de  punir  les  coupables  :  la  reli- 
gion, elle,  enseigne  les  rapports  équitables  entre  hommes,  le  désintéressement, 
le  sacrifice,  la  vertu,  les  bons  procédés,  l'amour  du  prochain,  la  compassion, 
la  bonté,  la  patience,  la  longanimité,  le  courage,  l'indifférence  hautaine  à  la 
mort  par  l'effet  de  l'exaltation  spirituelle.  » 

Ses  dernières  années  furent  celles  d'un  sage.  Certes  il  ne  pardonna  jamais 
à  ses  adversaires  de  n'avoir  pas  compris  la  grandeur  de  son  œuvre,  ni  rendu 
justice  à  ses  efforts.  Parti  de  très  bas,  il  se  jugeait,  sans  fausse  modestie,  à  sa 
valeur.  Mais  il  avait  trop  couru  le  monde  pour  n'avoir  pas  perdu  ses  plus 
belles  illusions  de  jeunesse.  «  Celui  qui  amène  du  changement,  disait-il,  doit 
se  préparer  à  subir  de  l'opposition  ;  une  volonté  ferme  est  vouée  à  la  haine. 
Toutefois  il  ne  faut  pas  pour  cela  sacrifier  son  but.  »  Il  s'éteignit  doucement, 
le  9  mai  1904,  et  sa  dépouille  ne  fut  pas  admise  à  reposer,  comme  il  l'avait 
souhaité,  auprès  de  celle  de  Livingstone,  dans  l'abbaye  de  Westminster. 

La  traduction  de  M.  Georges  Feuilloy  a  été  faite  avec  autant  d'habileté  que 
de  conscience.  L'ouvrage  est  accompagné  d'une  carte  de  l'Afrique  centrale  et 
de  trois  beaux  portraits  de  Stanley  à  différentes  époques  de  sa  carrière. 

L.   Gallois. 


COMPTES  RENDUS 

A.  Fogazzaro.  —  Leila.  Traduit  de  l'italien  par  Hérelle.  — 
Paris,  Hachette,  191 1,  in-18,  376  p.,  3  fr.  50. 

Osons  dire  que  ce  roman  ne  vaut  pas  la  série  du  Petit  Monde  d'autrefois, 
du  Petit  Monde  d'aujourd'hui  et  de  //  Santo  ;  mais  c'est  encore  un  très  beau 
livre.  Comment  une  âme  close  de  jeune  fille,  liée  au  souvenir  d'un  fiancé 
mort,  pleine  d'énergies  morales,  un  peu  gâtée  parles  tristes  expériences  de  la 
vie,  «  un  paradis  clos  un  peu  obscurci  par  l'ombre  épaisse  d'un  trop  grand 
arbre  de  la  science  du  bien  et  du  mal  »,  —  comment  cette  âme  peu  à  peu  se 
délie,  s'ouvre,  s'épanche,  accueille  l'amour  de  l'ami  de  son  fiancé,  voilà  le 
fond  romanesque  de  l'œuvre.  Et  Fogazzaro  l'a  traité  de  telle  sorte  qu'il 
nous  semble  que  Leila,  d'abord  crispée  par  la  souffrance  et  l'orgueil,  en 
s'épanouissant  n'est  pas  infidèle,  et  qu'elle  ne  déchoit  pas  en  recommençant  à 
vivre,  selon  l'idéal  que  lui  a  laissé  le  disparu.  Celui  qui  doit  être  l'époux  est 
un  disciple,  fervent  et  tourmenté,  du  Saint  ;  son  orgueil,  à  lui  aussi,  l'élève 
secrètement  au-dessus  des  laideurs  qu'il  a  rencontrées  en  agissant  ;  il  a  le 
dégoût  de  toutes  les  plèbes,  de  la  cléricale  et  de  la  moderniste;  sa  délicatesse 
le  destine  à  toutes  les  persécutions.  Il  s'échappe  du  monde,  des  conversations 
prétentieuses,  des  entreprises  de  charlatanisme,  des  salles  de  conférences  et 
des  coteries  qui  feraient  volontiers  de  lui  leur  premier  sujet  ;  et  il  s'en  va 
vivre  en  poète  et  en  apôtre  obscur,  médecin  de  campagne.  C'est  dans  cette 
retraite  que  Leila,  d'abord  dédaigneuse  et  troublée,  brisant  le  cercle  tragique 
d'orgueil  et  de  souffrance  où  elle  a  failli  mourir,  viendra  lui  avouer  son 
amour.  —Et  celle  qui  empêche  ces  deux  êtres  de  se  méconnaître,  c'est  donna 
Fedele,  une  de  ces  femmes  comme  seul  a  su  les  peindre  Fogazzaro,  silen- 
cieuse et  passionnée,  gardant  en  elle  un  amour  dont  elle  ne  fera  qu'une  seule 
fois  la  confidence,  quand  elle  sera  près  de  mourir  et  qu'elle  pourra  accom- 


184  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

plir  une  œuvre  de  réconfort  et  de  pitié  en  livrant  le  secret  de  sa  vie  à  une 
âme  qui  hésite  à  vivre  ;  —  amour  qui  fut  le  désespoir,  puis,  épuré  par  la  notion 
du  sacrifice  chrétien,  le  charme  sombre  et  la  noblesse  de  sa  vie.  —  Des 
paysages  d'une  poésie  délicieusement  grave,  des  élans  spirituels,  de  l'ardeur 
et  de  la  tendresse,  de  la  gaieté,  du  comique,  et  jamais  de  vulgarité,  —  on 
retrouvera  dans  Leila  toutes  les  qualités  de  cet  idéaliste  si  curieux  de  réalité 
qu'était  Fogazzaro.  A  la  fin,  il  est  revenu  sur  la  conception  qu'il  avait  voulu 
incarner  en  Benedetto,  le  Saint.  J.  Merlant. 


Stephen  Crâne.  —  La  Conquête  du  Courage.  Traduit  de  l'anglais 
par  Francis  Vielé-GrifEn  et  Henri  D.  Davray.  —  Paris,  Mercure  de 
France,  191 1,  in-12,  267  p.,  3  fr.  50. 

La  traduction  du  livre  de  Stephen  Crâne  vient  à  son  heure.  Pour  nous  qui 
vivons  dans  une  longue  paix  et  qui  cherchons  constamment  les  moyens  de  la 
rendre  encore  plus  longue  en  augmentant  la  puissance  de  notre  défense 
nationale,  il  est  toujours  extrêmement  précieux  de  recueillir  des  impressions 
de  guerre  vécues,  afin  d'en  tirer  des  enseignements.  Or  ces  impressions  d'un 
Anglo-Saxon  corroborent  justement  celles  que  de  nombreux  penseurs  ont 
subies  dans  le  combat  et  qu'ils  ont  analysées. 

Tolstoï,  Ardant  du  Picq,  Stephen  Crâne  et  tant  d'autres  s'accordent  à 
reconnaître  que  les  caractères  permanents  de  la  psychologie  individuelle  et 
collective  se  retrouvent  toujours  au  combat  et  y  acquièrent  une  prédomi- 
nance telle  que  les  influences  raciales  ou  les  facteurs  techniques  n'ont  plus 
qu'une  valeur  secondaire.  Il  faut  en  déduire  que,,  pour  donner  à  une  armée 
une  puissance  effective,  ce  sont  les  forces  morales  qu'il  importe  le  plus  de 
développer  harmonieusement,  dans  l'individu  et  dans  la  collectivité,  par  une 
application  constante  de  ces  forces  à  tous  les  faits  de  la  vie  usuelle  qui  cons- 
titue le  combat  le  plus  varié  et  souvent  le  plus  angoissant.  La  préparation  la 
plus  élevée  au  courage,  si  proche  de  la  lâcheté,  ainsi  que  l'éprouve  «  le  jeune 
homme  »  de  Stephen  Crâne,  se  fera  donc  bien  mieux  en  raisonnant  toutes  les 
actions  journalières  qu'en  évoquant  des  héroïsmes  mystiques  ou  des  actes 
inexplicables  en  apparence.  «  La  subtile  solidarité  de  la  bataille  »  s'impose  au 
héros  de  Crâne  comme  l'une  des  conditions  permanentes  et  essentielles  de 
toute  lutte  d'ensemble  où  individu  et  collectivité,  soldat  et  armée,  sont  un 
seul  et  même  terme  ayant  des  expressions  multiples  liées  d'une  façon  im- 
muable. De  même  la  terreur  instinctive  que  ressent  tout  homme  en  présence  de 
dangers  imprévus  et  surtout  inconnus  donne  à  «  ce  jeune  homme  »  l'impres- 
sion bien  nette,  au  moment  où  il  tourne  le  dos  à  la  bataille,  que  «  la  mort  qui 
menaçait  de  l'atteindre  entre  les  épaules  paraissait  plus  terrible  que  la  mort 
sur  le  point  de  le  frapper  entre  les  deux  yeux  ».  Plus  tard  les  fortunes  diverses 
de  la  bataille  conduisent  le  combattant,  harassé  et  presque  découragé,  à  juger 
sévèrement  des  chefs  qu'il  ne  connaît  même  pas  et  dont  il  ignore  les  disposi- 
tions; puis,  lorsque  l'un  d'eux  paraît,  s'explique  et  exalte  le  courage  des  uns 
tandis  qu'il  châtie  la  pusillanimité  des  autres,  tout  change  et  notre  homme 
est  «  frappé  d'un  immense  étonnement.  Il  découvre  que  les  distances,  à  les 
comparer  avec  ses  perceptions  pendant  le  combat,  étaient  minimes  et  ridi- 
cules,.... il  s'étonne  du  nombre  des  émotions  et  des  événements  qui  avaient 
pu  s'accumuler  en  si  peu  de  temps  sur  un  si  petit  espace.  Des  pensées  de 


Littérature  ■        185 

pygmée  avaient  dû  exagérer  et  agrandir  toutes  choses,  se  disait-il.  » 
En  un  mot,  tout  dans  ce  livre  est  mouvement  et  analyse  en  vue  de  pro- 
voquer les  manifestations  les  plus  élevées  de  la  vie.  Sa  belle  tenue  littéraire 
que  la  traduction  conserve  presque  entièrement  le  place  sûrement  sur  le 
même  plan  que  la  Guerre  et  la  Paix  de  Tolstoï  auquel  on  l'a  très  justement 
comparé. 

A  notre  époque  il  est  d'une  importance  capitale  que  chacun  s'intéresse 
aux  choses  de  la  guerre  où  il  jouera  un  rôle  certain,  puisque  la  guerre  ne  se 
fera  plus  qu'au  moyen  de  l'organisation  méthodique  de  l'insurrection  natio- 
nale. C'est  pourquoi  il  faut  considérer  la  Conquête  du  Courage  comme  la 
seconde  pièce  d'une  trilogie  puissante  que  tout  citoyen  doit  lire  et  qui 
serait  formée  par  les  oeuvres  de  Tolstoï,  d'Ardant  du  Picq  et  de  Crâne.  Cette 
trilogie  définit  admirablement  l'homme  moderne  dont  la  destinée  inéluctable 
est  de  prendre  part  à  la  défense  de  la  société  qui  l'a  adopté  ;  elle  indique,  en 
outre,  les  facteurs  essentiels  du  succès  dans  la  lutte  pour  la  vie  et  pour  le 
progrès  ;  ce  sont  les  facteurs  mêmes  que  tout  combattant  doit  mettre  en 
œuvre  sur  le  champ  de  bataille.  Tolstoï  expose  la  conscience  de  soi-même 
et  des  devoirs  essentiels,  Crâne  fixe  la  psychologie  de  l'individu  au  combat, 
Ardant  du  Picq  réunit  dans  la  psychologie  de  la  foule  et  la  solidarité  du 
champ  de  bataille  toutes  les  forces  morales  et  intellectuelles  qui  permettent 
à  l'homme  de  défendre  son  honneur  et  sa  liberté.         Capitaine  Mirvalle. 

A.  Angellier.  —  Dans  la  lumière  antique.  Les  scènes.  —  Paris, 
Hachette,  191 1,  in-16,  181  p.,  3  fr.  50. 

Même  inachevé  — et  sans  doute  il  le  fût  resté  toujours  —  le  vaste  temple 
aux  multiples  colonnades  élevé  dans  la  lumière  antique  par  Auguste  Angellier 
à  la  gloire  de  la  vie  se  dresse  imposant  et  harmonieux  (1).  Voici  un  triple 
fronton,  prêt  à  être  dévoilé  quand  l'artiste  mourut,  trois  poèmes  de  coupe 
dramatique,  qui,  par  la  variété  du  ton  et  de  l'inspiration,  synthétisent  assez 
bien  la  richesse  des  recueils  antérieurs.  Le  Banquet  che\  Clinias  est  plus 
objectif  et  impersonnel.  Plus  fidèlement  que  Lamartine  lePhédon,  Angellier  y 
a  suivi  et  commenté,  dans  un  cadre  de  sa  création,  l'Apologie  de  Socrale.  Le 
Secret  de  l'opale  est  une  fable  symbolique  d'une  originalité  frappante  et 
pourtant  limpide  et  naturelle.  Les  tourments  de  la  recherche  de  l'absolu, 
opposés  à  l'action,  à  l'amour,  aux  réalités  de  la  seule  vie  saisissable  à  nos 
prises,  la  vie  superficielle,  c'est  le  thème  philosophique  :  mais  la  scène  est 
pleine,  en  outre,  de  couleur,  d'émotion,  d'une  éblouissante  fécondité  verbale. 
V Amant  de  Lais  retrace  la  déchéance  et  le  désespoir  d'un  misérable,  chassé, 
après  sa  ruine,  par  «  l'incomparable,  inoubliable  amante  ».  Ballotté  des 
regrets  jaloux  et  des  espoirs  insensés  aux  velléités  de  relèvement  et  à  l'effroi 
des  chutes  et  des  corruptions  dernières,  il  finit  par  se  pendre  avec  la  ceinture 
qu'il  dénoua  jadis.  La  décomposition  du  vouloir  par  la  volupté  inexpiable 
fournit  le  thème  moral  ;  mais  quel  éclat  de  verve,  quelle  truculence  même, 
quelle  saveur  de  comique  dans  cette  série  de  prières  aux  divinités  peu  secou- 
rables  et    dans   l'évocation   du    cynique     Diogène,   le   répugnant   rival   du 


(1)  Dans  la  lumière  antique,  cinq  parties  :  les  Dialogues   d'Amour;  les  Dialogues  civiques 
les  Épisodes  (i™  et  2°  parties)  ;  les  Scènes  (cf.  Revue,  1910,  p.  27). 


186  1  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

malheureux  !  Angellier  fut,  dans  un  degré  égal,  un  penseur  et  un  virtuose, 
ou  plutôt  un  ouvrier  probe  qui  joue  la  difficulté  et  souvent  en  triomphe  pour 
ne  rien  laisser  inexprimé  d'une  pensée  inquiète,  minutieuse,  subtile,  à 
laquelle  il  tient.  Aux  plus  viriles  qualités  d'un  Sully-Prudhomme  il  associe  une 
ampleur  hugotique  (au  meilleur,  et  parfois  au  mauvais  sens  de  cette  épithète), 
une  abondance  luxuriante  et  précise  de  formules  et  aussi  d'images.  La  sobriété 
est  dans  chaque  vers,  ferme  et  plein,  heurté  quelquefois  :  la  prodigalité  dans 
la  fécondité  inlassable  de  certaines  analyses  (le  regard  de  Socrate,  le  chatoie- 
ment de  l'opale,  etc.),  dans  la  prolongation  de  telles  phrases  poétiques  qu'on 
croyait  achevées,  sens  et  rythme.  Mais  que  de  pages  sobres  autant  que  péné- 
trantes et  brillantes  !  Quelle  souplesse,  quelle  variété  de  dons  prématurément 
anéantis  !  J.   Bury. 


H.  Lemonnier.  —  L'Art  français  au  temps  de  Louis  XIV 
(1661-1690).  — Paris,  Hachette,  191 1,  in-18,  354  p.,  avec  35  gravures 
hors  texte,  3  fr.  50. 

Cet  ouvrage,  très  intéressant,  qui  est  la  suite  attendue  d'un  livre  devenu 
classique  du  même  auteur  sur  Y  Art  français  au  temps  de  Richelieu  et  de  Manda- 
rin, n'a  pas  la  prétention,  dans  son  format  restreint,  de  contenir  une  histoire 
complète  de  l'art  français  au  temps  de  Louis  XIV.  C'est,  ainsi  que  l'explique 
M.  Lemonnier  dans  sa  Préface, 'une  vue  d'ensemble  sur  la  peinture,  la  sculp- 
ture et  l'architecture,  «  qu'il  y  a  tant  d'intérêt  à  rapprocher,  pour  retrouver 
et  suivre  les  grandes  directions  de  la  pensée  artistique  d'un  temps.  » 

Le  volume  est  divisé  en  trois  parties. 

Dans  la  première,  sous  le  titre  Les  Hommes,  M.  Lemonnier  étudie  l'in- 
fluence de  la  «  triple  autorité  »  du  Roi,  de  Colbert  et  de  Lebrun,  puis  il 
présente  les  principaux  peintres,  sculpteurs  et  architectes. 

La  seconde  partie  est  consacrée  à  l'étude  de  La  Doctrine.  M.  Lemonnier 
expose  le  rôle  des  académies  et  le  développement  de  l'esprit  d'autorité,  il 
montre  quels  sont  les  maîtres  et  les  modèles  réputés,  il  analyse  les  théories 
esthétiques. 

Dans  la  troisième  partie,  l'auteur  étudie  Les  Œuvres  et  met  en  relief  les 
tendances  générales  qui  s'y  manifestent. 

L'art  français  au  temps  de  Louis  XIV  est  «  avant  tout  somptueux, 
brillant,  décoratif  »,  il  a  perdu  le  caractère  grave  et  austère  que  lui  avait 
donné  Poussin,  il  a  emprunté  aux  mœurs,  aux  sentiments  et  même  à  la  litté- 
rature de  l'époque  quelque  chose  d'enjoué,  «  un  air  de  plaisir  en  même 
temps  que  d'apothéose.  »  Il  nous  apparaît  beaucoup  moins  solennel  et  sérieux 
qu'autrefois,  plus  libre,  moins  dogmatique  qu'on  l'avait  cru  jusqu'ici,  et, 
sous  cette  forme,  il  nous  dispose  à  le  goûter  davantage.  J.  Locquin. 

E.  Lebègue. —  Thouret,  1746-1794.  —  Paris,  Alcan,  191 1,  in-8, 
320  p.,  7  francs. 

Ce  livre  consacré  au  célèbre  Constituant  est  fort  bien  fait,  très  bien  docu- 
menté, sobrement  écrit.  C'est  un  vrai  livre  d'histoire.  Faut-il  dire  cependant 
qu'il  laisse  quelque  déception  ?  On  serait  très  désireux  de  mieux  connaître  le 
député  de  Rouen.   Thouret,  Buzot,    les    Lindet,    ne  sont-ce    point    là   les 


Histoire  ================================  187 

Normands  qui  ont  joué  un  rôle  dans  les  assemblées  révolutionnaires  ?  Or, 
après  qu'on  a  lu  le  livre  de  M.  Lebègue,  on  ne  voit  pas  se  dessiner  la 
physionomie  du  Constituant  ;  son  ambition,  ses  conceptions  politiques,  son 
talent  d'avocat  ou  d'orateur,  tout  nous  échappe.  Serait-ce  la  faute  du  modèle 
qui  était  un  homme  trop  sage  pour  avoir  une  physionomie  bien  tranchée,  ou 
ceci  s'expliquc-t-il  par  l'absence  de  documents  permettant  de  faire  revivre 
Thouret,  tels  que  les  lettres  de  Thomas  Lindet  qui  ressuscitent  tout  entier 
avec  ses  opinions,  sa  verve,  son  coup  d'œil  profond,  l'évoque  constitutionnel 
d'Évreux?  Les  pages  les  plus  intéressantes  du  livre  de  M.  Lebègue,  qui  a  le 
mérite  d'être  court,  sont  celles  qui  sont  relatives  aux  origines  de  Thouret,  né 
à  Pont-1'Évêque,  étudiant  en  droit  à  Caen,  avocat  à  Rouen.  On  le  suit  à  l'As- 
semblée provinciale  de  Haute-Normandie,  à  la  Commission  intermédiaire  ;  il 
joue  un  rôle  considérable  dans  les  élections  de  1789  et  l'on  sait  quel  fut  l'effet 
de  sa  célèbre  brochure  sur  les  cahiers.  Il  est  tout  à  fait  en  vue  aux  États  Géné- 
raux, et  ici  l'intérêt  diminue,  précisément,  parce  que,  comme  le  dit  l'auteur, 
on  ne  peut  raconter  tous  les  débats  de  la  Constituante,  retracer  toute  l'œuvre 
de  la  Révolution  à  propos  d'un  homme,  fût-ce  Thouret  ;  et  c'est  là  le  grand 
inconvénient  des  biographies  de  ce  genre,  si  réel  que  soir  le  mérite  du  livre 
de  M.  Lebègue.  H.  P. 


Ch.  Andler.  —  Les  Origines  du  socialisme  d'État  en  Allemagne. 
2e  édition  augmentée  d'une  préface  et  d'un  appendice  bibliographique. 
—  Paris,  Alcan,  1911,  in-8,  vii-505  p.,  7  francs. 

M.  Andler  réédite,  telle  qu'il  l'a  publiée  en  1897,  cette  ce  suite  de 
monographies  d'idées  »  qui  fut  sa  thèse.  Dans  la  préface  de  la  2e  édition  il 
constate  avec  fierté  que  les  travaux  parus  depuis  le  sien  sur  le  même  sujet 
(il  les  énumère  dans  un  appendice  bibliographique)  ne  l'obligeraient  pas 
aujourd'hui  à  modifier  ses  interprétations.  Il  s'étonne  seulement  qu'on  ait 
quelquefois  présenté  son  livre  comme  une  monographie  de  Rodbertus. 
Rodbertus  est  sans  doute  le  plus  complet  des  auteurs  étudiés  par  M.  Andler  ; 
il  répond  seul  à  toutes  les  questions  —  principes  du  droit,  nature  du  besoin 
social,  organisation  de  la  répartition,  théorie  des  crises,  etc.,  —  qu'il 
importait  de  distinguer  pour  comprendre  la  genèse  du  socialisme  d'Etat. 
Mais,  dans  la  pensée  même  de  Rodbertus,  M.  Andler  voulait  avant  tout 
montrer  l'aboutissant  d'un  mouvement  d'idées  collectif  :  Rodbertus,  comme 
Lassalle,  comme  Marx  sans  doute,  appartient  à  cette  lignée  de  rationalistes 
qui  ont  essayé  d'approfondir  la  raison  par  l'histoire,  et  de  recommencer,  en 
tenant  un  plus  grand  compte  des  faits,  la  synthèse  hégélienne  désagrégée 
par  les  successeurs  de  Hegel.  Analyser  des  «  rythmes  mentaux  »  de  ce 
genre,  ce  serait  la  meilleure  manière  de  retracer  l'histoire  de  la  civilisation 
intellectuelle  en  Allemagne  au  xixe  siècle  :  M.  Andler  espère  le  tenter 
quelque  jour. 

En  attendant  il  avertit  qu'il  s'était  mépris  du  moins  sur  la  valeur  sociale 
des  doctrines  qu'il  exposait  :  elles  sont  démocratiques  bien  plutôt  que  social- 
listes.  La  démocratie,  qu'elle  commence  par  les  institutions  politiques  ou 
par  les  institutions  économiques,  est  «  la  défense  égalitaire  de  la  condition 
des  individus  ».  «  Le  socialisme  est  un  essai  de  reconstruction  totale  de  la 
société  avec  des  éléments  moralement  régénérés,  par  une   transformation  du 


188  ii        ■  =  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

droit  et  par  l'utilisation  la  meilleure  des  moyens  de  production  que  la  science 
et  la  technique  mettent  à  notre  disposition...  ;  il  se  préoccupe  des  destinées 
du  corps  social  tout  entier.  » 

Ainsi  M.  Andler  à  son  tour,  mais  en  un  sens  qui  parait  nouveau,  en 
vient  à  opposer  socialisme  et  démocratie.  L'opposition  semble  supposer 
chez  lui  une  certaine  conception  sociologique  de  la  civilisation  qui  reste 
obscure  et  dont  il  faut  souhaiter  en  effet  qu'elle  s'explicite.     C.  Bouglé. 

Souvenirs  sur  Guy  de  Maupassant,  par  François,  son  valet  de 
chambre.  —  Paris,  Plon-Nourrit,  191 1,  in-12,  314  p.,  3  fr.  50. 

C'est  un  livre  séduisant  :  il  est  plein  de  choses  sans  intérêt.  J'entends 
qu'il  inspire  confiance.  Ce  sont  bien  les  souvenirs  de  «  François  »,  et  non  — 
comme  il  advint  trop  souvent  —  les  fantaisies  d'un  auteur  à  gages  qui 
remanie,  enjolive  et  ment.  D'ailleurs  si  ce  livre  a  l'habit  d'un  laquais  il  n'en  a 
pas  l'âme.  Il  est  écrit  avec  une  réserve  et  une  dignité  méritoires  et  fort  inju- 
rieuses pour  nos  curiosités  coutumières.  Il  y  eut  des  femmes  dans  la  vie  de 
Maupassant  :  il  y  eut  même,  comme  le  dit  François,  des  «  vampires  ». 
D'elles  il  n'y  a  rien  dans  ce  livre  que  des  silhouettes  imprécises  et  qui  passent 
vite.  C'est  une  belle  et  juste  piété. 

On  ne  trouvera  rien  dans  ces  Souvenirs  qui  nous  révèle  un  Maupassant 
inconnu  ;  nous  savions  qu'il  fut  sensuel  et  qu'il  aima  toutes  les  joies  violentes 
de  la  vie  ;  nous  savions  qu'il  eut  une  âme  inquiète  et  tourmentée,  mais  qui 
fut  bonne,  généreuse  et  riche  en  tendresses  profondes.  Nous  savions  aussi 
qu'il  aima  la  vie  rustique,  la  mer  puissante  et  consolatrice,  et  l'art  des  hommes 
innombrable  et  profond.  Pourtant  on  rencontrera  au  cours  de  ces  pages 
bon  nombre  de  précisions  littéraires  :  les  milieux  où  les  meilleures  œuvres 
furent  composées  ;  les  horizons  qui  les  inspirèrent  ;  des  desseins  que  la 
volonté  de  Maupassant,  les  caprices  de  la  vie  ou  la  mort  arrêtèrent  ;  des 
propos  d'amis  de  lettres,  Dumas,  Taine,  Zola,  etc..  On  glanera  enfin  toutes 
sortes  d'anecdotes  pittoresques,  mélancoliques  ou  bouffonnes.  «  Dix  jours  à 
la  Guillette  sans  une  farce  !  »  dit  François  quelque  part.  Et  François  conte 
quelques  farces  et  divertissements  truculents  où  Maupassant  révèle  son  âme 
d'étudiant  impénitent. 

Au  total,  c'est  une  excellente  illustration  pour  la  Vie  et  les  Œuvres  de 
Maupassant,  de  M.  Maynial  :  vignettes,  fleurons,  coins  d'intérieur,  horizons 
marins  ou  grâces  champêtres  avec  quelques  hors-texte  où  la  vie  de  Maupassant 
s'éclaire  tout  entière.  D.  Mornet. 

H.  Dauzat.  —  La  Vie  du  Langage.  —  Paris,  191 1,  A.  Colin, 
in-12,  312  p.,  3  fr.  50. 

M.  Dauzat,  continuant  l'œuvre  de  vulgarisation  commencée  avec  son  livre 
La  langue  française  d'aujourd'hui,  nous  a  donné  dans  son  nouveau  volume  La 
vie  du  langage  un  exposé  systématique  des  problèmes  que  se  posent  les 
linguistes  et  des  méthodes  qu'ils  suivent  quand  ils  essayent  d'expliquer 
l'histoire  des  langues.  C'est  un  livre  intéressant,  d'un  homme  bien  informé  et 
documenté  aux  meilleures  sources.  Il  y  a  analysé  avec  précision  les  diverses 
causes  de  transformations,  mécaniques  (j'aimerais  mieux  physiologiques), 
psychologiques,  sociales  et  littéraires,  et  montré  avec  clarté  par  des  exemples 


Sociologie .  —    189 

pris  dans  notre  langue  usuelle  les  effets  de  toutes  ces  causes,  qui,  réunies  et 
combinées,  ont  fait,  après  quelques  siècles,  du  latin  des  soldats  romains  le 
français  de  Victor  Hugo,  et  qui  continuent  à  modifier  chaque  jour  notre 
langue,  à  notre  insu  et  sans  cesse,  suivant  des  règles  et  des  lois  que  les 
linguistes  arrivent  à  reconnaître  et  à  formuler  peu  à  peu.  En  le  lisant,  la 
conviction  vient  que  la  linguistique  peut  désormais  espérer  d'arriver  quelque 
jour  à  l'exactitude  et  à  la  précision  scientifiques. 

De  ci  de  là  quelques  opinions  peuvent  paraître  contestables.  La  linguis- 
tique n'est  plus  métaphysique  ni  logique  ;  mais  on  ne  peut  pas  dire  qu'elle 
soit  «  une  science  rigoureusement  expérimentale  »  (p.  4).  Le  linguiste  ne 
fait  pas  d'expériences  ;  il  observe,  il  compare,  mais  jamais  il  ne  suscite  les 
faits  ;  sa  première  règle  est  de  ne  jamais  intervenir  dans  la  production  des 
phénomènes  qu'il  étudie.  M.  Dauzat  le  sait  bien  et  c'est  l'expression  qui  a  un 
peu  exagéré  sa  pensée.  Est-il  sûr  aussi  que  «  nous  n'avons  plus  le  larynx,  la 
langue,  le  palais  disposés  comme  nos  ancêtres  ?  »  (page  38). 

Il  n'est  pas  bien  démontré  non  plus  que  le  passé  défini  et  indéfini  aient 
eu  chacun  leur  valeur  propre  avant  le  xvne  siècle,  époque  où  les  grammai- 
riens pour  conserver  l'un  et  l'autre  ont  fixé  les  règles  de  leur  emploi  dans 
la  langue  écrite  ;  ni  que  l'action  de  l'écriture  sur  la  langue  parlée  «  ne  se 
soit  guère  exercée  avant  le  début  du  xixe  siècle  »  (page  268),  elle  semble  bien 
plus  ancienne  et  plus  importante  ;  etc.  Simples  objections,  qui  n'ôtent  rien  à 
la  valeur  du  livre. 

Naturellement  ce  livre  n'apprendra  pas  beaucoup  aux  spécialistes  ;  ils 
le  liront  avec  intérêt  et  profit  pour  avoir  une  vue  d'ensemble  de  l'œuvre 
générale  à  laquelle  chacun  collabore.  Mais  il  aura  surtout  le  mérite  de 
montrer  au  public  que  les  vieilles  méthodes  grammaticales,  si  justement 
décriées,  sont  remplacées  par  des  méthodes  nouvelles  et  fécondes,  qui 
donnent  à  la  linguistique  sa  juste  place  parmi  les  sciences  historiques  et 
sociales.  Th.  Rosset. 


Lysis.  —  Contre  l'oligarchie  financière  en  France.  Nouvelle  [11e]  édi- 
tion. —  Paris,  A.  Michel,  [191  ij,  in-12,  360  p.,  3  fr.  50. 

«  Lysis  »  a  publié  sous  ce  titre,  en  1907,  un  livre  qu'il  réédite  aujour- 
d'hui en  y  joignant  une  réponse  à  son  contradicteur  le  plus  autorisé  et  des 
renseignements  nouveaux,  qui  vont  jusqu'à  la  fin  de  19 10. 

Ce  livre  n'a  pas  le  même  caractère  que  beaucoup  d'autres,  antérieurs, 
publiés  sous  des  titres  analogues.  Par  exemple,  ce  n'est  pas  du  tout,  comme 
les  Rois  de  la  République,  de  Chirac,  un  répertoire  de  potins  sur  les  grands 
financiers  du  jour;  c'est  la  description  très  moderne  et  l'explication  très 
claire  d'un  état  de  choses  nouveau  dans  l'histoire  financière  de  notre  pays,  et 
l'indication  de  ses  conséquences,  déjà  acquises,  ou  possibles,  qui  sont  très 
graves. 

«  L'ancien  système  de  banques,  qui  s'est  affaibli  graduellement,  compre- 
nait la  Haute  Banque,  composée  de  banques  d'émission,  distinctes  et  indé- 
pendantes, telle  la  maison  Rothschild.  En  dehors  de  cette  Haute  Banque,  il 
y  avait  d'innombrables  banques  locales,  moyennes  ou  petites,  en  rapport 
avec  le  public,  à  Paris  et  en  province...  Ce  système  comportait  la  concur- 
rence. »  Il  a  été  ruiné  peu  à  peu,  à  peu  près,  par  la  prospérité  inouïe   des 


190  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

grands  établissements  de  crédit,  tels  que  le  Crédit  lyonnais  et  la  Société 
générale,  qui  sont  aux  anciennes  banques  ce  que  les  grands  magasins  comme 
le  Louvre,  le  Bon  Marché,  Potin,  etc.,  sont  aux  boutiques  d'autrefois.  «  Dis- 
posant de  capitaux  très  importants,  grâce  aux  fonds  que  le  public  leur  remet 
en  dépôt  [à  charge  d'un  intérêt  très  faible],  ces  grands  établissements  peuvent 
escompter  le  papier  commercial  à  meilleur  marché  ;  se  contenter,  dans 
toutes  les  opérations  de  banque  proprement  dites,  de  commissions  plus 
réduites  ;  et  rendre  enfin  au  public  toutes  sortes  de  petits  services  gratuits. 
Devant  cette  concurrence  meurtrière,  les  banquiers  locaux  ont  dû  dispa- 
raître. Ils  sont  aujourd'hui  remplacés  par  les  succursales  des  grands  établisse- 
ments de  crédit,  qui  forment  un  immense  réseau  couvrant  tout  le  pays.  »  Ce 
système,  une  fois  établi,  ne  comporte  plus  de  concurrence  ;  car  les  grands 
établissements,  dont  le  Crédit  lyonnais  est  le  type,  sont  en  petit  nombre 
(quatre  ou  cinq)  et  forment,  dans  toutes  les  circonstances  importantes,  un 
consortium.  —  Voilà  donc  le  phénomène  initial  :  quatre  ou  cinq  banques, 
qui  sont  autant  de  vastes  bureaucraties  organisées  à  la  façon  napoléonienne, 
chacune  avec  ses  chefs  à  Paris,  qui  donnent  le  mot  d'ordre  à  une  armée  de 
«  guichetiers  »  et  de  «  démarcheurs  »,  obéissant  au  doigt  et  à  l'œil  ;  ces 
quatre  ou  cinq  établissements  en  sont  venus  à  concentrer  entre  leurs  mains 
plusieurs  milliards  de  dépôts  et  à  accaparer  pour  ainsi  dire  la  confiance  de 
l'épargne.  Or  la  force  prodigieuse  dont  ils  disposent  ainsi,  et  de  plus  en  plus, 
depuis  une  quinzaine  d'années,  comment  l'ont-ils  utilisée  ? 

Ils  auraient  pu  l'utiliser  comme  font  en  Angleterre  les  grandes 
banques  de  dépôt,  qui  n'entreprennent  aucune  opération  personnelle  et  ne 
font  aucune  affaire  pour  leur  compte  avec  l'argent  qui  leur  est  confié.  «  Cet 
argent,  les  banques  de  dépôt  anglaises  l'emploient  exclusivement  aux  tran- 
sactions de  banque  n'offrant  aucun  aléa,  à  l'escompte  commercial,  aux 
reports,  etc.,  ou  bien  elles  le  placent  en  gilt  edged  securities,  c'est-à-dire  en 
valeurs  de  tout  repos.  Mais  telle  n'a  pas  été  la  politique  des  établissements 
similaires  dans  notre  pays. 

Nos  grands  magasins  financiers  auraient  pu  procéder  comme  les  neuf 
banques  berlinoises  à  qui  leurs  dimensions  ont  valu  la  qualification  de 
«  mammouth  ».  Ces  établissements  (à  la  fois  banques  de  dépôts  et  banques 
d'affaires,  comme  les  nôtres)  ont  déployé,  comme  on  sait,  une  activité 
formidable  pour  faciliter  la  mise  en  valeur  économique  de  l'Empire. 
«  L'Empire  leur  doit  ses  chemins  de  fer,  ses  canaux,  sa  flotte  et  ses  ports 
de  mer,  ses  charbonnages,  ses  grandes  industries,  sa  conquête  du  marché 
mondial.  Il  n'y  a  pas  d'entreprise  en  Allemagne  qui  n'ait  été  constituée  ou 
aidée  en  commandite  par  une  institution  financière.  Grâce  à  elles,  le 
crédit  est  là-bas  accessible  à  tous...  ;  et  ce  système  a  porté  au  maximum  la 
productivité  du  pays.  »  Mais  nos  établissements,  à  nous,  n'ont  pas  agi  de  la 
sorte. 

Nos  établissements,  à  nous,  ne  coopèrent  pas  au  développement  des 
industries  nationales,  comme  le  font  les  banques  berlinoises  ;  mais  ils  ne 
s'interdisent  pas  pour  autant  les  affaires  spéculatives,  comme  le  font  les 
banques  anglaises.  On  sait  assez  qu'ils  se  sont  spécialisés  dans  l'émission  et 
le  placement  des  emprunts  d'État  étrangers  et  d'autres  valeurs  étrangères. 
C'est  ainsi  qu'en  1908  la  proportion  des  valeurs  étrangères  émises  en  France 
par  le  consortium  a  été  de  95  °/0,  alors  que,  la  même  année,  la  proportion 
des  valeurs  nationales  émises  en  Allemagne  par  les  banques  était  de  96  1/2 


Sociologie  —     191 


pour  cent.  La  situation  est  très  nette.  La  France  a,  tous  les  ans,  trois  milliards 
environ  d'argent  liquide  à  placer  ;  et  le  consortium  est  en  possession  du  privi- 
lège de  faire  placer  comme  il  veut,  par  sa  clientèle,  la  majeure  partie  de 
cette  somme.  Or,  il  la  fait  placer  presque  exclusivement  en  valeurs  étran- 
gères :  russes,  orientales,  américaines,  sud-américaines,  etc.  Comme  ce 
régime  dure  depuis  longtemps,  la  fortune  mobilière  de  la  France  est  déjà 
composée  maintenant,  pour  un  quart  au  moins,  peut-être  pour  un  tiers,  de 
ces  valeurs  exotiques.  Comme  il  va  toujours  en  s'accentuant,  on  assiste 
chaque  année  à  de  nouvelles  exportations  formidables  de  l'or  français,  qui 
va  secourir  les  États  besogneux  et  développer  la  richesse  des  pays  concur- 
rents, «  tandis  que,  par  un  absurde  non  sens,  notre  propre  commerce,  notre 
propre  industrie,  privés  de  moyens  d'action,  restent  stagnants  ».  La  France 
est  le  grand  pays  du  monde  qui  a  le  plus  de  capitaux  et  l'outillage  écono- 
mique le  plus  imparfait,  parce  que  ses  capitaux,  qui  permettraient  de  renou- 
veler son  outillage,  sont  régulièrement,  tous  les  ans,  expédiés  à  l'étranger, 
en  échange  de  papier. 

Lysis  explique  très  bien,  semble-t-il,  pourquoi  les  grands  établissements 
de  crédit  français  ont  encouragé,  depuis  vingt  ans,  la  mode  de  ces  place- 
ments. En  premier  lieu  c'est  une  tentation,  voire  une  nécessité  pour  des 
banques  très  vastes,  d'effectuer  des  opérations  de  grande  envergure  :  «  Nos 
sociétés  de  crédit  sont  construites  pour  effectuer  des  émissions  marchant  par 
centaines  de  millions  et  les  grands  emprunts  rentrent  à  peu  près  seuls  dans 
ces  conditions  ».  En  second  lieu,  '«  la  conclusion  des  grands  emprunts 
étrangers  permet  de  réaliser  des  bénéfices  plus  difficilement  contrôlables  que 
ceux  qu'on  pourrait  retirer  d'entreprises  françaises  »  (p.  17).  Enfin  et  surtout, 
car  les  raisons  précédentes  n'expliqueraient  pas  tout,  il  faut  faire  entrer  en 
ligne  de  compte  la  psychologie  des  hommes  qui  ont  créé  nos  «  grands  éta- 
blissements de  crédit  »,  et  de  l'oligarchie  très  peu  nombreuse,  composée  de 
leurs  parents,  de  leurs  créatures  ou  de  leurs  disciples  immédiats,  qui  les 
dirige  encore. 

Feu  M.  Germain,  qui  fit  du  Crédit  lyonnais  ce  qu'il  est,  et  qui  l'a  lancé 
dans  l'émission  à  jet  continu  des  valeurs  russes,  était  «  un  homme  d'action 
autoritaire,  énergique,  imbu  d'idées  arriérées  »  ;  bref,  un  grand  bourgeois. 
11  avait  confiance  dans  le  gouvernement  russe,  à  cause  de  sa  poigne  ;  il 
n'avait  pas  confiance  dans  le  gouvernement  de  la  France,  parce  que  le  gou- 
vernement de  la  France  passe  pour  être  démocratique  et  sentimental.  Tel  est 
le  bourgeois  français,  quand  il  n'a  pas  l'esprit  exceptionnellement  libre  :  il 
estime  que  toute  industrie  est  condamnée  dans  son  pays,  à  cause  de  la  cou- 
pable faiblesse  des  gouvernements  pour  la  classe  ouvrière  ;  il  est  disposé, 
par  conséquent,  à  faire  fructifier  ses  capitaux  à  l'étranger,  en  les  prêtant 
d'abord  aux  monarchies  qu'il  croit  solides,  subsidiairement  aux  entreprises 
qui  ont  le  bonheur  d'être  installées  sous  l'égide  de  ces  monarchies,  et  enfin, 
faute  de  mieux,  aux  étrangers,  quels  qu'ils  soient,  Argentins,  Mexicains,  Turcs, 
etc.  ;  car  «  placer  son  argent  en  valeurs  étrangères  équivaut  à  lui  faire  fran- 
chir la  frontière  »,  et  le  vrai  bourgeois  français  voit  là,  sans  chercher  plus 
loin,  «  une  assurance  contre  les  risques  intérieurs  grandissants  »  qui  ont 
entre  tous,  parce  que  ce  sont  les  seuls  qu'il  connait  ou  croit  connaître,  le 
privilège  de  l'effrayer.  —  Cet  état  d'esprit  était  à  peu  près  celui  de  M.  Ger- 
main ;  il  l'a  suggéré,  puis  imposé  à  l'immense  clientèle  de  sa  maison  et  des 
maisons  similaires.  Mais  il  n'aurait  certes   pas  réussi  à  l'imposer  si   l'opinion 


192  =================================  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

des  petits  capitalistes  n'avait  pas  été  virtuellement  en  sympathie  avec  la 
sienne.  Il  y  a  donc  quelque  chose  de  vrai  dans  cette  remarque  du  contradic- 
teur de  Lysis  que  la  politique  financière  des  sociétés  de  crédit  leur  est  dictée 
par  les  préférences  du  public.  Pour  en  avoir  une  autre,  il  leur  faudrait  réagir 
contre  un  courant  que  leur  influence  a  contribué  sans  doute  à  rendre  irré- 
sistible, mais  qui  préexistait  et  qui  existerait  sans  elles. 

Ce  courant  d'opinion  en  faveur  des  placements  à  l'étranger,  M.  Ger- 
main ne  l'a  pas  créé,  mais  il  l'a  singulièrement  fortifié,  et  il  en  a  inauguré 
l'exploitation  méthodique.  Le  personnel,  qui  dirige  maintenant  l'oligarchie, 
suit  simplement  ses  errements  à  cet  égard.  Aujourd'hui,  «  l'oligarchie  [des 
grands  établissements  de  crédit]  est,  à  proprement  parler,  un  syndicat  pour 
l'exploitation  des  préjugés  du  capitaliste  français  ;  elle  entretient  les  préjugés 
dont  elle  tire  sa  substance  ;  elle  cultive  la  passivité  du  petit  rentier  qui  n'a 
même  plus  la  peine  de  toucher  ses  coupons  ;  elle  cultive  sa  crédulité  qui  le 
porte  à  croire  que  les  entreprises  situées  à  l'étranger  sont  plus  sûres  et  plus 
fructueuses  que  celles  de  son  propre  pays  ;  elle  cultive  enfin  sa  notion, 
vaguement  rétrograde,  que  tout  progrès  démocratique  est  un  achemine- 
ment vers  sa  spoliation.  Toutes  ces  tendances  du  capitaliste  français,  l'oli- 
garchie les  attise,  les  excite  et  c'est  par  elles  qu'elle  établit  sa  domination  ». 

Lysis  explique  aussi  comment  les  grands  établissements  de  crédit  ont 
réalisé  des  bénéfices  énormes,  en  partie  scandaleux,  par  le  placement,  d'abord 
des  fonds  d'Etat  étrangers,  puis  des  autres  valeurs  étrangères,  qu'ils  réussis- 
sent maintenant  à  caser  «  saris  publicité,  sans  bruit  »,  sans  le  concours 
même  de  la  presse,  et  parfois  malgré  l'avis,  formellement  exprimé,  du 
Gouvernement,  dans  le  portefeuille  d'une  clientèle  si  bien  domestiquée 
désormais  au  «  confessionnal  »  des  guichets  que  des  mécomptes  déjà  nom- 
breux ne  lui  ont  pas  encore  enseigné  la  méfiance.  —  Il  n'y  a  pas  lieu  d'ana- 
lyser ici  cette  partie  de  l'ouvrage,  qui  ne  souffre  pas  d'être  abrégée. 

La  sottise  du  capitaliste  à  préjugés  est  proverbiale  ;  mais  il  y  a  un  point 
où  la  sursaturation  du  portefeuille  par  le  papier  étranger  devient  un  danger 
national.  Ce  n'est  pas  seulement  lorsque  l'intensité  de  ce  phénomène  est 
telle  que,  comme  c'est  le  cas  en  France  depuis  longtemps,  l'activité  propre 
du  pays  s'en  trouve  paralysée.  C'est  lorsque  les  placeurs  en  arrivent  (et  ils 
ne  sauraient  se  soustraire  toujours  à  cet  engrenage)  à  offrir  au  public  du 
papier  douteux,  puis  à  «  soutenir  »  ce  papier  par  divers  procédés  classiques, 
dont  le  plus  simple  consiste  à  en  acheter  eux-mêmes,  et  le  plus  périlleux  à 
procurer  au  débiteur  de  nouveaux  prêts  pour  lui  permettre  de  faire  face  aux 
intérêts  des  anciens.  Or,  ces  divers  cas  se  sont  déjà  produits,  selon  Lysis, 
avec  éclat.  Le  métier  de  prêteur  d'argent,  que  la  Banque  moderne  fait 
faire  au  capitaliste  français,  comporte  des  risques  comme  tout  autre  ;  et  «  on 
peut  se  demander  si,  à  l'abri  des  crises  industrielles  qui  bouleversent  la  vie 
des  autres  peuples  (parce  que  nous  n'avons  plus  d'industrie),  nous  n'aurons 
pas  un  jour  notre  crise  à  nous,  celle  qui  correspond  à  notre  spécialité  de 
prêteur  ou  d'usurier  universel  »  (p.  269). 

La  situation,  ainsi  définie,  comporte-t-elle  des  remèdes  ?  L'auteur 
l'examine  très  brièvement.  Il  a  voulu  surtout  poser  les  questions  et  pousser 
le  cri  d'alarme. 

Un  dernier  mot.  Lysis  passe  pour  le  masque  d'un  jacobin  socialiste.  Il 
est  assez  amusant,  à  première  vue,   de   voir  ce  jacobin  prêcher  la  décentra- 


Philosophie  ==========^===============  193 

lisation  et  ce  socialiste  dénoncer  l'internationalisme  des  capitalistes  français 
au  nom  de  l'intérêt  national.  Mais  ceux-là  seuls  s'en  étonneront  qui,  sur  cer- 
tains socialistes  de  nos  jours,  ont  des  idées  de  petit  rentier.     E.  Martigny. 


E.  Rottach.  — La  Chine  moderne.  —  Paris,  Roger,  I9ii,in-i6, 
266  p.,  illustré,  4  fr.  (Collection  des  Pays  modernes). 

Ce  livre  est  «  le  fruit  d'informations  multiples,  relevées  jour  par  jour  »  ; 
c'est  un  livre  de  «  renseignements  ».  L'auteur  lui-même  caractérise  ainsi  très 
justement  son  œuvre  ;  l'intérêt  documentaire  qu'elle  nous  offre  est  d'autant 
plus  grand  que  M.  Rottach,  qui  a  vécu  au  cœur  de  la  Chine,  a  su  se  défendre 
de  tout  enthousiasme  comme  de  toute  antipathie  aveugle  à  l'égard  d'un 
peuple  qui  sera  toujours  très  différent  de  nous  et  d'une  civilisation  dont  la 
crise  présente  n'a  fait  qu'accentuer  la  complexité  traditionnelle.  L'ouvrage 
possède  aussi  une  valeur  pratique  :  il  s'adresse  particulièrement  aux  jeunes 
Français  désireux  d'aller  dans  ces  régions  curieuses,  et  maintenant  d'un  accès 
si  aisé,  chercher  fortune  et  faire  œuvre  utile  :  il  nous  montre  quelle  est  la 
part,  bien  faible  hélas  !  qui  revient  à  la  France  dans  la  plus  vaste  tentative  de 
rénovation  humaine  qui  ait  jamais  été  tentée.  Le  plan  que  M.  Rottach  a  adopté 
pour  nous  donner  une  idée  de  la  Chine  actuelle  est  ample,  et,  dans  ses 
grandes  lignes,  fort  heureux  :  la  netteté  avec  laquelle  il  distingue  les  provinces 
de  l'intérieur  et  les  divers  pays  du  «  pourtour  de  l'Empire  »  dénote  un  sens 
géographique  exercé.  Fort  judicieuse,  de  même,  la  distinction  marquée  entre 
«  la  plus  vieille  Chine  »  et  la  «  Chine  modernisée  par  l'étranger  »  :  mais 
pourquoi  la  répartition  des  objets  d'étude  respectivement  rangés  sous  ces 
deux  titres  est-elle  si  arbitraire  ?  Il  en  résulte  une  confusion  qui  gâte  le 
plaisir  du  lecteur  et  nuit  à  son  instruction.  Dans  le  détail  le  développement 
manque  aussi,  souvent,  d'idée  directrice,  et  le  style  est  trop  peu  soigné. 
On  peut  reprocher  à  l'illustration  de  ne  pas  se  rapporter  assez  étroitement 
au  texte,  et  à  la  carte  qui  accompagne  le  volume  d'être  à  la  fois  trop 
sommaire  et  un  peu  embrouillée.  G.   Weulersse. 


B.  Jacob.  —  Lettres  d'un  philosophe,  précédées  de  Souvenirs  par 
C.  Bougie.   -  Paris,  Cornély,  191 1,  in-18,  212  p.,  3  fr.  50. 

Le  livre  sur  les  Devoirs  avait  déjà  fait  connaître  au  public  la  pensée  de 
B.  Jacob,  sa  noblesse  morale,  son  profond  sentiment  de  la  vie  intérieure, 
allié  à  une  probité  intellectuelle  qui  le  tenait  en  garde  contre  les  séductions 
du  mvsticisme  et  celles  de  l'art  littéraire.  Déjà  les  esprits  attentifs  avaient 
reconnu  dans  ces  pages  d'un  accent  pénétrant,  vivantes  d'une  riche  expé- 
rience morale,  une  âme  d'une  qualité  très  rare.  Ils  achèveront  delà  découvrir 
dans  ces  Lettres.  Le  secret  de  l'action  que  Jacob  exerçait,  il  est  dans  une 
extrême  bonté  d'intelligence  et  de  cœur  ;  il  fut  vraiment  «  hospitalier  de 
cœur  et  d'esprit  ».  Mais  si  nulle  intelligence  ne  fut  moins  hautaine,  aucune 
ne  fut  plus  ferme.  Il  adorait  la  clarté,  il  allait  à  l'intelligible  à  travers  toutes 

*# 


19'i:  =============================  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

les  obscurités,  et  ne  s'attardait  pas  au  clair-obscur.  Il  aimait  à  dire  que  si 
nous  trouvons  les  choses  obscures,  c'est  peut-être,  tout  simplement,  qu'elles 
sont  «  plus  intelligibles  que  nous  ne  sommes  intelligents  ».  —  Sa  modestie 
l'aurait  préservé  des  fantaisies  du  sens  propre,  si  son  goût  pour  le  raison1 
nable  ne  l'en  avait  défendu.  Il  disait  en  1908  (et  ces  mots  sont  singuliè- 
rement intéressants,  quand  on  les  rapproche  de  paroles  analogues  dites 
par  lui  quelque  vingt  ans  plus  tôt,  et  citées  par  M.  Bougie)  :  «  Au  fond, 
quand  j'examine  mes  tendances  intellectuelles  et  morales,  je  m'aperçois  que 
je  suis  tout  à  fait  un  traditionnaliste.  Je  m'imagine  très  volontiers  que  l'esprit 
humain  a  découvert  —  au  moins  dans  le  domaine  de  la  philosophie  —  les 
idées  spéculatives  essentielles  qui  peuvent  le  diriger,  et  que  toute  la  tâche  de 
l'avenir  sera  de  les  préciser  et  de  les  fortifier  en  les  ajustant  aux  progrès  de 
la  recherche  scientifique  et  expérimentale.  »  De  même,  dans  Devoirs:  «  l'huma- 
nité a  besoin  de  conserver  ses  anciennes  vertus,  plutôt  que  d'en  inventer  de 
nouvelles.  »  —  Il  a  cru  à  l'action,  et,  ayant  agi,  il  n'a  pas  cessé  d'y  croire  ;  il 
a  conservé  sa  foi  dans  les  idées,  sa  foi  au  progrès  de  la  conscience  humaine. 
Quelques-uns  s'y  trompèrent,  et  l'on  trouvera  ici  la  lettre  émouvante  où 
Jacob  rétablit  sa  véritable  pensée  (p.  200)  :  «  Je  reconnais  dans  la  justice  une 
notion  soumise  au  devenir.  »  Traditionaliste  évolutif,  en  1908  comme  en 
1888,  il  était  donc  de  ceux  pour  qui  la  tradition  n'est  pas  «  une  sentinelle  qui 
monte  la  garde  autour  du  cœur  et  de  l'esprit  pour  les  maintenir  vides  ».  — 
Ses  dernières  années  ont  été  celles  d'un  stoïcien.  Atteint  d'un  mal  implacable, 
ses  élèves  de  Sèvres  et  de  •  Fontenay  l'ont  vu,  quand  sa  vie  n'était  plus 
qu'une  perpétuelle  souffrance,  «  faire  ses  leçons  avec  entrain  et  joie, 
parce  qu'il  avait  réservé  toutes  ses  énergies  pour  cet  effort  ».  C'est  ainsi  qu'il 
parle  lui-même  de  l'héroïsme  professionnel,  dont  il  fut  un  exemple. 

Il  était  très  éloquent,  il  était  fait  pour  charmer  les  esprits  et  pour 
exalter  les  volontés.  La  mort  l'a  pris  à  l'âge  où  son  action  aurait  pu  s'étendre. 
Mais  le  bien  qu'il  a  fait  subsiste,  et  ses  Lettres,  à  elles  seules,  seraient  un 
bréviaire  de  sagesse,  un  manuel  de  piété  sociale,  non  seulement  pour  ceux 
qui  le  regrettent  du  plus  vif  de  leur  cœur,  mais  pour  les  amis  nouveaux  que 
doit  attirer  vers  elle  cette  âme  en  qui  l'amitié  fut  si  chaude  et  si  vivace. 

J.  Merlant. 


A.  Colson.  —  Contribution  à  l'histoire  de  la  Chimie.  A  propos 
du  livre  de  M.  Ladenburgsur  l'histoire  du  développement  de  la  Chimie 
depuis  Lavoisier.  —  Paris,  1910,  A.  Hermann  et  fils,  1  vol.  in-8, 
130  p.,  3  fr. 

M.  Colson  saisit  l'occasion  que  lui  offrent  la  publication  et  la  traduction 
récente  en  français  du  livre  du  professeur  Ladenburg  pour  exposer  à  son 
tour  quelques  parties  de  l'histoire  de  la  chimie  considérées  en  France  comme 
essentielles  et,  semble-t-il,  moins  appréciées  en  Allemagne. 

M.  Colson  nous  donne,  en  réalité,  une  belle  synthèse  des  idées  générales 
en  chimie  et  de  l'histoire  de  leur  développement.  Il  se  défend  d'avoir  cherché 
à  donner  un  tableau  complet  de  la  chimie,  chose  impossible  étant  donnée  la 
multiplicité  des  faits.  Il  ne  se  défend  pas  d'avoir  quelque  peu  sacrifié  les  faits 
et  les  méthodes  aux  théories  et  à  leur  discussion  et  rappelle  fort  justement 
que  la  science  ne  résulte  pas  de  l'accumulation  des  faits,  mais  de  leur  gêné- 


Sciences  195 

ralisation  ;  les  alchimistes  savaient  que  les  métaux  augmentent  de  poids  par 
oxydation,  Stahl  lui-même  l'avait  constaté  ;  mais  ce  n'est  point  l'exactitude 
des  pesées,  c'est  Vidée  que  la  matière  seule  est  pondérable  qui  a  fait  la  chimie 
de  Lavoisier  ;  c'est  encore  Vidée  de  la  molécule  avec  les  conséquences  qu'elle 
comporte  qui  a  fait  la  chimie  organique.  D'après  M.  Colson,  c'est  la  molécule 
et  non  pas  l'atome  qui  caractérise  les  doctrines  actuelles  et,  au  nom  de 
théorie  atomique,  il  conviendrait  de  substituer  celui  de  théorie  moléculaire. 

En  dix  chapitres  écrits  d'une  manière  claire  et  attachante,  M.  Colson 
passe  largement  en  revue  l'œuvre  des  grands  fondateurs  de  la  chimie  et 
l'évolution  des  idées  moléculaires  depuis  la  notion  de  radicaux  et  de  substi- 
tution jusqu'à  l'étude  des  dissolutions  liquides  et  solides  et  des  particules 
colloïdales  ;  la  chimie  des  corps  radio-actifs,  la  mécanique  chimique,  la 
thermochimie  ont  chacune  leur  chapitre.  Un  index  de  noms  d'auteurs 
termine  cet  exposé  synthétique  qui  contribuera  à  mieux  faire  connaître  l'état 
de  la  science  chimique  en  France,  où  les  publications  des  expérimentateurs 
sont  malheureusement  trop  dispersées.  G.  Sagnac. 

R.  Goldschmidt.  —  Les  Aéromobiles.  —  Paris,  Dunot  et  Pinat, 
Bruxelles,  Ramlot  frères  et  sœurs,  191 1,  in-8,  422  p.,  328  fig.,  sans 
indication  de  prix. 

L'ouvrage  se  divise  en  deux  parties,  d'étendue  et  de  valeur  inégales.  La 
plus  importante  est  consacrée  aux  ballons,  libres  ou  dirigeables.  La  compé- 
tence de  l'auteur  sur  ce  sujet  est  manifeste  ;  il  accompagne  la  description 
minutieuse  et  précise  de  tous  les  organes  d'un  commentaire  critique  très 
instructif.  La  valeur  de  ces  pages  est  accrue  par  une  excellente  illustration 
(photogravures  et  graphiques).  On  aura  souvent  intérêt  à  consulter  le  chapitre 
où  l'auteur  donne  les  plans,  dimensions  et  caractéristiques  de  tous  les  diri- 
geables, avec  un  rapide  historique  de  leur  carrière,  souvent  courte.  Sa 
nationalité  qui,  peut-être,  explique  une  certaine  complaisance  pour  les 
dirigeables  belges,  lui  confère  vis-à-vis  des  ballons  français,  allemands  et 
italiens  une  impartialité  à  laquelle  notre  public  n'est  pas  habitué. 

Les  conclusions  de  l'auteur  sont  pessimistes  ;  elles  s'accordent  avec  l'opi- 
nion exprimée  par  E.  Solvay  dans  la  préface.  Bien  que  ce  généreux  donateur 
ait  contribué  à  la  construction  des  «  Belgique  »,  il  ne  croit  pas  à  l'avenir  des 
dirigeables.  Leur  valeur  actuelle  est  faible  et  semble  stationnaire,  elle  sera 
bientôt  nulle  à  côté  de  celle  des  aéroplanes. 

L'auteur  pense  que  depuis  quelques  années  on  fait  fausse  route  ;  il 
condamne  les  gros  cubes,  les  allongements  démesurés,  auxquels  on  s'esl 
laissé  entraîner  un  peu  partout,  par  l'exemple  des  Zeppelin.  Il  a  son  système 
et  croit  à  l'utilité  de  ballons  peu  puissants,  de  faible  volume,  presque  sphé- 
riques.  Sauf  sur  cette  question  de  la  forme,  il  est  d'accord  avec  Henri  de  La 
Vaulx,  et  l'expérience  de  cet  aéronaute  distingué  ne  lui  est  pas  défavorable. 

La  centaine  de  pages  réservée  aux  aéroplanes  ne  nous  apprend  pas 
grand'chose  de  neuf;  les  lois  de  la  résistance  de  l'air,  les  conditions  du  vol 
mécanique,  l'historique  sont  sommairement  exposés  ;  après  quoi  vient  la 
description  technique  de  quelques  types  de  biplans  et  de  monoplans.  L'ou- 
vrage se  termine  par  un  chapitre  où  sont  judicieusement  étudiés  les  moyens 
de  développer  la  navigation  aérienne.  Il  est  intéressant  de  comparer  ces 
pages  avec  les   conclusions  des  ouvrages  analogues  antérieurs   de  deux  ou 


196  ============  Revue,  critique  des  Livres  nouveaux 

trois  ans.  Les  performances  de  l'aéroplane,  depuis  cette  époque,  ont  dépassé 
les  prévisions  ;  cependant  les  prophéties  sont  plus  modestes,  car  la  fréquence 
des  accidents  (plus  de  cent  aviateurs  ont  déjà  péri,  et  qui  pourrait  compter  le 
nombre  de  ceux  qui  se  sont  blessés  plus  ou  moins  grièvement  et  ont  brisé 
leur  appareil  ?)  a  montré  que  ce  moyen  de  transport  est  condamné  à  rester 
extrêmement  dispendieux,  aléatoire  et  dangereux. 

Un  seul  champ  d'application  lui  reste  donc  ouvert,  celui  du  service 
d'exploration  des  armées  en  campagne,  en  y  joignant  peut-être  le  rôle  de 
torpilleur  aérien.  Les  armées  ne  se  passeront  plus  de  ces  engins  d'exploration 
si  rapides,  si  puissants  ;  les  nations  auront  donc  des  aéroplanes,  comme 
elles  ont  des  canons,  des  sous-marins,  des  torpilleurs  ;  les  particuliers  n'en 
auront  pas.  A.    D. 


LIVRES  ANNONCES  SOMMAIREMENT. 

LITTÉRATURE. 

Epïgrammes  Françaises  (du  xvie  au  xixe  siècle),  choisies  et  annotées  par  Maurice  Allem. 
—  Paris,  A.  Fayard,  s.  d.  [191 1],  in-18,  1  fr.  50.  —  La  malignité  humaine  est 
éternelle  ;  mais  voilà  tantôt  cent  ans  qu'elle  a  cessé  chez  nous  de  s'exercer 
sous  la  forme  classique  de  l'épigramme.  En  y  mettant  toute  diligence,  à  peine 
M.  Allem  a-t-il  pu  glaner  au  xixe  siècle  deux  ou  trois  douzaines  de  distiques  ou 
de  quatrains  acérés.  Pour  les  âges  précédents,  il  n'avait  que  l'embarras  de  choi- 
sir. Il  l'a  fait  avec  soin  et  avec- goût.  Ce  n'est  pas  sa  faute  si  de  tant  de  traits 
aiguisés  avec  amour  le  temps  a  émoussé  la  pointe.  Un  certain  nombre  de  ces 
petits  morceaux  ont  encore  du  piquant,  et  récompensent  le  lecteur  d'avoir  eu  la 
patience  de  parcourir  les  autres.  E.  Estève. 

J.  Renaud.  Les  Inféconds.  —  Paris,  Grasset,  191 1,  in-16,  3  fr.  50.  —  L'auteur  a 
pour  dessein  de  morigéner  les  gens  qui  ne  veulent  avoir  que  peu  d'enfants  ou 
qui  n'en  veulent  pas  avoir  du  tout.  Il  a,  de  parti  pris,  négligé  tous  les  côtés 
scabreux  ou  pénibles  de  son  sujet  «  de  crainte,  dit-il,  de  choquer  par  la  cruauté 
de  scènes  dont  on  peut  difficilement  adoucir  la  vérité  douloureuse  ».  Son  livre 
ainsi  pourra  être  lu  par  tout  le  monde,  même  par  les  jeunes  filles,  sinon  par  les 
couventines  ;  mais  au  lieu  de  présenter  une  étude  d'une  question  poignante,  il 
tourne  trop  souvent  à  l'homélie.  C'est,  en  somme,  de  l'ouvrage  d'amateur  ;  et  ce 
volume  n'en  ferait  pas  désirer  d'autres  de  la  même  main,  s'il  ne  s'y  trouvait 
certains  dons  d'agrément  facile.  Seulement,  il  conviendrait,  nous  semble-t-il, 
que  l'auteur,  avant  de  rien  publier  de  nouveau,  se  soumît  à  une  discipline  un 
peu  sévère  et  qu'il  apprît  le  métier  :  il  a  encore  besoin  de  faire  des  gammes. 

J.  Monthizon. 

Ed.  White.  Terres  de  Silence,  traduction  de  J.  Delamain.  —  Paris,  Stock,  191 1,  in-12, 
3  fr.  >o.  —  Deux  trappeurs  de  la  Compagnie  de  la  Baie  d'Hudson  poursuivent 
un  Indieu,  débiteur  infidèle,  à  travers  les  solitudes  du  Nord-Est  canadien  :  un 
sujet  de  Fenimore  Cooper,  un  récit  bien  conduit,  relevé  de  quelques  touches 
d'une  poésie  farouche  à  la  Kipling,  et  de  quelque  émotion  sentimentale  par  le 
dévouement  d'une  jeune  Indienne,  passionné  et  silencieux  jusqu'à  la  mort. 
L'intérêt  principal  est  dans  l'exaltation  de  l'énergie  anglo-saxonne  aux  prises  avec 
les  forces  muettes  du  désert  glacé.  La  traduction  est  aisée  et  semble  fidèle. 

J.  B. 

F.  Bodin.  Au  pays  des  Brandes  Fleuries.  —  Paris,  Union  internationale  d'éditions, 
1910,  in-12,  2  fr.  50.  —  La  Jolie  Lande.  —  Paris,  Albin  Michel,  191 1,  in-12, 
2  fr.  —  C'est  à  la  lande  charentaise  que  sont  consacrés  ces  deux  livres.  Le 
second  est  un  roman  militaire  ;  il  faut  le  regretter  ;  car  les  récits  de  bataille  y  sont 


Livres  annoncés  sommairement  ■  ,  l#7 

parfaitement  insipides,  et  l'imagination  de  M.  Bodin  se  satisfait  à  trop  bon 
compte  dans  l'agencement  de  péripéties  trop  prévues,  dont  nulle  originalité 
d'analyse  ou  de  sentiment  ne  renouvelle  l'intérêt  défraîchi.  Ce  qui  vaut  d'être 
retenu  dans  ce  livre,  vous  le  retrouverez  moins  dispersé  dans  «  le  Pays  des 
Brandes  Fleuries  »,  recueil  de  nouvelles  qui  révèle  d'ailleurs  les  mêmes  insuffi- 
sances d'invention  et  d'observation  psychologiques  (j'en  excepte  «  Un  Vieux  », 
plein  d'observations  malicieuses,  le  meilleur  récit  du  livre),  mais  d'où  s  exhale 
une  forte  odeur  de  terroir,  grâce  à  la  sympathie  du  conteur  pour  les  paysans 
landons,  à  sa  bonne  humeur  verveuse,  à  la  saveur  de  la  langue  paysanne  dont 
il  possède  les  tours  et  le  vocabulaire.  Mais  pourquoi  gâter  ces  excellentes  qualités 
par  tant  d'images  clichées,  tant  de  citations  pédantesques  (Hugo,  Ch.  d'Orléans, 
O.  Reclus...),  et  tant  de  phrases  prétentieuses,  comme  :  «  Le  mécanicien  avait 
troublé  son  jeune  cœur  de  fauvette  naïve  »  ?  C'est  là  du  journalisme,  et  du 
pire.  P.  Tuffrau. 

H.  G.  Wells.  Ejfrois  et  Fantasmagories,  traduit  par  II.  D.  Davray  et  B.  Kozakie- 
wicz,  4e  édition.  —  Paris,  Mercure  de  France,  191 1,  in-12,  3  fr.  50.  —  Encore  du 
Wells  première  manière.  Et  sans  doute,  ici  encore,  la  nouvelle  à  sensation 
dépasse  le  niveau  du  «  penny  dreadful  »,  du  roman-feuilleton.  Il  y  a  dans 
ce  recueil  de  onze  histoires  un  sens  ingénieux  de  la  terreur,  de  l'imagination 
précise,  quelque  psychologie,  et  même  de  l'humour,  quoique  pas  du  plus  fin. 
Mais  on  ne  peut  s'empêcher  de  regretter  que  ces  divertissements  de  veillée 
soient  inlassablement  offerts  au  public,  quand  la  plupart  des  grands  romans 
récents  ne  sont  pas  traduits.  Au  total,  ce  volume  réussit  à  donner  quelques 
petits  frissons,  échoue  à  en  donner  quelques  autres,  et  n'est  pas  malsain. 

L.  Cazamian. 

HISTOIRE. 
H.  Thédenat.  Le  Forum  romain  et  les  forums  impériaux.  —  Paris,  Hachette, 
191 1,  5e  édition,  in-12,  3  plans,  62  gravures  ou  plans,  8  photogravures,  5  fr. 
—  Nous  nous  bornons  à  signaler  la  5e  édition  corrigée  et  remise  au  point  de  ce 
commode  et  savant  ouvrage,  dont  le  Bulletin  des  Bibliothèques  populaires  a  rendu 
compte  (1908,  p.  1 36).  Nous  rappelons  qu'il  comprend  :  i°  une  histoire  du  Forum, 
depuis  l'antiquité  jusqu'en  1910,  et  de  ses  monuments  ;  2°  un  guide  pour  visiter 
le  Forum,  une  sorte  de  Baedeker  qui  serait  fait  par  un  membre  de  l'Institut  ; 
30  en  Appendice,  le  texte  des  inscriptions  conservées  dans  la  maison  des  Vestales 
et  un  tableau  de  leur  concordance  avec  le  Corpus;  40  la  bibliographie  du  sujet. 
Sans  parler  de  son  intérêt  propre,  il  est  un  complément  indispensable  aux 
manuels  d'institutions  romaines.  J.  Lasale. 

Les  grands  philosophes  français  et  étrangers.  Pascal.  —  Paris,  L.  Michaud,  [1911],  in-12, 
2  fr.  —  Impression  généralement  correcte,  caractère  lisible,  papier  passable, 
douze  gravures  (portraits,  fac-similé,  vues  de  Port-Royal),  format  dense  et  com- 
mode. Introduction  précise,  de  M.  P.  Archambault;  sans  prétention  à  l'origina- 
lité ni  à  l'érudition,  mais  d'après  des  travaux  récents,  surtout  ceux  de  M.  Bruns- 
chwicg,  elle  fait  bien  connaître  Pascal  et  sa  philosophie.  Puis,  en  cent  pages,  les 
Pensées,  groupées  autour  de  quelques  idées  centrales  ;  il  n'y  manque  que  les  preuves 
par  les  miracles,  prophéties,  la  partie  la  moins  vivante,  pour  nous,  de  l'Apologie. 
Puis  quatre-vingts  pages  d'opuscules,  les  principaux  textes  scientifiques.  Rien  d'es- 
sentiel n'est  écarté...  que  les  Provinciales,  qui  pourtant  n'ont  pas  qu'un  intérêt 
littéraire  ou  historique.  Donc,  quiconque  sait  lire  et  juger  peut,  dans  ce  volume 
de  poche,  se  faire  une  idée  personnelle  de  Pascal.  Mais  le  dessein  de  la  collection 
exclut  des  notes.  Ici,  peut-on  s'en  passer  sans  risques  d'erreur,  et  pour  lire  l'In- 
troduction même  où  ces  mots  :  ipistémologique,  kétéronomie,  etc.,  font  tache  sur 
un  exposé  d'ailleurs  simple?  A  qui  précisément  s'adresse  ce  livret  de  forte  vulga- 
risation ?  Oserai-je  dire  que  pour  refaire  ses  classes  ou  y  suppléer,  les  bonnes  édi- 
tions classiques  me  paraissent  tout  indiquées?  J.   Blry. 


198  Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

P.  Bliard.  Jureurs  et  insermentés  (1790-1794).  —  Paris,  E.  Paul,  191 1,  in-8,  5  fr. 
—  Utilisant  le  fonds  du  tribunal  révolutionnaire  aux  Archives  nationales, 
M.  l'abbé  Bliard,  S.  J.,  prétend  donner  un  tableau  exact  du  clergé  constitutionnel, 
dans  son  personnel  et  son  activité.  Sa  documentation  unilatérale,  surtout  son 
hostilité  contre  les  membres  de  ce  clergé,  éclatant  en  des  violences  de  langage 
tumultueuses,  donnent  à  penser  que  son  entreprise  est  vaine  :  pour  lui,  les 
jureurs  ont  été  avides  d'argent,  faibles  d'esprit,  respectueux  jusqu'au  fétichisme 
de  la  loi,  lâches,  et  c'est  avec  bien  du  mal  qu'il  admet  que  certains  aient  pu  avoir 
la  foi.  B.  G. 

R.  Boubée.  Camille  Jordan  en  Alsace  et  à  Weimar.  D'après  des  documents  inédits.  Avec 
un  portrait.  —  Paris,  Plon-Nourrit,  1911,  in-16,  3  fr.  50.  —  Aimables  lettres 
pour  gens  de  loisir  qui  s'intéressent  aux  amitiés  et  bavardages  familiaux  de  jeunes 
filles  et  jeunes  femmes  morales,  sensibles,  pieuses,  bien  nées,  bien  élevées,  très 
occupées  d'elles-mêmes  cependant,  un  peu  fades,  assez  compassées,  d'intentions 
excellentes  mais  d'esprit  vide,  comme  les  amies  alsaciennes  et  allemandes  de  Ca- 
mille Jordan  :  la  future  Madame  Degérando  (à  qui  les  griffes  pousseront),  les  graves 
demoiselles  de  Berckheim,  Madame  de  Schardt,  etc.  Les  plus  intéressantes  nous 
introduisent  sans  grand  profit  dans  les  cercles  de  Weimar.  D'autres  nous  initient 
agréablement  à  la  vie  intime  d'Augustin  et  Scipion  Périer,  trop  perdus  dans  le 
rayonnement  du  grand  frère  Casimir.  Les  dernières  soulèvent  un  petit  problème 
assez  curieux.  Jordan  n'aurait  pas  toujours  été  le  clérical  bruyant  et  convaincu 
que  donne  à  croire  son  fameux  discours  sur  les  cloches  :  il  aurait  affiché  plus  de 
foi  qu'il  n'en  avait,  et  demandé  le  secret  à  ses  amis  sur  sa  tiédeur  intime.  C'est 
du  moins  ce  dont  Monnier  l'accuse.  M.  Boubée  propose  une  explication  ingé- 
nieuse de  ce  mystère.  H.  Ménegay. 

P.  Cornu.  Corot.  —  Paris,  Michaud,  191 1,  in-12,  54  gravures,  2  fr.  50.  —  Ce 
petit  livre  de  vulgarisation  est  étudié  avec  précision  et  finesse  ;  il  s'accompagne 
d'extraits  très  bien  choisis  des  carnets  et  de  la  correspondance  de  Corot  ;  les 
illustrations  nombreuses  sont  variées  et  typiques.  C'est  un  ouvrage  sérieux  qui 
prépare  utilement  à  la  lecture  du  grand  ouvrage  de  M.  Moreau  Nélaton. 

L.  ROSENTHAL. 

Les  Milliet.  IX.  La  guerre  de  France  et  le  premier  siège  de  Paris  (1870-71).  — 
Paris,  Cahiers  de  la  Quinzaine,  8,  rue  de  la  Sorbonne,  oct.  1911,  3  fr.  50.  — 
Nous  avons  signalé  (Revue,  I,  p.  176)  ks  premiers  fascicules  de  cette  «  Histoire 
d'une  famille  de  républicains  fouriéristes  »,  racontée,  d'après  ses  archives,  par  un 
de  ses  membres,  et  dit  l'agrément  qu'on  y  trouve,  l'estime  qu'elle  inspire.  Cette 
histoire,  un  peu  longue,  en  est  aujourd'hui  à  son  neuvième  fascicule  et  à  1870-71. 
On  se  dit  toujours,  en  la  lisant  :  «  Quels  braves  gens  !»  N. 

G.  Geffroy.  Les  Gobelins.  —  Figaro  illustré  de  mars  1911,  avec  100  gravures, 
3  fr.  —  Cette  étude  cursive  accompagnée  d'illustrations  nombreuses  et  carac- 
téristiques est  surtout  intéressante  dans  la  partie  où  M.  Geffroy  expose  l'impul- 
sion qu'il  a  donnée  à  la  manufacture  depuis  qu'il  en  est  le  directeur  et  où  il 
commente  les  tapisseries  dont  il  a,  aux  applaudissements  des  gens  de  goût, 
demandé  les  cartons  à  Chéret,  à  Willette,  à  Claude  Monet  ou  à  Ranson. 

L.  ROSENTHAL. 

SOCIOLOGIE. 

H.  Meynadier.  L'idée  républicaine  dans  les  pays  monarchiques  d'Europe.  —  Paris, 
Alcan,  191 1,  in-18,  3  fr.  50.  —  Le  titre  est  inexact  :  M.  Meynadier  n'a  pas 
étudié  en  Espagne,  en  Italie,  en  Hongrie,  en  Belgique  et  en  Hollande  les  livres 
ou  les  journaux  par  lesquels  s'est  exprimée  la  doctrine  républicaine  ;  il  s'est 
préoccupé  de  décrire  dans  ces  divers  pays  l'évolution  démocratique  de  la  forme 
monarchique,  évolution  déterminée  par  des  facteurs  propres  à  chacun  d'eux,  et 


Livres  annoncés  sommairement  199 

en  a  tiré  la  conclusion  que  du  moins,  dans  les  divers  cas  abordés,  les  partis  conser- 
vateurs ont  su  s'approprier  les  formules  démocratiques  et  en  réaliser  en  partie  le  con- 
tenu. La  méthode  de  M.  Meynadier  n'est  malheureusement  ni  très  nette,  ni  très 
sûre,  et  l'on  ne  discerne  pas  du  tout  les  raisons  du  choix  qui  l'a  porté  vers  les  cinq 
pays  énumérés  ;  c'est  un  livre  de  pure  actualité,  la  partie  historique  de  ses  notices 
v  reste  en  effet  bien  faible,  —  mais  on  y  trouvera,  à  cet  égard,  d'utiles  indications 
sur  le  jeu  des  partis  aux  prises.  La  préface  de  M.  G.  Hanotaux  n'ajoute  rien  à 
l'intérêt  du  volume.  B.  G. 

VOYAGES. 

F.  Gregorovius.  Promenades  italiennes  :  I.  Rome  et  ses  environs  ;  IL  Palerme,  Syra- 
cuse, Naples,  Ravenne.  Adapté  de  l'allemand  par  Mme  Jean  Carrère.  —  Paris, 
Pion,  in-16,  chaque  vol.  3  fr.  50.—  L'ouvrage  de  Gregorovius,  dont  M™  Jean 
Carrère,  femme  de  l'actif  et  brillant  correspondant  du  Temps  à  Rome,  nous  donne 
une  édition  française  (bien  française,  c'est-à-dire  allégée),  est  vieux  d'un  demi- 
siècle.  Que  de  «  promenades  italiennes  »  depuis,  surtout  en  ces  dernières 
années  !  L'ancêtre  résiste  fort  bien  à  la  comparaison  avec  les  jeunes.  Le 
mélange  de  l'érudition  avec  la  description  poétique  y  produit  quelquefois  son 
ordinaire  effet  de  bizarrerie  ;  mais  au  moins  l'érudition  est  ici  solide,  et  quant  à 
la  paitie  poétique,  la  plume  alerte  de  la  traductrice  me  paraît  en  avoir  fort  bien 
rendu  la  touche  large,  sérieuse,  sans  coquetterie.  La  plupart  des  lieux  décrits 
dans  ces  deux  volumes  (Subiaco,  campagne  romaine,  monts  volsques,  plages 
latines,  mont  Circeo,  monts  Sabins,  Ombrie)  n'ont  guère  changé  depuis  1860  : 
ainsi  l'ouvrage,  en  même  temps  qu'un  intérêt  historique,  a  une  valeur  actuelle, 
qui  sans  doute  n'échappera  pas  au  grand  public.  J.  Luchaire. 

Visions  d'Autriche  (Impressions  et  récits).  —  Paris,  Grasset,  191 1,  in-8,  3  fr.  50.  — 
Un  M.  Th.  Steinherz,  qui  «  a  fait  dans  toute  la  France  des  conférences  sur 
l'Autriche  »,  a  cru  devoir  demander  à  un  certain  nombre  d'écrivains  français 
des  «  impressions  personnelles  »  sur  ce  pays.  On  lui  a  envoyé  naturellement 
des  bouts  d'article  disparates  et  pour  la  plupart  insignifiants.  M.  Tristan  Bernard, 
qui  n'est  jamais  allé  en  Autriche,  a  fait  là-dessus  quelques  pantalonnades,  en 
manière  de  préface.  L'ensemble  n'a  d'excuse  que  les  105  illustrations  photogra- 
phiques dont   il  est  orné;  quelques-unes  sont  charmantes.  M.  L. 

PHILOSOPHIE  ET  SCIENCES. 

N.  Kostyleff.  La  crise  de  la  psychologie  expérimentale.  —  Paris,  F.  Alcan,  191 1, 
in-16,  2  fr.  50.  —  Selon  M.  Kostyleff,  la  psychologie  expérimentale  (psycho- 
physique, psychophysiologie,  psychométrie)  subit  une  crise.  Son  labeur  fut 
immense,  mais  désordonné.  Elle  a  multiplié  les  expériences  fragmentaires,  sans 
objet,  sans  idée  directrice,  sans  intérêt,  sans  lien.  Il  faut  renoncer  à  utiliser,  à 
classer  ces  «  documents  trop  nombreux,  hétérogènes  et  de  valeur  inégale  ».  En 
fait  tous  les  essais  de  synthèse  ont  échoué  (Toulouse,  Vaschide,  Piéron,  Binet). 
On  ne  réussit  plus  qu'à  donner  «  une  caractéristique  psychologique  des 
individus  »,  qu'à  établir  «  une  échelle  métrique  de  l'intelligence  ».  La  psychologie 
se  détourne  de  la  science,  s'oriente  «  vers  les  questions  pratiques  et  sociales  ». 
devient  un  art  pédagogique.  Mais  voici  qu'une  école  nouvelle  se  fonde  à 
Wurzbourg,  qui  s'adresse  à  des  sujets  de  choix  et  remet  eu  honneur  l'introspection. 
Sa  méthode,  dite  du  questionnement,  est  «  séduisante  »,  mais  «  trompeuse  ». 
M.  Kostyleff  voudrait  qu'elle  restât  »  un  moyen  auxiliaire  »  de  la  psychologie 
expérimentale  et  que  celle-ci  gardât  la  prééminence.  Il  suffirait  pour  cela  de  taire 
cesser  la  «  désharmouie  »  entre  les  tests,  de  nature  physique  et  nettement  motrice, 
et  les  images  mentales,  envisagées  comme  des  phénomènes  statiques.  Remplaçons 
«  l'image  »  par  le  «  réflexe  ■>  et  organisons  une  étude  systématique  des    réflexes, 


200  .    Revue  critique  des  Livres  nouveaux 

et  la  psychologie  sera  fondée.  M.  Kostyleff  croit  ainsi  conjurer  par  un  programme 
nouveau  la  crise  qu'il  dénonce.  Nous  croyons  qu'il  a  mieux  diagnostiqué  le  mal 
qu'indiqué  le  remède.  L.  Dugas. 

Puériculture  et  hygiine  infantile.  Conférences  faites  pour  l'enseignement  des  jeunes 
filles  sous  la  présidence  de  MM.  Georges  Lyon  et  Th.  Barrois.  —  Paris,  Alcan, 
in-12,  3  fr.  —  Cette  deuxième  série  comprend  12  conférences  faites  par  des  pro- 
fesseurs de  la  Faculté  de  Médecine  de  l'Institut  Pasteur.  C'est  un  ensemble  de 
conseils  utiles  sur  des  sujets  très  divers  choisis  au  hasard  des  compétences 
médicales  :  alimentation  de  l'enfant,  médication,  prophylaxie,  hygiène  du  sys- 
tème nerveux,  de  la  peau,  de  la  chevelure,  vie  scolaire,  etc.  L'intelligente  ini- 
tiative de  M.  le  Recteur  G.  Lyon  souligne  une  lacune  de  l'enseignement  des 
jeunes  filles,  et  montre  l'importance  que  devrait  avoir  dans  cet  enseignement 
l'étude  de  l'hygiène  et  de  la  puériculture  unie  à  celle  de  l'économie  domestique. 

M.  G. 

E.  Michel.  Chateaubriand.  Interprétation  médico-psychologique  de  son  caractère.  — 
Paris,  Perrin,  191 1,  in-16,  2  fr.  50.  —  M.  Michel  veut  expliquer  par  l'hérédité 
les  particularités  qu'il  juge  morbides  du  caractère  de  Chateaubriand,  cela  afin 
surtout  de  rendre  à  l'écrivain  la  justice  qui  lui  est  due,  en  le  montrant  plus  ou 
moins  irresponsable.  Nous  augurons  de  ce  desseiu  scientifique  qu'il  possède 
des  données  spéciales  sur  les  ascendants  de  Chateaubriand.  Mais  à  ce  point 
de  vue  la  lecture  du  livre  nous  déçoit  grandement,  car  on  n'y  trouve  que 
quelques  traits  tirés  des  Mémoires  d'Outre-Tombe.  Nous  apprenons  finalement 
que  si  Chateaubriand  «  n'a  jamais  été  aliéné,  tout  en  étant  voué  de  naissance  à 
l'insanité  »,  c'est  parce  qu'il  a  été  sauvé  par  le  travail.  —  Comme  étude 
biographique  médicale,  il  faut  signaler  à  l'auteur,  qui  parait  l'ignorer,  le  livre 
d'un  de  ses  devanciers  ;  le  Dr  Massoin  :  Chateaubriand,  essai  médical  et  litièraire. 
Hayez,  Bruxelles.  A.  Cassagne. 

Dr  J.  Guiart.  Les  parasites  inoculateurs  de  maladies.  —  Paris,  Flammarion,  191 1, 
in-12,  107  figures,  3  fr.  50.  —  L'ouvrage  comprend  deux  parties.  Dans  la  pre- 
mière, l'auteur  étudie  le  rôle  des  insectes  suceurs  de  sang  dans  la  transmission 
de  certaines  épidémies  :  rôle  des  moustiques  pour  le  paludisme,  la  filariose,  la 
fièvre  jaune  ;  des  mouches  pour  le  charbon,  la  maladie  du  sommeil  ;  des  puces 
pour  la  peste,  la  pneumonie,  etc.  La  deuxième  partie  traite  des  vers  intestinaux  : 
le  Dr  Guiart  les  considère  comme  des  vers  inoculateurs  de  maladies  telles  que 
l'appendicite,  la  fièvre  typhoïde,  le  choléra,  etc.  Aussi  préconise-t-il  avant  tout 
traitement  la  cure  vermifuge  par  le  thymol.  Malheureusement,  G.  Raillet  a  prouvé 
que  les  parasites  de  l'appendice  n'étaient  jamais  tués  par  le  thymol,  même 
administré  à  fortes  doses.  Cette  partie  du  livre  est  insuffisante  ;  elle  aurait  dû  être 
complétée  par  une  étude  plus  détaillée  sur  les  migrations  des  divers  ténias  et  leurs 
modes  variés  de  propagation  par  le  bœuf,  le  porc,  les  poissons  et  par  les  animaux 
domestiques.  Tel  qu'il  est,  l'ouvrage  est  instructif  ;  le  Dr  Guiart,  professeur  à  la 
Faculté  de  Médecine  de  Lyon,  a  pris  soin  de  donner,  au  début,  de  très  claires 
explications  anatomiques  illustrées  de  dessins  personnels  et  qui  permettent  de 
comprendre  aisément  le  mécanisme  de  la  pénétration  des  microbes  dans  le  sang, 
les  organes,  l'intestin.  Ce  petit  volume  peut  être  donné  comme  le  modèle  des 
livres  de  vulgarisation  ;  il  intéresse  le  lecteur  en  faisant  jouer  sous  ses  yeux  les 
phénomènes  intimes  de  la  vie,  en  lui  faisant  suivre  en  maints  endroits  (palu- 
disme, fièvre  jaune)  l'évolution  lente  et  sûre  du  progrès  scientifique,  et  cela,  sans 
le  distraire  par  des  anecdotes  puériles  et  sans  le  rebuter  par  un  étalage  de  termes 
techniques.  Mme  G.  Rudler. 


TABLE  DES  MATIERES 


TOME  VI 


(191 1) 


ARTICLES  DE  FOND. 

Le  prix  Concourt  en  1910  (J.  Bury) 1 

Principales    publications  (1900-1910)  sur  la   poésie   française   au  xvie  siècle 

(H.  Chamard) 21 

Les  ouvrages  de  vulgarisation  scientifique  (L.  Houllevigue) 41 

Livres  récents  sur  l'Angleterre  contemporaine  (L.  Cazamian) 61 

Claude  Farrère  (A.  d'Estournelles  de  Constant).     ........  81 

La  réforme  de  l'Institution  militaire  de  la  France  (Nogaret) 101 

L'Œuvre  de  J. -H.  Fabre  (E.  Brucker) 121 

Deux  études  récentes  sur  la  première  commune  révolutionnaire  (C.  Bloch)    .  141 

Un  livre  sur  le  Culturkampf  (Ch.  Andler) 161 

L'Autobiographie  de  Stanley  (L.  Gallois) 181 


COMPTES-RENDUS. 

Littérature. 

Acker(P.),  Les  Exilés  (M.  Lange).       146 

Adam  (P.),  Le  Rail  du  Sauveur 

(L.  Cazamian) 54 

Allorge    CH.),    L'Essor    éternel 

(J.  Morel) 54 

Angellier  (A.),  Dans  la  lumière 

antique,  Les  Scènes  (J.  Bury).       185 

Anthologie  des  prosateurs  fran- 
çais contemporains,  Tome  I. 
Les  Romanciers  (J.  Bury)    .     .         54 

Apollinaire  (G.),  L'Hérésiarque 

et  Cie  (J.  Bury) 1 

Aranha  (Graça),  Chanaan  (L. 
Barrau-Dihigo) 167 

Audoux      (M.),      Marie  -  Claire 

(J.  Bury)     .......  , 

Augé-Chiquet  (M.),  Édition  cri- 
tique des  Amours  de  J.-A.  de 
Baïf  (H.  Chamard)    ....         21 

Bakrie  (J.  M.),  Piter  Pan  dans 
les  Jardins  de  Kensington 
(M.  Morel) 155 

Baumann    (E.),    La    Fosse    aux 

lions  (J.  Merlant) 116 

Berthet  (A.),  Les  Expériences 
d'Asthénéia  au  Jardin  de  la 
Connaissance  (M.  Morel)     .     .       155 


Bertin  (C.-E.),  Nos  plus  beaux 
rêves  (A.  C.) 

Bodin  (E.).  Au  pays  des  brandcs 
fleuries  (P.  Tuffrau).     .     . 

—  La  Jolie  Lande  (P.  Tuffrau). 
Boissière  (J.),    Propos  d'un    in- 
toxiqué (P.  Dubois)  .     .     .     . 

Bojer  (J.),  Sous  le  ciel  vide 
(J.  Lancret) 

Bouchou  (M.),  La  Maison  du 
Peuple  (J.  Bury) 

Bourcier  (E.),  La  Rouille  (A. 
d'Estournelles  de  Constant).     . 

Brunot  (F.),  Macette  de  Mathu- 
rin  Régnier  publiée  et  commeu- 
tée  (H.  Chamard) 

Catulle-Mendès  (Jane),  Les 
petites  confidences.  Chez  soi 
(J.  Merlant) 

Chamard  (H.),  Édition  critique 
des  Œuvres  Poétiques  de  J.  du 
Bellay  (H.  Chamard).     .     .     . 

—  Edition  critique  de  la  Deffence 
et  Illustration  de  la  Langue 
Françovse  par  ].  du  Bellay 
(H.  Chamard) 

Chanson  (La)  française  du  x\ e  au 
xx«  siècle  (J.  Monthizon)    .      . 

Chiniik  (André),  Œuvres  com- 
plètes, Tome  II.  Publiées  par 
P.  Dimoff  (J.  Merlant)  .     .     . 


36 

196 
196 

145 

12) 

177 

IOS 


71 


21 
54 

97 


202 


Clasicos  Castellanos.  Santa  Te- 
resa,  Las  Moradas.  Tirso  de 
Molina,  Obras  (L.  Barrau- 
Dihigo)  36 

Combe  (T.),  Enfant  de  commune 

(J.  Lancret) 126 

Comte  (Ch.),  Édition  critique  des 
Tragédies  saintes  de  Louis  des 
Masures  (H.  Chamard)  ...         21 

Conan  Doyle  (A.),  Micah 
Clarke  ;  I  :  Les  Puritains  (L.  Ca- 
zamian) 97 

Crâne  (Stephen),    La   Conquête 

du  courage  (Capitaine  Mirvalle).       1 84 

Cyril    (V.),   Une    main    sur    la 

nuque  (P.  D.)  ......         17 

Dagen  (E.),  Le  Père  Billon  dans 

sa  ferme  (J.  Bury)     .      .      .     .        165 

Dedieu  (J.),  Édition  critique  de 
l'Art  Poétique  Français  par 
P.  de  Laudun  d'Aigaliers  (H. 
Chamard) 21 

Dormier  (C.),  Le  Val  d'Amour 

G-  Bury) 74 

Duclos,  Histoire  de  Madame  de 

Selve  (M.  P.) 176 

—  Épigrammes  françaises  (E.  Es- 
tève) 196 

Epcï  (M.),  Anthologie  des  humo- 
ristes anglais  et  américains 
(L.  Cazamian) 97 

Espé  de  Metz  (î>  G.),  Le  Cou- 
teau (Dr  M.  Herer)    ....         97 

Farrère  (Cl.),  Fumée  d'Opium, 
Les  Civilisés,  L'Homme  qui 
assassina,  Mademoiselle  Dax, 
jeune  fille,  Les  Petites  Alliées, 
La  Bataille,  La  Maison  des 
hommes  vivants  (A.  d'Estour- 
nelles  de  Constant)     ....         81 

Fogazzaro  (A.),  Leila  (J.  Mer- 

lant) 183 

Gaiffe  (E.),  Édition  critique  de 
l'Art  Poétique  Françoys  de  Tho- 
mas Sebillet  (H.  Chamard).     .         21 

Gohier  (U.),  Un  peu  d'idéal 
(P-  D.) 155 

Gohik  (F.),  Édition  critique  des 
Œuvres  Poétiques  d'Antoine 
Héroet  (H.  Chamard)     ...         21 

Harel  (P.),  Hobereaux  et  villa- 
geois (J.  Merlant) 135 

Heine  (Henri),  Poèmes  et  Chants, 
Reisebilder,  De  l'Allemagne 
(Ch.  Andler) 84 

—  Chansons  et  Poèmes.  Trans- 
criptions en  rimes  françaises  par 
Maurice  Pellisson  (Ch.  Andler).         84 

Hermant  (A.),  Histoire  d'un  fils 

de  roi  (D.  Mornet)     ....         64 

—  Le  premier  pas  (J.  Lasale).     .       134 


~   Revue  critique  des  livres  nouveaux 

Hourticq.  (Mm«  L.),  Les  plus 
beaux  contes  de  tous  les  pays 
(J.  Bury) 96 

Jakobowski  (C),  Werther  le  Juif 
(P.  D.) 74 

Jaudon    (P.),   Dieudonné    Tête 

(A.  Beau) 155 

Lapaire  (H.),    Les   Demi-Paons 

(M.  Morel)  . 116 

Laumonier  (P.),  Édition  critique 
de  la  Vie  de  Ronsard  par 
Claude  Binet  (H.  Chamard)     .         21 

Lavaud  (G.),  Des  Fleurs,  pour- 
quoi... (J.  Morel) 28 

Leblond  (M.-A.),  Les  Jardins  de 

Paris  (J.  Bury) 27 

Le  Guet  (M.),   Les   Contes   du 

Pays  noir  (J.  B.) 35 

Lichtenberger  (A.),  Juste  Lobel, 

Alsacien  (M.  Lange)  ....       146 

Machado   de    Assis,     Quelques 

contes  (L.  Barrau-Dihigo)    .     .         17 

Machard  (A.),  Histoire  naturelle 
et  sociale  d'une  bande  de  ga- 
mins sous  la  troisième  Répu- 
blique (G.  Lanson)     ....         96 

Mauriac  (F.),  L'Adieu  à  l'ado- 
lescence (J.  B.) 156 

Maury  (F.),  Sonnets  à  la  Femme 

(J-  M.) 177 

Melegari    (Dora),    Mes  filles  (J. 

Merlant) 44 

Mestrallet  (J.  M.),  Dans  l'Es- 
pace (J.  Monthizon)  ....  36 

Millioud  (A.),   Le   Pâturage  de 

Niedens  (J.  Lancret)  ....         83 

Monique,  Dans  les  Ténèbres 
(J-M.) 35 

Montesquiou  (R.  de),  La  Petite 

Mademoiselle  (J.  Marsan)    .     .         25 

Morel  (M.),  Violettes  et  prime- 
vères (F.  Gaiffe) 75 

Moselly    (E.),     Joson    meunier 

(M.  Lange) 74 

Pardo  Bazan  (Mme  <je),  Le  Châ- 
teau de  Ulloa  (L.  Barrau- 
Dihigo)  144 

—  Mère  Nature  (L.  Barrau-Di- 
higo)  144 

Péguy   (Ch.),    Œuvres    choisies 

(Pons  Daumelas) 123 

Pensée  (La)  d'Ed.  Rod.  Morceaux 

choisis  (J.  Merlant)    .     .  .       155 

Pergaud  (L.),  De  Goupil  à  Mar- 
got (J.  Bury) 1 

Pernot  (H.),  Anthologie  popu- 
laire de  la  Grèce  moderne 
(Em.  Cahen) 17 

Poe  (Edgar),  Les  Lunettes  (A.  Cas- 
sagne) 177 

Quantin  (A.),  Histoire  prochaine 
(M.  Lange) 35 


Table  des  matières 


203 


Rabelais  pour  la  jeunesse  (L.  Su- 

dre) 116 

Ramuz  (F.),  Aimé  Pache,  peintre 

vaudois  (J-  Lancret)  .     .     .     .       165 
Reboux  (P.),  La  Petite  Papacoda 

(J-  Bury) 43 

Renaud  (J.),   Les  Inféconds  (J. 

Monthizon) 196 

Revon  (M.),    Anthologie    de    la 

Littérature  Japonaise  (G.  Weu- 

lersse) 116 

Rod  (E.),    Le    Pasteur    pauvre 

(J.  Merlant) 5 

Rosny  (J.  H.)  aîné,  La  guerre  du 

feu  (G.  Lanson) 63 

Roupnel  (G.),  Nono  (J.  Bury)  .  1 

Rudyard  Kipling,  Rewards  and 

Fairies  (L.  Cazamian)     ...       108 
Scantrel  (Y.)  [Suarès].    Sur    la 

Vie  (M.  Pellisson).     ....         98 
Termier  (Jeanne),   Derniers  Re- 
fuges (J.  Morel) 75 

Troufleau  (Ch.),  Ici  commence 

(G.  Lanson) 7 

Vaganay  (H.),    Édition    critique 

des  Amours  de   Ronsard    (H. 

Chamard) 21 

Vroncourt  (R.),    Huysmans   et 

l'Ame  des  foules    de    Lourdes 

(M.  Drouin) 36 

Wells  (H.  G.),  The  new  Machia- 

velli  (L.  Cazamian)    ....       166 
—    Effrois  et   fantasmagories  (L. 

Cazamian) 197 

Weyssenhof  (J.),  Vie  et  opinions 

de  Sigismond  Podfilipski  (J.  Le- 

gras) 177 

White  (Ed.),  Terres  de  silence 

(J-B.) 196 

Willy  (Colette),   La    Vagabonde 

(M.  Pellisson) 6 

Histoire  politique. 

Albert-Petit  (A.),  Histoire   de 

Normandie  (Ch.-V.  L.)  .     .     .       138 

Albin  (P.),  Les  grands  traités  po- 
litiques (B.  G.).     .     .     .     •     .         77 

Andler  (Ch.),  Les  Origines  du 
socialisme  d'Etat  en  Allemagne 
(C.  Bougie) .       187 

Aulard  (A.),  Napoléon  I«  et  le 
monopole  universitaire  (C. 
Bloch) 87 

Bliard  (P.),  Jureurs  et  insermen- 
tés  (B.   G.) 198 

Boubf.e  (R.),  Camille  Jordan  en 
Alsace  et  à  Weimar  (N.  Méne- 

gay) 198 


Bourgeois  (E.),  La  diplomatie 
secrète  au  xvme  siècle  (M.-R. 
Bernard) 169 

Br.î;sch   (F.),    La    Commune  du 

10  août  1792  (C.  Blochj.     .     .       141 

Broughton  (Lord),  Napoléon, 
Byron  et  leurs  contemporains 
(B.  G.) 36 

Cazamian  (L.),  L'Angleterre  mo- 
derne. Son  évolution  (G.  Ru- 
dler) 129 

Chavagnes  (R.  de),  La  vérité  sur 

la  Russie  (J.  Legras)  ....         78 

Chuquet  (A.),  Lettres  de  1792. 
Lettres  de  1 79  3 .  Lettres  de  1 8 1 3 . 
Lettres  de  181  s  (M.  Pol).     .     .       178 

Daudet  (E.),  Une  vie  d'ambassa- 
drice au  siècle  dernier.  La  prin- 
cesse de  Lieven  (B.  G.)  ...       136 

Divers,  Histoire  des  partis  socia- 
listes en  France  (G.  Bourgin)  .        137 

Dodu  (G.).  Le  parlementarisme 
et  les  parlementaires  sous  la  Ré- 
volution (G.  B.) 155 

Espitalier  (A.),  Napoléon  et  le 

roi  Murât  (G.   B.) 18 

Evans  (Dr),  Mémoires  (P.  La- 
combe)  28 

Filon  (A.),  L'Angleterre  d'E- 
douard VII  (L.  Cazamian)  .     .         61 

Fleischmann  (H.).  Mémoires  de 

Charlotte  Robespierre  (B.  G.)  .         38 

Fribourg  (A.),  Discours  de  Dan- 
ton. Édition  critique  (M.  P.)    .  17 

Goyau  (G.),  Bismarck  et  l'Église 

(Ch.  Andler) 161 

Lacombe  (P.),  La  Première  Com- 
mune révolutionnaire  de  Paris 
et  les  Assemblées  Nationales 
(C.  Bloch) •     .        141 

Latreille  (C),  Après  le  Concor- 
dat. L'opposition  de  1803  à  nos 
jours  (C.  Bloch) 76 

Levasseur  (E.),  Histoire  du  Com- 
merce de  la  France  (G.  Renard).         69 

Marion  (M.),  Les  impôts  directs 
sous  l'ancien  régime  (G.  Bour- 

g'n)    •     •     •     •' 47 

Meyer  (A.).  Ce  que  mes  yeux  ont 

vu  (P.  Dubois) 111 

Millet  (P.),    La   Crise   anglaise 

(L.  Cazamian) 11 

Milliet  (Les).  La  Guerre  de  France 

et   le    premier   siège    de    Paris 

(1870-71)  (N.) 198 

NlEDERLE    CL.),      La     race     slave 

(t).  Dobiache-Rojdestvensky).  50 
OllIVIEH  (E.),   Philosophie  d'une 

guerre  (1870).  (M.  Lange)  .     .  9 

Pkrroud  (Cl.  |,  Edition  critique  des 

Mémoires     de     }.     P.     Brissot 

CM.  P.)  •    •    •" SS 


204 


Picard  (E.),  1870.  La  guerre  en 
Lorraine  (M.    Lange).     .     .     .       157 

Publications  de  la  Société  d'his- 
toire moderne.  Série  des  instru- 
ments de  travail.  IL  Les  minis- 
tères français  (B.  G.) .     .     .     .         78 

Simon  (P.  F.),  A.  Thiers,  chef  du 

pouvoir  exécutif  (G.  Weulersse).       149 

Sokolnicki  (M.),  Les  Origines  de 
l'émigration  polonaise  en  France 
(J.  Legras) 118 

Vialay  (A.),  Les  cahiers  de  do- 
léances du  Tiers-État  aux  États 
généraux  de  1789  (C.  Bloch)     .         37 

Zurlinden   (Général),    Napoléon 

et  ses  maréchaux  (P.  Lacombe).       1 10 

Histoire  des  idées  et  des  mœurs. 

Alméras  (H.  d'),  La  vie  parisienne 

sous  la  Restauration  (J.  Lasale).       136 

Amours   et  coups   de  sabre  d'un 

chasseur  à  cheval  (A.  E.  C.  R.).         75 

Augé-Chiquet  (M.),  La  vie,  les 
idées  et  l'œuvre  de  J.-A.  de 
Baïf(H.  Chamard).     .....       22 

Baguenault  de  Puchesse,  Con- 

dillac  (N.  Ménegay)   .     .     .     .       135 

Baldénsperger  (F.  ),  Études  d'his- 
toire littéraire  (D.    Mornet).     .  7 

Batiffol  (P.),  Orpheus  et  l'Évan- 
gile (E.-Ch.  Babut)     ....        45 

Beatjnier  (A.),  Figures  d'hier  et 

d'aujourd'hui  (A.  Cassagne)     .       158 

Bertaut  (J.),  La  jeune  fille  dans 

la  littérature  française  (P.  S.)  .         99 

Bourdeaut  (Abbé  A.),  J.  du  Bel- 
lay et  Olive  de  Sévigné  (H.  Cha- 
mard)          22 

Brette  (A.),  Propos    du    Siècle 

(G.  B.) 57 

Brunot  (F.),  Histoire  de  la  lan- 
gue française.  T.  III  (L.  Sudre).       121 

Canat  (R.),  La  Renaissance  de  la 

Grèce  antique  (E.  Cahen)     .     .       127 

Cauderlier  (E.),  L'Église  infail- 
lible devant  la  Science  et  l'His- 
toire (E.-Ch.  Babut)  ....         75 

Chamard  (H.),  Joachim  du  Bellay 

(H.  Chamard) 21 

Chevrillon  (A.),  Nouvelles  Étu- 
des anglaises  (L/Cazamian).     .         61 

Churton  Collins  (J.),  Voltaire, 
Montesquieu  et  Rousseau  en 
Angleterre  (M.  P.) 117 

Coppée  (F.),  Souvenirs  d'un  Pari- 
sien (J.  Bury) 98 

CorredorLaTorreQ.),  L'Église 
romaine  dans  l'Amérique  latine 
(E.-Ch.  Babut).     .     .     ,     .     .         38 


=  Revue  critique  des  livres  nouveaux 

Correspondance   de  Renouvier  et 

de  Secrétan  (L.  Dugasj    ...         56 

Dauzat  (H.),  La  Vie  du  langage 

(Th.  Rosset) 188 

Dolonne  (Abbé),  Le  Clergé  con- 
temporain et  le  Célibat  (E.-Ch. 
Babut) 57 

Duchesne  (E.),  M.-I.  Lermontov 

(J-  Legras) 18 

Eucken  (R.),  Les  grands  courants 
de  la  pensée  contemporaine 
(D.  Parodi) 49 

Fagtjet   (E.),    Vie   de  Rousseau 

(D.  Mornet) 170 

Galabert    (E.),     Souvenirs    sur 

Emile  Pouvillon  (L.  Delaruelle).       1 3 7 

Gayot  (A.),  Une  ancienne  raus- 
cadine  :  Fortunée  Hamelin  (G. 
Bourgin) 179 

Gazier  (A.),  Les  Derniers  Jours 

de  Biaise  Pascal  (J.  Bury)    .     .         86 

GiNisTY(P.),LaFéerie(F.  Gaiffe).         55 

—  Le  Mélodrame  (F.  Gaiffe)  .     .         55 

Gourmokt  (J.  de),  Muses  d'au- 
jourd'hui (J.  B.) 77 

Grands  (Les)  philosophes  français 

et  étrangers.  Pascal  (J.  Bury.).       197 

Guy  (H.),  Histoire  de  la  poésie 
française  au  xvie  siècle.  I.  L'É- 
cole des  Rhétoriqueurs  (H. 
Chamard) 22 

Hanotaux  (G.),  La  fleur  des  his- 
toires françaises  (M.  Pol)     .     .       178 

Hazard  (P.),  La  Révolution  fran- 
çaise et  les  Lettres  italiennes 
(J.  Luchaire) 69 

Hedgcock  (F.  A.),  David  Garrick 

et  ses  amis  français  (F.  Gaiffe).       156 

Hémon  (F.),   Bersot  et  ses  amis 

(M.  Pellisson) 128 

Hervier  (P.  L.),  Charles  Dickens 

(R-L.) 157 

Houtin  (A.),  Autour  d'un  prêtre 

marié  (E.-Ch.  Babut).     ...         10 

Jugé  (Abbé  C),  Jacques   Peletier 

du  Mans  (H.  Chamard)  ...         22 

Labourt  (J.)  et  Batiffol  (P.), 
Les  Odes  de  Salomon  (S.  Rei- 
nach) 147 

Lachèvre  (F.),  Disciples  et  suc- 
cesseurs de  Théophile  de  Viau 
(M.  Lange) 109 

Lagrange  (M.-J.),  Quelques  re- 
marques sur  l 'Orpheus  de  M.  Sa- 
lomon Reinach  (E.-Ch.  Babut).         45 

Langlois  (Ch.-V.),  La  Connais- 
sance de  la  Nature  et  du  monde 
au  moyen  âge  (M.  P.)     ...         47 

Laumonier  (P.),   Ronsard  poète 

lyrique  (H.  Chamard)     ...         22 


Table  des  matières 


205 


Laumonier(P.),  Tableau  chrono- 
logique cies  oeuvres  de  Ronsard 
(H.  Chamard) 22 

Lefebvre    (A.),    L'Inconnue    de 

Prosper  Mérimée  (J.   Marsan).         76 

Legrand    (Ph.     E.),    Daos    (E. 

Cahen) 66 

Lunel  (E.),  Le  Théâtre  et  la  Ré- 
volution (F.  Gaiffe)     ....         38 

Mariassy   (F.    W.),   Aperçus  de 

philologie  française  (Th.  Rosset).       156 

Masson  (Elsie  et  Emile),  Lettres 
d'amour  de  Jane  Welsh  et  de 
Thomas  Carlyle  (L.  Cazamian).       137 

Masson  (P.   M.),    Lamartine  (J. 

Bury) 137 

Masson-Forestier,   Autour  d'un 

Racine  ignoré  (M.  Pellisson)     .         37 

Maynial   (E.),  Casanova  et  son 

temps   (F.   Gaiffe) 126 

Molinier  (Abbé   H.-J.),    Mellin 

de  Saint-Gelays  (H.  Chamard).         22 

Moréas  (J.),  Variations  sur  la  Vie 

et  les  Livres  (M.  Drouin)     .     .         57 

Moret  (A.),  Rois  et  Dieux  d'E- 
gypte (E.  Pottier) 168 

Notes  sur  A.  Comte  par  un  de  ses 

disciples  (L.  Dugas)    ....  8 

Pallarès  (V.  de),  Le  Crépuscule 
d'une  idole  (Nietzsche,  Nietzs- 
chéisme)  (M.  Drouin).     ...         78 

Péguy  (Ch.),  Victor-Marie,  comte 

Hugo  (M.  Pellisson)  ....         76 

Perdrizet  (P.),  Ronsard  et  la  Ré- 
forme (H.  Chamard).     ...         21 

Photiadès  (C),  George  Meredith 

(L.  Cazamian) 148 

Ramon  Menkndez  Pidal,  L'Épo- 
pée castillane  à  travers  la  litté- 
rature espagnole  (L.  Barrau-Di- 
higo) 67 

Rigal  (E.),  De  Jodelle  à  Molière 

(E.  Estève) 169 

Rocheblave  (S.),  Agrippa  d'Au- 

bigné(H.  Chamard)  ....         22 

Roustan  (M.),  Les  Philosophes 
et  la  Société  française  au  xvme 
siècle  (J.  Monthizon)  ....         98 

Sainte-Foi  (Ch.),  Souvenirs  de 
Jeunesse  (1828-183 5)  (J-  Mer- 
lant) 178 

Séché  (L.),  Revue  de  la  Renais- 
sance fondée  par  (H.  Chamard).         21 

—  La  jeunesse  dorée  sous  Louis- 
Philippe  (N.  Ménegay)   ...        136 

Sorel  (A.  E.),  Essais  de  psycholo- 
gie dramatique  (F.  Gaiffe)   .     .         gg 

Souvenirs  sur  Guy  de  Maupassant 
par  François  (D.  Mornet).     .     .       1S8 

Trénel  (J.),  L'élément  biblique 
dans  l'œuvre  poétique  d'Agrippa 
d'Aubigné  (H.  Chamard).     .     .         22 


Valette  (G.),  Jean-Jacques  Rous- 
seau genevois  (D.  Mornet)  .     .         48 

Vianey  (J.),  Le  Pétrarquisme  en 
France  au  XVIe  siècle  (H.  Cha- 
mard)          22 

Villey  (P.),  Les  sources  italiennes 
de  la  «  Deffense  et  Illustration 
de  la  Langue  Françoise  »  d'. 
J.  du  Bellay  (H.  Chamard).     .         22 

Vulliaud  (P.),  La  Crise  orga- 
nique de  l'Église  de  France  (E.- 
Ch.  Babut) 118 


Histoire  de  l'Art. 

Andréa   Mantegna.    L'Œuvre   du 

maître  (L.  Rosenthal)     ...         98 

Bayet  (J.),  Les  édifices  religieux 
de  Paris,  xvne,  XVIIIe,  XIXe  siè- 
cles (L.  Rosenthal)     .     .     .     .       117 

Bénédite(L.),  Meissonier  (L.  Ro- 
senthal)           56 

Berteaux  (E.),  Donatello  (L.  Ro- 
senthal)           68 

—   Études     d'histoire     et     d'art 

(L.  Naby) 117 

Boinet  (A.),  Les  édifices  religieux 
de  Paris.  Moyen-Age.  Renais- 
sance (L.  Rosenthal)  .     .     .     .       117 

Caylus  (Cte  de),   Vies  d'artistes 

au  xvme  siècle  (J.  L.)     .     .     .         37 

Christol  (Fr.),  L'art  dans  l'Afri- 
que australe  (E.  Pottier).     .     .         65 

Clouzot     (H.),      Philibert      de 

l'Orme  (G.  A.  Hùckel)  ...         37 

Cornu  (P.),  Corot  (L.  Rosen- 
thal)  198 

Curzon    (H.     de),      Meyerbeer 

(A.  Cahen) 19 

Dake  (C.  L.),  Josef  Israels 
(J.  Monthizon) 1 5 S 

Demaison  (L.),  La  cathédrale  de 
Reims  (A.  E.  C.  R.)  .     .     .     .         5  5 

Divers,  L'année  artistique  en 
France,  en  Angleterre,  en  Alle- 
magne, en  Italie  (L.  Rosen- 
thal)   157 

Dorbkc,      Théodore     Rousseau 

(L.R) '57 

Enlart  (C),  Le  Musée  de  sculp- 
ture comparée  du  Trocadéro 
(1J-  D-) t$8 

EïMIED  (P.),  L'Œuvre  de  Meyer- 
beer (A.  Cahen) 19 

FUEUKY  (G.),    La    cathédrale   du 

Mans  (A.  E.  C.  R.)    .      .  55 

Fra  Angelico  da  Fiesole,  L'Œu- 
vre du  Maître  (E.  Bertaux)  .     .        148 

Geffroy  (G.),  Les  Gobelins  (L. 

Rosenthal) 198 


206 


Hourticq.  (L.),  Histoire  générale 
de  l'art.  France  (S.  Reinach)    .       131 

Lemonnier  (H.),  L'Art  français 
au  temps  de  Louis  XIV  (J.  Loc- 
quin) 186 

Pougin    (A.),     Marie     Malibran 

(D.  Mornet) 149 

Ricci  (C),  Histoire  générale  de 
l'art.  Italie  du  Nord  (S.  Rei- 
nach)          89 

Rouché  (J.),  L'Art  théâtral  mo- 
derne (F.  G.) 78 

Schneider  (R.),   Quatremère  de 

Quincy  (L.  Rosenthal)    .     .     .       171 

Séailles  (G.),   Eugène   Carrière 

(L.  Rosenthal) 112 

Soubies  (A.),  Almanach  des  spec- 
tacles, année  1909  (A.  C.)  .     .         79 

Sturgf.-Moore  (T.),  Art  and  Life 

(L.  Cazamian) 29 

Thédenat  (H.),  Le  Forum  ro- 
main (J.  Lasale) 197 

Titien.       L'Œuvre      du      Maître 

(H.  Mandeure) 178 

Sociologie. 

Abeille  (L.),  L'Esprit  démocra- 
tique de  l'enseignement  secon- 
daire argentin  (G.  Lanson).     .  30 

Adam  (P.),  Le  malaise  du  monde 

latin  (D.  Mornet) 32 

Avigdor  (P.),  L'Union  libre? 
D'où  venons-nous  ?  Où  allons- 
nous?  (H.  Bourgin)  ....         19 

Baudin  (P.),  La  dispute  française 

(H.  B.) *.     .       139 

Bertillon  (Dr  J.),  La  dépopula- 
tion de  la  France  (P.  Dubois)  .         91 

Bourdeau  (J.),  Entre  deux  ser- 
vitudes (H.  Bourgin).     ...  39 

Bourgin  (H.),  Le  Socialisme  et 
la  Concentration  industrielle 
(G.  Renard) 150 

Brouilhet  (Ch.),  Revue  des  faits 
économiques  de  l'année  19 10 
(H.  B.) 139 

Caillaux    (J.),    L'impôt    sur    le 

revenu  (G.  Renard)  .     .     .     .       132 

Cambon  (V.),  La  France  au  tra- 
vail (R.  Blanchard)     ....       179 

Caudel  (M.),  Nos  libertés  poli- 
tiques (H.  Bourgin)    ....         30 

Chesterton  (G.  K.),  What's 
Wrong  with  the  World  (L.  Ca- 
zamian)           61 

Fœmina,     L'Ame     des     Anglais 

(L.  Cazamian) 61 

Greef  (G.  de).  Introduction  à  la 
Sociologie  (G.  Renard)  ...       172 


=  Revue  critique  des  livres  nouveaux 

Guesde  (J.),  En  garde  !   (H.  B.).  158 

Hébert   (G.),     Guide     pratique  15 
d'éducation  physique  (L.  Savi- 

neau) 15 

Jaurès   (J.),    L'armée     nouvelle 

(Nogaret) 101 

KERGOMARD  (Mme)  et  BrÈS  (M"e), 

L'Enfant  de  2  à  6  ans  (M°»e  G. 
Rudler) 119 

Laffitte  (J.-P.),  Le  paradoxe  de 
l'égalité  et  la  représentation 
proportionnelle  (G.  Renard)     .         11 

Lavisse  (E.),  Nouveaux  Discours 

à  des  enfants  (J.  Bury)  ...       119 

Lysis,  Contre  l'oligarchie  finan- 
cière (E.  Marligny) 189 

Meynadier  (R.),  L'idée  républi- 
caine dans  les  pays  monar- 
chiques d'Europe   (B.    G.).     .       198 

Paul-Louis,  Histoire  du  mouve- 
ment syndical  en  France  (H.  B.).       1 58 

Philippe  (J.)  et  Paul-Boncour 
(G.),  L'Éducation  des  anormaux 
(Dr  Fr.  Moutier) 15 

Ransson  (G.),  Essai  sur  l'art  de 

juger  (E.  Goblot) 139 

Ripault  (L.),  Par  delà  les  Fron- 
tières (J.  Morel)     179 

Théry  (Edm.),  L'Europe  écono- 
mique (H.  B.).     .     .     .     .     .       158 

Wagner  (C),    Par    le    sourire 

(D.  Mornet) 112 


Géographie  et  VoYages. 

Albertini  (L.),  L'Argentine  sans 

bluff  ni  chantage  (R.  Blanchard).       1 20 

Asselin    (A.),    Paysages    d'Asie 

(P.  D.) 119 

Aymard  (Capitaine),  Les  Toua- 
regs (A.  d'Estournelles  de  Cons- 
tant)           39 

Beauregard  (G.  de)  et  Fou- 
chier  (L.  et  C.  de),  L'Italie 
méridionale  (P.  D.)  ....       119 

Bertrand  (L.),  Le  Livre  de  la 
Méditerranée  (M.  Pol)     ...       138 

Bovet    (M. -A.    de),     Cracovie 

(M.  Pol).     .......         20 

Bradley  (G.),  Le  Canada.  Em- 
pire des  bois  et  des  blés  (A.  De- 
mangeon) 12 

Brunhes   (J.),      La    Géographie 

humaine  (Ph.  Arbos).     ...         93 

Burnichon  (J.),  Le  Brésil  d'au- 
jourd'hui (R.  Blanchard)     .     .         40 

Chitty  (J.-R.),  En  Chine.  Choses 

vues  (G.  Weulersse)  ....         40 

Clemenceau  (G.),  Notes  de 
voyages  dans  l'Amérique  du 
Sud  (Nogaret) 138 


Table  des  matières 


207 


Crastre  (F.),  A  travers  l'Argen- 
tine moderne  (R.  Blanchard)    .         13 

Cyro  de  Avezedo,  Chemin  fai- 
sant (L.  Barrau-Dihigo)  ...  $8 

Garzon   (E.),   L'Amérique  latine 

(J.  E.  Martin) 159 

Gautier  (E.  F.),  La  Conquête 
du  Sahara  (A.  d'Estournelles  de 
Constant) 72 

Géniaux  (Ch.),  Le  Maroc  (A. 
E.  C.) 79 

Gérard  (L.),  A  travers  la  Hol- 
lande (G.-A.  Hùckel).     ...         32 

Gregorovius  (F.),   Promenades 

italiennes   (J.   Luchaire).     .     .       199 

Hinzelin  (E.),  Images  d'Alsace- 
Lorraine  (M.  Lange)  ....         19 

Honoré  (M.),  L'Amérique  du 
Sud  à  tort  et  à  travers  (R.  Blan- 
chard)              99 

Huchard  Robert,  Aux  Antilles 
(L.  Gallois) 58 

Hymans  (H,),  Bruxelles  (M.  Pol).         20 

Kergolay  (J.  de),  Sites  délaissés 

d'Orient  (G.-A.  Hùckel)      .     .         51 

Klein    (Abbé),    L'Amérique    de 

demain  (Ch.  Seignobos).     .     .         20 

Lebeau(H.),  Otahiti  (J.  E.  Mar- 
tin)              79 

Marge  (P.),  Voyage  en  automo- 
bile dans  la  Hongrie  pittoresque 
(M.  Pol), 39 

Morel-Payen   (L.),     Troyes    et 

Provins  (J.  L.).     ..'...         79 

Orléans   (Duc   d'),    Chasses    et 

chasseurs  arctiques  (P.  Dubois).       138 

Périgny  (M.  de),  Les  cinq  Répu- 
bliques de  l'Amérique  centrale 
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